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JÉRÔME CASTAGNIER. CLOS DE LA ROCHE 2006.

Sans titre 1

Mais ma pauvre Bourgogne, terre de roses fanées, anciennes et odorantes, que t’en vas-tu errer, te perdre, souffrir, en ces terres, aux calcaires qui rappellent les tiennes, pourtant. Au pied de ce plateau de Saint Émilion, au sommet et sur les flancs duquel, s’étalent, dévalent, beaux merlots et cabernets. Pour certains magnifiques de chair, de volume, de grâce, et parfois souvent, de race et de finesse …

En ce lieu amical, en compagnie de gueules d’expérience, aux jus habitués, à l’aveugle, j’ai goûté les vins de Nuits et de Beaune, millésime 2006, cachés sous leurs chaussettes, et par tous apportés. Alors que la dégustation filait, que venait la neuvième d’une série de onze, je suis tombé, en amour, à l’arrêt.

 Voilà que je volais au dessus de Morey Saint Denis …

Et me posais sur les terres du Clos de la Roche, les pieds sur trente centimètres de terre, qui recouvrent à peine les gros blocs calcaires, aux failles desquels les vieilles racines des lambrusques s’en vont chercher leur pâtée. Un Grand Cru, parmi ceux qui prospèrent sur les hauts de Morey, celui-ci, de Jérôme Castagnier, ex trompettiste classique, échappé voici quelques années des orchestres symphoniques, pour jouer habilement des grappes du pinot.

Sur la table nappée, parsemée de verres, de crachoirs, de crayons et de papier, je regarde le vin. Un beau rubis intense, qui sous mon nez montre sa pivoine. A l’aération, sous les rotations du poignet, elle s’affine et se fait rose éclose, puis un peu fanée. Sous ces fleurs transformistes, pointent le bout juteux de leurs rondeurs mûres, de belles cerises, noires de liqueur sucrée. Quelques fruits rouges aussi, comme la petite fraise des sentes ombragées. Et la douceur d’épices légères, enfin. Quand roses, cerises, épices viennent à ma bouche, leurs chairs me saisissent. De plaisir. C’est qu’elles sont rondes ces chères chairs du Clos, bien que nées au cœur des roches. Les charnues s’arrondissent encore, puissance et finesse conjuguées, déversent leurs fruits en épices, s’allongent comme chatte au réveil, puis déposent au palais leurs tannins serrés, mûrs et crayeux, avant de glisser dans ma gorge accueillante. Zut, j’en ai oublié le crachoir ! La finale longue, fraîche, soyeuse, velours de roses, de réglisses légères, d’épices délicates, accompagnent les tannins au palais déposés. Longuement.

 Dans mon verre vide, le Clos est à la rose.

Et moi, bien plus fané, en paradis …

LES ETOILES DE NUITS ENTRENT AU COUVENT…

Fabienne Rhein. Les Frat’ernelles.

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 Temps sec et frais en ce nocturne 19 Novembre 2009.

Comme une parenthèse au déluge ambiant. Le ciel pleure, quand la Bourse se vide!!!

Les étoiles sont dans ce ciel de nuit, mais faut-il dire pour autant qu’il serait habité?? La question n’est pas là… Seules ce soir sont dans la clarté, les «Étoiles de Nuits». Elles entrent au couvent, néanmoins…alors???

Bon, basta avec tes errements mystico-philosophiques, AOC est une association laïque d’amateurs de vins, qui libationne au Couvent de Recollets un point c’est tout.

Une certitude au moins, Saint Georges veillera sur nous.

Ce soir c’est Bourgogne. Belle soirée en perspective, que ces douze flacons de la Maison Drouhin alignés devant la haute silhouette du Stéphane. Il est grand le Stéphane, encore mince…parce qu’il est grand. Une main, qui se hasarderait le long de son flanc, y rencontrerait quelques discrètes rondeurs…Mais personne ne s’y risque, tant qu’il ne dort pas. Le Charentais est prudent, mais la Charentaise n’est peut-être pas prude, alors… Dire aussi qu’il rentre d’un week-end chargé en Bourgogne… Caves après caves… En apothéose, la Paulée de Meursault (j’enrage!!!). L’abnégation faite homme. Un grand amoureux, qui connaît la Bourgogne sur le bout du goulot. Il faut l’entendre la narrer, comme me parle un grand cru, le soir, au creux de la luette, avec finesse, élégance, grâce et simplicité.

Au risque de me répéter, cet homme, Grand Chevalier de l’Ordre des « Videurs des Divins Flacons », Grand Maitre de la Confrérie des « Gosiers Pentus », Grand Timonier de l’Union des « Arracheurs de Bouchons », Grand Ordonnateur des soirées des « Défonceurs de Capsules » (je vous la fait courte, car les autres titres du Sieur ne peuvent être ici dévoilés, tant ils touchent à des domaines ordinairement « réservés »…) est, de surcroît, grand ami de presque tous les vignerons des deux Côtes, dont le très fragile J.P.Charlot, qui est à la puce des vignes, ce que le Tyrannosaure est à Chaplin… C’est ma peau que je joue là, sauf à ne plus jamais mettre les pieds à Volnay.

Me suis égaré dans le labyrinthe des préambules je crois, mais la vie est courte et les chemins les plus tendrement longs, sont peut-être les meilleurs…???

Bon, ben, va falloir y aller. Savoir enfin que ce qui suit, est à lire, mais pas à prendre à la lettre. Mon esprit s’est par moment évadé, au contact d’aucuns de ces grands jus de vins. Gravir les flancs des monts de la délectation, et/ou se baigner dans les humeurs épicées de la subtilité, ne favorise pas la concentration Cartésienne, ni plus, la prise de note appliquée. Mes oreilles, ravies par le chant velouté des «Petits Monts», n’ont retenu que quelques bribes, des propos, richement incohérents, tenus par les dégustateurs patentés présents. Alors, merci d’être indulgent.

Douze DROUHIN, apôtres des villages et climats de la Côte, nous étaient proposés. Tous jeunets, inscrits aux registres en 2006, oui, les mêmes dans le millésime 78, eussent été sans doute, plus à point, mais à l’impossible, nul…

LES VILLAGES OUVRENT LE BAL.

 John Hoppner. Charlotte Papendick.

Tout au long de la soirée, les robes de ces vins, éclaireront la dégustation de leurs lueurs rubis, qui balaieront sous les lumières douces de la salle, toute la gamme des rouges, de la cerise tendre à peine pubère, au grenat sombre et éclatant des grands crus, en passant par le carmin velouté des premiers crus.

Chorey les Beaune : Un vin simple mais bien fait, sur les petits fruits rouges. Un vin de bonne soif, au fumé agréable, qui finit sur une fraîcheur un peu métallique, cependant. Une belle «charcutaille», l’aurait sans doute magnifié.

Vosne Romanée : Le charme de Vosne assurément, déjà. Un bouquet de pivoine en signe de bienvenue, puis une palanquée d’arômes fondus. Fruits rouges, cuir, vanille, poudre de cacao, en cascade complexe. Bel équilibre en bouche, la puissance maitrisée de Vosne pointe déjà le bout de sa séduction. La finale fraîchement épicée, dévoile de jolis tanins, réglissés et soyeux.

Chambolle Musigny : Un nez, encore sous l’éteignoir, qui daigne, après qu’il a bien pris l’air, laisser échapper des notes de fraise à peine écrasée. La bouche est subtile, comme se doit de l’être tout Chambolle bien élevé. L’image d’une crinoline, tendre, fragile et souple, qui valse entre les bras virils d’une jeunesse rieuse, me traverse l’esprit…Des tanins, encore saillants, qui demandent à connaître la lime attendrissante du temps, durcissent à peine la finale.

Gevrey Chambertin : La muscade, que l’amande rafraîchit, fragrance fugace et fragile, rode, délicate, l’espace d’un soupir. Puis le nez trouve le plaisir, dans une appétissante purée de fruits rouges. De la puissance en bouche pour ce village de bonne origine. Des épices ensuite, qui marquent franchement une finale aux tanins mûrs, réglissés, qui je l’espère, perdront de leurs épaules dans les trois ans… pour le moins.

Nuits Saint Georges : Un nez très aromatique, floral d’entrée, puis tout en fruits. Tout au bout, de la peau d’orange. L’attaque en bouche est sucre de fruits mûrs, la matière, conséquente, est encore en bloc, serrée. Le zan domine la finale aux tanins ronds, mais un peu verts.

LES PREMIERS CRUS ACCELERENT LA CADENCE.

 Maxwell Armfield. Faustine.

Nuits Saint Georges «Procès» : De vieilles vignes, de plus de soixante quinze ans, ont enfanté ce vin, qui vous plonge le nez dans la fourrure chaude, dès l’ouverture…Mais qui s’en plaindrait!!! De la réglisse, du cuir, de la cerise à l’eau de vie et son noyau, du cassis, puis du cèdre, suivent en foule bigarrée. Ça en jette, et ça pulse sous la narine, qui alerte les glands salivaires, lesquelles, accueillent en bouche un jus glissant, puissant et doux à la fois. C’est d’la bonne came ça madame!!!! Qui frétille sur la langue, et vous laisse en finale, le souvenir ému du passage impressionnant d’une marée gouteuse de tanins ronds, réglissés et croquants. Manquent à la fête, les fibres tendres d’une belle viande, rassie à point.

Morey Saint Denis «Clos Sorbé» : Les raisins de ce vin proviennent des vignes du «Père Jacquot», que Robert Drouhin vénérait, paraît-il. Les Bourguignons comprendront… dixit Stéphane, qui a trainé ses savates dans plus d’un chai. Il m’arrive de me perdre, délicieusement, dans les plis d’une robe de soie. Celle ci est profonde, comme l’eau d’un rubis Indien. Et quelle nez ma bonne!!! Rien n’y manque. Cassis, myrtille, cerise, ronce, réglisse, et fumé encore. La cadence vous dis-je!!! L’attaque, ou plutôt la caresse en bouche, est fraîche, comme une main réconfortante sur un front enfiévré. La matière, ronde, est d’un équilibre qu’envieraient nombre de Socialistes et Umpistes confondus, et confondants (Ah que la langue Française est belle et insolente!!!). Il y en a partout, dans tous les coins de l’hexagone buccal. Oui je sais…la bouche est ronde…sauf chez les gueules carrées. Les fruits sont aussi frais que rouges, les tanins sont aussi épicés que fins. La finale, encore un peu serrée, est longue et séveuse.

Chambolle Musigny 1er Cru : Ce «Cambolla» est une mosaïque, issue de différentes parcelles et finages, étoiles autour du soleil Musigny. Le premier nez est musqué, comme la trace d’un lièvre effrayé, surpris entre les ceps, un petit matin brumeux d’automne. Puis, le «paysage» olfactif, prend un air printanier, et s’élargit sur la fraise des bois, la cerise noire, les épices, la réglisse. Je perçois une touche de terre sèche aussi…La bouche réitère en tous points les bonheurs du nez. La finale est épicée, réglissée, sur des tanins de velours, fins comme un second degré dans une assemblée de primates.

Vosne Romanée «Petits Monts» : Ce climat, petit par la taille, est en haut de coteau et converse à mi-voix, dans le secret des vignes, des privautés insupportables, que le percheron à la crinière blanche – ne balaie-t-il pas effrontément de sa large queue, de vieux ceps irascibles!!! – se permet, tandis qu’il gratte en douceur, l’épiderme sensible du bas du dos du Mont?? Le Richebourg, en vieux sage, écoute et compatit…Le lièvre est aussi passé par là-haut. Il a laissé dans le verre, le fumet de sa fourrure chaude. Les cailloux du coteau, la griotte mûre, un soupçon de menthe, qu’exhauste un bouquet d’épices, marquent en finesse, le nez en devenir, de cet enfant de vin. La matière, déroule en bouche, les plis mouvants d’une soie, piquée d’imperceptibles tanins crayeux. La finale, encore sous le joug délicat d’un bois noble, s’éternise déjà, enrobant les papilles extasiées, d’un auditoire en prière.

Quand je vous disais que la Bourgogne tutoie le ciel…

LES GRANDS CRUS «MOLTO VIVACE».

 Cabanel. La comtesse de Keller.

Jeunes, hélas, trop jeunes.

Grands Échézeaux : Un jeune et grand Bourgogne, privé de ses cerises, qu’elles soient Griotte ou Burlat, serait un pauvre petit Chaperon, orphelin du rouge de sa cape. Divaguerai-je… Un peu sans doute??? Mais pas tant que ça, en fait. Les «Grands…» en bons orthodoxes, embaument la griotte d’emblée, la prune mûre aussi, la muscade, la menthe, le champignon frais, le cuir et les épices enfin. Ah, j’allais oublier le gibier à plume, qui voleta un instant, au sortir de la bouteille. Grand cru, grande matière??? Oui, pour celui-ci. Conséquente, tendre et tendue, elle vous relève les sourcils et s’installe, indolente. Que de promesses en bouche, jusqu’à la finale, épices, amande et réglisse en fanfare, fraîches et persistantes.

Griotte Chambertin : Petit «Grand Cru» que la Griotte; moins de trois hectares. C’est du bas pentu de la parcelle, qu’elle provient. Plus de terre, plus de puissance??? La robe est d’un grenat profond, presque ténébreux. Une lumière aigüe, d’un rubis éclatant, semble sourdre, du cœur du vin. Puissance toujours, au nez. Les arômes de fruits rouges, que la cerise domine (encore!!!), sont francs, et vous fouettent les naseaux. Le vin se donne sans préliminaire, le cuir neuf, la muscade, sont aussi de la noce. Puissance itou en bouche. La chair du vin se fait onctueuse déjà; la volupté demandera quelques années de plus…La bougresse ne boude pas ses tanins, ronds et soyeux, qui épicent avec beaucoup de fraîcheur, une finale qui s’étire, en relevant la queue. Une Griotte, qui me surprend je dois dire, habitué que j’étais jusqu’alors avec elle, plus à l’ingénue fragile, qu’à la cavalière énergique. Le temps domptera, sans doute, sa fougue.

Musigny : Le lièvre, décidément en pleine forme, est passé par ici aussi!!! Il s’éloigne vite et poursuit sa course folle, au long des coteaux du pays de Nuits. Élégance, me vient immédiatement à l’esprit. Le vin est jeune, mais affiche pourtant, la classe d’un jus, qui aurait fréquenté les écoles les plus huppées. C’est par petites touches raffinées, qu’il s’exprime au nez. Par petites bouffées de violette, de framboise, de cassis, de noyau de cerise, le nez se construit, timide encore. Le contraste, est patent en bouche. La matière est charnue, puissante («énorme»!!! pour les djeun’s), sauvage, «testostéronée» et fringante, comme un yearling fougueux. Élégance toujours, quand la finale s’élance, toute d’épices et de poivre habillée, longue comme un jour sans vin…Le temps sera son maître.

Douze vins, tous à leur place, parfaite illustration de la pertinence hiérarchique, patiemment élaborée par les générations Bourguignonnes… Quand le temps prend son temps… au temps des agités, des compulsifs, des «Nioxeurs» qui font du roman de Morand, leur unique et indiscutable bible, quelle leçon…!

Travailler lentement pour travailler mieux???

EMOTILIEVREOUTORTUECONE???