Littinéraires viniques

UN COLIBRI.

 

Le vol du Diable par La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Plus rapide qu’un trait, il file dans l’azur,

Le soleil abricot, sur ses plumes électriques,

Moire ses ailes bleues de lueurs maléfiques,

Cet oiseau minuscule au regard noir et dur,

Son habit d’arlequin cache un esprit malin,

Un démon infernal habillé de satin.

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Il pique dans les fleurs son très long bec pointu,

Et vide les berceaux de leur pollen charnu,

Leurs corolles s’étiolent et s’affaissent flapies,

Vidées de leurs âmes par l’affreux colibri.

Comme un diable énervé il apparaît soudain,

Et les roses frissonnent aux massifs des jardins.

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Les coccinelles jaunes en rougissent de peur,

Même les hannetons aux corps de bakélite,

Comme les sauterelles, sortent de leur torpeur,

Les insectes se cachent quand survient le tueur

Les papillons se terrent, leurs ailes se replient.

L’insigne volatile inspire la terreur.

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Le petit roi des airs se rengorge, fait le fier,

L’arrogant cynanthus est le dieu des enfers,

Rien ne l’arrête plus, de sa gorge rubis

Sort un chant ridicule, un pauvre gazouillis,

Il fonce aux quatre coins pour finir prisonnier,

Du grand piège parfait tendu par l’araignée.

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Dans le coin de sa toile, affutant ses longs crocs,

L’épeire au ventre blanc va sucer le moineau.

AVIVA, MICKAEL, LA LUNE ET LE DRAGON …

Brueghel. Griet la folle.

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Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.

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Éclaircie dans le ciel obscur d’une nuit épaisse …

Le ciel de pulpe, humide des pluies du jour, s’entrouvre un instant sur la lune d’hiver, pâlotte à achever un mourant. La lumière blême de l’astre redonne relief, épaisseur, semblant de vie à cette nuit étale, linéaire et humide. Un œil au ciel s’est ouvert … Le Dragon veille. Silencieux. Le coton gris des nuées de passage voile par instant son regard cru. Le feu méphitique de la terre, prisonnier des ténèbres, s’est envolé et plane dans la nuit brune, invisible au grand jour de nos yeux aveugles. Fidèle à son étymologie, δέρκομαι surveille et observe de son regard perçant les aveugles immodestes qui courent et s’agitent, bavardent et butinent, sur le sol ravagé des continents incontinents, insouciants et bravaches …

Sur les pavés luisants Aviva claudique …

Elle chemine péniblement, sa jambe meurtrie est douloureuse et l’orbite lunaire du Dragon l’effraie. La route est longue, elle n’en voit pas le bout. Les nuages déchirés par le vent n’en finissent pas de jouer avec la lune. L’œil se voile, elle s’apaise; dès qu’il réapparaît, elle le sent, aigu, qui la perce, comme l’aiguille la chair. Alors elle prie l’Archange invisible, encore et encore. Spasmodiquement ses lèvres balbutient ses craintes, supplient le ciel muet de la protéger de ce globe maléfique qui l’obsède. Ces changements de rythme l’essoufflent, la font haleter. Ses poumons que le tabac ronge chuintent comme soufflet de forge. Seule sa cheville brûlante lui rappelle qu’il lui faut malgré tout se hâter. Elle ignore ce qu’elle cherche, elle ne sait où elle va, mais tête basse et cœur battant elle fonce dans cette nuit de charbon.

Le silence est de ouate moite autour d’elle. Il ne pleut pas, mais l’air saturé détord ses boucles brunes, lâche ses eaux froides au contact de son cou qui peine à les réchauffer. Là haut, tout là-haut, la Tarasque continue de feuler sa lave incandescente que seule Aviva perçoit …

Elle ne sait pas que la Bête se contrefout d’elle, comme des larves absurdes calfeutrées dans leurs cocons ridicules, ces homoncules égotiques qui regardent le ciel du haut de leur pathétique vanité, qui s’entre-déchirent pour de médiocres avantages, qui laissent crever leur frères et banquètent comme des gorets. Au contraire, le Dragon aime ça et insidieusement, l’encourage même ! C’est ainsi, en faveur des dissensions ordinaires et constantes, qu’il s’est coulé hors des entrailles de la terre pour gagner les cieux du pouvoir, attendant patiemment, pour étendre ses ailes sur le monde, contraindre ces êtres méprisables à s’agenouiller devant lui sans même qu’ils le sachent. Les consumer du feu de l’avidité, leur tordre les tripes des aigreurs de la rapacité, pour mieux les dépouiller. Le temps de l’hallali est proche. Bien au secret des nuages, il apparaît la nuit, dans l’ombre des nébuleuses, au fil des vents déchirants.

Assis, le cul serré sur son tas d’or grossissant, en perpétuel orgasme.

Au même endroit, mais dans une indicible vibration, l’Archange ne dit mot, ne bronche pas, immobile. Certes, Mickaël se jouerait, d’un seul regard flamboyant de la bestiole sur-gonflée de fatuité, mais il préfère laisser les hommes se dépêtrer et brader leur liberté pour quelques chimères. Le temps pour lui n’existe pas. Les prières d’Aviva, les plaintes des affamés, des suppliciés, tous les bruits des désordres du monde, l’habitent. Du vacarme assourdissant il ne retient pour l’heure que les prières de la femmelette. Il connaît le grand poids du Karma qui l’écrase et mesure parfaitement son courage, sa hargne et ses limites. Comme tant d’autres il l’a suivie, épaulée, depuis les origines quand elle n’était encore qu’une parcelle fragile tirée du grand TOUT et lancée, au sein d’un essaim de ses sœurs, dans l’aventure des vies successives. Elle a, depuis, fait du chemin sur le chemin, tombant et se relevant mille fois. Sombrant dans la lie, chevauchant la grâce, traversant les plaines grises des vies sans goût, elle est proche du but, de la délivrance ultime, de la sortie du Samsāra. Comme toutes les âmes de haute spiritualité atteinte, elle a surchargé ses dernières vies pour épuiser son Karma. Le dragon la guette, attend qu’elle s’épuise, fléchisse, pour mieux l’achever, la dévorer et débarrasser la terre d’un grain de sa lumière.

Alors l’Archange des Équilibres, Mickaël, s’est à peine penché. Du bout de son aile vive, multicolore et invisible aux regards voilés par la dictature de l’avoir, il l’a frôlée. Au très bas des mondes vibratoires, dans la matière si lourde à porter, Aviva a senti ses forces revenir, son esprit s’ébrouer, son corps se raffermir, sa cheville se redresser. Elle a prié, et plus, portée par sa foi simple. Du fond de sa conscience émoussée, à l’insu de son ego, son âme s’est illuminée. Elle s’est mise à briller, à briller plus encore, à irradier jusqu’au confins des terres alentours, la lumière invisible qui gouverne les mondes, soulageant au passage des millions de douleurs … pour un temps. L’œil du démon s’est agrandit, la lune s’est faite gibbeuse, les brumes se sont délitées comme sucre dans l’eau, les étoiles pures ont jailli pour habiller les cieux de diamants palpitants, la terre a vibré comme peau sous caresse aimante. De derrière l’horizon, comme une balle, de l’eau noire de la nuit, le soleil a giclé. Ses rayons, oiseaux de bonheur, ont fondu sur la terre. Les pinceaux d’un impressionniste prodigieux ont rallumé les couleurs. Vert, bleu, jaune, rouge, pastels et nuances ont écaillé les paysages de leurs touches de vie. Mangé par le jour, ainsi que paille par le feu, le Démon s’est fondu dans les limbes. Pour un temps. Continuant son œuvre lente, au secret.

L’égrégore puissant poursuit lentement son expansion sur le monde.

Aviva a refermé sa porte, s’est dépouillée de ses vêtements trempés. L’aube laisse place au soleil opalescent de cet hiver étrangement tiède, qui voit pourtant les glaces de l’effroi sidérer les Nations agenouillées devant les puissances envahissantes de la Phynance implacable. Aviva frissonne, ses dents de porcelaine claquent, à peine plus blanches que son visage ivoirin, exsangue autour de ses narines pincées. Enroulée dans une boule de laine, après un verre de lait chaud, elle s’endort. L’Archange la contemple et sourit. Jamais, même aux temps les plus reculés, on a vu Archange triste … Chaque sourire sur un visage humain est ainsi irruption furtive de la félicité aux royaumes des hommes. Les heures filent au cadran de l’horloge tandis qu’au fond du cocon rose de son alanguissement Aviva repose. La faim et la soif la réveillent quand la nuit de sépia est installée et que pointe le jais brillant des ténèbres. Par la fenêtre close, derrière les rideaux de lin translucide, la pleine lune écarquille son œil cyclopéen ourlé de nuages amers filants comme cavales sauvages sous noroît mauvais. Devant elle, un grand verre, hanap fragile, brille sous les attaques lumineuses et concentriques d’une lampe de bureau. Ça diffracte sévère au travers des rondeurs épanouies du cristal pour finir en un point éclatant, albescence plus aveuglante que galaxie naissante.

Jesper a posé sur les épaules d’Aviva une chaude couverture de laine brute. Le vieil homme tendre au visage marqué par les douceurs besaigres de la vie la couve de ses vibrations douces et rassurantes. Elle n’a pas eu besoin de lui dire sa peur, sa course erratique sous l’œil menaçant, ni même l’effleurement rassurant de l’Ange. Il a su d’emblée. Sans même qu’elle lui dise, il a perçu les affres traversées. D’une voix de basse sourde il l’enveloppe et l’apaise. Lui susurre que le vin versé dans le verre est un don des Dieux depuis l’aube des temps, que le liquide clair qui déroule ses ondes glissantes le long des parois de ce cristal fragile est élixir de vie, porteur de la lumière éthérée de la terre et des cieux réunis. A demi éclairée, la bouteille repose maintenant sur son large cul de verre épais, comme une image de la stabilité qui traverse parfois, brièvement l’histoire des civilisations, des peuples et des créatures fragiles. Aviva se réchauffe corps et âme; elle pose sa main fine sur le flanc épais, sarcophage sombre de ce Meursault « Goutte d’Or » 2007 du Domaine Buisson-Battault qu’elle découvre de la pulpe des doigts, lentement. La surface transparente, lisse comme peau d’enfant la rassérène. Son regard se penche sur le disque d’or pâle comme soleil d’hiver sur lac gelé, que moirent à peine de subtils reflets verts tendres. Elle ferme les yeux pour mieux s’ouvrir aux parfums printaniers qui montent vers elle. Sous ses paupières closes, chèvrefeuilles en fleurs et jasmins en boutons s’échappent du jardin, en volutes odorantes qu’elle reçoit à bout de nez. Plus avant dans l’inspiration lui parviennent les fragrances fraîches et mêlées des citrons jaunes mariées aux parfums des pamplemousses juteux et mûrs. Dans les branches de son jardin imaginaire mésanges et chardonnerets pépient à tout va … en paix. Lèvres à peine entrouvertes elle recueille une gorgée de vin pur. L’attaque en bouche est franche, immédiatement marquée par la fraîcheur, millésime oblige; puis le vin fait sa boule, enfle et se déploie au palais, lâchant sa pulpe d’agrumes et la chair onctueuse d’une belle pêche blanche. Les fruits, en purée fine, tapissent langue et palais de leur matière de demi corps qu’enroule un gras léger. Aviva, jusqu’au cœur de ses os qu’envahit la chaleur du vin, se retrouve, légère, ravie et requinquée. A regret elle avale les fruits et goûte le nectar, jusqu’au bout de son poivre blanc qu’agrémente la perception de notes crayeuses, subtiles, salines et finement réglissées.

Les terres calcaires du coteau Murisaltien,

Se rappellent à ses souvenirs anciens …

Dans l’œil de Jesper, l’Archange disparaît …

LA FAILLE DU TRENTE DEUX DÉCEMBRE …

Odilon Redon. Le coquillage.

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Elle vit le jour, de nuit, un trente deux Décembre…

Entre deux mois et deux années, donc. Dans le creux des mondes, de l’espace et du temps. Sans âge elle était, tous les âges elle avait. Consensuelle et inadaptée. Frigide et torride, froide mais volcanique. Toute chose et son presque contraire. On l’appela Maryam, comme la mère d’Îsâ. Elle naquit brune comme olive du Néguev, vive comme un cristal taillé, dure comme la pointe d’un kriss, tendre comme un secret murmuré, piquetée de petites graines de chocolat au lait comme un cœur griffé. D’une beauté à la frontière des codes, selon que la lumière voulait elle paraissait ange ou sorcière. Intense ou fuyante, vibrante ou glaciale, entière et dissociée. Condamnée par son entièreté et ses balancements à la solitude altière des hautes cimes battues par les vents sidérants. Elle s’accrocha à l’enfance comme l’arapède à son rocher ne voulant pas quitter l’abri paisible des rives maternelles. Mais la vie plus forte que ses désirs d’innocence, à jamais en fit la liane épanouie que les hommes regardent. Sabra furieuse, elle les déchiqueta, les piétina, les mordit au cœur sans jamais pouvoir s’en débarrasser, obstinés qu’ils étaient à vouloir l’aimer. Plus d’un y laissèrent leurs armures, leurs rutilances, leurs opiniâtretés…. Dans ses veines coulait le sang de l’exception et des rivages d’outre méditerranée, mêlés, qui faisait d’elle une amante brûlante sous ses griffes aciculaires…

Elle portait à la hanche, dans l’ombre de sa taille, le signe maudit de sa naissance étrange, une étoile minuscule, pentagramme délicat, bleu, battant comme un sang de veine à la gorge d’une mésange mourante. Une étoile filante à la queue historiée qui courait sur la courbe joufflue de sa fesse ronde à la façon d’une traînée ardente. Solitaire elle serait, hautaine, riche du désespoir des âmes intransigeantes et des élans étranges de celles que l’on ne peut comprendre. Elle s’en repaissait à la nausée, ruminant à jamais les bromes acides de son étrangeté et survolait sa vie, voletant rarement, préférant planer au hasard des rencontres dans les contre-allées, au pied du mur de ses impasses cultivées.

Le sang de la vigne, l’eau divine qui ruine les êtres boursouflés de peu, la prit un soir étrange, une nuit de langueur, de mélancolie profonde, accablée qu’elle était par les douleurs de sa vie, par les bouillonnements indicibles de ses contradictions urticantes. Les jus subtils des vignes nobles l’apaisèrent, lui entrouvrant les portes d’une rédemption possible. Ils lui apprirent sa différence, lui enseignant les leurs, lui murmurant au palais les délices probables, les finesses infinies des terres de bon, les forces telluriques et les énergies invisibles des astres. Comme elle, ces vins de belle compagnie étaient doublement nés, agis, nourris, et ne devenaient « un » qu’aux palais bénis des êtres modestes de haut lignage cachés sous les guenilles ordinaires des humains de ces temps … Intuitivement elle comprit qu’elle tenait là boisson à sa mesure. Les élixirs d’entre deux, liens liquides entre ciel et terre, comme elle pures émanations de l’union des mondes, ennoblirent sa vie.

Un soir de maraude, en des lieux qui ne sont qu’évanescences, toiles improbables et sans reliefs, elle croisa une vieille âme rompue de vies anciennes, au cœur et au cuir couturés, boucanés par les sels des tempêtes violentes et des amours déçues. La nuit était profonde, seuls les écrans aux yeux livides et morts trouaient le silence térébrant de leurs lueurs glauques et clignotantes. Absalon perçut à l’immédiat le frôlement de leurs âmes, communiant dans la reconnaissance de leurs souvenirs communs. Au même instant il sut que rien n’était possible tant ils se ressemblaient, comme issus d’un même aimant dont les deux pôles se repoussent. Maryam se déchaîna très vite, s’acharnant, allumelle brandie, à le déchirer, le crucifier tant et plus, jouant de tout, arguant de rien, esquivant, repoussant, revenant … Il lui fallait tuer ce double qui savait tout d’elle sans jamais l’avoir vue. Elle distilla ses plus subtils poisons, darda ses flèches les plus acérées, à chaque volée décochée elle en recevait qui lui revenaient en miroir. Elle trouva refuge, au bout de ses attaques, dans un silence hautain qu’elle rompait de loin en loin, ne sachant finir car elle était elle même sans fin. Elle voulait à tout prix rester la seule et supprimer l’unique Atma capable de la percer ainsi. Son besson. Mais chaque coup qu’elle lui portait l’affaiblissait elle même ! C’était un jeu étrange et dérisoire que ces deux êtres semblables, si subtils que leurs joutes grossières les rendaient pitoyables.

Du bout du troisième œil Absalon la visitait. Elle sentait sa chaleur sous sa peau et les picotement tendres de ses baisers inévitables. Elle avait beau se secouer comme chienne sous morsures de puces, elle n’en pouvait mais. Ses secrets il perçait, comme un goujat goulu que la faim dévore, à l’intime il s’abreuvait, sous sa douche il était l’eau qui la régénérait après qu’elle ait abusé de plaisirs vains qui la laissaient plus morose que pantelante. Elle payait le prix de son orgueil. Sa rage ne le décourageait point, sa lame aiguë n’entamait pas l’inclination qui le portait vers elle. Que pouvait-il perdre, lui qui n’avait rien à gagner, que la reconnaissance de l’avoir débusquée cette entêtée, à l’autre bout des fibres … qui le niait ?

Une nuit qu’il voguait au soleil aveuglant d’entre les mondes hors du corps qui l’abritait de jour, insensible aux aléas, en vacance des contingences de l’incarnation, les anges lui firent don d’un tapis plus léger encore que duvet de colibri, de cachemire et de soie sauvage tissé par leurs doigts de lumière. De la couleur des vins qu’il aimait tant. Le vent des douceurs l’emporta vers Maryam qui le crossa de ses poings mauvais pour en faire une loque à essuyer les boues qui tachaient ses chausses. Elle ne manquait pas d’y cracher chaque jour son mépris, et les plus infâmes glaires de ses humeurs méphitiques…

Un soir, une nuit qu’il n’en pouvait plus d’entendre son autre l’humilier, Absalon au bout de sa constance plia genoux. Il comprit enfin que les cieux ne voulaient pas. Qu’il lui fallait accepter, se convaincre qu’elle ne l’aimât point …

Il suait à grosses gouttes à son réveil …

De son cauchemar il émergeait,

Livide, exténué.

Œil hagard

Et bouche buvard …

Ne lui restait en mémoire que l’image tremblante d’un coquillage fragile, de nacre douce et de chairs roses enfouies qui battait comme fièvre quarte à ses tempes douloureuses. Il lui fallait bannir ce moment, il fallait que se dissolvent dans les lumières électriques du réel nocturne ces moments de stupeur qui le laissaient exsangue, meurtri, tremblotant et muet.

Sur le cuir, vieilli par les nuits de veille, de son vieux bureau, son lit d’infortune, compagnon de ses égarements crépusculaires, luisait l’incarnat sombre d’un l’élixir odorant qu’il ne se souvenait plus d’avoir versé dans ce hanap de cristal éblouissant à portée de sa main. Le liquide, crème de délices, palpitait et portait à l’entour les fragrances odorantes des pivoines épanouies. Le vin était profond comme lac de montagne rougi par un soleil expirant. Au centre du vortex que son poignet creusait en agitant le verre, il vit le trou noir funeste qui l’avait aspiré au cœur des impossibles. Au bord du disque mouvant le cercle violet d’un espoir l’apaisa. Le temps ferait son œuvre comme il le fait aux jus sombres des vieilles vignes. Absalon ferma les paupières sur le bleu veiné de rouge de ses yeux fatigués.

Et se mit à voler parmi les champs de mûres, les bosquets de framboises, le cœur des fraises, les buissons de cassis, et les fragrances grasses des meilleurs cuirs. Les épices aussi. Le sang fruité du raisin mûr déplissa le carton pâteux de sa bouche à la première onde qu’il accueillit entre ses lèvres sèches, inondant ses papilles de sa douceur fraîche. L’équilibre parfait du breuvage le remit d’aplomb, il se laissa emporter par la vie qui revenait. Les lambrusques bruissaient au zéphyr de Bourgogne en cet automne 1998, alors que l’intuition l’envahissait et qu’il riait à l’humour du sort qui n’en manque jamais. Il avala le baiser des « Amoureuses » comme il avait poussé son premier cri naguère ! Sur les vignes de Chambolle, il planait comme le Grand Duc, son autre, au cœur des ténèbres. Par ciel interposé il remercia Robert Groffier qu’il ne connaissait pas pour ce vin de paradis, plus soyeux qu’ailes d’Anges qui bruissait dans sa chair, exaltant jusqu’à la dernière de ses cellules, chantant en chœur avec son âme retrouvée, avec l’humilité des hommes qui enfantent ces vins de résurrection …

A l’autre bout du lien, Maryam frissonna…

Avec le temps, va, rien ne s’en va…

EMOTIMORTECONE.

APRÈS.

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Pietas. Roberto Ferri.

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@christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Le ventilateur barométrique s’arrêta, sa fenêtre s’illumina dans le noir total de la chambre. Le silence se fit. Définitif.

Il faisait très froid dans cette chambre, il aimait à dormir fenêtre entrouverte, même au cœur glacé de l’hiver. A trois heures et quarante deux minutes de cette nuit de février deux mille ce qu’on voudra, à l’heure exacte du véritable milieu de la nuit, à l’heure où les tardifs enfin se glissent comme des morts sous leur linceul nocturne, à l’heure où les matinaux ne sont pas loin de s’agiter comme des pantins dérisoires, à l’heure des équilibres furtifs, quand les regards aveugles des maisons effraient les chats errants, quand les vitres ternes ne reflètent plus les ombres floues des vies fragiles en mouvement, quand la ville, l’espace d’un court moment, semble gélifier le temps, l’homme passa de l’ici à l’ailleurs. Comme ça. Abruptement. Pour lui le coucou de la pendule s’étrangla, bec ouvert, son tic tac se figea, l’homme venait de quitter le présent. Dégagé de l’implacable tyrannie du temps, il ne vieillirait plus, comme s’il avait préféré la liquéfaction de ses chairs à l’érosion lente de son être.

Des années durant l’air sous pression lui avait fouetté le visage toutes les nuits. Sous le masque de silicone qui lui irritait l’arête du nez, qui l’emprisonnait jusqu’au ras du menton, au plus fort de ses apnées, la machine lui balançait quinze bars en pleine face. C’était à ce prix là qu’il respirait correctement, c’était grâce à cette terrible machine que ses arrêts respiratoires avaient quasiment disparu. L’air violent qui lui déformait la bouche, lui desséchait les muqueuses, il s’y était habitué, il n’entendait même plus le bruit irritant du long tuyau qui reliait le masque à la machine et qui frottait contre le bois du lit au moindre de ses sursauts. Les bouchons d’oreille qu’il s’enfonçait tous les soirs au plus profond des conduits auditifs l’isolaient du monde, il n’entendait plus rien, ne voyait plus rien, sa chambre baignait dans le noir absolu. L’homme aimait ça. Il se centrait sur lui même, rien ne le distrayait. Il n’était pas du genre à s’endormir comme un plomb dès la tête posée sur l’oreiller, bien au contraire le sommeil mettait bien une heure pleine, voire plus, à lui voiler la conscience pour l’amener dans un ailleurs toujours différent. Pendant ce long moment avant qu’il ne s’endorme, dans cet entre deux états, il se laissait aller aux extravagances de son imagination, ça fusait dans tous les sens dans la matière molle de son cerveau. L’homme était un pur visuel, sous sa boite crânienne les images défilaient à vive allure, si vite qu’il avait des difficultés à se suivre ! Mais ça commençait toujours de la même façon, il se voyait se regardant. Le dos collé au plafond de sa chambre il observait la scène, sa scène : un grand lit recouvert  d’une couette fleurie, sous la couette, un corps immobile couché sur le côté droit, un visage blanc sous des cheveux sel et poivre, équipé comme un pilote de chasse. Lui. Et sous l’os de son crâne, cette scène étrange, chaque soir rejouée, immuable, rituélique, bercée par le ronronnement modulé de la machine, et l’état de plaisir, de bien être qu’il ressentait. Dans ces moments là les phrases affluaient, se bousculaient, impatientes de naitre, les poèmes naissaient comme des corolles qui s’ouvrent ces instants là, juste avant le basculement, la chute ou l’ascension dans les volutes incolores de l’ensommeillement, il écrivait sur le voile mouvant de la nuit noire des pages entières, belles, émouvantes à faire sangloter les plus endurcis des cœurs, les mots jaillissaient en geysers incandescents, en gerbes multicolores, en bouquets magnifiques. La beauté devenait son amante, sa muse, sa complice et son amie, il lui était totalement asservi comme un esclave, pour rien au monde il n’aurait aimé être affranchi du joug délicieux que sa superbe maitresse lui infligeait.

L’homme aurait bien voulu garder mémoire intacte de ces merveilles, étonnamment à la moindre inattention la source tarissait. Il avait bien près de sa main un dictaphone numérique de la dernière génération, mais avec ce domino de plastique qui lui couvrait la bouche et le nez, impossible de murmurer à l’oreille de l’enregistreur les somptuosités que son esprit engendrait. Au moindre mouvement du petit bout du bout de son petit doigt le miracle s’évanouissait. Le lendemain, il se brisait la tête à retrouver un peu de ces perfections, alors il besognait, butait, assemblait, souffrait de ne pas se souvenir. De jour, le lien avec la source était coupé, il avait beau fermer les yeux, faire silence, mettre cent fois l’ouvrage sur le métier, foutre de Boileau ! Rien n’y faisait !

Une fois encore il se retrouva d’un coup dos collé au plafond, il revit la même scène, exactement crut-il un instant, puis la lumière qui baignait la chambre ordinairement sombre, une lumière à la fois douce, puissante, dont il ne distinguait pas la source, une lumière qui ne faisait pas d’ombre, comme si les objets, le corps inerte allongé sous la couette, étaient illuminés de l’intérieur, lui parut étrange, différente, presque vivante, palpable. Et la chambre semblait animée, les contours du lit, de l’armoire, tremblaient légèrement, se déformaient, les objets entourés par un halo de lumière rosâtre, passaient du bleu électrique au vert smaragdin, au jaune safran puis à d’autres étranges couleurs inconnues. L’homme, mort au sens où l’entendent les humains, voulut instinctivement regagner son sac de chair inerte, mais il ne le put pas. Il se sentait déchiré entre cette impossibilité nouvelle et l’étrange langueur qui le prenait, entre la tristesse et la plus totale indifférence pour ce qui apparaissait n’être plus qu’un théâtre. Puis le spectacle se figea un court instant avant que les images du lieu ne se mettent à défiler à toute vitesse et à rebours. Jours et nuits, lit fait, défait, les couettes se succédèrent comme les pages d’un livre giflé par le vent, puis les murs de béton brut apparurent, le plancher s’évanouit. Très vite il ne vit plus qu’un sol de terre parsemé de détritus et de gravats.

Et la nuit totale tomba. Fondu au noir.

Alors le mouvement s’inversa. Vertigineusement. Quand il s’arrêta, la maison avait à nouveau disparu, désagrégée, dissoute par le temps, enfouie dans le sol. A la place s’élevait très haut un gigantesque amas de tôles épaisses, de canons tordus, de chenilles d’acier brisées, de ferrailles diverses. Tout cela sans qu’il ressente la moindre émotion.

Puis tout cela s’effaça comme un papier que l’on froisse rageusement.

AUTRE sut qu’il n’existait plus, n’appartenait plus au vivant, il n’était plus qu’une vague clarté palpitante. Plus d’empathie, de détestation, d’émotion, de sentiment, insensiblement il devenait autre, il se sentait étranger, libéré des chaînes propres à l’humanité, il était en voie de transformation. Coupé de ce qu’il avait été, il flottait, complètement insensible, mais il voyait, non plus avec des yeux, mais avec tout son nouvel être. Comme s’il était en pleine néo parthénogénèse, il se développait, découvrait. Il percevait à 360°, entendait les bruits du vivant dont il ne faisait plus partie. Il fut étonné par tant de stridences, de souffrances, d’abominations suggérées par les souffles à la raucité douloureuse, par les cris suraigus qui n’en finissaient pas de résonner. Plus étrange encore, l’atmosphère donnait l’impression d’être épaisse, alors qu’elle ne l’était pas, ce n’était pas de l’air, mais une sorte de chair aux atomes distendus, une luminescence plutôt qu’une lumière.

Parallèlement, alors qu’il se sentait immobile dans la lueur ambiante, il eut la sensation de s’élever dans cette ouate diffuse qui n’était ni air, ni chair, ni lumière. Aucun repère ne lui permettait d’être sûr de ce qu’il ressentait, non pas dans son être, son corps, mais dans sa nouvelle inqualifiable existence. Dans cet hic et nunc dont il ressentait l’intensité et la vie par tous les pores de son nouvel état il lui semblait insensiblement monter, du moins il en avait l’intuition. Ses modes de perception changeaient, pourtant il continuait à savoir, à ressentir, comme s’il y était encore, absolument tout de l’ancien monde qu’il venait de quitter. Il s’aperçut aussi qu’il ne pensait plus, au sens humain du terme, c’était autre chose, il avait la connaissance immédiate,  sans commencement ni fin. Oui c’était ça, le temps, l’espace, les limites en général avaient disparu, toutes sans exceptions !

L’ailleurs était autre, comme lui même qui devenait cet ailleurs et cet autre à la fois. Qu’était-il en train de vivre? Le temps aussi s’était dissous, l’avait quitté comme il avait abandonné le monde. De quoi noircir, verdir, blêmir de terreur. Mais rien de son ancien ordinaire ne l’habitait plus. Il ne baignait pas non plus dans le bonheur, le ravissement, la félicité, l’extase ou tout autre émerveillement dont lui avait, toute sa vie humaine durant, parlé les livres. Non les espérances humaines avaient fondu comme Jeanne au bûcher. Un sentiment de plénitude paisible, lentement le pénétrait, enfin façon de parler car en ce lieu plus rien ne pénétrait l’impénétrable qu’il était devenu.

Et le jour total fut. Fondu au blanc.

Tout autour de lui flottaient une infinité de formes géométriques d’un blanc translucide, parfaites et parfaitement invisibles dans cet univers lactescent aux pulsations régulières. En termes humains, on aurait pu penser qu’il naviguait dans un organisme sans limites. Ce n’était que lorsque sa nouvelle conscience frôlait ces objets étranges qu’il percevait leur contours délicats. Les innombrables étaient partout, il les traversait sans que jamais, bien que cet adverbe soit à proprement parler inapproprié en la circonstance, l’ordonnancement de leurs mouvements en fût affecté.

Alors il sut et vécut ce qu’est l’ineffable quand il berça dans une musique cristalline, une musique parfaite d’une douceur violente, inaudible et tonitruante, qui lui parvenait de partout à la fois et de lui même tel qu’il était devenu.

Au fur et à mesure qu’il se transformait en l’autre le blanc pâlissait encore, quelques éclairs d’albe aigus et lents jaillissaient de nulle part. Puis ils disparurent tandis que toutes couleurs s’évanouissaient, laissant place à ce que l’absence de mots ne permet pas de décrire.

Alors le silence bruyant se fit, l’autre sut qu’il était mort à la vie et qu’il était la vie.

Dans son ancien monde mille ans venaient de s’écouler.

CDP. DOMAINE Lucien BARROT et Fils 2005.

Carafé un quart d’heure avant de servir assez frais.

Ben c’est bon ça !!! Et pas cher du tout, ce qui renforce le plaisir. Grenache et syrah si j’en crois mon nez.

Une robe grenat touchée par l’orange d’Éluard. Oui je sais ça fait intello mais je vous emm … On peut aimer le vin et en parler avec poésie, ça n’altère pas le goût, enfin bien moins que le bouchon ou les écuries des gourous à la mode de chez mon …

Sous le nez monte la rose, bien éclose, une Ronsard (oui je sais ça fait intello, voir plus haut …) aux pétales gras, un peu sucrés. Sous les fleurs une belle cerise (oui je sais, un peu tôt pour la saison mais je vous …) noire bien mûre, celle qui tâche les doigts. Tout autour, en-dessus, en -dessous, des notes de garrigue sèche, de cuir, de réglisse, et pointent à peine des notes tertiaires (tant pis pour les primaires, je les emm…), sous bois, champignon, humus. Quelques notes terreuses aussi (oui je sais ça fait paysan qui cause, mais je vous emm …).

In the mouth (ça c’est pour les Anglophiles du vin, y’a plus qu’ça, des wine truc, des battle machin), la fraîcheur est immédiate (au nez déjà je m’en doutais). La matière est là, mais rien d’outrecuidant, ce qu’il faut, où il faut (oui je sais ça fait discours macho mais je vous emm …), encore jeune, traversée de tannins petits et enrobés, après que les fruits (la cerise, P! qu’elle est bonne!) ont envahi langue, muqueuse et palais. la fraîcheur reprend la main, les épices et la réglisse aussi qui relancent la machine …

Une bonne longueur, sans perception alcooleuse, comme trop souvent par là-bas. Bref, du beau travail sans esbroufe, un vin qui régale et qui rappelle au verre.

PS : non pas de PS, il n’y en a plus …

SOTTIMANO, TI AMO IMO PECTORE…

 Lorenzo Costa. Portrait d’un cardinal.

 Il pleure tant, que la terre fait des bulles…

Des bulles rouges sur les continents gris aux misères toujours meurtries. Des bulles en crachats incarnats qui éclatent, comme se disloquent les crânes fragiles sous l’impact des balles aveugles. Des bulles bleues dans les palaces alanguis que les grains tropicaux désaltèrent. Les soies blanches des belles enrubannées collent aux chairs bronzées des oies pas si blanches, que les bulles dorées émoustillent. Les bulles noires et figées des volcans éteints dessinent de vagues sculptures acérées au creux des îles désertées par l’espoir. Les bulles argentées des océans immenses battent les flancs lustrés des grands blancs dolents.

Au large du Cap, ils glissent comme des soies sur la peau.

Des larmes en bulles encore au souvenir des barbaries perpétrées par mes frères, aujourd’hui comme hier. Bulles en rafales saignantes, en sanglots étouffés au sortir de «La Rafle», film de Devoir, film de Mémoire… Bulles en cordons, bulles en haillons, bulles en avulsions, bulles en abjurations, en abdications, en abjections, en abominations, en aliénations! Bulles de boue, de salive, de haine et d’eau.

Bulles létales, fatales, sépulcrales, bulles puantes des peurs agglutinées!

Pâques mais pas que…

Au sortir de la salle plus ténébreuse qu’obscure, les chairs sont à vifs, le cœur est serré, les mâchoires sont soudées. L’air est frais sous le Noroit. Le ciel lourd du matin s’est repeint de vif. Un bleu cinglant auquel les quelques nuages arrachés à la charge pluvieuse de l’aube, donnent le relief ad hoc. Comme un peintre Italien qui aurait inventé relief et perspective. Besoin de vie. De tendresse en ce jour solitaire, orphelin des matins tièdes.

Que Sottimano me vienne en aide. Et sa Barbera d’Alba 2007.

La parure du «Pairolero» est un bouquet de plumes violettes, alabandines et roses mélées, comme les reflets changeants d’un soleil agité par le vent, sur la huppe d’un «Cardinalis cardinalis» du Bélize…

Le premier fond de verre, prélevé de la bouteille à peine ouverte, donne l’idée d’un bonheur possible. Mais la félicité, c’est pour demain dit-on. Alors la belle patiente dans la pénombre de la cave fraîche. Comme un amant gourd aux doigts furtifs, l’air prends son temps pour déplier tendrement les égides du vin.

Après un jour complet, le vin est à l’aise dans sa carafe comme un dandy dans son loft.

Sous le nez attentif comme un oeil aux aguets, c’est une odorante purée de fruits rouges qui donne son meilleur. Fraise, framboise, cassis non filtrés – hachés menu, touillés, écrasés, comme un coulis crémeux de pulpes au jus – enchantent et mettent les salivaires en émoi. Un nez d’une pureté, d’une élégance et d’un équilibre tels que l’on croirait derrière les yeux clos de ma concentration, voir virevolter une ballerine de Degas. Élevé sous bois dont 25% de fûts neufs indécelables. Seul un liard de cette orchidée épiphyte dont la gousse enchante les confiseurs, ajoute, à cette dariole de fruits, une pincée de sa cosse parfumée.

Parler «d’attaque» à propos de ce vin serait exagéré, tant il se coule lascivement en bouche. La matière ronde, fluide mais conséquente et séveuse, vous séduit soudainement sans que vous n’y puissiez mie. Elle s’installe, glisse, se répand, imbibe et diffuse son fruit qu’un soupçon de zan exalte. C’est exquis, pur, élégant! Nez et bouche sont à l’image de cette ambroisie : en parfait équilibre. Étrange idée que celle d’un raisin qui aurait tout donné sans qu’on l’y force… L’envie d’avaler est plus forte que tous les conseils sévères de mon hémisphère gauche. C’est le plaisir qui mène le bal. Dire aussi la caresse aimante des tannins, tandis qu’ils vous frôlent la luette de leurs hanches polies. Passé la bouche l’enchantement gagne le corps. Sur le palais le sorbet de fruits s’apaise en prenant ses aises. Mais le vin ne fuit pas, il se dévêt…L’acidité des fruits persiste, qu’un battement de badiane, une virgule de cannelle épicent et parfument longtemps.

Sur les parois du verre vide, comme un souvenir, le Cardinalis a laissé ses couleurs moirées. Sous mes paupières closes, une violette fragile danse au vent joueur du printemps.

EACMOTAESTFATIBULACONE.

Le Cauchemar Moche, Car de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Pluie battante dans la nuit blanche de la nuit noire, crachin glacé glaçant

à faire fondre les épaules refermées de l’ombre en marche

forcée.

Forcée d’être là sous les épaisseurs chaudes, rassurantes,

dans le douillet apparent

 et là, dans le froid du cauchemar moche

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Les gros yeux jaunes des phares éclatants recouvrent le bitume

mouillé d’une laque d’or, opalescence violente à crever les cristallins,

les pupilles têtes d’épingle resserrées, minuscules puits d’ombre, à saigner,

ruisselets rouges sur jais.

Laque d’ambre sombre, laque noire de Chine quand les lumières s’estompent.

A chercher comme un chien perdu

l’introuvable inconnu qui toujours se dérobe.

Escaliers interminables, couloirs sinueux, delta des improbables.

Les grands sapins aux aiguilles empiquetées

s’allongent à n’en plus pouvoir, ombres géantes, menaçantes, mouvantes,

à trancher la route en lacets, perdue sous les rafales d’eaux

cinglantes.

Sous le couvert de la forêt épaisse, les silhouettes stroboscopées

d’animaux courants dans les futaies enténébrées

encadrent les mystères déroulés.

Élégance furtive des regards fuyants, roux

comme des spasmes angoissants,

traces éphémères du sens

absent.

Forge haletante, veines en feu, souffle coupé.

Tout disparait.

Retour, rupture, effroi, très froid.

A grands pas les pieds nus écorchés par les pavés disjoints.

Immense espace vide, parking désert, lumière soufrée des réverbères plantés

dans le goudron.

Sodium liquide effrayant.

La pluie toujours dissout la quête, efface les empreintes

baveuses des limaces blanches, le sillage écarlate du souvenir

des pas perdus.

Marche moche vers l’ailleurs impénétrable, sueurs aigres, souffles aigus,

bronches crevées

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Dure-mère sous tension, arachnoïde à se rompre, pie-mère en pleurs, en équilibre

instable sur le corps calleux, sur le pont d’entre deux mondes.

Marche moche, car.

MOREY-COFFINET. LA ROMANÉE 2006.

montagne-jaune

Michel Caron. La montagne jaune.

Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la clepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique quand un blanc s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait c’est la mort qui ricane. Le motus renvoie son Monde à l’inéluctabilité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.

 A ma vérité, le temps est blanc.

Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie et se perd en alertes vaines.

 A ma vérité, sang rouge vire au noir.

La Terre amoureuse est verte et pousse le bout de ses ramures tous azimuts. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout, et comble ses hôtes de ses fruits gratuits. Le fruit vert des âges tendres, rejoint parfois la verdeur de l’âge, paradoxe des extrêmes. Mais le vert est aussi de rage et de peur quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.

 A ma vérité, vert est pur amour rageur.

Alors je m’abreuve à la pompe bleue des énergies « Blues » de Muddy Waters. Foin de ces lamentations indécentes, à mettre à la poubelle noire des insipides. La musique chaude, lave, remue, et chasse les remugles, les vases lourdes. Noir ou blanc, synthèse des couleurs à ne pas mélanger, le bleu électrique requinque et chasse le vague-à-l’âme. Novembre souvent écrase, dilue, broie, pile les couleurs de l’été dans ses brumes collantes. Mais sur le bord de ma palette, le rayon pâle de l’astre fugace perce le coton épais du ciel veuf de son azur, pour poser un soleil, jaune comme un oeuf, au dessus des montagnes.

 A ma vérité le bleu est blues vaincu.

Chez Morey-Coffinet, c’est le Thibault qui fait le vin maintenant. Dans la fraîcheur de ses caves, belles comme cryptes romanes, j’étais, il y a des ans… Rangés comme moines en prière, les fûts se sont ouverts à la pipette, et ont versés dans mon verre les merveilles au repos de Chassagne-Montrachet. De beaux jus en élevage sur lies fines. Thibault est un modeste qui laisse parler le vin plutôt que de gloser. Dans le silence des caves, quand Bacchus fait son grégorien, le choc cristallin du tâte-vin sur les verres suffit à enmusiquer l’espace.

La robe de « La Romanée » 2006 1er Cru est jaune citron, soleil de février sur les collines de Menton. Seuls quelques légers reflets qu’un cousin vert des Antilles y aurait fondu moirent à la lumière.

Sonate de touches fleuries sous le nez, desquelles le chèvrefeuille s’extraie pour très vite bomber le pistil. Mais cela est fugace. Bientôt vient le temps des fruits, tout en “finesse exubérante”, la poire flirte avec l’ananas pour finir au coing. Un nez élégant qui signe un ChassagneMontrachet plutôt extraverti.

L’attaque est subtile, l’équilibre est son nom. Gras maîtrisé, puissance et vivacité se conjuguent parfaitement. C’est un vin à la matière riche, mûre et ronde; les fruits sus-cités réitèrent et s’adjoignent une once de zan qui exalte le tout. C’est d’la bonne came ça dis donc!!! Quelle bouche!!! Digne de la plus voluptueuse des bayadères….Et j’en ai connu d’ondulantes par temps de Bourgogne blanc… La finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Et bien c’est d’la bonne, c’est d’la longue, d’la bien roulée sous la langue, d’la qui s’installe, qui s’y plaît et qu’en redonne… du plaisir et du bonheur. Ça finit en se resserrant, comme j’aime… la réglisse et les épices, et la pierre qui pique un peu…

Mais j’affirmerai, toute joie bue, que ce vin éclatant est un bonheur pour le nez du chasseur de Chardonnay. Du fruit, blanc et de l’orange épicée, auxquels se mêlent la sécheresse olfactive de la pierre. En bouche, y’a du vin, une matière qui vous rend tout d’abord une petite visite qui semble modeste, humble et sans prétention excessive…Puis, si vous faites, un tant soit peu rouler le vin en bouche, alors là, waowwww, il prend un volume surprenant!!!

Bon je ne vais pas trop insister mais ça dure, ça s’étire, ça se tend en même temps, ça bande comme l’arc que je ne suis plus ! La finale qui ne vous laisse pas seul, même si vous l’êtes, est fruitée, réglissée, épicée et franchement – allez je le lâche – très et fort à propos, minérale. Bouche propre et lèvres salées comme un baiser d’amour.

ECHIENMOTINECONE.

DROIN CHABLIS GRAND CRU LES CLOS 2000.

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Imaginons que je sois le rédacteur fou d’un site de vins bien connu – et qui propose d’ailleurs souvent de jolies bouteilles à prix corrects – un prescripteur complètement allumé, shooté aux dithyrambes enfumés, à la culture marketing exacerbée, amoureux de superlatifs qui se veulent haut de gamme, que pourrais-je bien dire de ce vin déjà bien souvent encensé ?

Voyons voir.

 “Ce domaine mythique, cet Everest du vin, ce top de l’appellation, au sommet de la hiérarchie, incontournable nous livre (sic) une bouteille mémorable dont le jus hautement séducteur, véritable Don Juan de Chablis, à la fois fringant, évolué, riche, frais, affiche (oui le style ce n’est pas sa tasse de Chablis) une matière énorme, mais distinguée, qui vous inonde la bouche (oui le style, toujours le sens de la syntaxe élégante), une matière drapée d’une grande sensualité gourmande de corps. Ce vin est une star absolue, un sommet qualitatif qui passe la barre très haute (sic), un colosse tout simplement somptueux, un enchantement qui marque les esprits, drapé (bis) d’une grande sensualité de corps qui exalte toute la maestria (olé!) de son cépage, offrant à la fois du confort et de la finesse, un vin culte, issu d’un terroir singulier (sic encore), un jus monumental digne des plus grands temples égyptiens (Toutankhamon si tu me lis ?), qui se pose en dandy incontournable (une sorte de Brummel du vin ?), assurant de son élégance des accords au sommet (Ah la jolie syntaxe !), une cuvée tonitruante, imparable de finesse et d’énergie (one more couche de baratin insipide), un vin abouti, fait de passion (et de quelques raisins aussi), dont l’amateur se doit de posséder quelques caisses blotties sous le placard douillet de la cuisinière …” Ce pourrait être quelque chose comme ça par exemple.

Et moi et moi, sale vieux con râleur, que puis-je en dire de ce vin du tonnerre (c’est bien le moins pour un Chablis) de Zeus ?

Que le temps a brodé de vieil or sa robe ? Que sous mon nez, le bouquet est complexe, qu’il marie harmonieusement, effluves florales – pêle-mêle, citronnier du jardin agrémenté de légères touches jasminées – fragrances de citron mûr, confit, de miel et d’agrumes, d’un soupçon de truffe blanche, d’épices douces et de poivre blanc ? Que la noisette y a, elle aussi, laissé sa trace, fraîche malgré l’âge ? Qu’en bouche la matière est conséquente, riche, qu’elle enfle en prenant constamment du volume, qu’elle est grasse, ce qu’il faut, pour donner au vin une onctuosité délicate ? Que le vin s’éternise en bouche bien après que la pluie a cessé, qu’il laisse au palais la marque crayeuse et saline de ses origines ? Oui je le dis, et vous dis la souffrance qui m’envahit quand me vient à l’esprit que cette superbe bouteille, hélas, n’est pas un  jéroboam, ni même un magnum, et qu’il me faudra bientôt faire le deuil du plaisir qu’elle m’a procuré !

Dehors c’est Février, le ciel est Novembre, la ville semble recouverte d’acier liquide, le soleil est sur l’hémisphère sud, la rue ruisselle et la Charente déborde. Alors, je verse avec précaution dans mon verre vide les dernières gouttes de ce grand cru de chablis. Et j’attends que les amours reprennent.

PS : Merci monsieur Droin.

MON GLAIVE REVIGORÉ.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Je bois souvent cette eau d’ange et de sang

D’une source incongrue, et de laine, et qui m’assène,

Et qui n’est, chaque fois, ni pur diadème

Ni tout à fait carême, et me saigne et me détend.

 

Car elle m’est océan, et mon coeur mellifluent

Pour sa meule, hélas! N’est pas un pâle requiem

Elle qui feule, et les ardeurs de ma bouche l’aiment,

Elle seule les sait faire gémir, en bavant.

 

Est-elle lune, ronde ou brousse? Je l’adore.

Son balcon? Je le retiens, qu’il est lourd à bâbord,

Comme ceux des damnées que la vie baptisa.

 

Coeur blafard, salsepareille au mitard des sangsues,

Et, pour sa loi, ma reine, inflexible, et lasse, elle va

La malédiction, la sorcière qui règne et me tue.