Littinéraires viniques » Chassagne Montrachet

MOREY-COFFINET. LA ROMANÉE 2006.

montagne-jaune

Michel Caron. La montagne jaune.

Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la klepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique quand un blanc s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait c’est la mort qui ricane. Le motus renvoie son Monde à l’inéluctabilité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.

 A ma vérité, le temps est blanc.

Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie et se perd en alertes vaines.

 A ma vérité, sang rouge vire au noir.

La Terre amoureuse est verte et pousse le bout de ses ramures tous azimuts. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout, et comble ses hôtes de ses fruits gratuits. Le fruit vert des âges tendres, rejoint parfois la verdeur de l’âge, paradoxe des extrêmes. Mais le vert est aussi de rage et de peur quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.

 A ma vérité, vert est pur amour rageur.

Alors je m’abreuve à la pompe bleue des énergies « Blues » de Muddy Waters. Foin de ces lamentations indécentes, à mettre à la poubelle noire des insipides. La musique chaude, lave, remue, et chasse les remugles, les vases lourdes. Noir ou blanc, synthèse des couleurs à ne pas mélanger, le bleu électrique requinque et chasse le vague-à-l’âme. Novembre souvent écrase, dilue, broie, pile les couleurs de l’été dans ses brumes collantes. Mais sur le bord de ma palette, le rayon pâle de l’astre fugace perce le coton épais du ciel veuf de son azur, pour poser un soleil, jaune comme un oeuf, au dessus des montagnes.

 A ma vérité le bleu est blues vaincu.

Chez Morey-Coffinet, c’est le Thibault qui fait le vin maintenant. Dans la fraîcheur de ses caves, belles comme cryptes romanes, j’étais, il y a des ans… Rangés comme moines en prière, les fûts se sont ouverts à la pipette, et ont versés dans mon verre les merveilles au repos de Chassagne-Montrachet. De beaux jus en élevage sur lies fines. Thibault est un modeste qui laisse parler le vin plutôt que de gloser. Dans le silence des caves, quand Bacchus fait son grégorien, le choc cristallin du tâte-vin sur les verres suffit à enmusiquer l’espace.

La robe de « La Romanée » 2006 1er Cru est jaune citron, soleil de février sur les collines de Menton. Seuls quelques légers reflets qu’un cousin vert des Antilles y aurait fondu moirent à la lumière.

Sonate de touches fleuries sous le nez, desquelles le chèvrefeuille s’extraie pour très vite bomber le pistil. Mais cela est fugace. Bientôt vient le temps des fruits, tout en “finesse exubérante”, la poire flirte avec l’ananas pour finir au coing. Un nez élégant qui signe un ChassagneMontrachet plutôt extraverti.

L’attaque est subtile, l’équilibre est son nom. Gras maîtrisé, puissance et vivacité se conjuguent parfaitement. C’est un vin à la matière riche, mûre et ronde; les fruits sus-cités réitèrent et s’adjoignent une once de zan qui exalte le tout. C’est d’la bonne came ça dis donc!!! Quelle bouche!!! Digne de la plus voluptueuse des bayadères….Et j’en ai connu d’ondulantes par temps de Bourgogne blanc… La finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Et bien c’est d’la bonne, c’est d’la longue, d’la bien roulée sous la langue, d’la qui s’installe, qui s’y plaît et qu’en redonne… du plaisir et du bonheur. Ça finit en se resserrant, comme j’aime… la réglisse et les épices, et la pierre qui pique un peu…

Mais j’affirmerai, toute joie bue, que ce vin éclatant est un bonheur pour le nez du chasseur de Chardonnay. Du fruit, blanc et de l’orange épicée, auxquels se mêlent la sécheresse olfactive de la pierre. En bouche, y’a du vin, une matière qui vous rend tout d’abord une petite visite qui semble modeste, humble et sans prétention excessive…Puis, si vous faites, un tant soit peu rouler le vin en bouche, alors là, waowwww, il prend un volume surprenant!!!

Bon je ne vais pas trop insister mais ça dure, ça s’étire, ça se tend en même temps, ça bande comme l’arc que je ne suis plus ! La finale qui ne vous laisse pas seul, même si vous l’êtes, est fruitée, réglissée, épicée et franchement – allez je le lâche – très et fort à propos, minérale. Bouche propre et lèvres salées comme un baiser d’amour.

ECHIENMOTINECONE.

LA BISE DE LALOU…

 Cranach l’Ancien. Portrait.

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 Eurêka, le Fillon nouveau est de retour, sans nous jamais avoir lâché la grappe.

Son sourire radieux de bon petit soldat chafouin s’affiche largement, tandis que le Borloo, répudié comme une matrone en perte de sex-appeal, retourne aux vendanges juteuses que lui promet son futur cabinet d’avocat de grasses affaires. Les médias, en haleine et en nage – brasse coulée et suées froides – depuis des jours et des nuits, respirent et étalent grassement, à grandes cuillères généreuses, le résultat de cette belle révolution gouvernementale qui assure de beaux lendemains, gras et radieux, à ceux que les lendemains n’angoissent pas. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes gras possibles. Pauvre vieux Voltaire ringard! Le temps, décidément est au gras de cochon. Au Beaujolais nouveau aussi, qui arrose largement les comptoirs hexagonaux, en cette sacro-sainte mi-novembre. Perdus dans les torrents acides de vins insipides, quelques rares hectolitres de vins friands, issus de raisins choyés, désaltéreront les gosiers malins de quelques «privilégiés» qui auront la chance de les croiser, au détour de quelques rades incertains derrière lesquels officient cavistes ou patrons illuminés. Ils ont noms peu connus : Molière (!), Ducroux, Burgaud, Bauchet…, et autres petits Poucets qui ne sont ni Charolais inondeurs de marchés, ni branchouillards aseptisés, standardisés, japoniaisés, mondialisés, émasculés…

Mais seuls les fleuves pollués des bojos GD coulent jusqu’à moi, hélas. Point de jus joyeux, tendres, goûteux et frais, à me mettre le palais en dentelles. Le Roland du Jura, futé entre les futés, les a encavés dans son antre inexpugnable, pour se les déguster matoisement, le finaud!

Alors, me reste la robe somptueuse de cette beauté nue liquide, de chair douce habillée, qui palpite, limpide, or rutilant, dans mon verre solitaire…

Ouverte depuis quelques heures, délesté d’un demi verre pourtant, cette Chassagne-Montrachet 1998 du domaine Leroy, à l’image de la dame de légende qui l’a élevée, ne se donne pas d’emblée. Pas du genre à minauder au premier regard l’ingénue. Une fausse pudeur sans doute… Mais, quand elle consent à s’entrouvrir, c’est un “pet de lapin” qu’envoie sa seigneurie! Du réduit, du placard, le renard de mémé oublié au grenier. On parle, on cause, on fait celui qui n’a rien senti, mais l’œil de côté ne quitte pas le verre, dont l’or luit insolemment, comme le regard d’une femme sûre de sa vénusté. J’ose, un peu plus tard, y remettre le nez, discrètement inquiet.

Et dire que je la couve l’orpheline, que je l’attends, la caresse de l’œil et du cœur, depuis presque cent ans! Pourvu qu’elle ne me fasse pas honte cette mijaurée, cette impératrice insolente et dorée, moi qui l’offrait à des amis très chers, bien plus que le prix scandaleux de la belle capricieuse…

Du beurre frais – Ouff – et de la bonne brioche tiède, me chatouillent agréablement l’appendice. L’air désinvolte, du genre “curé qui sort d’un bar à putes”, je repose le verre et fait mine de m’intéresser vivement à la conversation. Je multiplie les mimiques, les froncements divers et variés des sourcils, les plissements élégants du nez, les grimaces outrancières de la bouche… Mais le regard inquiet que me lance ma très douce absente, me calme, avant que d’autres ne remarquent les gouttes de sueur qui perlent à mon front buriné. Je tremble intérieurement et brûle de retourner à mon verre. Un dernier ricanement stupide, et je coupe le son. j’y re-suis! Le bruit des mandibules qui écrasent les petites mignardises tièdes, les machins et les trucs, tous les amuse-papilles, les mini brochettes sur lesquelles s’empalent les petites choses mortes ordinaires, et d’autres horreurs encore, ne m’atteint pas. C’est muré, mieux, emmuré que je suis, totalement autiste et dédaigneux de tous et de tout. J’ai le nez tout au fond du corsage de Mlle Chassagne et ça envoie! Acacia en fleur et en miel, citron confit, cire, silex chaud, cacao, garrigue, Maury, en vrac et en couleur…. Avec un air de circonstance – l’œil qui frise et le sourire faux – je refais surface. La tête me tourne un peu, j’ai du rester en apnée un moment. Allons-y, trinquons donc, à nos femmes, à nos chevaux et à ceux, les veinards, qui… Ça détend un peu l’atmosphère, mais très moyennement. C’est ce que je préfère, la grosse “faute de goût” volontaire, faite exprès. Il y en un qui se marre, un ancien artilleur, les autres grésillent poliment. Au moins une chose réussie ce soir me dis-je in petto. Tiens, voilà du zan maintenant, ça évolue gentiment, ça n’arrête plus. Youpie!

Mais revenons à l’objet de toutes mes attentions et de toutes mes craintes. Ouahhh, la grosse boule en bouche, ovoïde purée onctueuse de fruits jaunes mûrs, dans un papier de soie et de dentelle tressées. Le gras qu’il faut, la fraîcheur, l’équilibre, ça ne faiblit pas tout du long du gosier, ça lève la queue en fin de bouche, tout ce que j’aime. Marmelade de fruits jaunes, pâte de coing, “Mon Chéri” (les cerises à l’eau de vie). Très longue finale, interminablement tendre et bonne, fraîche, veloutée, sur une très fine impression tannique, qui laisse en bouche, caresse ultime, une mémoire subtile de pierre, de réglisse, d’épices et de poivre blanc.

Dans cette pénombre de velours gris, que percent à peine les lumières douces des ampoules en basse tension, comme mon cœur qui bat la chamade, discrète, d’un amour à jamais, qui me serre la gorge entre ses serres crochues.

Autour de moi, des humains babillent.

 

ELAMOTROUTICOILLENE.