Littinéraires viniques » LA DÉGUST EXPRESS DU SALE VIEUX CON RÂLEUR …

RENÉ MURÉ. RIESLING « Clos Saint Landelin » SGN 1983.

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Ou, comment un bon moine Irlandais donna son nom à un vin qui n’était pas de malt …

« Situé au sud de la ville de Rouffach, Le Clos St Landelin s’étend sur une surface de 12 hectares. Il constitue l’extrémité sud du grand cru Vorbourg. Ses pentes abruptes d’exposition sud nécessitent la culture en terrasse. Le sol est argilo-calcaire avec beaucoup de cailloux ; le sous-sol est formé de grès calcaire du Bajocien et de conglomérats calcaires de l’Oligocène. L’ensoleillement intense dont il bénéficie en fait un terroir d’une grande typicité ». D’après http://www.mure.com/

Ceci étant rendu à René, autre César, je regarde cet élixir de pur bronze au creux duquel les rayons du soleil, apparu entre les nuages lourds qui traînent à ma fenêtre, mettent le feu du ciel en cet avril boudeur. Paisible est ce vin étendu dans sa couche de cristal fin. Comme un lac de plaisir étincelant, perché, à l’équilibre, sur la longue tige que je saisis d’une main émue.

 Comme à l’habitude, je ferme les yeux et me recueille un instant.

C’est bien la moindre des choses quand on ouvre largement le nez au-dessus d’un jus de quarante ans d’âge, né de raisins grillés et précautionneusement triés. Le vin est breuvage qui se respecte. Comme l’homme il vit sa vie et vieillit lentement, et comme trop peu d’entre eux, hélas, il se bonifie. A la première inspiration, je me sens me décoiffer, tant le bouquet que je capte est fondu, complexe, et captivant. Un feu d’artifice de flaveurs que l’aération a décuplé. En foule, ensemble, entrelacées, des fragrances de fumée, minérales, au dessus de notes, ou plutôt de croches, parfumées – comme un contrepoint sans fin de Bach – déroulent leur musique. La fleur d’acacia, le miel, l’orange confite, la pêche jaune à la chair sucrée, l’abricot éclaté sous la poussée du jus, la propolis, la prune épanouie comme le ventre de l’odalisque, les fruits confits, caressent mes narines ravies.

Le temps a passé, au buvant du verre je prends en bouche un peu de cette pluie de vin, tandis qu’au dehors les nuages se vident, et tapissent le sol de grosse bulles tièdes. Rond, puissant, gras à souhait, avec juste ce qu’il faut de sucre, le vin me pénètre, enfle, et lâche au creux de mon gueuloir avide, une brassée de fruits mûrs.

Puis viennent les épices, la cannelle poivrée, le jus s’allonge comme une danseuse qui s’étire. Enfin la fraîcheur surgit derrière le fruit et fait danser, danser le vin. Dans ma bouche désertée la pierre s’attarde très longuement, qu’exalte la fraîcheur, la dragée à l’anis et la fine amertume des noyaux.

Sous la bure austère de Saint Landelin se cachaient des trésors profanes, sans doute ignorés de ses frères prieurs …

 Avec quelque chose d’une sonate,

De Scarlatti

Aussi …

BUISSON CHARLES. MEURSAULT V.V 2013.

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Mon premier « Buisson » depuis le millésime 2008.

En ce temps-là Patrick Essa était encore, mais de moins en moins, bien qu’encore très affûté – un sportif vigneron. Et là, en cet Avril 2013, froid et pluvieux, voici que je retrouve un vigneron sportif. Bien sûr le temps a passé pour lui et pour moi, mais je le soupçonne de s’adonner maintenant aux footing à quatre roues, nerveuses les roues, foutrement !

Ceci n’est pas que plaisanterie amicale, joyeux buveurs qui me lisez peut-être, car – il y a toujours un car tant qu’on n’est pas en Mai(s) – cet après-midi là donc, pendant que nous dégustions (Trois hommes dont un vigneron Bordelais qui redresse « La Voûte », un passionné de la Rive Droite et mézigue, et deux femmes, l’une humant en écrivant, et l’autre qui mine de rien ne perdait ni une goutte d’or, ni un mot, et qui a pour habitude de n’en penser pas moins), car donc, le truisme éculé qui veut que les vins ressemblent aux vignerons qui les accompagnent, à mon grand désespoir, moi qui pourfend d’ordinaire les lieux communs, je suis bien obligé d’avouer qu’encore une fois, ce jour-là, ce P ! de truisme à la c !, oui je le fessecon, m’a gentiment envoyé dans les cordes.

Bien. Et le vin dans tout ça ? Non, je ne vous ferai pas le coup du roi du pif qui détaille jusqu’aux ultimes fragrances des vins, j’éviterai aussi de me lancer dans une métaphore buccale suggestive à connotations gourmandes et féminines en vous listant les fruits divers et juteux qui se cachent derrière la rigueur des vins de Patrick, en découvrant comme il convient de le faire, que la particularité des terroirs qui portent les ceps dont proviennent les grappes mûres qui, judicieusement pressées, ont, après avoir traversé les affres des fermentations alcoolo-malolactiques et reposé aux flancs des rondeurs barriqueuses taillées dans les beaux bois de France et patati et patatraque, non !

Mais je vous le dis, comme je le pense, j’ai bu les vins d’un vigneron sportif que le temps a arrondi – certes un peu mais rien d’excessif dans les courbes élégantes de cet amoureux des vins et de la vie. Je vous dis plutôt que la race est là, que l’équilibre l’accompagne, que l’élégance n’est pas en reste dans les flacons qui ont rempli mon verre, que la relance et la fraîcheur sont parfaitement maîtrisées, que le sel a caressé mes lèvres, et que cet homme là a su mettre dans ses vins cette sensibilité, aussi discrète que subtile, qui l’habite, mieux et plus encore qu’il y a quelques années.

Et pour terminer, ce billet iconoclaste, vous assurer, à genoux devant la croix de la Romanée-Conti, que les vins que j’ai dégustés ce jour-là chantaient leur terre et les calcaires de son sous-sol. Peu disert le vigneron sportif, mais chacune de ses paroles était marquée du sceau de la réflexion, longuement menée au cours des ans. Le temps a fait son œuvre.

Enfin ceci dit, je suis bien certain qu’il n’a pas perdu son caractère de … qui le faisait jadis monter dans les tours, aussi haut que son splendide bolide d’aujourd’hui. Certaines lueurs dans ses yeux, subreptices, me l’ont confirmé.

DOMAINE DE L’A 2012. Castillon Côtes de Bordeaux.

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Dans une carafe aux courbes hottentotes, voici trois heures, la bouteille au col sévère a pleuré à gros bouillons de chagrin – une bouteille que l’on vide de son amour de vin est toujours en larmes. Le jus odorant qu’elle emprisonnait depuis peu s’étire. Il a soupiré de plaisir, je l’ai entendu gargouiller.

 Alors, plus mutin qu’une deb à l’idée du bal qui l’attend un soir prochain, oui une de ces debs du genre rebelle à papa – putain il fait chier le vieux avec son fric ! -, une des très rares qui ne porte pas la robe chantilly de tissu précieux montée par une des stars de l’inutile en vogue, le vin a déployé sa robe de grenat étincelante, au coeur de laquelle la lumière automnale se concentre en un point lumineux que j’ai peine à regarder. Une robe de velours aux reflets de pivoine grasse.

 Or donc le vin en jette, et de belles lueurs appétissantes. A le regarder ainsi cligner de l’oeil, le nez se penche sur le verre. A peine l’est-il que les fruits rouges et mûrs l’accueillent, cerises, cassis et autres douceurs, des baies rouges assurément, aux parfums en harmonie veloutée avec la robe du vin. S’y marient épices douces et fragrances de violette. Sur les parois du verre, glissent des rus glycérinés qui ajoutent à l’appétence olfactive. Des parfums de bon bois aussi, des parfums de jeunesse que le temps estompera. A humer ce vin me reviennent « Passiflore, Magnolia, Acanthe …. » les noms des cuves tronconiques du Chai du domaine.

 Le vin n’envahit pas la bouche, il la caresse. Ici tout est velours (oui encore!), la matière est conséquente sans être ostentatoire, d’une de ces fraîcheurs que j’aime tant, cette fraîcheur des calcaires transmutée par la vigne. Les fruits roulent en bouche, un jus de printemps, élégant, racé.

 Il est tard les convenances se sont diluées, la soirée passant, les photographes sont partis, le consensuel a fondu, les corps sont chauds. Sous les mains caressantes du jeune Jean-Hubert de service, la Deb roule des hanches, elle a le regard mouillé …

 Ce vin n’est pas bon, il est délicieux, la nuance est d’importance et les petits tannins fins et enrobés qu’il dépose au palais, avec la fraîcheur et le sel fin qu’il laisse au bord des lèvres, sont à mon avis la marque du domaine.

 Stéphane Derenoncourt sait caresser La Colombe …

MOREY-COFFINET. CHASSAGNE MONTRACHET « LES PUCELLES » 2010.

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Père et fils au travail …

—–

A La Rochelle, que de courants !

Qui vous entraînent, vous jettent, à droite ou à droite, c’est selon. Vous avez beau ramer, impossible de lutter, puis ils vous reprennent, vous entortillent les palmes, et vous voilà proche des récifs, à l’occident de la baie. Sur la gauche, la plage est déserte, impossible de s’y diriger tant la mer, houleuse, vous aspire, plus encore que la dernière des goules affamées. Alors vous fermez les yeux, vous vous réfugiez au coeur de vos souvenirs … Ceci dit, j’aime la réalité des baleiniers qui bravent les tempêtes quotidiennes, des entrepreneurs, des Pmistes, des volontaires, des créatifs, des petits, des sans grades, ceux qui tirent l’URSSAF par la queue sans pour autant appartenir au monde grandissant des entubés. Les vignerons aussi, ceux qui subliment les jus, rouges ou blancs, des vignes du Seigneur. Loin des winemakers. Dans la pénombre des lounges sans âmes, la finance des actionnaires replets ricane et l’Europe immobile se mire dans les eaux glauques de l’austérité.

 Sur la plage de La Rochelle, c’est la valse à un temps.

Dans les barriques de Chassagne Montrachet, les jus de Thibault, au calme dans la pénombre des caves tutélaires que ne troublent pas les agitations du monde, travaillent en silence.

Or donc, me suis réfugié sous le goulot défloré la veille d’un des ces flacons fragiles qui dissolvent la morosité, et redonnent au ciel brouillé du temps présent, un peu de cette lumière qui caresse l’âme et rassérène les esprits peau de chagrin. Un PULIGNY MONTRACHET « Les Pucelles » 2010, à la robe de bal ensoleillée, tissée d’or et de quelques reflets verts. Besoin de virginité et de fraîcheur par ces temps miasmatiques. La Rochelle cède place au petit matin calme, à la plénitude odorante d’un verger au réveil. La grâce, l’élégance de Puligny graissent à peine les parois du verre. L’amande verte, les fruits blancs – la pêche surtout – enchantent les narines. Ne pas rouvrir les yeux, il ne me faudrait pas manque cette touche d’abricot qui s’invite à la valse. La valse à mille fragrances, au tempo affirmé, tendu comme il le faut.

Puis le tilleul, les épices et la craie participent à l’équilibre olfactif. Un bois noble aussi pour un élevage subtil et de qualité. Je vous fiche mon billet que sous les ceps, la terre fine recouvre la roche dure. Et ce nez charmant ne fait que poindre. Dans le monde du vin, l’âge ne ride pas les jus, il les magnifie.

Le jus attaque tout en fraîcheur, et la papille salive. Comme un jeune chat joueur, le vin fait la boule et roule sur les muqueuses. L’animal, quoique jeune, est tout en promesses de muscles, sa puissance est patente, 2010 est là, déjà. Puis le chaton s’étire de tout son long, reins tendus, fourrure douce. C’est le temps des caresses fruitées qui confirment le nez. S’y joint, qui perce le jus, le minéral affirmé de la craie, saline à souhait. Elle tend, allonge la perception et signe de la pointe du sabre la terre de Puligny. L’avalée, je ne puis l’empêcher, qui me réchauffe le ventre et le coeur. Au ciel, les nuages se délitent et je rouvre les yeux, le vin a disparu, s’est noyé dans les abîmes d’après glotte, pourtant, longtemps, longtemps, il berce de sa réglisse légère le berceau de mon palais. Le Thibault, patte fine comme a son habitude, aurait pu faire un bretteur redoutable !

Sur les côtes de La Rochelle le salmigondis médiatico-politicard continue …

 

FRANCIS BOULARD, MON PÈRE NOËL A MOI …

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Le vent souffle qui transforme les pluies en rafales cinglantes, la ville est morte, essoufflée elle aussi, les rues vides ne sortent pas vraiment de leur torpeur glacée, et les fourmis humaines que la tempête a épargnées, s’affairent autour de leurs fourneaux ronflants, de leurs volailles ruisselantes, tandis que d’autres, tapis à l’ombre que le jour grisâtre peine à dissiper, attendent, dans l’humidité, que la fée électricité veuille bien illuminer un peu leurs sapins attristés. Ainsi va la vie des hommes dans l’hexagone …

Sur son site, Francis dit le Boulard, le nez plongé dans un verre, oui dans un verre – et non pas dans une coupette à la con pour mémés branchées soirée Country Dance endiablée, ni dans une flûte pour anorexique mondaine extatique, sourire figé, froufroutante, au Wine Tasting incontournable (encore que pour les cons le tour est vite fait), accoudée au bar d’une péniche ventrue, amarrée ad vitam au bord reluisant d’un quai Parisien – souriant, aussi finement que les bulles légères qui lui chatouillent les naseaux qu’il a largement épatés. Immuablement heureux. Lui, fier convive aux larges pattes gauches (les deux), qui partageait encore, il y a peu, un repas d’amitié simple, dans un restaurant Cognaçais, qui nous laissa, amygdales flottantes, à balbutier nos joies simples, avant de nous quitter, rassasiés de Bourgognes et de rires complices, lui, ce vigneron modeste, je le salue en ce jour de Noël 2017 qui me voit le célébrer, alors que je débouche, recueilli comme un enfant de la DDASS, une bouteille ventrue, pleine des jus des Rachais, du millésime 2007. Un pur Chardonnay.

Il aura fallu une bonne matinée, pour que ce jus, délesté d’un fond de verre ce matin, se donne pleinement. Au frais de la cave, l’air a desserré les chairs fermes du vin, et le voici qui bulle doucement dans mon verre callipyge à long pied. Le sale vieux con râleur est au silence quand j’approche, penche l’appendice, sur le disque flavescent moiré d’ambre et de vieil or, lac brillant piqueté de bulles légères qui éclatent en grésillant à peine. Oh, pas un nez de champagne pour putes maquillées, non, mais une impression première d’équilibre, de fondu, d’élégance, une discrétion de bon ton, une fraîcheur minérale, à l’oxydation habilement contrôlée. Puis des fragrances de fruits secs miellés, de patisseries, de noyau, de zestes d’agrumes, de jus de citron mûr, franches et rectilignes, que civilisent ensuite des parfums de pêche blanche juteuse. Comme un voyage olfactif sur les terres d’un Port Royal qui aurait, grâce à Dieu sans doute, oublié d’être intégriste.

Mais il faut bien qu’arrive la mise à mort, pur ravissement de mes papilles, que je sens déjà turgides à souhait. L’attaque est franche elle aussi, comme le bonhomme, douce pourtant, comme lui aussi, juste ce qu’il faut, car le raisin est mûr. Le jus se déploie, sphérique un instant, avant que les fruits, épicés de poivre blanc, cèdent sous une poussée fraîche, toute de flèches aiguës qui allongent ce vin jusqu’à ce que la pierre arrive, qui tapissent la bouche de tannins, certes absents, mais diablement crayeux pourtant. Putain ! Oui il faut oser l’écrire, putain que c’est bon !!! Le jus a basculé, a passé les rives du Styx et s’en est allé longuement réchauffer mon corps, qui soupire d’aise. Toute ma bouche est chaude, ce qui reste du vin s’attarde interminablement, racé, pur et gourmand. Comme à l’habitude, pour les vins, qu’ils soient rouges, blancs, tranquilles, ou de bulles traversés, le calcaire qui les a portés, laisse aux lèvres de ceux qui les aiment ainsi, un sel très fin. Comme un sourire, léger comme un regret …

Saint Thierry priez pour nous. Et toi Boulard le rond, mon Père Noël à moi, je te salue, au passage de ton vin …

JÉRÔME CASTAGNIER. CLOS DE VOUGEOT 2004.

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 «AMADEUS», il y a un temps, sur Arte.

Pour moi, la cinquième ou sixième fois. Pas pu m’empêcher de plonger à nouveau, dans les spirales lumineuses et graves tracées par ce météore fulgurant. Mort à trente cinq ans. Plus que le film de Milos Forman, c’est la musique et surtout l’interprétation qu’en fait Neville Marriner, qui m’a le plus transporté.

Se caler sur les pas de Mozart, à qui Joseph II d’Autriche aurait reproché d’avoir écrit «trop de notes», relève de la gageure. La splendeur, la richesse de son œuvre peut faire tomber le premier des chefs dans les emportements, les excès, qui le feront inexorablement passer de l’élégance, de la dentelle subtilement ornementée du plus bel habit de cour, à la vulgarité appuyée de la dernière des défroques grossièrement maquillées. Marriner atteint l’équilibre, évite le piège de la séduction de surface, se joue des possibles pacotilles clinquantes pour trouver la lecture et l’expression justes, la quintessence profonde et paisible du génie Mozartien.

Car la règle, ici comme ailleurs le plus souvent, est de traquer la plénitude, la justesse, la finesse, l’esprit de la Musique.

Jérôme Castagnier s’est quelque peu éloigné du culte d’Apollon et de Pan réunis, pour se consacrer à celui de Dionysos. Après avoir longtemps soufflé dans la trompette, il s’est mis à plonger la pipette dans les grands jus de Bourgogne…

Au centre de sa collection de grands crus, brille d’une lueur sombre et presque sauvage le rubis noir de son Clos de Vougeot 2004. Le millésime n’est pas glorieux mais le Clos, proche des Grands Échézeaux, déploie superbement ses reflets d’un beau rouge intense. La robe brasille d’une lumière contenue.

Pour qu’il daigne se donner un peu, il aura fallu aérer le renfrogné une bonne journée…Mais c’est le lendemain soir seulement, que l’atrabilaire donne sa pleine mesure du moment. Derrière le bois encore présent, le nez – le mien – est séduit par l’harmonieuse complexité douce du bouquet. Ça sent le grand vin, la belle matière, le beau jus, le pinot d’exception. Ça respire noble, noir, sauvage de prime abord. Puis la cerise, noire elle aussi, apparaît, mûre. Dont on se souvient qu’elle craque sous la dent, libérant un suc épais et odorant. Le vin sent la terre mouillée après l’orage, le cuir, le poivre noir concassé, la réglisse, noire…encore.

L’attaque en bouche est douce, la chair du vin roule comme le jus abondant de la Burlat qu’annonçait le nez – celui du vin – cette fois… La puissance est bien là, la sauvagerie aussi, que l’air n’a pas complètement apaisée. La chair et le bois n’ont pas fini leurs épousailles bien que l’affaire soit bien engagée…Je ne sais si je connaîtrai ce Clos pleinement épanoui, un jour. Accessible à ce moment de son évolution, il n’en reste pas moins tendu comme un notaire qui ferait des claquettes. La finale longue, sur la réglisse noire, est épicée. Elle laisse, en prenant son temps, un fin tapis de tannins à peine amers, comme une mémoire du vin, que la bouche conserve longtemps.

Ce vin est d’une beauté obscure, douloureuse et sans partage. Il m’évoque le Rex Tremendae du Requiem, lui même l’une des pièces les plus pénétrantes et les plus bouleversantes du Maître de Salzbourg…

OSTERTAG. RIESLING MUENCHBERG 2007.

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A ce jour, je ne connaissais de ce Domaine réputé, que le Riesling Muenchberg VT 1990, sur la perfection duquel je ne reviendrai pas ici.

Depuis lors, ça a bouillonné longuement sous mon cortex, tout au fond du puits des âges, dans le reptilien, à l’insu de moi-même. Puis un jour, un lendemain d’hier, et une veille de demain comme les autres, un peu comme un gratteur de la Française des Jeux, que la joie de payer des impôts supplémentaires met en érection, depuis que les charmes de maman le laissent indifférent, irrépressiblement, j’ai commis ce qu’on l’on appellerait chez les psys d’obédience consumériste, un «achat d’impulsion», voire de con-pulsion…

C’est ainsi, qu’un carton des vins d’André Ostertag a débarqué chez moi, un beau matin de Printemps. «Beau matin de…» c’est un cliché. En vérité, c’était un p… de matin de m… pisseux à souhait, un de ces matins, qui est à la carte postale printanière, ce que le Président (l’autre) etait à la syntaxe. Du lourd, de l’énorme, comme on se plaît à dire, à tous les coins de bistrots à la mode de chez eux.

 Fin de l’intro.

Voilà que ça re-drache depuis quelques jours. Les nappes phréatiques sont à la fête, elles se gavent. Les «caramuchamboles», qui z’ici ne sont pas de Bourgogne, sont de sortie. Ils ont jeté leurs K-Ways. Toutes cornes dehors, ils broutent herbes et feuilles, grasses et humides. On les entend chanter le jour, les joies mouillées du printemps. Leurs traces, comme autant de lames flasques, zèbrent les ténèbres de mes nuits sans lune, de virgules argentées. Le soir, je poursuis mon voyage immobile au pays d’Ostertag et me faufile, effrayé, entre les branches noires des vignes torturées, qui écorchent ses étiquettes, comme autant de tagsaustères et désespérés. Derrières les ceps noirs, sidérés comme des statues en douleur, sous les cicatrices obscures, dont les cris figés griffent les étiquettes vertes ou bleues, les eaux cristallines de ces vins aigus, invariablement, m’enchantent. Ils sont en harmonie avec les eaux, que les cieux déversent. Seules leurs robes, jaunes et pâles des étés finissants, me parlent des soleils à venir, embusqués sous les nuages d’Avril.

 Rêveries d’avant boire. Le chant des mots.

 Un vin de scène?? Puisque ses vignes croissent, et prospèrent, sur un magnifique coteau de grès rose en amphithéâtre, situé plein Sud dans une vallée au pied des Vosges, sur la commune de Nothalten? Pourvu que ça ne sur-joue pas…

Un vin de moines montagnards?? De la rudesse, de l’austérité, de la spiritualité, de la pureté, de la tension, de l’élan vers le haut? Ces moines blancs aux scapulaires noirs, Cisterciens donc, en l’abbaye de Baumgarten, pas vraiment des rigolos… L’ordre promeut en effet, ascétisme, rigueur liturgique, et érige, dans une certaine mesure, le travail comme une valeur cardinale; ainsi que le prouve son patrimoine technique, artistique et architectural. Dès le XII ème siècle, ils couvrent de vignes, l’amphithéâtre au sol de poudingues, sortes de conglomérats volcano-détritiques de tufs et de cendres. Certainement pas un vin de moinillon replet?? Un vin de la plus «stricte observance» sans doute?

L’épreuve de l’œil. La robe est belle, pure, d’or pâle aux reflets brillants. Le vin colle aux parois de verre, avant de redescendre à regret, en larmes grasses et serrées. A contre-jour, comme une esquisse à la va-vite, du Pont du Gard.

L’épreuve du nez. Une impression générale de profondeur et de richesse. Complexe aussi. Quelques notes fleuries que je ne parviens pas à nommer, comme un effluve d’élixir de pétrole ensuite, de l’ultra raffiné, puis un mélange subtil d’agrumes et de fruits jaunes, de prune, additionné d’une touche de miel. Ni austérité, ni rigueur extrême, ni minéralité débordante. Pas vraiment Cistercien! Mais un bel équilibre olfactif.

L’épreuve de la bouche. L’attaque est douce, moelleuse sur la confiture d’abricot. Insensiblement, le noyau de fruits jaunes fond en bouche. Le vin devient intense, sans perdre de sa rondeur. Du cœur des fruits, sourd une très belle acidité, rehaussée d’épices chaudes et de poivre blanc. Le vin, est d’une précision certaine, il file droit, dynamique, strict mais généreux. La finale s’étire longuement, le vin se tend, se dépouille et découvre tout à la fin sa trame minérale, son «austérité», élégante et racée en quelque sorte…

Le vigneron, ses vignes qu’il biodynamise, les sols, les souvenirs des moines qui planent et veillent sur leurs terres, je ne sais, je les ai imaginés, accompagnés, tout au long de ce voyage sous verre. Toutes ces bouteilles ont une vibration particulière, qui me dit qu’en Alsace, il faut absolument que sucre et acidité s’épousent…

Les quelques jours passés dans les creux effilés de leurs cols m’ont appris, si besoin était, que rigueur est sœur d’exubérance.

VIGNERONS DES TERRES SECRÈTES.

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Mâcon « Milly-Lamartine » 2010.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?… »

 Âmes secrètes, qui prenez les chemins détournés que la raison ignore, buvez donc de ce vin de plaisir, il charmera vos ailes dépliées, quand par les espaces obscurs vous cherchez vos sœurs éparpillées.

Or donc Mâcon, terres de calcaires arides, que la chaleur des étés inonde, qui portent les raisins des vignes de Gamay. Terres de Milly, secrètes, que le poète à chantées. Lamartine que les anges n’effrayaient pas.

Et ce vin qui ondoie, pur rubis clair, brillant que moire le ciel qui s’y reflète, lâche au nez épaté qui s’y plonge, les fragrances mûres de la merise croquante, de la groseille fragile, et des épices douces. Comme la main aimée qui court sur mon bras. Ouvrez large vos gueuloirs, amants des jus de fraîcheur, qui aimez à vous désaltérer d’un vin coquin qui agace les papilles, dont la chair souple, comme la peau ductile de la belle éloignée, charme vos âmes recroquevillées.

Au Zénith, le soleil obscur des intuitions fatales brûle les scories d’un hiver finissant. Dans le verre qui me regarde, je vous offre les charmes purs de ce vin qui ne ment pas. Et le voilà qui joue, sous mes narines gourmandes, le plaisir qu’il s’apprête à me donner. Aux plaisirs simples, je m’adonne, quand il glisse et joue avec ma langue incurvée. Il roule et s’enroule comme un serpent charmant, s’ébroue, enfle puis éclate, inonde ma bouche de fruits humides, d’épices, juteux du bonheur espéré.

Alors, tandis qu’au loin la belle se pâme sous l’aiguillon souple de son courageux bien-aimé, solitaire je me repais des tannins enrobés, plus fins que les bas qui enserrent le haut des cuisses des nymphes énamourées. Dans ma bouche conquise, comme la caresse d’un organsin, le vin défunt qui réchauffe mes os, me parle de la craie qui l’a porté.

 Enfin je lève mon verre vide, plein des arômes subtils d’un matin au jardin, là-bas, très loin, proche des Hespérides. Au couchant les nymphes reposent, et je souris.

DOMAINE ROSSIGNOL-TRAPET. BEAUNE « TEURONS » 2004.

ROSSIGNOL-TRAPET. BEAUNE TEURONS 2004.

L’éloge de la finesse …

Le beau rubis clair de ce vin brillant chatoie sous la lumière vive, blanche, presque aveuglante, qui perce les nuages, entre deux giboulées martiennes, en ce début d’avril tourmenté. Le grenat cède lentement à la poussée tuilée qui peu à peu le gagne.

A l’ouverture le nez est dominé par des notes de gentiane peu agréables. La bouteille juste épaulée retourne à la cave une journée, le temps de laisser l’air faire son ouvrage.

 Espoir donc.

Le lendemain midi, la gentiane a disparu, remplacée par une légère amertume agréable, à peine perceptible à mon renifleur, qui signe sans doute le millésime. En lieu et place, de belles notes de roses fraîches et charnues, sous lesquelles pointe la petite griotte à gros noyau, quelques fragrances de framboises mûres, des traces de jus de viande, puis les épices douces, auxquelles succèdent enfin les senteurs d’un sous bois à l’automne, bien en harmonie avec ce printemps tumultueux. Un bouquet odorant, fondu, fin, très élégant, à l’honneur de la Bourgogne.

Quelques sucres en début de bouche mariés à l’amertume signalée ci-dessus ouvrent le bal gustatif. Le jus est pure dentelle qui éclate – après que les fruits, la merise surtout, ont donné leur mesure – et libère une acidité vive qui redresse le vin et l’emmène longuement titiller les papilles. A l’avalée, la bouche perçoit à peine, tant ils sont fins, les tannins polis et crayeux de cet animal vin à poils doux. La fine salinité qui marque les lèvres me parle subtilement du sol calcaire, caillouteux et maigre, de ce premier cru du haut de l’appellation.

Ou comment les vignerons ont su magnifier par la douceur, ces raisins de pinot nés une année délicate.

Par la fenêtre, que frappaient encore il y a peu le rideau blanc des grêles compactes, le ciel s’est éclairci, l’azur est apparu.

 Dans mon verre vide, les roses s’épanouissent …

JOSEPH VOILLOT. VOLNAY CHAMPANS 2006.

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M’étonnerait que Jean Pierre Charlot, Sumo débonnaire, voix forte et propos rugueux, arrose ses « Champans » à la sauce aux pesticides. Cet homme aime et respecte trop ses vignes, pour les tartiner à la mort-au-rat !

Ceci dit pour les angéliques qui encensent les bons vignerons respectueux de la nature, et fustigent les méchants traditionalistes inconscients qui arrosent à tout va.

C’est un beau rubis clair et brillant qui repose au creux de mon verre, sous la lumière grise de ce ciel d’Avril pluvieux. Sept ans qu’il attend, dans son sarcophage de verre étouffant, de prendre un peu l’air. Sept ans que moi aussi, patiemment, je me persuade de l’attendre. C’est que les vins de J.Voillot sont travaillés pour donner du plaisir à ceux qui savent reculer le moment de prendre leur plaisir. Des vins dans la plus pure tradition Bourguignonne, qui n’ont jamais cédé aux charmes de la technologie, qui n’ont pas oublié que le temps, pour les vins comme pour l’homme, a besoin de passer pour atteindre à la maturité, qui savent bien que les bois neufs qui les accueillent pour mieux les magnifier, ne se digèrent pas dans le quart d’heure.

Sous mon nez, les fragrances mûres de la pivoine charnue, me disent, qu’enfin le jus de pinot et la douelle se sont mariés. Certes, ce n’est que le début d’un hymen qui ne connaîtra pas le divorce, mais déjà le vin a pris son bois, comme la belle son amant. Le début d’un équilibre qui ira s’accroissant. La rose séchée pointe le bout de ses premiers pétales fanés. Sous le lit de fleurs, la griotte cachée, au contact de l’air, jaillit en volutes tendres, et son noyau aussi. On ne dira jamais assez combien le pinot aime à retrouver l’air frais qui l’a accompagné tout au long de sa vie de raisin.

 Comme un papillon qui sèche ses ailes au sortir du cocon, Champans respire …

Un bouquet complexe à peine cueilli, marqué encore par de fines notes de vanille, auquel les épices douces donnent du relief. Et ce jus clair qui me caresse les papilles, comme souvent en Bourgogne, surprend par la puissance et la finesse élégante de sa matière. Il y a du vin dans ce vin. De la griotte, la fine amertume de son noyau, un soupçon de muscade, quelques notes de cuir aussi, et une poignée d’épices douces qui allongent le vin. Je me plais à le rouler, et le rouler encore au palais, autour de mes papilles ravies, longtemps sans que jamais il ne faiblisse. Après qu’il a chuté, passée l’uvule et réchauffé doucement mon corps, il demeure, frais et prégnant, longtemps présent, jusqu’à ce que ses tannins aériens, crayeux, et encore enrobés, me parlent la langue noble du terroir argilo-calcaire qui l’a marqué.

 Monsieur Charlot, je doute que vous me lisiez, mais au travers de ce vin, merci pour ce moment de grand plaisir, que de loin je partage avec vous …