Littinéraires viniques » 1998

STILL ALIVE AFTER LA SAINT VIVANT…

Maxwell Armfield. Faustine.

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 Romanée Saint Vivant 1998.

Le nom du vin, déjà est un monde.

Dans le verre, un pur rubis pâle et lumineux.

C’est un voyage dans l’imaginaire auquel ce vin convie. Un voyage dans l’Androgynie des origines, au pays de la Romanée, le Roman «Roman» de Romane, au pays de Saint Vivant de Vergy, l’abbaye Médiévale en laquelle œuvraient sans doute de solides tonsurés – amateurs de chairs et de vins, ripailleurs et mystiques – traversés par les énergies puissantes de la terre et les intuitions subtiles de l’âme. Un vin, élevé par Drouhin, qui porte en son nom l’union contrastée de la matière et de l’esprit. L’espoir d’un équilibre, d’une quadrature, d’un chemin sur le fil de la lame…

Il est bon de se laisser aller à rêver avant de boire.

Le nez au dessus du verre m’emporte dans les brouillards translucides du petit matin. Le nez humide d’une biche gracile se pose sur ma joue… Des fruits en foules rouges. Le premier jus qui sourd du pressoir. Parfums de vergers et de vignes. Pinot mûr qui s’écrase dans les doigts. Fragrances fines. Parfums mouillés. Les détailler car il le faut bien… Airelle, groseille et framboise délicates déposent au nez une brume odorante et fragile, qui s’enroule comme une liane parfumée aux confins exaltés de mes rêves intimes. Cerise aussi, Bourgogne oblige… Le temps semble impuissant, l’automne n’atteindra pas ces arômes d’au delà de mes vicissitudes.

Le faune en moi chantonne, subjugué par les charmes de Romane.

Le jus glisse en bouche, lisse et rond comme la hanche innocente de l’enfant. Lentement il enfle et se déploie, libérant la caresse progressive d’une matière tendre et puissante. Comment imaginer tant de force et d’élégance combinées??? L’esprit est dans la matière, il la sublime, mais sans elle il ne saurait s’exprimer… La pâte de cassis perlée de sucre croquant, comme un éclair dans un ciel d’été, exalte la chair du vin. Le jus enfle et conquiert le palais. Les papilles titillées défaillent. Chopin s’unit à George dans un final tumultueux, longuement, tendrement.

C’est le temps du Tao, de l’équilibre à jamais signifié.

LA FAILLE DU TRENTE DEUX DÉCEMBRE …

Odilon Redon. Le coquillage.

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Elle vit le jour, de nuit, un trente deux Décembre…

Entre deux mois et deux années, donc. Dans le creux des mondes, de l’espace et du temps. Sans âge elle était, tous les âges elle avait. Consensuelle et inadaptée. Frigide et torride, froide mais volcanique. Toute chose et son presque contraire. On l’appela Maryam, comme la mère d’Îsâ. Elle naquit brune comme olive du Néguev, vive comme un cristal taillé, dure comme la pointe d’un kriss, tendre comme un secret murmuré, piquetée de petites graines de chocolat au lait, comme un cœur griffé. D’une beauté à la frontière des codes, selon que la lumière voulait elle paraissait ange ou sorcière. Intense ou fuyante, vibrante ou glaciale, entière et dissociée. Condamnée par son entièreté et ses balancements à la solitude altière des hautes cimes battues par les vents sidérants. Elle s’accrocha à l’enfance comme l’arapède à son rocher ne voulant pas quitter l’abri paisible des rives maternelles. Mais la vie plus forte que ses désirs d’innocence, à jamais en fit la liane épanouie que les hommes regardent. Sabra furieuse, elle les déchiqueta, les piétina, les mordit au cœur sans jamais pouvoir s’en débarrasser, obstinés qu’ils étaient à vouloir l’aimer. Plus d’un y laissèrent leurs armures, leurs rutilances, leurs opiniâtretés…. Dans ses veines coulait le sang de l’exception et des rivages d’outre méditerranée, mêlés, qui faisait d’elle une amante brûlante sous ses griffes aciculaires…

Elle portait à la hanche, dans l’ombre de sa taille, le signe maudit de sa naissance étrange, une étoile minuscule, pentagramme délicat, bleu, battant comme un sang de veine à la gorge d’une mésange mourante. Une étoile filante à la queue historiée qui courait sur la courbe joufflue de sa fesse ronde à la façon d’une traînée ardente. Solitaire elle serait, hautaine, riche du désespoir des âmes intransigeantes et des élans étranges de celles que l’on ne peut comprendre. Elle s’en repaissait à la nausée, ruminant à jamais les bromes acides de son étrangeté et survolait sa vie, voletant rarement, préférant planer au hasard des rencontres dans les contre-allées, au pied du mur de ses impasses cultivées.

Le sang de la vigne, l’eau divine qui ruine les êtres boursouflés de peu, la prit un soir étrange, une nuit de langueur, de mélancolie profonde, accablée qu’elle était par les douleurs de sa vie, par les bouillonnements indicibles de ses contradictions urticantes. Les jus subtils des vignes nobles l’apaisèrent, lui entrouvrant les portes d’une rédemption possible. Ils lui apprirent sa différence, lui enseignant les leurs, lui murmurant au palais les délices probables, les finesses infinies des terres de bon, les forces telluriques et les énergies invisibles des astres. Comme elle ces vins de belle compagnie étaient doublement nés, agis, nourris, et ne devenaient « un » qu’aux palais bénis des êtres modestes de haut lignage cachés sous les guenilles ordinaires des humains de ces temps … Intuitivement elle comprit qu’elle tenait là boisson à sa mesure. Les élixirs d’entre deux, liens liquides entre ciel et terre, comme elle pures émanations de l’union des mondes, ennoblirent sa vie.

Un soir de maraude, en des lieux qui ne sont qu’évanescences, toiles improbables et sans reliefs, elle croisa une vieille âme rompue de vies anciennes, au cœur et au cuir couturés, boucanés par les sels des tempêtes violentes et des amours déçues. La nuit était profonde, seuls les écrans aux yeux livides et morts trouaient le silence térébrant de leurs lueurs glauques et clignotantes. Absalon perçut à l’immédiat le frôlement de leurs âmes, communiant dans la reconnaissance de leurs souvenirs communs. Au même instant il sut que rien n’était possible tant ils se ressemblaient, comme issus d’un même aimant dont les deux pôles se repoussent. Maryam se déchaîna très vite, s’acharnant, allumelles brandies, à le déchirer, le crucifier tant et plus, jouant de tout, arguant de rien, esquivant, repoussant, revenant … Il lui fallait tuer ce double qui savait tout d’elle sans jamais l’avoir vue. Elle distilla ses plus subtils poisons, darda ses flèches les plus acérées, à chaque volée décochée elle en recevait qui lui revenaient en miroir. Elle trouva refuge, au bout de ses attaques, dans un silence hautain qu’elle rompait de loin en loin, ne sachant finir car elle était elle même sans fin. Elle voulait à tout prix rester la seule et supprimer l’unique atma capable de la percer ainsi. Son besson. Mais chaque coup qu’elle lui portait l’affaiblissait elle même ! C’était un jeu étrange et dérisoire que ces deux êtres semblables, si subtils que leurs joutes grossières les rendaient pitoyables.

Du bout du troisième œil Absalon la visitait. Elle sentait sa chaleur sous sa peau et les picotement tendres de ses baisers inévitables. Elle avait beau se secouer comme chienne sous morsures de puces, elle n’en pouvait mais. Ses secrets il perçait, comme un goujat goulu que la faim dévore, à l’intime il s’abreuvait, sous sa douche il était l’eau qui la régénérait après qu’elle ait abusé de plaisirs vains qui la laissaient plus morose que pantelante. Elle payait le prix de son orgueil. Sa rage ne le décourageait point, sa lame aiguë n’entamait pas l’inclination qui le portait vers elle. Que pouvait-il perdre, lui qui n’avait rien à gagner, que la reconnaissance de l’avoir débusquée cette entêtée, à l’autre bout des fibres … qui le niait ?

Une nuit qu’il voguait au soleil aveuglant d’entre les mondes hors du corps qui l’abritait de jour, insensible aux aléas, en vacance des contingences de l’incarnation, les anges lui firent don d’un tapis plus léger encore que duvet de colibri, de cachemire et de soie sauvage tissé par leurs doigts de lumière. De la couleur des vins qu’il aimait tant. Le vent des douceurs l’emporta vers Maryam qui le crossa de ses poings mauvais pour en faire une loque à essuyer les boues qui tachaient ses chausses. Elle ne manquait pas d’y cracher chaque jour son mépris, et les plus infâmes glaires de ses humeurs méphitiques…

Un soir, une nuit qu’il n’en pouvait plus d’entendre son autre l’humilier, Absalon au bout de sa constance plia genoux. Il comprit enfin que les cieux ne voulaient pas. Qu’il lui fallait accepter, se convaincre qu’elle ne l’aimât point …

Il suait à grosses gouttes à son réveil …

De son cauchemar il émergeait,

Livide, exténué.

Oeil hagard

Et bouche buvard …

Ne lui restait en mémoire que l’image tremblante d’un coquillage fragile, de nacre douce et de chairs roses enfouies qui battait comme fièvre quarte à ses tempes douloureuses. Il lui fallait bannir ce moment, il fallait que se dissolvent dans les lumières électriques du réel nocturne ces moments de stupeur qui le laissaient exsangue, meurtri, tremblotant et muet.

Sur le cuir, vieilli par les nuits de veille, de son vieux bureau, son lit d’infortune, compagnon de ses égarements crépusculaires, luisait l’incarnat sombre d’un l’élixir odorant qu’il ne se souvenait plus d’avoir versé dans ce hanap de cristal éblouissant à portée de sa main. Le liquide, crème de délices, palpitait et portait à l’entour les fragrances odorantes des pivoines épanouies. Le vin était profond comme lac de montagne rougi par un soleil expirant. Au centre du vortex que son poignet creusait en agitant le verre, il vit le trou noir funeste qui l’avait aspiré au cœur des impossibles. Au bord du disque mouvant le cercle violet d’un espoir l’apaisa. Le temps ferait son œuvre comme il le fait aux jus sombres des vieilles vignes. Absalon ferma les paupières sur le bleu veiné de rouge de ses yeux fatigués.

Et se mit à voler parmi les champs de mûres, les bosquets de framboises, le cœur des fraises, les buissons de cassis, et les fragrances grasses des meilleurs cuirs. Les épices aussi. Le sang fruité du raisin mûr déplissa le carton pâteux de sa bouche à la première onde qu’il accueillit entre ses lèvres sèches, inondant ses papilles de sa douceur fraîche. L’équilibre parfait du breuvage le remit d’aplomb, il se laissa emporter par la vie qui revenait. Les lambrusques bruissaient au zéphyr de Bourgogne en cet automne 1998, alors que l’intuition l’envahissait et qu’il riait à l’humour du sort qui n’en manque jamais. Il avala le baiser des « Amoureuses » comme il avait poussé son premier cri naguère ! Sur les vignes de Chambolle, il planait comme le Grand Duc, son autre, au cœur des ténèbres. Par ciel interposé il remercia Robert Groffier qu’il ne connaissait pas pour ce vin de paradis, plus soyeux qu’ailes d’Anges qui bruissait dans sa chair, exaltant jusqu’à la dernière de ses cellules, chantant en chœur avec son âme retrouvée, avec l’humilité des hommes qui enfantent ces vins de résurrection …

A l’autre bout du lien, Maryam frissonna…

Avec le temps, va, rien ne s’en va…

EMOTIMORTECONE.

A LA RECHERCHE DE CARLINA PERDUE * …

 

Roland, qui fut à Ronceveaux, est de nos jours à Garros. Les gladiateurs affamés aux tridents aigus sont devenus muscles d’ors longs enserrés de tissus luxueux, qui se renvoient la balle en criant rauque, comme des hardeurs milliardaires. Vu d’en haut, les premiers rangs autour de l’arène sont constellés de panamas blancs, qui se veulent signes d’élégance aisée. A voir les boursouflés et les chirurgiquées qui les portent, comme les signes ostentatoires de leur importance sur l’échelle qui n’est pas de Jacob, je me félicite de n’en point être empanaché… Plus haut sur les gradins du moderne amphithéâtre, les têtes couronnées de paille se font plus rares, et s’agglutinent les casquettes à la gloire des bulles salées. Tout en haut, elles deviennent jaunes et sentent l’anis qui n’est pas étoilé.

Brutal retour…

Ces jours derniers passés intra-muros, à l’abri des hordes de gnous colorés, arpenteurs multiples des artères pulsantes du sang abondant des marchands du temple, qui prospèrent comme pucerons sur tomates au jardin, le long des cheminements lents et sans cesse recommencés des foules grégaires. En Saint Jean des Monts, j’étais encore, il y a peu, dans l’arrière cour duCHAI CARLINA en compagnie sensible des buveurs de tout, amis du REVEVIN qu’orchestre chaque année Philippe Chevalier de la Pipette, hardi Chouan, ami des vins… et des cidres parfois. Barbe broussailleuse d’ex futur Pirate, le Chevalier souriant, placide comme un Saint Nectaire affiné, accueille les impétrants hallucinés. Plus de deux cent vins couleront au long des gosiers pentus, recrachés ou bus, selon les heures sans heurts de l’horloge des passionnés.

Le minutieux que je ne suis pas, déclinerait par le détail les noms et commentaires scrupuleux de toutes les décapsulées du Week-end. Studieux par moment, appliqué mais grognon le plus souvent, j’ai infligé à mon palais fragile, la caresse parfois, et l’agression par moment, de jus délicieux et/ou surprenants. Sessions dédiées aux blancs de Pessac-Léognan, aux Baux blancs et rouges, aux Grenaches de Provence, Rhône et Roussillon, entrecoupées de repas fraternels à la gloire du Bordelais comme de la Provence, ont rythmé jours torrides et longues soirées tièdes.

Dans mon coin, gencives en feu, j’ai attendu en vins, Carlina

Où était-elle, cette bougresse au nom de garrigue douce dont le nom brasillait au fronton du Chai, la nuit tombée, tandis qu’au sortir des tardives soirées arrosées, je rampais vers l’hôtel ? Étrangement, chaque nuit, toutes libations terminées, j’entendais, en sortant titubant, les cris douloureux des grands Chouans disparus, qui sourdaient, gémissants, sous les bitumes. Quelque ancien charnier royal sous les goudrons lourds de la modernité, sans doute ? Je levais la tête vers les étoiles, à chaque fois, implorant le ciel, effrayé que j’étais, et lisais au front du caviste : « Chez Carlina » ! J’avais beau me battre la coulpe à grandes brassées d’orties biodynamiques, m’infliger des abrasions siliceuses comme un hézychaste Grec, me limer les dents et me râper le frontal contre les murs, me traiter de bouse de vache en corne, rien n’y faisait. Toujours et encore, fulgurait : « Chez Carlina » au travers des luminescences à teintes variables, vestiges des jus du jour, entassés comme dans la soléra vivante que j’étais devenu à cette heure sans plus d’aiguilles à ma montre ! J’avais beau, genou à terre, invoquer l’âme glorieuse de François Athanase de CHARRETTE de la CONTRIE qui chourinait sous le goudron, rien n’y fit jamais. Pourtant et sans que je parvienne à résoudre l’énigme, les petits matins après ces nuits glauques, la chapelle des vins de Philronlepatrippe arborait à son fronton : « Chai Carlina »… Va comprendre Alexandre !

Mais foin de divagations !

Revenons à la bonne vieille chronologie, chère au cerveau gauche, et hors laquelle tout le monde se perd en méfiances. A peine descendu du cheval à soupapes qui m’avait confortablement convoyé jusqu’en ce lieu de toutes les chouanneries à venir, confortablement lové au creux d’un pullman spacieux, tout à côté des flancs généreux de la très Odalisque Sœur des Complies, accorte compagne du mien ami le très cacochyme officiant Cardinal de Sériot des Astéries, j’étais l’œil mi-clos, la mine attentive et la conscience en mode inter-mondes, à visionner déjà le très encensé film de Guillaume Bodin , « La Clef des Terroirs ». Que je trouvais donc fameux ! Belles images, belle lumière, belles caves, belles grappes, bon dialogue, bon pédago. Tout bien quoi. D’autant que lumière revenue, les spectateurs enthousiastes ne manquèrent pas de poser moultes très passionnantes et réitérantes questions, dont j’attendais patiemment la fin, tandis que mon estomac convulsé touchait depuis un moment le fond de mes chaussettes suantes. C’est qu’il faisait une chaleur à écœurer Vulcain, tant à Saint Jean qu’au ciné éponyme !

Back au Chai après une petite promenade de retour, sous la guidance du bon Cardinal qui semble avoir un GPS greffé au goupillon. Après avoir tenté de goûter un peu aux superbes cuvées de Thierry Michon, Saint Nicolas des Fiefs, sans trop de succès, tant la foule d’après film était dense et soiffeuse, je renonçai. Me faut avouer que me frayer un chemin entre les sueurs acides, les parfums capiteux et les nombrils agressifs, me fit très vite rebrousser chemin, me vengeant lâchement au passage sur quelques arpions épanouis dans leurs sandalettes aérées. Soupirs. Regrets. Souper tardif avec la meute. Libations contrôlées. Sortie du Chai. Tard, après qu’il soit clôt. Première manifestation occulte de Carlina, l’invisible mutine.

Perplexe, je m’endormis sans elle.

C’est alors, en ce lendemain de cet étrange nuit, que commence la farandole des bouteilles sous chaussettes multicolores. De bon matin vingt blancs de Pessac-Léognan, obscurs et/ou Crus classés, dont quelques pirates. Entendu dire alentour que les vins se goûtaient mal ? Jour racine ? Jour merdique ? Jour gencive sans aucun doute ! Ça frétille sous les caries, c’est la Saint Stéradent. J’outre, certes, mais quand même. De la brassée, émergent Smith Haut Lafite, Carbonnieux, Respide « Callypige » (encensé par le Cardinal, of course…) et Turcaud « Barrique », pirate de l’Entre-deux mers. Ni pâmoison ni holà, néanmoins. En soirée, ce sera diner Bordelais arrosé de bouteilles mystères échangées entre convives. Vannes, blagues, points de vue, controverses feutrées, goûts et couleurs, volent en coups droits et revers pas toujours liftés. « Nature » et « Tradition » n’empêchent, ni luxe, ni volupté gustative. Les « convives cohabitent », verbe et substantif à faire de beaux enfants aux regards profonds et/ou luminescents. Jus aboutis, avortés, entre deux états parfois, passent de bouche en gosier ou crachoir, c’est selon. Pour le classique à géométrie variable que je suis, les jus, souvent objet viniques non identifiables, fluorescents à ravir E.T, étonnent, surprennent, apprivoisent ou repoussent.

Auparavant, après une flânerie errante au long du rivage Montois, en fin d’après midi de ce même lendemain, Antoine Sanzay de Varrains et ses Saumurs, dont certains de Champigny, s’offrent à l’aréopage curieux. A ma gauche, l’aimable Hélène, moitié de Sanzay, me tient proche compagnie et semble partager partie de mes élans. Nous tastons de conserve ces vins qui n’en sont pas, Dieu soit loué ! Le chenin 2009 « Les Salles Martin » mûr, frais, aussi croquant qu’Hélène est craquante, désaltérant et finement salin, ouvre bellement et proprement la ronde. J’en avale une gorgée, subrepticement et ne le regrette pas ! Le Champigny rouge « Domaine » 2009 qui fleure bon framboise et cassis, aux petits tanins fins et crayeux, suit le même chemin pentu. Enfin « Les Poyeux » 2009, Champigny itou, au fruit aussi précis qu’élégant, clôt le bal en beauté. Ce vin, à la matière conséquente, épicée, équilibrée, étire longuement ses tanins soyeux et réglissés sur mes papilles frémissantes. Du tout bon, à mon goût, chez l’Antoine !

Au matin radieux d’encore après, les rais d’or brûlant qui percent les persiennes piquent mes paupières, lourdes des ravissements de la veille. Dans l’ombre tiède de la chambre, je m’extirpe d’un cauchemar glauque. Je laisse les cow-boys à leur génocide, et range mon colt, fumant de tous les meurtres sanglants qui me tapissent le palais de leur goût métallique. A moins que les fluorescéines de la veille, pruneaux et groseilles prégnants engorgeurs de foie, continuent insidieusement à me gonfler la rate…

Ce jour, c’est le Domaine de Trévallon, Étoile des Alpilles unanimement reconnue. Présenté par Eloi Dürrbach himself ! Monsieur Eloi est un homme rare, peu disert de prime abord, mais que la chaleur des êtres, les mets et les rires, ne mettront pas longtemps à détendre. Le hasard des chaises tournantes me place à sa droite tandis qu’Olifette la rieuse, Jurassienne au regard clair comme les huîtres lumineuses lavées par les eaux limpides de la pleine mer, finit de m’encadrer… Douze millésimes, trois blancs sublimes dont un 2000 aux parfums de truffe blanche, de pêche et de tisane, qui prend place derechef au cœur secret de mon Panthéon vinique. En rouge, 2007 est fait pour le long cours; fleurs blanches, amande, fumets de garrigue, fruits rouges, olive noire, and so on, jouent à s’entremêler harmonieusement… Enchantement olfactif, équilibre et précision des arômes. Un bouquet odorant, littéralement. La bouche n’est pas en reste (beau nez et belle bouche font grand vin!); c’est une boule juteuse et joueuse, à la matière conséquente, qui donne à l’avaloir sa chair tendre et musclée à la fois, pour offrir à mes sens consentants, de premières notes fruitées anoblies par de beaux amers. Le vin roule comme un jeune chiot ! Puis la soyeuse trame de tanins finement crayeux traversée d’épices ensoleillées, retend l’animal qui repart de plus belle, rechignant, si frais, à se calmer à la finale. A fermer les yeux en paradis. Sur mes lèvres orphelines, la trace d’une larme salée. Les huits autres millésimes (1995, 2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2008) chantent, chacun sur leur note, le grand air de ce terroir du « nord du sud ». Plongé dans les calices successifs, je surveille de l’œil gauche Eloi (je me permets, il est d’accord) qui refait la tournée de ses enfantelets. Qu’ils soient les siens ou qu’il découvre d’autres vins, l’homme est aussi rapide qu’efficace et ne se perd pas en arabesques. Une inspiration furtive, une gorgée vitement roulée en bouche qui finit discrètement au crachoir. Quatre mots plus tard, l’affaire est faite. Quand le vin lui plait vraiment, il ouvre l’œil grand, brièvement. Cet homme parle peu, mais ses mots pèsent le poids de l’expérience et de la lucidité…

Rares sont les vins qui vous arrêtent. Le voyage qui suit, à la recherche de beaux Baux plus que vins de bobos, l’atteste. Plus en chasse que braques en garrigue, la meute est à la traque, truffes frémissantes, espérant au détour d’une chaussette anonyme, lever un faisan racé aux plumes chatoyantes, à la chair tendre, onctueuse et fondante, aux parfums de fleurs printanières et de fruits mûrs et frais. Mais la battue fut moyenne, seules quelques perdrix d’élevage agacèrent un peu nos sens aiguisés. Nous en tastâmes cinq cents et revîmes au port pauvrement récompensés de quelques cols verts maigrelets. Il est vrai qu’après les diamants purs de Trévallon, les cartouches étaient mouillées…

Fourbus mais opiniâtres, nous finîmes le marathon sur les rotules, attaquant toutes papilles bandées, la côte des Ganaches. De Grands Crus assurément ! Madagascar, Venezuela, Colombie… croquants, floraux, longs et subtils, à faire des bassesses en d’autres circonstances. Six vins de Grenache à marier à ces élixirs de cabosses ! Il me faut humblement avouer qu’en ce début de soirée, mettant genoux à terre et papilles en berne, je fus incapable d’y trouver noces royales. Le sextuor liquide me laissa palais de marbre et naseaux flasques. D’aucuns, plus aguerris, dirent de belles choses. Quelques damoiselles, proches de l’extase, délirèrent un peu…

Une semaine après la bataille, l’esprit un peu plus clair et les nerfs apaisés, je me dis que l’assaut aurait peut-être gagné à être plus court, que les vins des Baux eussent plus empoché à mener l’attaque en premier, que Trévallon, en second, serait resté premier, et que Grenaches et Ganaches méritaient de faire noces à part. Critique facile certes, pour qui ne s’est pas échiné à la tâche. Mea culpa, amis organisateurs!

Au repas du soir de ce samedi, requinqués par quelques bières apéritives (belle « Poiré » locale, fraîche et nourrissante, « Rodenbach », Belge charnue à la cerise aigrelette… ), la Provence est reine. Les convives restés vifs se lèvent à leur tour, filent à la cave et remontent sous chaussette propre, de rigueur en pays Chouan, leurs flacons de communion. Car REVEVIN est fête de partages, partage de fête aussi, d’échanges de vins, de mots, de rires, de discussions à la Française… animées parfois, têtues souvent. Rien à voir avec les empoignades virtuelles de peu d’humanité. Ici les corps se font face, les fluides subtils qui nous échappent (car nos sens, aussi grossiers que cartésiens, n’entendent que les mots, lourds comme des boulets fumants), régulent, nuancent et relativisent nos désaccords futiles. La distance ignorante décuple les peurs, la proximité rassure, l’autre est miroir de nos errances. Ce soir, en cette maison, nous frôlerons la tolérance !

Au sortir des lumières amicales, jentre dans ma dernière nuit maritime. Esprit clair et sens affûtés, je traverse la rue déserte sans me retourner. Immobile, longtemps je reste. Me fondre dans l’espace, me fluidifier, m’incorporer au monde, je veux. Faire un et disparaître aux regards de chair, pour ne pas l’effaroucher, je tente. Me retourner d’un bloc, me retrouver face à Carlina frêle qui danse comme une fée, j’espère… Mais je m’endors déjà.

Quelques vins de rêves pour beaucoup de vins rêvés…

Le dernier matin sera dimanche, et les Bablut de Christophe Daviau feront « Aubance » à ceux que le retour n’appelle pas encore. Las, je n’en serai point. Rentrer il me faut. Sur le réglisse noir de la route, je me glisse, comme une bulle humide sur l’herbe des champs mouillés. L’air chante sur les courbes rondes de mon cheval de fer. Mon esprit vagabonde. Le caoutchouc chuinte sous la pluie drue. Carlina, secrète est restée. Mais elle continue de vivre en moi les rêves de vins qui me portent encore.

Tandis que je mets le point final à mon ouvrage, je l’entends qui rit des perles de nectar frais…

* Hors les domaines cités, tout est fiction et délires imaginaires débridés…

EVIMOBRANTITECONE.

 

LE COUP DE PIED DANS LES POUILLES…

Le Caravage. Méduse.

 Ce soir, plus qu’à l’ordinaire, ils sont sortis les membres d’AOC (Association des Oenophiles Cognaçais), de leurs tanières confortables. Ils ont laissé les mamans seules, et se sont poussés jusqu’au siège, prendre un bain de vins Italiens. Treize vins, histoire d’oublier les douceurs de Simone et de conjurer le sort. L’espoir de sortir un peu des sentiers habituels, agréables certes, mais néanmoins trop battus et rebattus, pour qu’on ne finisse par s’y ennuyer grandement… Juste avant l’ouverture de la session, une prière muette à Sainte Curiosité, l’un des plus puissants moteurs de l’action…. Puisse-t-elle visiter ce soir mes acolytes, ordinairement bordeaulisés jusqu’à la douelle !

Un tour d’Italie donc, de ses appellations, de ses cépages, à grands traits bien sûr, à longs traits surtout.

Tous les vins ont connu une heure trente de liberté en carafe.

Une erreur ce systématisme diront justement certains…

 Mea à peine culpa !

Les commentaires des participants, peu loquaces, vaguement synthétisés par moi, seront partiaux, déformés un peu peut-être ( le vin est pure subjectivité, n’en déplaise aux prescripteurs !), et voueront aux gémonies les appréciations discordantes. Telle est l’inébranlable conception de la Démocratie au sein du Club. Je m’en empare donc avec délectation. Suit la litanie dégustative…

SICILE : Sur les pentes de l’Etna auxquelles la vigne s’accroche, tous ceps crispés, roches volcaniques, pierre ponce, vent, altitude, la vie des lambrusques n’est pas rose…

Tenuta Delle Terre Nere 2006 : La robe de cet “Etna Rosso” est d’un beau rubis intense et brillant. Le nez dégage des notes fugaces de pivoine, de fruits rouges dont la cerise est le coeur. Puis viennent la truffe, la terre sèche, les herbes aromatiques. La fraîcheur exhausse le tout. Puis les fruits rouges entrent en bouche. La cerise s’étale, gourmande, la truffe la sublime et l’épice. La finale découvre de petits tanins mûrs qui peuvent encore se fondre. La fraîcheur minérale du jus laisse la bouche propre, et ce vin est d’une telle gourmandise, qu’il faut la volonté d’un repenti pour ne pas vider la bouteille à glotte rabattue. La Sicile aurait-elle été Bourguignonne ?

Cusumano « Benuara » 2006 : Parure de soie noire à reflets violets. Confiture de fruits rouges, épices, réglisse, pierre chaude, garrigue méditéranéenne… pour sûr, plein le nez ! La bouche est moins gratifiante, un peu courte peut-être mais très fruitée, minérale et fraîche.

SARDAIGNE : D’une Île à l’altra, la balade se poursuit.

Argiolas « Turriga » 2002 : La robe, oxymorique, évoque « L’ obscure clarté des étoiles ». En foule se bousculent, cacao, chocolat, toffee, bâton de gingembre, puis myrtille et crême de cassis. Un vin d’équilibre qui rejoue sa gamme en bouche, la matière est imposante, toute en fruits rouges et noirs et chocolat. les tanins sont fins, frais et crayeux. Quelques petites bouches frileuses et fragiles parlent d’astringence… soit ! Ce sont les mêmes qui seront génées par « l’excessive fraîcheur des vins ». Des bouteilles de Coca sont prévues à leur intention pour la prochaine soirée.

BASILICATE : Une région particulièrement désolée, la voute plantaire de la botte, aux ras des Pouilles, c’est dire !

Basilisco « Aglianico del Vulture » 2003 : Une robe quasi colérique, rouge magma comme le jabot d’un dindon courroucé. Sous le nez, le bestiau se met à glouglouter, si fort que son haleine à brûler une allumette, emplit le verre de sa fragrance phosphorique. Une fois l’incendie maitrisé, le vin, jusqu’alors peu expressif, pétarade du fruit rouge en rafale, puis du cèdre dans une poignée de poivre. En aérant le jus tels des derviches qui peineraient à trouver l’extase, les notes de fruits juteux prennent de l’ampleur, le vin se déploie aromatiquement. Un toucher de bouche velouté rachète un peu le nez, quelque peu décrié par l’assemblée. L’attaque franche et poivrée dévoile, après que les papilles ont fait leur job, une chair aussi pulpeuse que celle de l‘Angélica de Visconti.

ABRUZZES : Le bas de la cheville, tournée vers l’Adriatique, plutôt proche des Pouilles…

Marina Cvetic Montepulciano d’Abruzzo 2005 : L’attaque acétique envoie la bouteille au vinaigier, qui ne s’en plaindra pas.

PIEMONT : Le Nord de l’Italie, loin des Pouilles.

Dizzani Ruche di Castagnole Monferrato 2005 : Un rubis d’intensité moyenne pour cette robe. Un nez qui prend son temps malgré le carafage, un effet de son jeune âge qui laisse ensuite parler sa fougue olfactive : Cerise, pelure d’orange – ou plus exactement essence d’orange, avec laquelle, enfants, nous jouions à nous aveugler – , muscade, tabac blond, gousse de vanille, puis « a long time after », la salade fraîche de fraises et groseilles déchaine les salivaires. La bouche est au diapason, une attaque épicée, une matière mûre et fruitée, enfin une finale fraîche et réglissée.

Conterno Fantino Barolo « Barussi » 2001 : La robe est de deuil, à peine bordée d’un soupçon de violet sacerdotal. Au nez, après que ça a giboyé,apparaissent le cuir frais, l’orange sanguine, le sous bois, puis enfin le goudron. Le bois, encore très présent, est Français, du meilleur Tronçais. Les bois de l’Allier seraient-ils prisés au Sud des Alpes ? La bouche rejoue les mêmes notes sur une matière imposante fruitée et réglissée. Une barrique prégnante qui demande à se fondre. Et toujours cette fraîcheur !

Braïda Barbera d’Asti « Montebruna » 2001 : Une robe rouge sang, quelques traces d’évolution. L’écurie, la bouse, la merde, hurle élégamment la confrérie unanime. Rien n’y fait, ni le temps, ni la patience… Une bouteille déviante.

Reverdito Barbera d’Alba « Butti » 2003 : Sombre robe pour ce Barbera. Un nez surprenant, séduisant même. De la cerise, de la gelée de mûre, du cassis et conjointement du citron, du pamplemousse et des épices. La purée de fruits rouges se retrouve en bouche, sur le cassis surtout, le zeste de citron également. Longue et gourmande est la finale, fraîche aussi, mais faut-il encore le répéter ?

TOSCANE : Grande région viticole de réputation Internationale qui, bien que loin des Pouilles, a donné à Bob ses plus beaux orgasmes….

Avignonesi « Nobile di Montepulciano » 2003 : C’est un beau rubis profond qui illumine cette robe. Un nez frais, surprenant qui mèle des notes de betterave, de coulis de tomate, à la terre, au zan, et au poivre gris. Quelques uns ne s’en remettront pas et finiront au composteur… Très vive attaque en bouche qui décline tous les états de la cerise, de la burlat au fruit à l’alcool. Finale longue et finement chocolatée.

Lisini Brunello di Montalcino « Ugolaïa » 1998 : Très viandé, le nez prend le temps de s’apaiser, pour libérer des beaux arômes de chocolat-cacao, d’épices, de poivre, de réglisse tout en contrapunctant de jolies notes de citron vert parfumé. Le fruit, relativement discret au nez, s’installe en bouche, prune et cerise s’en donnent à coeur joie. Matière fine, aux tanins légers. Le type de vin que l’on aurait du éviter de carafer, selon certains détracteurs sans pitié pour les petites mains maladroites qui ont oeuvré.

Ricasoli « Castello di Brolio » 1999 : Un chianti Classico à la robe carmine largement bordée d’orange. Les abonnés à la pizzeria du quartier renâclent et manifestent leur crainte devant ce vin dont la bouteille Bordelaise ne leur inspire aucune confiance : où sont les rondeurs et la paille délicate de leurs habituel flacons ? Un nez enchanteur leur cloue le bec. Crème de chocolat mousseuse et fruits rouges à foison, dont la cerise juteuse et la prune tendre, envahissent les sinus. Soie, velours et taffetas de tanins délicats, une matière élégante qui emplit la bouche de fruits mûrs et de tanins caressants. Longue et fraîche finale. Un vin de châtelain, le vin de la soirée.

Antinori « Tignanello » 2003 : L’un des domaines à l’origine de l’expression « Super Toscan ». Depuis lors, ces nectars sont très appréciés par des grands professionnels de la très sérieuse chose internationale du vin…. La robe de la Diva est d’encre, éclairée d’une très discrète frange rose-orangé sur les bords du disque. Au nez, c’est Oum Khalsoum. Tout l’Orient dans le verre. Pèle-mèle, fleur d’oranger, coriandre, épices de « là-bas », qui donnent, aux notes fruitées qui s’y lovent, une puissance et un charme supplémentaires. L’odeur de la reine claude craquelée, dont on perçoit la chair orange, pulpeuse et sucrée, domine, puis s’unit à la réglisse. La matière est puissante et lisse, comme l’est celle de tous les vins travaillés par les « magiciens du chai ». Le pouvoir de séduction est patent, tout est mûr et « bien en place » (expression favorite des techniciens de tous bords – professionnels de la technicité – , du raisin comme du ballon…), le chocolat ajoute encore au charme de la finale, longue, fraîche et réglissée. Eminemment consensuel!!!

Le bataillon des dégustateurs échevelés, bien qu’égaré en terres nouvelles, semble satisfait. Aucune tentative de putsch, pas de prise d’otage à redouter, ça blablatte certes, ça rouspétouile, mais c’est plus culturel que réel. En fait ils ont aimés ces vins qui les ont parfois déroutés. C’est à table je pense qu’ils trouveraient leur parfait équilibre et leur pleine mesure.

Beau voyage d’hiver en Italie, dont les vins sont aussi frais et élégants, que le Président de la République Italienne est lourd et vulgaire.

 

ECAMOPRITIC’ESTCOFININE !

LA BISE DE LALOU…

 Cranach l’Ancien. Portrait.

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 Eurêka, le Fillon nouveau est de retour, sans nous jamais avoir lâché la grappe.

Son sourire radieux de bon petit soldat chafouin s’affiche largement, tandis que le Borloo, répudié comme une matrone en perte de sex-appeal, retourne aux vendanges juteuses que lui promet son futur cabinet d’avocat de grasses affaires. Les médias, en haleine et en nage – brasse coulée et suées froides – depuis des jours et des nuits, respirent et étalent grassement, à grandes cuillères généreuses, le résultat de cette belle révolution gouvernementale qui assure de beaux lendemains, gras et radieux, à ceux que les lendemains n’angoissent pas. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes gras possibles. Pauvre vieux Voltaire ringard! Le temps, décidément est au gras de cochon. Au Beaujolais nouveau aussi, qui arrose largement les comptoirs hexagonaux, en cette sacro-sainte mi-novembre. Perdus dans les torrents acides de vins insipides, quelques rares hectolitres de vins friands, issus de raisins choyés, désaltéreront les gosiers malins de quelques «privilégiés» qui auront la chance de les croiser, au détour de quelques rades incertains derrière lesquels officient cavistes ou patrons illuminés. Ils ont noms peu connus : Molière (!), Ducroux, Burgaud, Bauchet…, et autres petits Poucets qui ne sont ni Charolais inondeurs de marchés, ni branchouillards aseptisés, standardisés, japoniaisés, mondialisés, émasculés…

Mais seuls les fleuves pollués des bojos GD coulent jusqu’à moi, hélas. Point de jus joyeux, tendres, goûteux et frais, à me mettre le palais en dentelles. Le Roland du Jura, futé entre les futés, les a encavés dans son antre inexpugnable, pour se les déguster matoisement, le finaud!

Alors, me reste la robe somptueuse de cette beauté nue liquide, de chair douce habillée, qui palpite, limpide, or rutilant, dans mon verre solitaire…

Ouverte depuis quelques heures, délesté d’un demi verre pourtant, cette Chassagne-Montrachet 1998 du domaine Leroy, à l’image de la dame de légende qui l’a élevée, ne se donne pas d’emblée. Pas du genre à minauder au premier regard l’ingénue. Une fausse pudeur sans doute… Mais, quand elle consent à s’entrouvrir, c’est un “pet de lapin” qu’envoie sa seigneurie! Du réduit, du placard, le renard de mémé oublié au grenier. On parle, on cause, on fait celui qui n’a rien senti, mais l’œil de côté ne quitte pas le verre, dont l’or luit insolemment, comme le regard d’une femme sûre de sa vénusté. J’ose, un peu plus tard, y remettre le nez, discrètement inquiet.

Et dire que je la couve l’orpheline, que je l’attends, la caresse de l’œil et du cœur, depuis presque cent ans! Pourvu qu’elle ne me fasse pas honte cette mijaurée, cette impératrice insolente et dorée, moi qui l’offrait à des amis très chers, bien plus que le prix scandaleux de la belle capricieuse…

Du beurre frais – Ouff – et de la bonne brioche tiède, me chatouillent agréablement l’appendice. L’air désinvolte, du genre “curé qui sort d’un bar à putes”, je repose le verre et fait mine de m’intéresser vivement à la conversation. Je multiplie les mimiques, les froncements divers et variés des sourcils, les plissements élégants du nez, les grimaces outrancières de la bouche… Mais le regard inquiet que me lance ma très douce absente, me calme, avant que d’autres ne remarquent les gouttes de sueur qui perlent à mon front buriné. Je tremble intérieurement et brûle de retourner à mon verre. Un dernier ricanement stupide, et je coupe le son. j’y re-suis! Le bruit des mandibules qui écrasent les petites mignardises tièdes, les machins et les trucs, tous les amuse-papilles, les mini brochettes sur lesquelles s’empalent les petites choses mortes ordinaires, et d’autres horreurs encore, ne m’atteint pas. C’est muré, mieux, emmuré que je suis, totalement autiste et dédaigneux de tous et de tout. J’ai le nez tout au fond du corsage de Mlle Chassagne et ça envoie! Acacia en fleur et en miel, citron confit, cire, silex chaud, cacao, garrigue, Maury, en vrac et en couleur…. Avec un air de circonstance – l’œil qui frise et le sourire faux – je refais surface. La tête me tourne un peu, j’ai du rester en apnée un moment. Allons-y, trinquons donc, à nos femmes, à nos chevaux et à ceux, les veinards, qui… Ça détend un peu l’atmosphère, mais très moyennement. C’est ce que je préfère, la grosse “faute de goût” volontaire, faite exprès. Il y en un qui se marre, un ancien artilleur, les autres grésillent poliment. Au moins une chose réussie ce soir me dis-je in petto. Tiens, voilà du zan maintenant, ça évolue gentiment, ça n’arrête plus. Youpie!

Mais revenons à l’objet de toutes mes attentions et de toutes mes craintes. Ouahhh, la grosse boule en bouche, ovoïde purée onctueuse de fruits jaunes mûrs, dans un papier de soie et de dentelle tressées. Le gras qu’il faut, la fraîcheur, l’équilibre, ça ne faiblit pas tout du long du gosier, ça lève la queue en fin de bouche, tout ce que j’aime. Marmelade de fruits jaunes, pâte de coing, “Mon Chéri” (les cerises à l’eau de vie). Très longue finale, interminablement tendre et bonne, fraîche, veloutée, sur une très fine impression tannique, qui laisse en bouche, caresse ultime, une mémoire subtile de pierre, de réglisse, d’épices et de poivre blanc.

Dans cette pénombre de velours gris, que percent à peine les lumières douces des ampoules en basse tension, comme mon cœur qui bat la chamade, discrète, d’un amour à jamais, qui me serre la gorge entre ses serres crochues.

Autour de moi, des humains babillent.

 

ELAMOTROUTICOILLENE.