Littinéraires viniques » 2006

LA VIGNE, LES CERISES ET L’OISEAU DE PARADIS…

Nikko Kali. Petit oiseau de Paradis.

J’ai cherché partout et longtemps. Dans la famille les Moulins à Vent de Janin 2006, j’ai trouvé «Le Domaine du Tremblay» et «Le Clos» du même nom. Point de «Terre du Tremblay»!!!

Alors, quelle est donc cette «Terre Mystérieuse», que le hasard des rencontres en bouteilles, a déposé sur l’autel usé, constellé des ronds rouges et noirs de tous mes voyages mysti-viniques??? La jolie main fine et aimée, qui caresse, trop rarement à mon goût, le silence de ma vie, a déposé sous mes yeux six flacons de ce vin. Les ailes de ce Moulin à vent, ont tourné lentement, séchant, avant qu’elle ne bourgeonne, la larme chaude qui perlait, scintillante, sous ma paupière. Déjà, j’étais heureux. Il va sans dire, que le commentaire de ce vin, qui suivra, quelque part, au creux de ma divagation en marche, ne sera pas vraiment objectif.

Dans la salle, d’or et de rouge tendue, le murmure des voix féminines est sans équivoque. Aucune fausse note, ne vient troubler ces cœurs unanimes. Aux alentours, les mâles fatigués dont je suis, ne peuvent qu’acquiescer en silence. Loin et si proches pourtant, Farinelli et Carestini qui ont fait chavirer bien des cœurs, jubilent et se disent dans le silence de l’entre deux, qu’il doit être bienheureux ce garçon, qui n’a pas eu à subir les douleurs physiques et les blessures de l’âme, qu’ils ont endurées. Dans le secret de son alcôve, il va et les venge. Chacun de ses bonheurs, est le leur.

Nichés au creux du poulailler, comme suspendus aux cimes du théâtre, les bras des quelques enfants perdus au milieu des adultes révérencieux, s’accrochent aux balustrades dorées. Ils ont le regard flou, égaré, absent. Il boivent la transparence fragile, de cette voix, si proche d’eux, qui les magnifie. Le grand lustre de cristal de bohème frissonne, et palpite de tous ses feux. Le bâtiment tout entier respire à l’unisson. Les corps assis des humains, alignés le long des rangées rouges, semblent abandonnés par la vie. Dans le temps suspendu à la voix de l’éphèbe, planent les âmes mêlées, qui ont quitté leurs enveloppes de chair. Elles forment un égrégore de lumière, qui palpite, et que personne ne perçoit. Seul le cristal vibre doucement. Il est de ces moments, rares et précieux, où dans l’ignorance du subtil qui les dépasse et les conduit tout à la fois, les hommes se dépouillent, s’extraient de la pesanteur ordinaire, et communient en pleine beauté.

Nous sommes à l’opéra Vanessa, ici le poulailler est Paradis.

Vagabondages, sauts incroyables, que permet la pleine liberté de l’esprit. Entre Philippe Jaroussky qui chante l’Aria d’Alceste du Termodonte de Vivaldi, l’Ariodante d’Haendel, là-bas, si loin bientôt, entre l’opéra de Bordeaux et cette bouteille, l’espace est aboli. A ma guise, je passe de l’un à l’autre et je pleure ces larmes rares, que la beauté me tire. L’imagination est ma liberté. Tout est possible, aussi je veux les unir en ce lieu intime, que les plus ardents Diafoirus ne soupçonnent même pas, tandis qu’ils continuent, imperturbables, à scruter les mystères de l’atome, à bord de leurs canons.

Mais voici que vient la cerise sous le nez. Le vin l’exhale, puissamment. Rouge sang de taureau fourbu, fraîche, juteuse, elle est de celles qui vous marquent les lèvres, pour mieux vous trahir. Sous le couvert fragile de mes yeux fermés, elles roulent en grappes, au milieu des fleurs. Effrayé, le lièvre qui avait, espiègle, remué son cul odorant sous mon nez, s’en est allé. De la robe d’un beau grenat sombre, une de ces robes, qui emprisonnent la lumière et qui rayonnent de l’intérieur, montent et s’unissent, en vagues successives, le parfum de la pivoine piquetée de rosée, en ce petit matin intemporel, et la poignée de grosses cerises, dont la peau tendue, rouge sang de veine, peine à cacher, dans la chair débordante, un jus sucré odorant. La réglisse et le noyau enfin.

Les lèvres violettes des petites filles, les cerises en boucles d’oreilles, qui jouent à l’ombre du figuier. «On dirait que t’es le monsieur qui chante comme un oiseau rouge, que t’as des yeux beaux et que moi je suis un oiseau aussi et que tu l’aimes…et que…».

Jeux de l’enfance qui s’étirent toute une vie.

En bouche, le jus attaque fraîchement, roule et s’étale. Puis, le flux de la marée de plaisir se fige. Au sortir de la cerise réglissée, la verdeur des tannins nappe la bouche d’un voile astringent, qui serre les muqueuses. La fraîcheur se fait acide et le miracle s’interrompt. C’est un abîme, plutôt qu’une finale, qui sidère la gorge en attente. Un vin, comme amputé. Une cuvée d’entrée de gamme sans doute, qui ne tient pas ses promesses. La vie…

L’ange qui habite la voix, lui, tient la note.

 

EMOJAROUSSKYTICONE.

What do you want to do ?

New mail

LE MARATHONIEN DE MOREY…

Henri Bellechose. Rétable de Saint Denis.

—–

 Souvenir de mon passage à Morey chez Alain Jeanniard. Affûté comme un athlète de haut niveau, l’homme est discrètement chaleureux. Dans une cave microscopique où chaque déplacement de fût, nécessite la consultation d’un Polytechnicien Centralien, sorti Major des Mines, tant cela paraît relever de la quadrature du tonneau…Enfin bon, le bougre y arrive, avec ses bras et ceux de ses amis, lesquels, ont sans nul doute, droit, l’affaire étant faite, de déboucher un flacon ou deux des meilleurs crus… Me voici, coincé entre deux Canadiens, enthousiastes, rieurs et connaisseurs. Très vite, l’ambiance vise à l’amitié, qui s’installe d’ordinaire, entre ceux qui n’ont besoin que de boire une même passion, pour s’apprécier. L’après midi fut belle, simple, intense, joyeuse.

Aujourd’hui ce souvenir me traverse, comme un train fou, rouge du plaisir d’alors…

C’est entre rubis et carmin, que la robe intense de ce Gevrey Premier Cru “En Chenevery” 2006, balance.

Ah ces nez crémeux que j’aime!! En voici un qui mêle allègrement – car j’ai trouvé ce vin élégamment joyeux – de beaux fruits rouges, framboicassis, merise et son noyau, un soupçon de fumé, prunelle. Le tout très pur.

Il faut savoir que les parents de ce jus soyeux, sont le produit d’une étreinte torride, entre l’oolithe blanche du Bathonien et le calcaire à entroques du Bajocien !!!

Tu parles d’une origine qu’elle a de la gueule…

Quand le Bathonien se glisse dans l’entroque, plus un cep ne la ramène, les coteaux sont muets et dans la nuit des vignes, l’extase est à son paroxysme. La bouche, la mienne, accueille une matière glissante et fraîche qui roule sur le palais, délivrant au fur et à mesure, tout en montant en puissance, les promesses faites au nez. Équilibre et pureté. Équilibré, comme un Morey, entre un Chambolle et un Gevrey, comme une crème douce, entre une chantilly et une pâtissière. Pour un enfant de vieux… les vignes ont 80 ans!!! Me souviens plus des tanins, tant ils étaient fins, à peine perceptibles, au bout du bout d’une finale fruitée et épicée, longue comme un jour sans seins.

LES CHÈRES BOUCHES DES BOUCHÈRES…

Mâcon. Le pont la nuit.

—–

Ah les amuse-bouches qui mettent l’eau et les mots à la bouche, les bains de bouche qui jamais ne feront oublier les baisers soyeux des chères bouches des âges tendres si mûrs, des rencontres fulgurantes, des serments éternels murmurés le cœur en bandoulière, mais que chassent les vents mauvais des amours fortes au creux des portes cochères et des parkings déserts… La douleur térébrante qui cloue le papillon fragile au liège grumeleux de ses espoirs déçus, comme le sel sur la plaie vive, vous réveille un jour que vous n’attendiez pas. La chère bouche comme une bouchère cruelle vous lacère et vous débite en tranches vermillonnes. Ne restent que les mots morts, les regards mouchés comme autant de bougies rassies et les souvenirs odorants des draps froissés.

Décidément me direz vous, ça ne s’arrange pas!

Mais si, mais oui!! Car le vin frais qui roule dans ma bouche ne ment pas. Les chères bouches de Meursault se donnent sans détours comme un bain de fruits frais…

On pourrait consulter les grimoires, fouiller les archives, questionner les anciens, gloser à n’en plus finir sur l’origine du nom de ce climat. En bref, il semblerait que Bouchères vienne peut être de Borchères, Boucherottes, Bouchot…Buisson. Voilà qui tombe bien!!! C’est donc justice que le Domaine éponyme travaille ce premier cru, au nom porteur de tous les amours et tous les plaisirs, du sang lumineux de la terre, aussi.

Le vert bronze des feuilles d’Août marque l’or de la robe du vin, limpide comme le regard clair d’un enfant qui joue.

Ce 2006. Le nez s’y plonge, gravement et ne le regrette pas. La fleur de l’acacia l’attend et l’amande l’accompagne. Les fruits ensuite, la poire, la mangue légère, une touche subtile de raisins secs, mais surtout les écorces d’agrumes, confites qui dominent le bouquet. Tout en haut de l’inspiration, la réglisse, l’anis, le poivre blanc un peu et enfin.

Vient la rencontre avec la bouche après que le nez soit rassasié. L’offrande est conséquente, la matière est dense, concentrée, crémeuse un peu, tendue encore. C’est à pleine bouche qu’elle vous embrasse, qu’elle vous envahit. Puissance généreuse, équilibre de funambule, ronde et glissante comme un plaisir en boule. Les écorces confites encore, qu’enrobe un gras glissant dans un paroxysme doux et frais à la fois. Un vin à mi-chemin entre l’exubérance et la rigueur cistercienne, entre le Meursault des plaines grasses et l’épure ciselée des coteaux où affleurent les cailloux. C’est en longueur, à la finale que le vin le dit. Quand il se dépouille à n’en plus finir de sa chair pour livrer le cœur aride et coupant de sa substance ultime, finement salée, comme un citron maghrébin dans son bocal.

 

MOTS, HUMEURS, COULEURS, EN ROMANÉE…

Kats. Ryan Juli Cady.

—-

Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la clepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique, quand une transparence s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait, c’est la mort qui ricane. Le Motus renvoie son Monde à l’inéductablité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche, pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse, quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.

A ma vérité, le temps est blanc.

Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie, et se perd en alertes vaines.

A ma vérité, sang rouge vire au noir.

La Terre amoureuse est sinople étiqueté de jade et d’argent, elle pousse le bout de ses arborescences aux quatre cardinaux. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout et comble ses hôtes de ses pommes d’Amour. Mais le vert est aussi de rage et de peur, quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.

A ma vérité, vert est pur amour rageur.

La vigne lilliputienne de Chassagne-Montrachet, microscopique dentelle verte Bourguignonne, noyée dans le vignoble hexagonal, lui même hors monde, vu des cieux, bras noirs aux griffes tordues l’hiver, verdoyante au printemps, qui s’empourpre d’érubescences progressives à l’automne, pour renaître, dans une flamboyante flavescente, jusqu’à mourir, exténuée, au bout de ses derniers feux rubigineux… Pour y dissoudre, avant que survienne la mort blanche, sang rouge et rage verte. L’ami Thibaut qui fait bon, Morey-Coffinet de son nom, a glissé, sourire muet aux lèvres, au creux de ma cave, sa « Romanée » 2006.

Le temps est venu d’y noyer les hivernales.

Par une de ces alchimies fines que réserve le vin à celui qui s’en délecte, la bouteille embuée, du centre de la table, de son regard ensoleillé, dissout déjà les nimbus menaçants qui m’embrumaient à l’instant.

La parure citron de ce premier cru se moire de vagues vertes qui ondoient au gré changeant du verre tournoyant. Elles ont les infinies délicatesses d’une sonate de Scarlatti ces subtiles touches fleuries fugaces, qui laissent au premier nez une pure eau de chèvrefeuille. Puis vient le temps des fruits, velouté comme le saxo de Stan Getz, qui roule la poire mûre, l’ananas, pour finir au coing. Élégance extravertie de Chassagne la riche.

L’attaque en bouche est subtile, l’équilibre est son nom. Le vin se roule en bouche. Comme l’Oud d’Anouar Brahem, il enivre de son gras, il est riche et vif à la fois. Réapparaît l’ananas qu’affine la poire, ils s’étirent à deux et rebondissent sous le fouet du zan, et la lame acide qui finit d’allonger le vin. Une bouche digne de la plus voluptueuse bayadère, et j’en ai connues d’ondulantes par temps de grand blanc, sous la voûte Bourguignonne.. Et la finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Marquée par le calcaire, elle s’installe, se resserre et lâche ses épices réglissées, doucement…

Le ciel cérule, les lourds cotons noirs des orages ont disparu. L’âme au diapason, je jubile, yeux clos. Sur mes lèvres qui sourient, ma langue se régale du sel de la vie…

EARCMOENTICIELCONE.

JÉRÔME CASTAGNIER. CLOS DE LA ROCHE 2006.

Sans titre 1

Mais ma pauvre Bourgogne, terre de roses fanées, anciennes et odorantes, que t’en vas-tu errer, te perdre, souffrir, en ces terres, aux calcaires qui rappellent les tiennes, pourtant. Au pied de ce plateau de Saint Émilion, au sommet et sur les flancs duquel, s’étalent, dévalent, beaux merlots et cabernets. Pour certains magnifiques de chair, de volume, de grâce, et parfois souvent, de race et de finesse …

En ce lieu amical, en compagnie de gueules d’expérience, aux jus habitués, à l’aveugle, j’ai goûté les vins de Nuits et de Beaune, millésime 2006, cachés sous leurs chaussettes, et par tous apportés. Alors que la dégustation filait, que venait la neuvième d’une série de onze, je suis tombé, en amour, à l’arrêt.

 Voilà que je volais au dessus de Morey Saint Denis …

Et me posais sur les terres du Clos de la Roche, les pieds sur trente centimètres de terre, qui recouvrent à peine les gros blocs calcaires, aux failles desquels les vieilles racines des lambrusques s’en vont chercher leur pâtée. Un Grand Cru, parmi ceux qui prospèrent sur les hauts de Morey, celui-ci, de Jérôme Castagnier, ex trompettiste classique, échappé voici quelques années des orchestres symphoniques, pour jouer habilement des grappes du pinot.

Sur la table nappée, parsemée de verres, de crachoirs, de crayons et de papier, je regarde le vin. Un beau rubis intense, qui sous mon nez montre sa pivoine. A l’aération, sous les rotations du poignet, elle s’affine et se fait rose éclose, puis un peu fanée. Sous ces fleurs transformistes, pointent le bout juteux de leurs rondeurs mûres, de belles cerises, noires de liqueur sucrée. Quelques fruits rouges aussi, comme la petite fraise des sentes ombragées. Et la douceur d’épices légères, enfin. Quand roses, cerises, épices viennent à ma bouche, leurs chairs me saisissent. De plaisir. C’est qu’elles sont rondes ces chères chairs du Clos, bien que nées au cœur des roches. Les charnues s’arrondissent encore, puissance et finesse conjuguées, déversent leurs fruits en épices, s’allongent comme chatte au réveil, puis déposent au palais leurs tannins serrés, mûrs et crayeux, avant de glisser dans ma gorge accueillante. Zut, j’en ai oublié le crachoir ! La finale longue, fraîche, soyeuse, velours de roses, de réglisses légères, d’épices délicates, accompagnent les tannins au palais déposés. Longuement.

 Dans mon verre vide, le Clos est à la rose.

Et moi, bien plus fané, en paradis …

SOUS LA QUILLE, NEPTUNE…

Saintes. La Chamade. Août 2010.

Jawad se sent à vif comme une épine d’acacia.

Le vent le fouette, le soleil le cogne et lui croque la couenne, les embruns le giflent et lui boucanent la viande. Ça ronronne sous la coque du bateau qui fend l’eau comme un scalpel la peau. Vertige qui noue la tripe, et vide l’advertance des remontées rouges du cœur à La chamade. Comme Sagan la Françoise, la fleur de peau souffrante, légère mais profonde, au volant de ses chariots de feu funestes. Rien de mieux qu’ Un peu de soleil dans l’eau froide pour soigner Les bleus à l’âme. Je me suis regardé dans Le miroir égaré. Je n’y ai vu qu’ Un profil perdu, Un chien couchant près d’ Un lit défait, Un chagrin de passage, La femme fardée par la surface de sa vie, crémée de Faux fuyants. Mais je la laisse, Bonjour tristesse. Sous Les merveilleux nuages, Un orage immobile explose comme Un sang d’aquarelle qu’ Un certain sourire déclenche… Dans un mois, dans un an, Le garde du cœur n’aimera plus Brahms. Le chagrin de passage ne sera plus qu’ Un cheval évanoui. Dans Les fougères bleues, Le rendez vous manqué des Yeux de soie ne sera que Le régal des chacals. Sera venu le temps d’aller Au marbre avec Mon meilleur souvenir, Toxique

Purée de titres qui font sens…

L’ancre plonge droit au fond sur les sables blonds, et s’accroche à la chevelure alguée d’une sirène effarée. Le ciel est l’âme d’outre-azur de son père. Les reflets diffractés de la chaîne d’acier se diluent dans les eaux qui tremblotent comme verre de Chardonnay dans la main d’un parkinsonien hébété. Ils piquent la mer mouvante de leurs aiguilles vives et incandescentes. Quelques rus sinueux de sang purpurin comme pinot en Bourgogne, glissent le long de la joue de l’homme tout le temps de sa nage. Comme un prurigo dérisoire que lyse l’onde matrice saphir de toute vie, tandis qu’il perd lentement la sienne. Il se dit que puisque naître c’est quitter la douce fusion maternelle, il lui serait bon de mourir doucement ainsi, en toute déliquescence. La dissolution n’est-elle pas ultime fusion? Il nage les yeux ouverts, et calque son rythme sur le souffle tiède des ondines. Sous ses yeux béants à l’agonie, défilent la palette du peintre et les ombres de l’enfer dans la main de Dieu. Neptune boude dans sa grotte et astique deux-trois sirènes pour se détendre. Cette vision incongrue lui traverse l’esprit et le met au rire, il étouffe à moitié. L’épreuve est difficile mais il la surmonte. Ce qui le fait pouffer à nouveau. Seul, loin en mer sous l’emprise d’un fou rire! Folie… L’eurythmie harmonieuse des mondes le sauve. Cœur, bronchioles, forces liquides, telluriques et solaires sont à l’amble. Seul Neptune fait la gueule. Alors, riant à nouveau, il coupe son effort et se laisse flotter comme un bouchon de champagne dans la cuvette méditerranéenne des chiottes du monde. S’il était peinard et bien à l’abri dans le col gracieux d’une bouteille, il serait un peu plus haut, hors de l’eau, et pourrait à sa guise contempler le monde aqueux qui l’entoure. Mais il ne verrait pas Poséidon qui pourrait lui mordre le c… Wouaffff! Mourir de rire, ce ne serait pas mal non plus. Mieux que la morsure aussi soudaine que glacée, d’un requin pâle… Suer de trouille brutalement, en un demi souffle, sous totale rigolbochade en pleine mer, fragile comme une merguez qui perd son jus carminé, c’est possible aussi.

Le bateau n’est plus qu’un point blanc sur les eaux, comme un comédon frais sur le nez grumeleux de Neptune. Revenir, rebrousser chemin, retrouver le rythme, se fondre à nouveau aux éléments, se dissoudre, ne faire qu’un, dépasser la douleur, accéder à la conscience élargie… Choc soudain, sang glacé, terreur sidérante. Le corps s’affole, bafouille, gargouille, agitations ridicules et sporadiques, comme un nouveau né dans sa baignoire. La grosse bouteille, perdue comme un chancre dans une eau pure, lui a éclaté l’arcade gauche. Un peu. Suffisamment pour rosir le lapis environnant. Elle est fermée d’un long bouchon et son col gracieux dodeline sur les flots. Il a pu s’accrocher à l’échelle, clown écarlate, et se hisser à bord. Sur le fond aveuglant du bateau, taches rouges, macules grenats, bavures noirâtres et tavelures incarnates dessinent un Pollock suicidé. Recroquevillé au fond de la nef souillée, enroulé dans une serviette bleu cobalt épaisse et chaude, il regarde le lourd flacon. Il se reprend à rire nerveusement, par saccades courtes et rauques qui lui liment la gorge. La grosse bouteille sur le flanc a laissé de sa grâce, elle gît et sèche, perdant sa fragile brillance humide. Ses flancs abrasés par l’âge se voilent. C’est vrai qu’elle a l’air rompu de celles que le temps a usées. Son verre corrodé par le sable et le sel, est d’un blanc opaque qui masque son secret. Le souvenir de la Veuve Clicquot 1780 remontée magnifiée des mers froides, lui traverse l’esprit. Sa jumelle, sa cousine ??? Un jéroboam flottant, massif, aveugle, dérivant au fil des courants espiègles… Et lui qui le regarde de ses yeux muets. Comme une poule, devant un dronte dodelinant du chef. Le verre poli cède sous la hachette de sa rage. C’est un magnum au regard d’opale hermétiquement clôt, mystérieusement érodé par le sel lui aussi, qui apparaît. Ces étranges rouilles gigognes usées par le temps et les incessantes talmouses salées, lui parlent de sa propre lassitude, de son désarroi profond, de son sang qui fuit et fuse par moments en bouquets de roses fanées. Du bout d’un de ses doigts flétris comme cornichons russes, il caresse le flacon. Perplexité. Rire à nouveau, désorienté et mouillé de tristesse. Baaam, la troisième quille apparaît, plus petite, limée, adoucie, vieillie, châtiée plus encore. Le kil, l’ordinaire du jaja des familles, le rouquin d’avant que les guerres… Quelques éclats verts, intacts mais sombres à bloquer les regards curieux, dessinent un chemin hasardeux et inexplicable sur les parois de la fiole flétrie.

Médusé (en pleine mer, c’est bien le moins!), inquiet, déboussolé (en pleine mer c’est embêtant!). Sous ses iris de jade, et ses pupilles rétrécies façon minou timide, les fragments du jéro et du magnum se délitent, ramollissent et fondent inexplicablement comme neige au Néguev. La petite dernière apparue flotte presque dans une eau étrange, luminescente, irréelle. La lumière dorée qui sourd de cette pisse de fonte, exacerbe les hanches stéatopyges de la luronne. La rescapée évoque plus les convexités d’une nonne dépenaillée, que les épaules étroites d’un Pasteur cénobitique. Large de croupe, bâtie pour traverser les épreuves de la vie et les défonces de l’amour, l’équilibre serein de ses lignes impressionne. Mais tout se bouscule, se mélange soudain dans la tête et le corps de Jawad. Tout tremble, vacille, se transforme, se hausse. Des os aux boyaux en passant par la viande et les neurones, son corps fait des bruits poisseux de succion molle et de graisse flasque remuée. La vie en lui danse comme Jacob, dès qu’il a conquis le dernier barreau de l’échelle. Il est aveugle, sourd muet, puis voyant, extra lucide, prophète, économiste! Dans ses veines distendues, le sang bout au creuset sans fond des sorcières hystériques, puis gicle de ses oreilles et sourd de sa peau. C’est comme une expérience métempirique, un combat contre les forces primordiales, une mort promesse de vie. Au bout de lui même, il sabre le flacon sur le bord du bateau et porte le verre coupant à ses lèvres. Un parfum venu des extrêmes confins d’une galaxie inconnue, l’enivre et le ravit, comme si les corps de tous les Saints s’étaient unis pour exsuder cet ineffable élixir. Il se croit mort puis ressuscité, transporté via le grand trou noir – délivré enfin de l’espace temps – sur les rives tremblantes d’un astre tout juste gazeux. De son trident, Poséidon lui pique les globules, qui éclatent comme de petits crachats vermillons.

Bruit de pétards, fin de kermesse…

Un peu de liquide pâteux, verdâtre, épais, aux reflets roux, coule du col brisé et se fige sur son index sanguinolent. Sa peau, en un clin d’œil de Dieu, retrouve son herméticité. Il porte alors le goulot cassé à ses lèvres, qui se fendent comme grenades en septembre. La coupure est profonde mais se referme aussitôt. La soupe est salée, iodée, forte comme un nuoc-mâm oublié. A peine en bouche, elle infiltre ses muqueuses sans même attendre la gorge. Comme un onguent qui se marie instantanément aux chairs à vif, les graisse et les régénère. Une onde chaude le traverse et l’enveloppe dans une aura d’un céladon éblouissant. Son esprit, comme une eau d’émeraude, se fluidifie et quitte les contrées pesantes des souffrances ordinaires. Tel un papillon translucide, il flotte entre les mondes. Le temps suspendu ne connaît plus les espaces étriqués qui le limitaient et l’écrasaient – limace tragique – a la glu lourde de la matière pesante. Rien ne le surprend plus car il se sent somme et partie à la fois. Vertigineux voyage sur les terres subtiles de l’avant, de l’ailleurs et de l’après. Il – qui ne l’est plus – se fond dans l’indicible et communie avec la Vie.

Alors commence l’expérience qui n’a pas de nom.

De l’au-delà des cieux embrasés, à l’en-deça des funèbres barathres, des étoiles au magma, de l’est à l’ouest, du sud au nord, de l’en-dehors à l’en-dedans, du noir au blanc, dans le kaléidoscope tournoyant du fin fond des éternités étoilées, dans les abysses ondoyantes des prémisses de tout qui a été, est et sera, il est galaxie ignescente, quark tripolaire, grande turbulence solaire magnéto-hydrodynamique, Sirius au cœur d’Alfa Canis Majoris, Galilée inquisitorié, Star du X mellifluente, ectoplasme limbique, lombric extasié, apostat délirant, orgasme de loutre, éjaculation païenne, hérésie fulgurante. Ses cellules lui parlent, il chante avec les chœurs célestes, tutoie la mort et rit avec la hyène, égorge le nouveau né et pleure avec sa mère… Il bruisse avec les feuilles de cannabis dans les montagnes Afghanes. Dans le tourbillon de la conscience universelle, les naïades l’enlacent, Ægir l’adoube, Ruahatu lui sourit, Océane l’entraîne dans l’en-deça du Verbe…

Bouillie de chairs bouleversées, hurlements glacés du sang coagulé, crépitements acides de la lymphe en fusion, implosion douloureuse des os dans la roue du diable, éternels balancements entre les contraires, il ahane, éructe, pleure et rit à la fois, assoiffé de vie et de mort, anéanti, sublimé, transporté et meurtri….

Puis le silence pleure sous le marteau de Vulcain.

Dans le blanc translucide de sa sclère, les vaisseaux éclatés dessinent comme une fractale des crues du Gange à son delta. Le soleil lui rogne l’iris jusqu’à la cornée. Ses paupières clignent convulsivement. Ses mains étreignent la bouteille vide comme des serres moribondes. Lentement il retombe sur mer, exsangue, las et confus. Adossé au bastingage, la mer le berce. Au fond de sa tête, l’aigle lancéolé glatit toujours. Une goutte de sang séché pointe d’une de ses narines.

Sous les eaux de pierre turquoise, Amphitrite, silencieuse, sourit.

Jawad sait qu’il va mourir à la vie et qu’il sera le maître à nouveau….

Sa respiration sifflante s’apaise et ses humeurs corporelles marquent l’étiage. Imperceptiblement il retombe en pesanteur. Le puzzle de son corps douloureux se réajuste pour retrouver son unité. A nouveau Jawad est ego, affalé au fond de la barcasse comme une morue flasque dans un casier. Tout cela lui paraît cauchemars et rêves mêlés, au sortir d’une nuit glauque, enfiévrée, à yeux ouverts. A plein gaz il file vers la côte, sous le vent cinglant et le sel mouillé qui le cravachent et lui corroient la peau. Sur le clapot court, le bateau secoue et le remet au réel. C’est comme un soulagement, qui vide ses bronches brûlantes des eaux ingurgitées. Une toux rêche lui secoue la tête et l’ancre à nouveau dans l’espace. La mer grossit, l’embarcation s’envole à la crête des vagues et plonge rudement dans les creux d’où le rivage disparaît.

Désespérément lucide, Jawad pense au sang frais que le vent emporte.

Le soleil fou de cette étrange journée rase l’horizon de son disque de verre fondu. La mer est noire sous la lumière brasillante qui tranche le jais liquide de sa lame chaude de tourmenteur marmoréen. A contre-jour, la bouteille embuée est sombre comme un sang carbonisé. Il verse lentement le vin grenat dans le verre, éteignant le soleil qui s’y croyait chez lui. A bout de bras, sur le cobalt de ce ciel finissant, le vin tournoie au rythme de son poignet. Entre les rondes, l’hélianthe royal l’aveugle, l’ensanglantant au passage. Le rubis intense de ce ciel finissant se marie aux roseurs encore discrètes qui transparaissent déjà au bord du disque. Le maelström miniature tournoie encore, alors qu’il ferme les yeux et hume le vin frais. Les arômes de pinot, sur ces rivages Africains, l’apaisent. Pulpe de cerise, touches fugaces de cassis, fragrances de cuir gras et de musc, fraîcheur des fruits rouges. L’automne aussi marque le vin de ses touches de feuilles mortes, de champignons, et de mousse. Le fumet, sauvage comme la trace du cerf que le temps du brame appelle, «pommardise» le jus et lui donne un peu plus de prégnance olfactive. L’élégance Bourguignonne de ce Pommard «Les Arvelets» 2006 du Domaine Cyrot-Buthiau répond subtilement aux velours de chênes-liège qui cascadent vers la mer, comme autant de vagues vertes figées sous le soleil rasant.

Le vin se donne en bouche pleinement, roule un fruit mûr qui se déploie puissamment, et gorge ses calicules consentantes, de sucs subtils qu’une pointe sucrée adoucit. Un beau sang de vin, riche et racé, lui remet le cœur en place et pulse jusqu’à l’infime de ses globules martyrisées. La paix le gagne. Le chant rauque du Muezzin envahit les cieux tandis que la mer dévore à belles eaux le Phoebus vaincu. Le liquide charnu glisse soyeusement dans sa gorge, et libère longuement réglisse pure, et tanins lisses comme palais en ramadan….

Le temps s’arrête, l’espace du dernier soupir…

EFINIMOSSANTITECONE.

ACHILLE, D’AIRES EN STATIONS …

botticelli_christ Botticelli. Christ. Couronné d’épines.

 

Achille s’en est allé.

Au sortir du pavillon, sous la pluie plus battante que son sang, au pied du grand arbre, Oscar le regarde. Rien jusqu’à ce moment ne l’avait arrêté, personne ne l’avait ému, aucun regret ne l’avait traversé, dur comme un acier trempé par la pluie, les larmes séchaient au fond de lui, mortes nées. Mais les petits yeux noirs de l’écureuil, perdus sous les poils, l’ont dévasté, avant même qu’il comprenne, il est en eau sous l’averse, mouillé dedans-dehors, tout l’amour de ce monde en déliquescence l’assaille et le transperce. Oscar ne bouge pas, Achille fondu non plus. Pour ne pas s’effondrer, il s’assied sur le capot de sa voiture, bras ballants, dos voûté, bave et crache pour ne pas hurler, alors Oscar en deux bonds est à côté de lui perché sur le capot, Achille enroule son manteau autour de la boule de poils hirsutes, comme ça, sans réfléchir, pour le protéger, et bafouille des bulles d’excuses, son nez coule, l’eau lui glace le dos, brouille son regard. La honte le submerge plus encore que la pluie qui redouble. Derrière les portes de verre brossées par la buée, ils se sont agglutinés, une vraie concentration de limaces apeurées, tous ou presque. Olivier, mufle écrasé sur la vitre, mains écartées, suantes de crasse, Élisabeth et son baise en ville rouge serré entre ses bras de langoustine, un boa violet déplumé, comme une corde de pendu, enroulé autour du cou, et les autres à l’arrière plan, à demi mangés par la pluie, visages déchirés par les gouttelettes qui roulent en rangs hasardeux sur cette transparence de verre qui les sépare, et qui vibre sous la poussée d’Olivier.

Le monde est lys de pluie maintenant, le ciel a disparu, sur le bitume et la pelouse proche, naissent et meurent à toute allure des bulles éphémères, minuscules, opulentes, ternes, moirées, qui claquent comme des coups de fouet sur les tôles des bagnoles ruisselantes. Achille ne perçoit plus les reliefs, les eaux massives dessinent un monde en deux dimensions. Oscar, bien à l’abri s’est ébroué, sa pelisse ébouriffée retrouve son volume, on dirait qu’il sourit. Achille, nuque ployée, lessivé, ne bouge pas et s’évertue à protéger l’animal. Autour d’eux, le paysage, sous le manteau blanchâtre et liquide qui n’en finit pas de nier le monde, est lessivé, seules les notes du xylophone céleste qui martèlent la ferraille, résonnent plus fort que le tambour du cœur têtu d’Achille qui ne veut pas mourir. Comme un signe des Dieux rageurs. Loin, si proche pourtant, dans le petit matin glauque de cet hiver finissant, contre le flanc osseux du flûteur assoupi, Sophie, le regard fixe, se caresse et se caresse encore, à ne jamais s’arrêter, à ne jamais redescendre dans le monde ordinaire des âmes endormies. Sous ses paupières douloureuses, elle ferme un instant les yeux, les images se bousculent, dans ses membres relâchés, l’amour, comme un torrent de montagne, aux eaux fraîches et cristallines, n’en finit pas de sourdre à son delta … Mais elle ne reviendra pas. Au même instant, sous son pardessus percé, Achille à frémi. Oscar d’un bond gracieux, en deux rebonds élastiques a disparu sous les fourrés. Sur la porte vitrée du pavillon « C », le sang qui peint les lèvres molles d’Élisabeth a dessiné l’ébauche d’un cri.

Le ciel s’est ouvert, le relief est revenu, le paysage noyé défile, Achille, en pilotage automatique, heureux comme le kleenex souillé sur le ventre de Sophie, efface la route qui fend les terres comme une lame sale, et lui crève les yeux. Regard fixe, visage fermé, sur ses joues creusées le sel de ses larmes s’est figé. Le vent s’engouffre par la fenêtre largement ouverte, l’air frais lui brûle la peau et dissipe les dernières odeurs de l’institut. Les images s’envolent comme des souvenirs à ne pas garder, Marie-Madeleine, en montgolfière épanouie, s’élève dans le ciel pour se perdre dans la stratosphère, les autres, en vrac s’effritent, poussières au vent du temps révolu. A cent soixante à l’heure, Achille est à l’arrêt. Et pas besoin de remuer la truffe pour savoir qu’il ne sait plus. Un instant il cultive l’espoir imbécile d’un voyage éternel, puis cherche un pont très haut, duquel il pourrait se jeter en défonçant la rambarde, histoire d’assurer l’éternel. Mais l’A1 est affreusement plate, aussi plate que son encéphalogramme, cet après-midi là ! Alors il ralentit et se met à rouler au pas, ce qui déclenche les avertisseurs enragés de tous ceux qui le doublent en trombe. Achille est aux anges quand deux motards de la police routière l’interceptent. Avec docilité, il obtempère en souriant gentiment, il écoute, le regard attentif mais l’esprit déconnecté, la leçon qu’il lui font, et hoche la tête, plus soumis qu’un caniche à ses maîtres. Envie de se dresser sur ses pattes arrières et de japper joyeusement, mais il se contient !

Puis il poursuit sa route d’escargot, flânant, pour autant qu’on le peut sur les lignes droites sans fin qui remontent vers le nord. Il s’arrête à chaque station service, boit de l’eau et encore de l’eau, observe les voyageurs engoncés dans leurs vêtements chauds monochromes, fronts bas et mines blêmes, occupés, accoudés aux tables hautes, à dévorer, mâchoires saillantes, des sandwichs mous et sans goût, arrosés de cafés amers qui coulent à longs jets bruyants des fontaines modernes aux couleurs électriques. Il revoit les tableaux de Hooper à la sauce européenne et rit, d’un rire aussi jaune que les lumières artificielles de sa vie en suspens, perdu, complètement perdu dans ces oasis factices. A chaque halte, il tourne en rond sous les néons violents qui lui rougissent les yeux et lui verdissent le teint. Comme un Christ de pacotille, abruti et souffrant, il multiplie les arrêts, et vide sa vessie douloureuse dans les toilettes aveuglantes, carrelées de blanc, des stations services, ou bien, sur les aires désertes, dans la semi obscurité des pissotières glauques, tout en fumant des clopes qui lui arrachent la gueule, paupières closes et cœur cognant. Achille s’est perdu, la nuit est tombée, et le chemin est long encore, si long, entre l’institut et la vie qui l’attend.

 Peut-être …

Achille le dissocié, le visage entre les mains, quelque trente ans après cet épisode de son passé, somnole dans la nuit, sous le halo opalescent de sa lampe, accoudé au cuir de son bureau. Étrangement, le temps, cette nuit, s’est ralenti aussi, il lui colle à la peau comme une pâte molle, et les bruits ordinaires de la nuit se sont tus un long moment. Il lui faudra, une fois encore, retrouver le présent implacable, l’amble immuable des secondes à l’horloge, derrière le cristal de son verre, inscrit dans la chair grenate du vin, qui patiemment l’attend. Une belle syrah aux hanches rondes s’épanouit dans le large cul du verre, une Côte Rôtie « Maison Rouge » 2006 du Domaine Duclaux, silencieuse et patiente. Achille s’y plonge, narines offertes aux senteurs à venir. Du disque sombre aux bords violacés, s’élèvent en effluves invisibles, des fragrances gourmandes de fruits rouges dans leur corbeille d’épices, de jambon cru, d’olive, fondues, fines, complexes, crémeuses et salivantes. Comme un vent odorant venu des terres penchées du Rhône septentrional, qui lui lave l’âme. Le jus, tout en douceur lui caresse la langue et fait le gros dos, comme un chat au réveil, puis il libère ses fruits frais, épicés, qui s’étalent et le comblent, lui remplissent l’avaloir longuement, avant de glisser, soyeux, dans sa gorge, pour lui laisser en bouche le souvenir prégnant de leur chair tendre et goûteuse. Les yeux fermés, revenu du voyage, de son chemin de croix profane, il savoure longuement les tannins polis, mûrs et parfaitement fins, qui lui laissent langue fraîche, poivrée, légèrement pimentée …

 Comme un sang rédempteur,

 Le jus des vignes

A fait son office …

EENMOTRETIDEUXCOVIESNE.

ACHILLE EST UN TUEUR DE FLÛTE …

5145890_2adf

Trois jours dans le tambour …

De la machine à laver les malheurs, à décrasser les têtes, à javelliser les vies. Néant profond, remontée partielle, coma éveillé, nourritures enfournées, merdes déféquées sous surveillance, cul mal torché, douches brûlantes, se succéderont quatre vingt seize heures durant. Le cinquième jour Dieu a créé les oiseaux et les poissons, et ce cinquième jour d’hiver, Achille, dont Dieu se fout comme de sa première côte, a passé la journée à tenter de sortir de son abrutissement, à éliminer les anti-ci, les anti-ça, les anal-machins et les neuro-trucs dont on l’avait gavé, histoire de l’aider à digérer le goût de poing de mammouth qu’il avait pris en pleine poire devant Beaubourg, cette espèce d’horrible machine à laver !!! Achille s’est remémoré le parvis, le maigrichon noiraud, Sophie dans ses bras, son choc à lui, la main tendue alors qu’il se sauvait, cette espèce d’épouvante qui l’avait gagné. Puis plus rien, jusqu’à ce matin brumeux, son corps flasque, ses jambes tremblantes, ce sentiment confus de s’Oliviériser …

Marie-Madeleine s’est amenée dans sa chambre. C’est bien la première fois qu’elle visite un loquedu à domicile. Achille n’a pas mis les petits plats dans les grands, il l’a laissée entrer, poser son cul galbé sur une chaise, coller ses reins cambrés contre l’inconfortable dossier de bois verni, remuer un peu, croiser ses jambes gaînées de soie fragile. Il n’a rien dit, l’a auscultée comme un maquignon une génisse prête à vendre, il a souri d’un air vulgaire en laissant son regard glisser entre ses melons tavelés, a passé goulûment sa langue sur ses lèvres, s’est régalé de sa peau de lait, a attendu sans dire un mot, le regard fuyant juste ce qu’il faut. Un vrai vicelard. Elle s’est tortillée un peu, mal à l’aise, est passée d’une fesse sur l’autre, a tiré nerveusement sur sa jupe, histoire de le laisser mariner dans son jus noir. Achille a plongé la main dans son pyjama, s’est bruyamment gratté le scrotum, s’est léché les doigts d’un air pervers ; et s’est rendu compte qu’il retombait, encore, dans la séduction malsaine. Il a rougi, a balbutié quelques borborygmes mouillés et incompréhensibles en guise d’excuses, puis s’est tu. Alors la spécialiste des douleurs enfouies et des camisoles chimiques réunies, s’est fendue de son petit couplet mille fois répété, ses paroles ont sonné faux comme une cloche mal accordée, comme une campane fêlée. ACHILLE l’a coupée durement, « allez vous faire refondre !!», ça l’a coupée net au milieu de son sermon à trois balles, elle est restée bouche bée, vexée, ne comprenant rien, elle a rougi, il lui a trouvé une ressemblance frappante avec une tomate cœur de bœuf, sa bouche, rétrécie par la stupeur et la colère mêlées, lui fendait le visage comme une vilaine cicatrice. Comme une marmande éclatée au soleil de sa rage. La belle Irlandaise a retrouvé un peu de flegme, un soupçon d’empathie, et a lâché « reposez vous encore un peu monsieur Achille ». « Non, non, j’ai besoin de courir si vous n’y voyez pas d’inconvénient » lui a-t-il rétorqué d’une voix ferme. Elle a hoché la tête, a souri maladroitement, puis est sortie. Son cul rebondi l’a suivie en se dandinant, fesses humides et serrées.

Le long des allées ombragées, les yeux mi-clos Achille a filé cœur à terre, rasant les branches basses, Oscar a été là tout de suite et ne l’a pas quitté, toujours aussi rapide, agile, joueur, son pote à fourrure. Soudain Oscar a quitté le sentier, s’est enfoncé dans le bois, Achille l’a suivi sous la futaie, s’est fait griffé sévèrement les jambes, a pataugé plus d’une fois dans les terres grasses, est tombé de tout son long dans la boue, jusqu’à presque devenir un gnome parmi les gnomes qui se gondolent à lui faire des croche-pattes. Gluant et dégoulinant de terre mouillée, le visage plus noir qu’un démon de foire foraine, Achille se régale, l’eau sale l’a trempé, elle glisse entre ses fesses durcies par l’effort, il lui semble fumer, il se sent bien, la course le nettoie, la terre le gonfle d’énergie douce, le débarrasse de son chagrin. Oscar s’est arrêté au centre d’une minuscule clairière, perché sur un éboulis de pierres moussues, il l’attend en croquant à toute vitesse un gland du printemps dernier tombé d’un chêne dénudé. Achille s’est aussitôt arrêté, le souffle court, s’est approché doucement de l’écureuil qui n’a pas bronché. Entre les pierres disjointes d’un monticule ancien, une vierge de pierre, érodée par le temps, est tombée entre deux roches et le regarde de ses yeux qu’elle n’a plus, à la renverse, socle en l’air. Surpris, Achille s’est assis à quelques pas d’Oscar, le dos appuyé à l’écorce râpeuse d’un vieux chêne. En deux bonds, l’écureuil s’est retrouvé à moins d’un mètre de lui, et se régale d’un autre gland, que ses pattes et ses dents pointues décortiquent à tout allure. Jamais il n’a été aussi près, immobile, assis sur sa queue, confiant. Ses petits yeux brillants fixent Achille et ne le quittent pas. Entre eux deux, dans le silence du parc à peine troublé par le vol lourd de quelques faisans en vadrouille, on entend le craquement sec des branches sous le vent, le gargouillis à peine audible d’une source d’hiver quelque part sous la mousse. Un grand moment de petit bonheur paisible. Achille soupire d’aise, sous ses côtes battantes il entend les battements rapides de son cœur, la chaleur du sang dans ses veines, sa peine qui s’enfuit dans le tronc ligneux du gros chêne, une douce chaleur l’envahit comme si la nature le délestait du poids qui l’écrasait encore il y a peu. Achille a fermé les yeux, Oscar s’est approché encore, à presque le toucher, à deux doigt de sa main gauche. Son corps s’allège à presque s’envoler. Le temps s’est enfuit, le soleil d’hiver est passé de l’or à l’orange, et s’enfonce lentement entre les arbres. Achille respire profondément, doucement, à se remplir l’âme des fragrances d’humus et de champignon qu’exhale le sol. Oscar a couiné, s’est éloigné en deux bonds, s’est retourné vers lui, comme s’il l’invitait à le suivre. Ils sont repartis à vive allure, l’homme suivant l’animal qui lui montre le chemin. Aux abords du pavillon, Oscar a fait deux pirouettes, a secoué sa queue largement étalée, et a disparu d’un coup.

Cette nuit la lune est noire, la chambre d’Achille est un vrai tombeau, il ne dort pas mais flotte entre deux eaux. Les images du parvis l’obsèdent et tournent en boucle sous ses paupières, la fatigue de sa course peine à l’emporter, il a beau se concentrer, les images le tiennent et le ravagent, sa rage et sa tristesse sont plus fortes que les somnifères. Il patauge depuis des heures dans cet état intermédiaire, qu’inconsciemment il entretient. Entre les plans séquence de ce film qui n’en finit pas d’être rejoué, de brefs plans de coupe apparaissent sans crier gare, de plus en plus violents. Carotide tranchée, mains qui farfouillent au fond d’un torse béant, bouche aux dents aiguës qui déchirent et étripent un ventre vert de merde éclaboussée, gros plan de rasoir gluant, de murs tâchés de rouge, de verre pilé enfoncé dans une bouche hurlante, les images scandent le film. La bande son s’y met aussi, ça chuinte le gras écrasé, ça grasseye les veines tranchées, ça pchouille quand le sang colle aux murs, ça crisse le verre qui déchiquette les chairs, ça slurpe les lèvres maculées d’incarnat tiède. Achille jubile dans sa sueur glacée. Il se venge, détruit, anéantit, éclate, disperse en lambeaux, atomise, écrase, défigure, égorge, mord, arrache la tronche, le corps de ce flûtiste de merde, ce crevard qui l’a volé !!! Il inspire de toutes ses forces, espérant sentir l’odeur de la mort, appelant à lui tous les succubes, les dragons, les furies, les harpies, les hydres, les basilics, les guivres et les amphisbènes tapis au fond des ténèbres d’avant la création …

 Irrémédiablement.

ACHILLE le démembré, les yeux injectés, éclatés, infectés par la bile verte du démon qui l’a possédé jadis, lutte, se démène comme un beau diable pour se défaire du monstre, qui l’a jadis contaminé une longue nuit durant. Dans sa bouche, sèche comme un vieux cuir tanné par le temps, la poudre corrosive de ses dents brisées n’en finit pas de lui lacérer les muqueuses. La lumière blanche de sa lampe de bureau, lentement le ramène au présent de cette nuit, au cœur duquel elle inscrit un cône étincelant, comme un havre de paix. Dans l’eau d’or pâle de son verre, chardonnay, pinot noir et meunier assemblés, au travers de la paroi embuée, laissent monter un fin cordon de bulles fines qui finissent de lui rafraîchir la cervelle. Sous son nez penché sur le cristal, du Champagne Francis Boulard 2006 montent en fragrances délicates de fines senteurs florales, fleurs blanches tremblantes et jasmin en bouton fragile, puis les fruits blancs rehaussés par une note fugace d’abricot mûr, de miel dilué, de calcaire broyé et de pelure d’agrumes, finissent de le ramener à la vie. Une larme salée, est tombée dans le vin, Achille ému porte la bouche au buvant, le jus frais lui fouette les salivaires, les fruits largement roulent et le ravissent, si finement, qu’il lui semble croquer le vin. Puis la matière élégante s’allonge comme un ressort qui se détend et lui fait bouche propre, passe la luette et lui met soleil au ventre. Le vin délicat a tué le dragon et lui laisse aux lèvres le sel des calcaires qui ont porté ses fruits.

 Et lui murmure

 A l’oreille,

 Que parfois

 Dieu est bon,

 Que Bacchus aussi

 Est son nom.

 Ailleurs,

 Malheur,

 Sophie

 A souri …

ERASMOSSIETICONE.

MOREY-COFFINET. LA ROMANÉE 2006.

montagne-jaune

Michel Caron. La montagne jaune.

Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la klepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique quand un blanc s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait c’est la mort qui ricane. Le motus renvoie son Monde à l’inéluctabilité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.

 A ma vérité, le temps est blanc.

Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie et se perd en alertes vaines.

 A ma vérité, sang rouge vire au noir.

La Terre amoureuse est verte et pousse le bout de ses ramures tous azimuts. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout, et comble ses hôtes de ses fruits gratuits. Le fruit vert des âges tendres, rejoint parfois la verdeur de l’âge, paradoxe des extrêmes. Mais le vert est aussi de rage et de peur quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.

 A ma vérité, vert est pur amour rageur.

Alors je m’abreuve à la pompe bleue des énergies « Blues » de Muddy Waters. Foin de ces lamentations indécentes, à mettre à la poubelle noire des insipides. La musique chaude, lave, remue, et chasse les remugles, les vases lourdes. Noir ou blanc, synthèse des couleurs à ne pas mélanger, le bleu électrique requinque et chasse le vague-à-l’âme. Novembre souvent écrase, dilue, broie, pile les couleurs de l’été dans ses brumes collantes. Mais sur le bord de ma palette, le rayon pâle de l’astre fugace perce le coton épais du ciel veuf de son azur, pour poser un soleil, jaune comme un oeuf, au dessus des montagnes.

 A ma vérité le bleu est blues vaincu.

Chez Morey-Coffinet, c’est le Thibault qui fait le vin maintenant. Dans la fraîcheur de ses caves, belles comme cryptes romanes, j’étais, il y a des ans… Rangés comme moines en prière, les fûts se sont ouverts à la pipette, et ont versés dans mon verre les merveilles au repos de Chassagne-Montrachet. De beaux jus en élevage sur lies fines. Thibault est un modeste qui laisse parler le vin plutôt que de gloser. Dans le silence des caves, quand Bacchus fait son grégorien, le choc cristallin du tâte-vin sur les verres suffit à enmusiquer l’espace.

La robe de « La Romanée » 2006 1er Cru est jaune citron, soleil de février sur les collines de Menton. Seuls quelques légers reflets qu’un cousin vert des Antilles y aurait fondu moirent à la lumière.

Sonate de touches fleuries sous le nez, desquelles le chèvrefeuille s’extraie pour très vite bomber le pistil. Mais cela est fugace. Bientôt vient le temps des fruits, tout en “finesse exubérante”, la poire flirte avec l’ananas pour finir au coing. Un nez élégant qui signe un ChassagneMontrachet plutôt extraverti.

L’attaque est subtile, l’équilibre est son nom. Gras maîtrisé, puissance et vivacité se conjuguent parfaitement. C’est un vin à la matière riche, mûre et ronde; les fruits sus-cités réitèrent et s’adjoignent une once de zan qui exalte le tout. C’est d’la bonne came ça dis donc!!! Quelle bouche!!! Digne de la plus voluptueuse des bayadères….Et j’en ai connu d’ondulantes par temps de Bourgogne blanc… La finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Et bien c’est d’la bonne, c’est d’la longue, d’la bien roulée sous la langue, d’la qui s’installe, qui s’y plaît et qu’en redonne… du plaisir et du bonheur. Ça finit en se resserrant, comme j’aime… la réglisse et les épices, et la pierre qui pique un peu…

Mais j’affirmerai, toute joie bue, que ce vin éclatant est un bonheur pour le nez du chasseur de Chardonnay. Du fruit, blanc et de l’orange épicée, auxquels se mêlent la sécheresse olfactive de la pierre. En bouche, y’a du vin, une matière qui vous rend tout d’abord une petite visite qui semble modeste, humble et sans prétention excessive…Puis, si vous faites, un tant soit peu rouler le vin en bouche, alors là, waowwww, il prend un volume surprenant!!!

Bon je ne vais pas trop insister mais ça dure, ça s’étire, ça se tend en même temps, ça bande comme l’arc que je ne suis plus ! La finale qui ne vous laisse pas seul, même si vous l’êtes, est fruitée, réglissée, épicée et franchement – allez je le lâche – très et fort à propos, minérale. Bouche propre et lèvres salées comme un baiser d’amour.

ECHIENMOTINECONE.

ACHILLE ENTRE L’ARBRE ET LE POULPE …

408737_4754712871248_1900606208_n Insulaire anonyme. Dessin de nuit.

 

Achille pétochait dur …

Assis sur le banc fatigué à l’entrée du pavillon il attendait qu’on l’appelle. Mais qu’allait-il pouvoir dire à cette femme, cette Landonne au nom de grande syrah qui l’avait une seule fois enchanté, ravi, livré, pieds, poings et papilles liés à ses pieds. Dans sa tête en feu le souvenir de ce vin de pure grâce le soutenait. Ses jambes battaient spasmodiquement le sol sous ses pieds, il luttait pour ne pas s’enfuir, courir dans les allées pour chercher Oscar son ami à fourrure. Comme un dératé avaler les sentes herbues entre les arbres si souvent frôlés, accélérer sans cesse et remplir ses poumons de l’air coupant de ce matin gris. Achille avait peur et cette peur stridulante et glaciale congelait la bête aux mille pattes qui distillait dans ses veines durcies cette angoisse qui lentement le tuait. Il l’avait découvert récemment, la peur est plus forte que l’angoisse, comme un yatagan à la lame sifflante elle découpait, annihilait tout ce qui tentait de s’opposer à elle. Les pattes griffues de cette salope d’araignée, coupées nettes, giclaient leur sang noir, ses yeux crevés par la pointe du kriss dégorgeaient leurs humeurs glauques et ses mandibules aux crocs mortels explosaient sous les coups. Achille respirait à petits coups douloureux, tête baissée et poings serrés.

Au travers du brouillard sanglant qui l’avait envahi il entendit à peine la voix calme qui lui disait « Monsieur Achille » ? Il suçait encore une des pattes velues de la salope et son jus de carogne pourrie lui empuantissait la bouche, quand il se leva, tête toujours baissée. A quelques pas de lui deux chaussures noires, vernies, à talons compensés, attendaient patiemment qu’il veuille bien relever la tête. Il prit son temps. Sans un mot de plus les chaussures firent demi tour, il les suivit. Elles s’installèrent dans un petit bureau. Les chaussures bien propres, luisantes, esquissèrent une danse rapide quand Landonne croisa les jambes. Achille gardait les yeux fixés sur les boucles de métal luisant qui les ornaient. L’image d’un courtisan replet, habillé des mêmes boucles, posé le cul pointu sur un siège de velours dans l’antichambre de Louis XIV, lui traversa l’esprit. Son rire intérieur, pour autant, ne sécha pas le filet de sueur chaude qui glissait entre ses fesses durcies par la crainte. Lentement il releva la tête. Le visage de la femme, dodu, souriait sans se forcer. Elle avait de petits yeux ronds, vifs, dont la lumière chaude était un brin espiègle. Des sourcils noirs, une chevelure taillée courte, épaisse et raide, un nez sans défauts, deux lèvres pâles et fines qui lui faisaient une bouche plutôt large, un cou gracile posé sur des épaules solides. Elle lui fit penser à un kit aux pièces dépareillées. Achille bredouilla un « Bonjour madame syrah » qui se voulait fin, ne l’était pas et qui tomba comme une crêpe molle dans l’eau d’un bassin. Madame Landonne ne parut pas surprise sans pour autant comprendre. «Vous n’aimez pas le vin ?» poursuivit-il d’une voix plus aiguë qu’à l’habitude. «Pas plus que ça, je préfère le thé», l’entendit-il répondre.

Achille, à la verve d’ordinaire affûtée, resta sans voix. Un silence de près d’une heure s’ensuivit. Landonne ne souriait pas outre mesure, comme ces psys toujours heureux qui affichent sur leurs lèvres un peu crispées ce sourire de façade qui engage à se taire plus qu’à se livrer. Du reste dans ce bureau minuscule aux murs vides, cette femme dont le regard seul attirait l’œil ressemblait plus à une passante, de celles que l’on ne remarque pas, assise sous un abri bus, qu’à une professionnelle des inconscients meurtris.

Elle fut la première à parler, lui signifiant par là qu’elle ne cherchait aucun pouvoir, pour lui proposer de passer avec elle une heure deux fois par semaine. Achille dut faire un gros effort pour répondre « oui », un oui net cette fois qui sonna à son oreille comme son ancienne voix. Puis elle ajouta que ces temps lui appartiendraient, qu’il en ferait ce qu’il voudrait bien qu’ils deviennent avec ou sans elle. Qu’il verrait bien. Achille ne lui fit pas son numéro de taré, il ne joua pas au dépressif profond baveux. Sa peur se diluait et l’araignée pourtant ne mouftait pas ! Landonne se leva, l’heure qu’il avait peinte en blanc venait de se terminer, elle lui tendit la main d’un air aimable et naturel. Il la prit sans hésiter. Elle était chaude, de taille moyenne, ferme ce qu’il faut, sa peau était douce, ni moite, ni sèche. Il se retint pourtant de l’écraser méchamment comme il aimait à le faire avec les volailles du pavillon. Leur poignée de main fut mesurée mais agréable et l’énergie paisible de cette peau qu’il ressentit finit de l’apaiser. Il la garda un peu plus longtemps que nécessaire et ferma les yeux. Landonne le laissa faire un instant, puis après une si légère pression des doigts qu’il la sentit à peine, elle se dégagea doucement. Elle sortit laissant Achille seul Qui se crut, étrangement, abandonné.

Étendu sur sa couche étroite comme un gisant sur son marbre froid Achille se demandait ce qu’il allait faire, ce qu’il pourrait bien trouver à dire au prochain entretien. Mais quelle frelon l’avait donc piqué à vouloir ainsi «travailler» avec une thérapeute ? Il se persuadait de n’avoir rien à lui dire et ne supportait l’idée de faire la carpe face à elle. Il avait beau fermer les yeux et laisser venir les images, qui croyait-il l’éclaireraient, sous ses paupières closes ce n’était que nuit grise, silence et vacuité. Sous sa fenêtre quelques mésanges charbonnières zinzinulaient et leurs chants de croches aiguës résonnaient dans le silence de la chambre. Achille les écoutaient, il s’accrochait à leurs pépiements pour ne pas perdre pied. Il bascula sur le côté, ramena ses genoux contre son torse et s’endormit.

Dans le froid d’une nuit d’hiver un nourrisson aux grands yeux écarquillés serre entre ses mains potelées une couverture bleue qu’il suce par saccades. Proche de lui, dans un lit gigantesque, un homme et une femme gémissent et bougent en rythme. Le bébé est terrifié par ces bruits, incongrus pour lui, qui lui font peur. Pourtant il ne pleure pas. En silence il appelle sa mère. Elle ne vient pas. Au creux de son ventre affolé, un vide, comme une absence définitive, s’installe. Au petit matin froid sa mère se penche sur lui et l’emporte entre ses bras. Déjà il redoute l’instant où elle le reposera entre les barreaux blancs du lit abondamment mouillé.

Achille se réveilla en sursaut, le soleil avait baissé et sa lumière orangée jouait avec la poussière qui flottait dans la pièce. D’un coup de rein Il se releva, s’assit sur le bord du lit humide de sueur, son ventre brûlait et son dos était trempé, une moiteur dégoûtante poisseuse et glacée. Dehors les mésanges à joues blanches s’étaient tues. Sous ses paupières lasses l’image de l’enfant apeuré persistait. Dans l’intervalle des mondes, sur le ciel rouge, l’arbre-poulpe pulsait …

Madame Landonne revint le surlendemain, son corps massif était corseté dans une robe noire. Dans le bureau Achille lui fit face, prit avec précaution la main qu’elle lui tendait, petite, douce et franche. Il tremblait un peu ne sachant que dire. Elle souriait à peine mais ses yeux au regard direct et sans affectation attendaient paisiblement qu’il veuille bien. Mieux, qu’il puisse. D’une voix sourde, les yeux baissés, tout nu dans ses vêtements, il raconta son cauchemar. Elle se taisait, ne l’abreuvait de ces « hummm » de psy, d’invites à poursuivre, non, elle ne grimaçait pas non plus un sourire de pro, un de ces sourires qui l’aurait mit en furie. Il la sentait attentive, calme et réellement présente, ouverte, d’une neutralité bienveillante. Cette femme lui plut. Il sut qu’il ne jouerait pas avec elle. Qu’il partait pour un long voyage chaotique.

Dans sa mémoire à vif Sophie souriait …

Dans l’ombre épaisse de cette nuit orpheline de la lune la lumière drue de sa lampe de fortune, comme un diamant jaune, rutile. Achille le momifié adossé à son fauteuil de bois déverni émerge ; une douleur sourde, comme un papier de verre qui lui gratterait les chairs, tarde à s’estomper. Sous l’exact cône d’ambre clair opalescent le cristal à long pied abrite au creux de ses hanches rondes la demi sphère d’un vin de rubis, clair, lumineux dont le cœur immobile concentre l’or foncé de la calbombe. La nuit le cœur des vins s’illumine. Plus Achille se concentre sur la robe fluide, plus il remonte des limbes. Non ce n’est pas une Landonne de belle année, c’eût été trop. Non ce soir il aspire aux parfums subtils de la Bourgogne, alors il se penche sur le cercle étroit du verre. Une rose délicate délivre son parfum gracile jusqu’au profond de son appendice en prière, le charme et le ramène au présent. Généreuse elle s’efface un instant devant les fruits rouges, mûrs, juteux, encore mouillés par la rosée de l’été naissant. Dans le lointain le regard de l’enfant apeuré s’adoucit quand le parfum sucré de la cerise tendre, des épices douces et du cuir gras, lui chatouillent le nez. Puis le jus clair passe le buvant de cristal et coule dans sa bouche, frais et délicieux. Lentement il se resserre, enfle et roule sur sa langue incurvée, glisse et envahit son palais. Derrière la finesse la puissance apparaît, la chair de la fleur et des fruits, une chair pulpeuse, riche et goûteuse. Les épices douces émergent eux aussi et donnent au vin un relief, une consistance supplémentaires. Achille trémule et sa peau, sous la caresse du jus, un instant tressaille. Et pourtant quelle délicatesse en bouche, cette soie mouvante, une peau d’amour qui équilibre la force de cette vieille vigne. Oui ce Clos de la Roche 2006 du Domaine Castagnier est digne de son rang. Quand enfin, à regret, il bascule derrière la luette, le Clos laisse derrière lui quelque chose du sourire tremblé de Sophie, si longuement qu’il la croit encore présente, les mailles réglissées et finement grillées de ses tannins soyeux aussi.

Sur la roche crissante

De son souvenir

Aux yeux clos,

Dans le verre vide,

La rose de Sophie,

Lentement, a refleuri

Quelques instants …

 

EMENOTIVRACCONE.