Littinéraires viniques » LA DÉGUST EXPRESS DU SALE VIEUX CON RÂLEUR …

LA VIGNE, LES CERISES ET L’OISEAU DE PARADIS…

Nikko Kali. Petit oiseau de Paradis.

J’ai cherché partout et longtemps. Dans la famille les Moulins à Vent de Janin 2006, j’ai trouvé «Le Domaine du Tremblay» et «Le Clos» du même nom. Point de «Terre du Tremblay»!!!

Alors, quelle est donc cette «Terre Mystérieuse», que le hasard des rencontres en bouteilles, a déposé sur l’autel usé, constellé des ronds rouges et noirs de tous mes voyages mysti-viniques??? La jolie main fine et aimée, qui caresse, trop rarement à mon goût, le silence de ma vie, a déposé sous mes yeux six flacons de ce vin. Les ailes de ce Moulin à vent, ont tourné lentement, séchant, avant qu’elle ne bourgeonne, la larme chaude qui perlait, scintillante, sous ma paupière. Déjà, j’étais heureux. Il va sans dire, que le commentaire de ce vin, qui suivra, quelque part, au creux de ma divagation en marche, ne sera pas vraiment objectif.

Dans la salle, d’or et de rouge tendue, le murmure des voix féminines est sans équivoque. Aucune fausse note, ne vient troubler ces cœurs unanimes. Aux alentours, les mâles fatigués dont je suis, ne peuvent qu’acquiescer en silence. Loin et si proches pourtant, Farinelli et Carestini qui ont fait chavirer bien des cœurs, jubilent et se disent dans le silence de l’entre deux, qu’il doit être bienheureux ce garçon, qui n’a pas eu à subir les douleurs physiques et les blessures de l’âme, qu’ils ont endurées. Dans le secret de son alcôve, il va et les venge. Chacun de ses bonheurs, est le leur.

Nichés au creux du poulailler, comme suspendus aux cimes du théâtre, les bras des quelques enfants perdus au milieu des adultes révérencieux, s’accrochent aux balustrades dorées. Ils ont le regard flou, égaré, absent. Il boivent la transparence fragile, de cette voix, si proche d’eux, qui les magnifie. Le grand lustre de cristal de bohème frissonne, et palpite de tous ses feux. Le bâtiment tout entier respire à l’unisson. Les corps assis des humains, alignés le long des rangées rouges, semblent abandonnés par la vie. Dans le temps suspendu à la voix de l’éphèbe, planent les âmes mêlées, qui ont quitté leurs enveloppes de chair. Elles forment un égrégore de lumière, qui palpite, et que personne ne perçoit. Seul le cristal vibre doucement. Il est de ces moments, rares et précieux, où dans l’ignorance du subtil qui les dépasse et les conduit tout à la fois, les hommes se dépouillent, s’extraient de la pesanteur ordinaire, et communient en pleine beauté.

Nous sommes à l’opéra Vanessa, ici le poulailler est Paradis.

Vagabondages, sauts incroyables, que permet la pleine liberté de l’esprit. Entre Philippe Jaroussky qui chante l’Aria d’Alceste du Termodonte de Vivaldi, l’Ariodante d’Haendel, là-bas, si loin bientôt, entre l’opéra de Bordeaux et cette bouteille, l’espace est aboli. A ma guise, je passe de l’un à l’autre et je pleure ces larmes rares, que la beauté me tire. L’imagination est ma liberté. Tout est possible, aussi je veux les unir en ce lieu intime, que les plus ardents Diafoirus ne soupçonnent même pas, tandis qu’ils continuent, imperturbables, à scruter les mystères de l’atome, à bord de leurs canons.

Mais voici que vient la cerise sous le nez. Le vin l’exhale, puissamment. Rouge sang de taureau fourbu, fraîche, juteuse, elle est de celles qui vous marquent les lèvres, pour mieux vous trahir. Sous le couvert fragile de mes yeux fermés, elles roulent en grappes, au milieu des fleurs. Effrayé, le lièvre qui avait, espiègle, remué son cul odorant sous mon nez, s’en est allé. De la robe d’un beau grenat sombre, une de ces robes, qui emprisonnent la lumière et qui rayonnent de l’intérieur, montent et s’unissent, en vagues successives, le parfum de la pivoine piquetée de rosée, en ce petit matin intemporel, et la poignée de grosses cerises, dont la peau tendue, rouge sang de veine, peine à cacher, dans la chair débordante, un jus sucré odorant. La réglisse et le noyau enfin.

Les lèvres violettes des petites filles, les cerises en boucles d’oreilles, qui jouent à l’ombre du figuier. «On dirait que t’es le monsieur qui chante comme un oiseau rouge, que t’as des yeux beaux et que moi je suis un oiseau aussi et que tu l’aimes…et que…».

Jeux de l’enfance qui s’étirent toute une vie.

En bouche, le jus attaque fraîchement, roule et s’étale. Puis, le flux de la marée de plaisir se fige. Au sortir de la cerise réglissée, la verdeur des tannins nappe la bouche d’un voile astringent, qui serre les muqueuses. La fraîcheur se fait acide et le miracle s’interrompt. C’est un abîme, plutôt qu’une finale, qui sidère la gorge en attente. Un vin, comme amputé. Une cuvée d’entrée de gamme sans doute, qui ne tient pas ses promesses. La vie…

L’ange qui habite la voix, lui, tient la note.

 

EMOJAROUSSKYTICONE.

What do you want to do ?

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NICOLAS ROSSIGNOL VOLNAY CAILLERET 2008.

Les temps sont aux exagérations tous azimuts. Le libéralisme triomphant ne connait que le toujours plus, le syndrome de « Bahlsen », le dieu croissance, avatar de l’éternel veau d’or, dévore tout sur son passage, la cupidité, l’appât du gain, toujours et encore, dominent « l’esprit » des petits hommes, qui s’attachent opiniâtrement à tout détruire au nom de l’accumulation des profits. Les Valeurs, les Idéaux périclitent au nom du pragmatisme, les homoncules naïfs croient encore et toujours aux masques dont s’affublent leurs dirigeants. Toutes les avancées technologique sont perverties ou en passe de l’être. Enfin, en un mot comme en cent, le Néant est en passe de succéder à l’Être. Il se pourrait bien que l’humanité disparaisse, assez vite au regard du temps long de la Terre, et s’en retourne « aux enfers », dont je finis par craindre qu’elle ne soit issue. Bon débarras.

Pourtant le Rossignol chante encore, à mi-coteau sur des terres marneuses et caillouteuses, les vignes de pinot noir, filles de la Nature généreuse, continuent, chaque automne, mais pour combien de temps encore, à porter de belles grappes de pinot, gonflées de jus et de vie.

En Bourgogne le millésime 2008 n’est pas de ceux que l’on a encensés, ce sont ces années là, classiques, ni trop ceci, ni trop cela, que je préfère, le pinot noir n’aime pas les excès climatiques, quels qu’ils soient. Pour ce qui concerne l’envolée folle des prix de ces beaux vins, les humains s’en chargent, au point que l’amateur « sincère » s’en voit désormais privé.

Cet unique premier cru Cailleret 2008 est arrivé jusqu’à moi par des voies détournées peu après sa naissance. Depuis il a reposé dans son sarcophage de verre, bien à l’abri dans un endroit frais. Je l’ai attendu avec patience et j’ai bien fait je pense. Aéré en carafe trois heures avant le repas, ce qu’il fallait me semble-t-il, pour laisser ce vin à la robe d’un rubis profond mêlé de vieux rose se déplisser à son aise.

Sous le nez, les fragrances de fruits rouges et les notes automnales s’équilibrent et se marient parfaitement. Le bouquet est complexe, pêle-mêle, la cerise rouge et son noyau, la groseille, la pivoine et la rose, le sous bois, l’humus, et certainement d’autres subtilités dont le détail n’est pas nécessaire à mon plaisir, s’échappent, invisibles mais odorantes de la surface calme de ce lac rubis circulaire. Le vin a digéré son bois, il est en tout début de maturité.

C’est un jus frais et savoureux qui me ravit d’emblée la bouche. La matière, sans être extravagante, est présente, avec grâce elle enfle en bouche, donne à mes papilles consentantes leur lot de plaisir. Le vin est équilibré, les fruits rouges sont à la fête, accompagnés de légères notes de réglisse et d’amertume. A rouler au palais, le vin se déploie et s’installe longuement, les petits tanins frais et enrobés augurent d’une possible garde plus longue. Après l’avalée, le vin persiste, ses tanins fondants et veloutés sont délicieux, la finale, à peine saline, prend le temps de s’estomper. Le verre vide célèbre les noces du cuir et de la rose.

On dit que les vins de Volnay sont féminins, tant ils sont fins. Pourtant j’en connais d’officiellement féminines qui manquent sacrément de finesse. A force d’être communs, les lieux et généralités touchent souvent au stupide. Amen.

DENIS MORTET, GEVREY « EN MOTROT » 1996.

NOËL. Temps doux, ciel bas, le silence règne sur la ville, voitures remisées, rues quasi désertes, de rares passants à la recherche de pain frais. On se croirait en guerre, le black-out du 25 Décembre. A bien tendre l’oreille, au détour des rues, on perçoit, étouffés par l’épaisseur des murs, les cliquètements affamés des fourchettes impatientes.

Un nid de chanterelles posé au creux de l’assiette, quelques pommes de terre grelot rôties sur leur peau l’entourent. Sur l’autre moitié du cercle, trois petits « pavés » de filet de pigeon, que la poêle à feu vif a dorés, juste à point, le sang perle encore entre chair et peau.

Sur la table d’un jour ordinaire, un jour à faire de la « Motrot » sur une vieille bécane millésime 96, la bouteille du délit d’initié encore emmaillotée dans son film protecteur, dans le verre remplit au tiers, le Gevrey patiente en prenant le temps de bien prendre l’air. Sa robe rouge cardinalis n’a point perdu de sa couleur, sa densité semble intacte, si ce n’était le voile orangé qui signe son âge. Quelques touches de couleur aussi, la jolie rose de printemps n’a pas dit son dernier mot, au centre du verre le violet de la baie de cassis, lui non plus, n’a pas baissé pavillon.

Voilà qui se présente joliment. Le pigeon, cuit de qu’il faut et pas plus, est d’un fondant confondant, d’une tendresse à vous mouiller les yeux, avec ce qu’il faut de giboyeux pour appeler le Gevrey au mariage, lequel s’empresse d’obtempérer. La rose qui marque subtilement sa robe n’a point perdu de son bouquet, le cassis, la groseille, eux aussi, très fins et encore perceptibles, agacent ce qu’il faut les muqueuses – 96 fut frais. Du fruit, des fruits donc, encore actifs et odorants. Puis l’âge du vin se dévoile, les notes dites tertiaires apparaissent, le champignon, l’humus du sous bois, la réglisse, le cuir, relevés d’une pointe fumée, se joignent harmonieusement au concert olfactif. Et bien d’autres subtilités, du catalogue duquel je vous fais grâce.

Pigeon, chanterelles et pommes de terre onctueuses parfument le gosier, le préparent au mariage. La noce a lieu et le palais ulule de plaisir. Une pointe sucrée matinée de la fraîcheur des fruits exhausse le pigeon qui se remet à voler en bouche. La matière du vin, d’une délicatesse bienvenue, emplit la bouche sans faiblir, ni creux, ni mollesse, les fruits se déploient bellement, le pigeon frétille, la chanterelle fragile relève sa collerette, l’onctueux de la patate exulte. L’avalée faite, il faut bien un jour finir par avaler, le jus révèle sa puissance maîtrisée, les tannins, à peine perceptibles, sont polis, tellement que l’on pourrait se croire en compagnie éduquée, la groseille tient longuement la note. Un vin de Diva, une balade « En Motrot » que je ne suis pas prêt d’oublier …

SOUS LE HAUT MARBRE ABUSÉ DE HAUT-MARBUZET…

  Vieux tannin de Bordeaux.

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Un célébrissime Cru Bourgeois ce Château Haut-Marbuzet, si l’on en croit les encensements « Burdigalophilesques ».

L’initiale pour moi… Dans un millésime de bonne réputation, 1996. Alors une originelle, quand même, ce n’est pas rien. Timidité, appréhension, manque de confiance en soi. Soit ! C’est à vivre, et c’est souvent – si j’en crois mes amis qui sont riches et beaux – le « meilleur moment » (expression vague et conne à la fois). Parce qu’une rencontre liminaire, et plus encore un premier regard, ça fait monter la boite à sang dans les tours. Ça mets une légère et douce sueur au front, après que ça vous a forcé à prendre une douche à une heure inhabituelle ! C’est dire combien c’est plus important qu’un amour érodé par la routine, un « princeps » vinique ! Tremblant mais concentré (c’est le moins quand on s’apprête à mettre en bouche une réputation affirmée), l’oeil mi-clos, genre « suis mort de trouille mais fais mon Raminagobis qu’en a croqué plus d’une », je regarde la belle dans son strict habillage Bordelais. Hé oui le long de l’estuaire on est plus Chanel que Lacroix ! De la sérieuse, de la parpaillote, de la classieuse, cette bordelaise qui vous annonce que vous n’êtes pas en pays de packaging branché vulgaire mode, mais en paysage de plaine éternelle, dont la rectitude est à peine dérangée par quelques croupettes anorexiques. Pas la dégaine ondulante à Saint Estéphe. Pas le style bimbo qui vous fout ses nichons oblongs sous le nez avec des lumières partout pour que vous ne les manquiez pas. Pas le style non plus à se tortiller en souffrant dans une peau de tissu tendue à craquer qui transforme une mal lipposucée en une généreuse Venus Hottentote. Ni fiasque, flacon, chopine, fillette, fiole, pot ou rouille ! Une stricte bordelaise donc. A prendre avec des pincettes… avant d’oser la bousculer un peu.

Si tout va bien. Si elle le veut bien…

Passer ensuite à l’étiquette qui habille l’immobile protestante. Et la couvre généreusement. Aux antipodes de ces cache-sexes aussi tarabiscotés qu’étroits qui ornent et parfois défigurent (défiguré par une feulle de vigne !) les flacons modernes. Un Canson crème finement strié. Lettrage classique gris et bâtisse rectangulaire clôturée, du même tonneau. Devise courte qui annonce le goût de l’excellence : « Qualité est ma vérité ». De quoi m’inquiéter, moi qui suis déjà coi ! Puis vient le temps de l’ouverture, de la fracture du Temple. La capsule d’alliage ductile est lourde, que je tranche précisément. Sous la robe d’étain entrouverte, le cercle parfait d’un bouchon sain. Que je vrille lentement, bien au centre, avec respect, humilité, sourcils froncés et lèvres humides. Enfin j’extraie en douceur le long doigt de bon liège qui ne ploppe pas comme une vulgaire boutanche de Bojo fille de joie. Je n’ose nettoyer l’embouchure du doigt, comme je le fais ordinairement avec les vins que l’on me sert dans les bouges mal fâmés. Tissu de soie, geste tendre et précis. Inutile même car l’oeil est clean, mais la caresse est si douce…

Mon verre aux formes accueillantes s’étonne de ce jus muet qui glisse, silencieux, au long de la fine paroi de cristal. Plus encore, les quelques larmes discrètes qui rejoignent lentement le disque sage de ce vin bien élevé, ne laissent pas de le surprendre, lui, habitué à ces vins bruyamment généreux qui lui graissent le glissoir de mutiples Ponts du Gard épais. Le vin est dans le verre, qui demande l’air et le calme. Je vaque puis reviens, vaque à nouveau. Jusqu’à ce qu’il veuille bien. Patient je me laisse aller à rêver, l’oeil aux vagues, sur la robe apaisée. Coeur de grenat sombre, à la limite de l’obscur, dans sa ganse de rose vieillie. Quelques moires oranges, mais à peine, à la frange du disque.

Comme un rubis fondu.

Le temps a passé sans que le vin soit agité. Au dessus plane encore le fumet gras des tripes d’un lièvre qu’aurait nuitament éventré un 4*4 distraît. Qui disparaît, trois tours de poignet faisant. Après seize années de claustration, il faut bien que miasmes s’échappent. Un bouquet, le terme est mérité, de notes mêlées en parfum. Complexe. A la découpe, besogneuse, j’ose distinguer le sous bois mouillé de la propriété, le café de l’office, le cade de l’étable, le cèdre du parc, le bois de crayon du comptable, l’ardoise du toit du Château, le toast du petit déjeuner, les pruneaux au rhum du soir et les épices d’importation.

Enfin vient le temps de l’imploration. La bouche timide, humide, tremblante qui se moule sur le buvant du verre au bord des lèvres. La première gorgée qui ne l’est pas encore. Et caresse la langue de ses sucres frais (mais pourquoi parle t’on d’attaque du vin ? Des brutaux sans doute ? ), avant de s’épandre comme marée montante jusqu’aux cimes du palais. La matière mûre est à l’avenant du nez, refaisant d’identiques gammes. Toast, café, chocolat… Longtemps le vin voyage en flux et reflux, de la pointe au plafond. Fraîcheur, tannins et tissu de soie rêche finissent, après un dernier relevé de luette, par plonger vers la mort acide des profondeurs. Dans la salle mouvante aux papilles érectiles figées, le tapis noir des tannins du bois et du vin, unis par l’âge, recouvre de sa trame fondue, plis bosses et creux, lacs et vallées désertées.

Mais voici que me reviennent en mémoire,

Les coteaux en parcelles de ma belle Bourgogne,

Et ses pinots aussi…

 

EENMOGLUTIÉECONE…

STILL ALIVE AFTER LA SAINT VIVANT…

Maxwell Armfield. Faustine.

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 Romanée Saint Vivant 1998.

Le nom du vin, déjà est un monde.

Dans le verre, un pur rubis pâle et lumineux.

C’est un voyage dans l’imaginaire auquel ce vin convie. Un voyage dans l’Androgynie des origines, au pays de la Romanée, le Roman «Roman» de Romane, au pays de Saint Vivant de Vergy, l’abbaye Médiévale en laquelle œuvraient sans doute de solides tonsurés – amateurs de chairs et de vins, ripailleurs et mystiques – traversés par les énergies puissantes de la terre et les intuitions subtiles de l’âme. Un vin, élevé par Drouhin, qui porte en son nom l’union contrastée de la matière et de l’esprit. L’espoir d’un équilibre, d’une quadrature, d’un chemin sur le fil de la lame…

Il est bon de se laisser aller à rêver avant de boire.

Le nez au dessus du verre m’emporte dans les brouillards translucides du petit matin. Le nez humide d’une biche gracile se pose sur ma joue… Des fruits en foules rouges. Le premier jus qui sourd du pressoir. Parfums de vergers et de vignes. Pinot mûr qui s’écrase dans les doigts. Fragrances fines. Parfums mouillés. Les détailler car il le faut bien… Airelle, groseille et framboise délicates déposent au nez une brume odorante et fragile, qui s’enroule comme une liane parfumée aux confins exaltés de mes rêves intimes. Cerise aussi, Bourgogne oblige… Le temps semble impuissant, l’automne n’atteindra pas ces arômes d’au delà de mes vicissitudes.

Le faune en moi chantonne, subjugué par les charmes de Romane.

Le jus glisse en bouche, lisse et rond comme la hanche innocente de l’enfant. Lentement il enfle et se déploie, libérant la caresse progressive d’une matière tendre et puissante. Comment imaginer tant de force et d’élégance combinées??? L’esprit est dans la matière, il la sublime, mais sans elle il ne saurait s’exprimer… La pâte de cassis perlée de sucre croquant, comme un éclair dans un ciel d’été, exalte la chair du vin. Le jus enfle et conquiert le palais. Les papilles titillées défaillent. Chopin s’unit à George dans un final tumultueux, longuement, tendrement.

C’est le temps du Tao, de l’équilibre à jamais signifié.

LE CHANT SUPRÊME DU SAVAGNIN IMMÉMORÉ…

Kate Paulin. Triste reflet.

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Une bouteille oubliée, disparue dans la cave de sa mémoire.

Du Domaine de la Pinte, cet Arbois Savagnin 1994 de l’ancien âge, où nul de ceux qui labouraient leurs vignes et rejetaient les intrants, ne se savaient clairement Biologiques, où d’aucuns qui regardaient la lune et fouettaient leurs lambrusques aux orties magiques, ne s’imaginaient Biodynajamaïques, où les quelques méconnus qui accompagnaient au chai leurs raisins, ignorant les artifices et laissant faire l’alchimie des levures qui ouataient les baies, ne se proclamaient Nature matures… Oui en cette année 1994 donc, si proche dans le passé et si lointaine dans l’esprit des choses du vin, la Terre connaissait à peine le réchauffement climatique, les banquises étaient solidement arrimées, les glaciers ne se vautraient pas dans la vanille et rasaient le fond des vallées de leurs dents aiguës, les méduses en nappes n’attaquaient pas de leurs filaments urticants la peau halée des bimbos en string, et cette putain de couche d’ozone qui s’en va tant et qui revient à n’y plus rien comprendre, foutait une paix royale et démocratique aux bons peuples du nord, innocents et repus qui surconsommaient à bourses rabattues et à couilles factices, en toute joyeuse inconséquence.

Pourtant quelques signes, déjà, étaient à lire. Nos Princes intègres l’eussent pu. Car cette année là, ça massacrait à tour de machettes fraternelles au Rwanda. Dans l’indifférence générale, le très plébéien mouvement Taliban, né de l’accouplement monstrueux entre un Tityus discrepans et une Latrodectus atritus – fraîchement émigrée de Nouvelle Zélande par le truchement d’un conteneur bourré de kiwis – venait d’éclore et commençait à répandre sa terreur ténébreuse sur les terres Afghanes. Le Mexique tremblait dans l’ombre du Popocatepetl éructant, à Gaza, Arafat au sourire si doux et aux poches si pleines du pain de son peuple, engraissait comme un porc hallal. A l’opposé du spectre humain, Georges Cziffra reposait son violon, le foie de Bukowski rendait sa vésicule à Wenchangdijun, Paul Delvaux lâchait ses pinceaux à poils et – chancre bubonique sur le gâteau fielleux du désespoir – Jean Carmet vidait sa dernière fillette de Beaujolais…

Une année comme tant d’autres, semée de perles noires, éclairée de quelques pulsations lumineuses cependant. Ironie du sort, sur les rivages conquérants pour l’heure du continent Américain, la naissance de Justin Bieber redonnait à l’humanité insouciante l’espoir d’un monde meilleur.

Enfouie, reléguée tout au bas de la pile, recouverte par les jeunesses successives de ses consœurs insolentes, la rombière n’était plus qu’une vieille favorite décatie délaissée, presque répudiée dans le coin le plus sombre du harem vinique. Son maître volage, séduit par les charmes toujours renouvelés de ses rivales en fleur, l’avait négligée. Elle était à l’abri, définitif croyait-elle, de la lame aiguisée du sommelier étincelant. Jamais elle ne connaîtrait cette vrille espérée et pénétrante qui lui écartèlerait l’opercule, cette tige voluptueuse qu’elle avait rêvé de serrer dans les replis tendres de son bouchon de liège timide, sous l’alliage fragile de sa capsule ductile. La douleur de cet abandon, longtemps l’avait meurtrie. Bien des années, elle avait pleuré des gouttes de son vin précieux qui avaient coulé le long de son col, et tâché, en les agaçants, les ventres rebondis de ses rivales souriantes. Puis son chagrin avait tari au fil du temps…

Il y avait maintenant belle luette, qu’elle s’était installée dans le confort irrémédiable d’une solitude acceptée. Dépassé le temps des regrets, elle croyait avoir maîtrisé l’implacable Chronos. Dans le silence poussiéreux de la cave qui la protégeait désormais de toute lumière, elle se sentait reine apaisée. Elle était l’élue de Bacchus, elle qui avait dompté le temps et, pour toute éternité, était entrée au royaume – inaccessible pour le commun de ses paires – de l’immortalité. Dans son sarcophage de verre, son liquide précieux était lentement, insensiblement, entré en Sagesse, donnant à la rusticité sauvage de son Savagnin originel, la grâce, que nul jamais ne pourrait savourer, de l’immuable et irrévocable perfection.

Dans le silence admirable de ses entrailles fluides dans le secret desquelles elle sentait pousser l’Émeraude de la Table éponyme, elle chantait avec l’Ange qui lui avait laissé sa part, la gloire du Jura…

Un soir de hasard sans pitié, la main d’Artaban l’a saisie par le goulot pour l’extraire avec précaution de la pelisse de fils noirâtres, qui l’avait si longtemps soustraite au sort ordinaire de tous les flacons à boire. Extirpée de son long sommeil, elle a senti la lame patinée de son couteau, puis la blessure froide de sa queue de cochon qui lui explosait le bouchon. L’air frais lui lava le col des miasmes emprisonnés et caressa, en le réveillant, le vin. Elle n’eut qu’une fugace poignée de secondes pour comprendre que son rêve d’immortalité se brisait. Sa liqueur coula le long du toboggan de cristal labile et remplit le verre à moitié. Elle sut alors qu’elle connaissait le bonheur de se donner, que le fouet de l’air était bon, qui la cinglait de bulles vives et joueuses. Vivre pour mourir du plaisir d’un autre était son destin. L’illusion de l’impérissable était vanité. Elle fut heureuse de «traminer» ainsi.

Dans le verre d’Artaban, au cul épanoui de Vénus Hottentote flaccide, ce vin revenu de nulle part brasille d’une mystérieuse opalescence. La lumière chaude de la lampe basse tension exalte l’or, l’ambre profond et le rayon de la ruche oxydé par le soleil d’août. Respectueux pour une fois, il se penche sur le disque fluorescent, lentement. Patiemment, il attend que l’élixir veuille bien… Manifestement ravi d’avoir quitté les jupes, trop mystiques à son goût, de sa mère bouteille qui se prenait pour la moitié de Marie, ragaillardi par l’air frais qui lui a lavé le jus, le jeune vieillard lâche ses gaz odorants. Chaud comme le bronze fondu des réminiscences de l’ancien été, c’est un parfum complexe et ravissant qui lui chatouille la couche glomérulaire. De subtiles touches de caramel salé, de gentiane, de bouillon de légumes verts, puis de miel, de mirabelle mûre, de noyau de fruit, de cannelle, de noix, d’encaustique, de sucre candi, d’angélique confite, de gomme arabique et de réglisse en bâton, intimement mêlées au vieux rhum de l’âge, montent en nuages invisibles du ventre de verre ouvert. Au bout de l’inspiration, comme un clin d’œil rapide, une pointe de curry lui titille les cellules mitrales. Heureux comme un Pape priapique, il entrouvre la bouche sur le buvant du Saint Graal d’un soir. Alors là, foutre d’hérétique, c’est une boule, une pelote, une sphère, un globe, une mappemonde de chairs fondues qui se déploie comme un plaisir crissant, enroulant ses papilles consentantes et derechef conquises. Le gras des années a donné à la matière du vin une sensualité débordante, faite du sucre extravasé de la prune chaude, du miel doux, de la dragée de communion, de la réglisse, qu’équilibrent avec bonheur les amers nobles, les épices et la fraîcheur des marnes bleues du lias après que la nuit est tombée…

A regret vient la coda. Le temps a repris son pouvoir et ce vin, qui s’était cru liqueur d’Éternité, bascule à regret dans la béance suspendue d’Artaban. Ce sont ses larmes noblement amères, le sel de ses regrets, le poivre blanc de ses sursauts et les dernières étincelles de silex de sa vie, qui tapissent sa bouche surprise. Mais Ô stupeur, après que la finale a perdu sa queue, la voila qui revient le surprendre, comme si l’ange du vin, regrettant de le laisser ainsi orphelin, voulait lui caresser l’âme – de ses belles ailes douces aux plumes de chocolat noir, de réglisse délicate et de drupe de prune, grasse de soleil – une dernière fois…

Dieu, qu’après la mort la vie est belle…

ETRANSMOPORTITEECONE.

UN BEL ABRICOT BIEN JUTEUX…

Où se cache l’abricot des soirs d’hiver? Bonne chance…

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Alsacien ne suis, Dieu m’en garde, mais bon Alsace aime.

Je cherchais un Riesling Kirchberg 2000 de Louis Sipp, que je comptais marier, bon gré mal gré, avec de savoureuses Saint Jacques poellées, salées-poivrées, à peine relevées d’une nano-larme de Balsamique TM. Le choc, que j’anticipais, me plaisait déjà… La tendre chair sous le jus minéral, tendu et sec du Riesling, frissonnerait, surprise comme une rosière remontant ses jupes au sortir de la sacristie, puis se dilaterait à souhait – comme la même rosière, un quart d’heure plus tôt, avant de se faufiler en rasant les murs hors de la tanière du bedeau – pour séduire l’impatient impudent.

Mais, car il y a souvent un mais – sauf sous le joug des dictatures – c’était sans compter avec moi, l’égaré, le lunaire, le ravi de la crêche, l’étourdi!!! Le col fin, le jaune et le rouge de l’étiquette, l’appellation, le millésime, entr’aperçus, d’un coup d’œil aussi distrait que soit disant synthétique, suffirent à me convaincre, plongé que j’étais, au tréfonds de puissantes pensées, dont la pertinence éblouissante, ne tarderait pas à modifier l’équilibre instable du Monde, tant économique que politique, que j’avais entre les mains, la bouteille recherchée.

Pour ce qui est du bonheur sur Terre, je m’y attellerai très sérieusement, incessament sous peu.

C’est d’une main souplement expérimentée, que je fis sauter la capsule, et ôtai le bon bouchon sain de la bouteille. Le verre se remplit à demi d’un liquide, gras ce qu’il faut, d’un bel or franc marqué de reflets verts.

Ça commençait bien.

Le vin resta un quart d’heure sur le coin de mon bureau, tandis que je creusais et mettais en forme – laissant au passage quelques milliers de mes neurones mal en point – les concepts complexes et élaborés qui me taraudaient le cervelet, et qui feraient fuir, un peu plus encore, les deux lecteurs alzheimérisés graves, qui me restent. Avec ça, s’ils ne veulent pas pointer à l’ «Amicale Navrée des Philosophes Éplorés», les intellos branchés du web et les minettes à géométrie variables, qui sont au vin, ce que BHL est à la philosophie, seront bons pour un Bac Pro tôlerie, en alternance, et en urgence…

Le verre au nez me ramena dans le concret du vin. Une vague florale, brève comme une brume d’été, la pierre et l’amande amère, de fines notes fugaces de pétrole vraiment très raffiné, puis les fruits mûrs, le citron, les fruits confits, la mangue rôtie, le raisin de Corinthe, le sucre candi, la cannelle. Un nez d’une folle élégance, complexe, riche et mesuré à la fois!!! Ah j’oubliais l’abricot… que nous aimons tous et tant!!! De la pulpe juteuse plein le nez, un délice olfactif. Dans le fond de ma conscience subjuguée, sous le charme, au sens propre, de ce nectar, sourdait comme la figure, inquiétante déjà, de «quelque chose», comme une incertitude naissante, l’ébauche d’un doute, l’affleurement d’une angoisse…

D’un coup d’un seul, fulgurant, comme la lame de Zorro dans le ciel Californien, «V.T» (Vendanges Tardives) s’inscrivit en lettres d’infamie, sur l’envers de mon frontal en sueur subite. NDD hurlai-je à l’intérieur de moi-même (In petto, one, one more! J’adorooore, comme disent les dindes au vocabulaire étriqué), me fissurant la rate, M’aurais-je trompé???? Il va bien falloir que ma bouche tranche, me dis-je tremblant, les intestins comprimés, flatulant comme un Bolivien qui aurait sniffé par mégarde de la farine bio, ultra-naturelle, non sulfitée, et à peine moulue…

L’heure de vérité sonnait à la pendule, les «Trissotins», (voir sur Google…) déjà, ricanaient dans la pénombre épaisse. Mais oui, vous savez bien, cette pénombre, ce truisme, récurrent dans les romans de gare, cette vague obscurité, dans laquelle les traîtres de tous bords, de tous temps, de toutes obédiences, de toutes confessions, copulent, à testicules en position de vol (oui je sais ça se lit bizarre, mais «couilles rabattues» ça fait redite, non?) , frénétiquement, comme des punaises sous coke, histoire de faire tomber le cours de mes bourses.

C’est à la bouche que l’affaire aurait à se régler.

Oui, de nos jours les duels à l’épée sont prohibés, comme détester BourgogneLive, dire qu’Aurélie, parce qu’elle est… blonde, souffler dans l’Olifant d’Olif, ne pas caresser VickyWine dans le sens des poils du canard jaune, pêter au Grand Tasting, «twitter» en Français, avoir un vocabulaire qui dépasse les cinquante mots… et bien d’autres petites choses sans importance, encore. Une seule question valait la peine de vivre, de respirer, qui me taraudait le chou : l’abricot serait-il sec ou serait-il de pulpe tendre et de sucre fondant???

L’attaque du vin fut poétique, subtile, élégante, droite, nette, fraîche, et de classe, comme un texte de «Littinéraires Viniques» (charité bien ordonnée…). Bref sursis qui ne put satisfaire mon orgueil. Ce fut alors une cascade douce de fruits jaunes, qui dévala la pente abrupte de mon gosier. Honte à moi, que je sois maudit jusqu’à la treize millième bouteille!!! D’un équilibre d’école certes, que cette VT. Rien ne dominait vraiment, et cela faisait le vin léger. Mais aussi, la pâte de coing croquante, la marmelade de citron, la cannelle, les épices douces confirmaient mes craintes, tout en douceur mais hélas, en tendresse (trop pour l’occasion) aussi. Puis le vin porta l’estocade, sous les fougueux assauts d’un abricot, comme j’en aurais volontiers croqué plus souvent. De l’essence de fruit, toute en jus subtilement sucré. La finale célébra la puissance du vin, longuement. La pierre derrière les fruits apparut, bien après que les poètes fussent disparus… Avec elle, une pointe d’amertume discrètement salée, me laissa la bouche plus propre que le plus expert des baisers goûlus.

Comme un taureau d’Hemingway, sous les regards énamourés des belles américaines aux corsages palpitants, escabellé je fus!!!

ETOUTEMOHONTITECOBUENE.

OSTERTAG : HEISSENBERG 2007.

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Je tombe – le «hasard» est souvent maître – sur un texte aussi délirant que navrant commis par un illuminé mystico-hystérique qui voit des tags austères sur les bouteilles des excellents Alsace de Monsieur Ostertag!

Non seulement le mot est facile, mais je trouve l’entreprise farfelue et les commentaires plus réducteurs que la pire des piquettes lavassées qu’il m’a été donné d’avaler!

Que ce monsieur, qui se pique de donner un avis, sombrant très vite dans le désolant, relise un peu modestement nombre de textes humbles, descriptifs, modérés, pesés, argumentés et réfléchis qui pullulent sur le Web!!!

Non mais!!!

Il est urgent de mettre de la mesure dans ce bordj virtuel! Il est temps que la caravane puisse suivre la piste sans essuyer les crachats purulents des mécréants de toutes obédiences, partis ou sectes.

Voilà Monsieur Chris-machin, je vous le dis en «direct-live» (suis quand même top-branché-télé pour un vieux, non?… Suis à la mode ce que le sucre est aux fraises.). Assez de vos délires incontrôlés. Foin de vos élucubrations ésotéri-coco-grinçantes. De grâce, por favor, ti prego, revenez parmi nous, essuyez vos narines enfarinées par l’extrait sec de coca pilé, conformez vous aux règles que suivent et respectent les contributeurs sérieux qui enrichissent de leurs commentaires pointus, de leur reportages fouillés, de leurs états d’âmes maîtrisés, cette interface dédiée au vin. Cette boisson divine que tous ici révérons, encensons, vénérons.

A vous lire nous sommes unanimement vénères!!!

Ceci étant dit, je vous conserve et mes camarades de libations aussi et néanmoins une considération toute minérale qu’il ne tient qu’à vous de consolider. Rejoignez-nous donc enfin. Que votre plume s’assagisse, que votre âge s’apaise, que votre morgue s’épuise, que vos commentaires rejoignent le cortège éclairé des respectueux, des énamourés du rouquin, de la bibine, du mazout, du piccolo, du pinard, du reginglard, du rouge comme du blanc.

Ce n’est pas que je sois un adepte du politiquement correct – le PDR lui-même, tantôt a su parler vrai aux besogneux de base. Mais… de là à sombrer dans l’obscurantisme, tant lexical que syntaxique, il y a moyen de faire moins par pitié, mais mieux… voire de défaire!!!

Sur le bord de mon bureau exempt de toutes fantaisies inutiles, vibre, sous l’effet de mon indignation sus-exprimée, l’or pâle – dans le verre qu’illumine la lumière chaude d’une lampe basse consommation (soin de la planète oblige) – de L’HEISSENBERG 2007 DU DOMAINE OSTERTAG.

Alors là, c’est du sérieux!!!

Je ne partirai pas Messieurs dans une série de digressions absconsantes, ronflantes, grandiloquentes, déclamatoires, boursouflées, creuses, emphatiques, voire ampoulées. Non j’irai droit au verre. Je m’attacherai, tel un maître de recherche du CNRS, à l’étude précise, exhaustive et froide de l’objet-vin.

Ah Putain Martin, pourtant…

Quand tu fourres le blair dans le cristal, ça fouette, dur et bon. Exotiques les fruits, l’ananas mûr surtout. C’est du chaud qui sucre le nez. Quelques notes, que dis-je, quelques soupçons sous-homéopathiques d’un pétrole si fin que les générations futures post-consuméristes en auront depuis longtemps oublié l’odeur subtile, quand l’un de nos très arrières petits enfants, ouvrant la bouteille nue dénichée sous un tas d’Ipad éventrés dans l’ancienne cave où vous entreposiez amoureusement, la nuque humide et le souffle court, vos précieux flacons deux cents ans auparavant, re-découvrira interloqué cette fragrance, plus ancienne que les parfums suaves des roses disparues. De la pierraille aussi, les fleurs blanches odorantes du printemps à venir, les vergers d’Israël et leur pamplemousses juteux également dans ce jus frais, dont les parfums vibrent comme l’eau d’un lac d’altitude sous une brise d’été.

Tu peux pas t’empêcher d’y mettre la bouche. Impossible, tant le nez t’a envoûté et fait de toi un esclave définitivement docile. T’arrive pas non plus à sortir le nez du verre. Alors, pour toi dont la trompe est moyennent subtile, pour toi qui ne pourra jamais déclamer la célèbre tirade c’est une séance de contrôle conjugué des appendices qui commence. Tu continues à respirer lentement tout en happant, au risque de te froisser la luette, une gorgée de liquide. Là tu te dis que t’as bien fait, parce que du nez à la bouche tu ne t’es pas rendu compte du passage tant les étages du vin sont équilibrés et harmonieux. La réglisse douce n’a pas fini de t’enchanter le reniflard que déjà les fruits, aussi mûrs que jaunes, t’emplissent le gueuloir. Une pointe de miel, fugace, une once de gras puis la lame sort du fourreau et te tranche tout ça menu menu… Les épices font cause commune pour tenir en respect les quelques tentatives susucrées qu’osent les fruits. Poivre blanc et piment enrobent un bois de réglisse douce qui s’efface sous l’action sans concession d’un suc de granit concassé, qui te laisse la dent blanche et la langue rose. Un petit voile salin sur les lèvres, aussi, que tu lèches avec gourmandise.

Sans doute le plus extraverti des vins de la gamme. Né des grès roses et des sables rouges Vosgiens, il est aussi solaire que «Fronholz» est aigu.

Tu vois Chris-crucifié, pondre un compte rendu de dégustation qui se tient c’est quand même pas l’Alsace à boire…

LE CASSE TÊTE DE L’IROQUOIS.

Jason Pollock.

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Dire que la Bourgogne est propice aux vagabondages et autres errances, est un lieu commun. Mais rien de moins commun qu’un truisme revisité … Et puis, se laisser emporter au pays infini des imaginaires, sentir en soi les mots affluer, comme des émotions brutes, comme autant de climats intimes et insoupçonnés, vivre la maraude qui s’installe, les nœuds qui se nouent, les images qui défilent, vous projetant dans l’espace-temps d’un rêve éveillé; j’avoue que je ne saurais m’en passer… Mieux même, je m’en régale, je m’en lèche les neurones, je m’en gave le plexus, dès que le possible m’en donne l’occasion.

Mais personne n’est maître de ses rêves.

Libres et indépendants, ils vont et viennent, fumerolles incontrôlées et enivrantes. C’est la quintessence de tous les paradis artificiels qui vient à vous, pour vous prendre à jamais. Plongez dans vos rêves, jamais ils ne vous asserviront…

Pendant ce temps, au cœur de la réalité-système solaire-planète Terre…

Hubert Chavy Meursault « Casse-Têtes » 2006.

C’est le temps du combat contre cette capsule de cire jaune, dure comme un calcaire du Bajocien; les entroques s’entrechoquent. La lame du sommelier ripe, crisse, et m’entaille le Mont de Venus, que mâle, je porte haut. Quelques gouttes de sang perlent et se noient, dans le torrent d’injures que je profère «in-petto», avec délice. Ah ces belles injures imagées, grasses comme des Marennes en juin, qui fusent, dans le secret des petites colères, goûteuses et épicées. Imaginez les sensations déclenchées par un suppositoire au piment oiseau, que distraits, vous auriez pris pour l’objet aussi fuselé qu’oblong, qui d’ordinaire calme vos toux hivernales… vous y êtes… mes frères en petites souffrances. Casse pattes et casse-cul, ce Casse-têtes!!!

 Enfin le col est dégagé, l’enfant va naître!!!

C’est au dessus du berceau de ce vin, juste né, que je me penche. La cire m’accueille…Par réflexe, je me recueille. Au travers de ce parfum monastique, pointent ensuite, discrètes, des notes de chèvrefeuille d’hiver. Le vin cristallin vibre sous le nez, comme un mirage Libyen. Austère et tendu, il attend son heure. Servile, je l’écoute, et remets la suite de ce demi-verre au lendemain…

L’air lui a ouvert le cœur, il se donne un peu mieux. Outre ce qui charmait le nez, de jolies touches de pêches blanches mûres, légères, et marquées par la fraîcheur verte et gourmande du «dessous de peau», me séduisent. C’est délicat, subtil et doux, comme l’épiderme tendre d’un bébé propre. Un vin de climat froid, assurément. La réglisse pure apparaît, de bâton, et sans sucre. De fines notes de poivre blanc closent le chapitre olfactif.

Casse-têtes, casse-têtes, ça tourne dans ma tête…

Des images en foule à toute allure…Montcalm, Canada, pas qui craquent sur la neige gelée, bruit soyeux d’un coq de bruyère qui s’envole. Le lapin blanc qui gratte le sol. Des tâches noires, sur l’immaculé des énergies absentes. Deux yeux qui scrutent. Le casse-tête du diable, d’un coup, au bout d’un bras nu. L’os qui craque, le corps sidéré qui s’abat, fusillé. Le sang qui goutte comme un acide rouge. La neige crépite.

Un Pollock sauvage s’inscrit dans le sol… A se cacher sous le lit à dix ans, et pleurer de frayeur, et de frissons mêlés!!!

L’attaque est aussi franche que fraîche. Un vin qui n’empâte pas!!! Les fruits, justes sucrés, équilibrent. Du fruit blanc, un miel léger, de la réglisse poivrée en bouche. La matière est tendre pourtant, et caresse, les griffes à peine sorties, comme un chaton qui ronronne. Un vin jeune somme toute, et qui l’affiche sans complexe. Un Meursault qui fait son Puligny.

Du fruit et de la cendre dans le verre vide.

Je tressaille, dernier frémissement d’un voyage qui s’achève…Le vin m’a emporté aux confins du conscient, et me laisse pantelant, et ravi.

Celui qui me lit peut-être, n’en revient pas…Moi non plus!!!

De l’Iroquois de nos jours, seule la crête vit encore.

DOMAINE ANDRIELLA LALA LALA .. CUVÉE EXTRÊME 2014.

6723304-10275965

Imaginez un peu, un grain de poussière sur un caillou perdu sur l’immensité bleue de Mare Nostrum ! Cinq hectares, un rien du tout, même pas un pointillé de lambrusques égarées, le long de la départementale 859, à la limite entre l’appellation Figari et la commune de Bonifacio. Pas d’AOC Figari possible, donc. Le domaine créé en 1998 couvre une superficie de confetti sur un terroir argilo-calcaire avec des poches de silice.

Un petit point vert enclavé, un peu plus clair que le maquis alentour.

Je descends en piqué, l’imagination permet tout, replie mes ailes et me pose au milieu des ceps tordus. Des leurs yeux noirs, silencieux et têtus, ils regardent au loin les eaux frangées d’écume de la baie de Figari et du golfe de Vintilegne. Dès que souffle la brise marine, je les vois, qui se déploient, étalant leurs feuilles vertes et découvrant leurs baies. Et quand je fais silence, que seul le libecciu gémit, je les entends soupirer d’aise d’abord, de plaisir ensuite, sous la caresse des vents iodés.

Les parcelles, cernées par le contrefort de la Punta Vituli, et au sud par le Monte Scubettu, à deux encablures de la Bocca di Testa, le long de l’axe routier entre Bonifacio et Sartène, se réveillent à la rosée, quand le soleil – là bas ça n’en manque pas –  ouvre un œil rose frangé d’orange, et s’endorment à la brune, sous le regard violet faiblissant de l’astre qui disparaît lentement à l’occident. Tout le jour, les baies alanguies se sont gorgées de sucre.

Le maître des vignes est un homme discret, paisible, un taiseux, à l’opposé des médiatisés, grands communicants, qui disent, redisent en boucle, discourent jusqu’à la péroraison, voire l’oraison et vendent leurs grands vins, supposés ou affirmés tels, à des prix zeppelinesques. Et comme de tous temps, ce qui est cher est forcément bon, hé bien les messieurs Jourdain se les arrachent à coup de gros billets juteux.

Une cuvée, la cuvée baptisée “Extrême” sur les fronts baptismaux de l’Alta Rocca toute proche. “La” cuvée haut de gamme, à moins de quinze euros au domaine, respecte les critères de L’AOC Figari, Niellucciu (50%) et Sciaccarellu (40%) majoritaires, avec de la syrah (10%) en complément. La vinification, macération lente en cuve inox, est traditionnelle, pas d’ajouts d’intrants et autres poudres de perlimpinpin. Jean Baptiste Grimaldi, rien à voir avec le Prince d’opérette de Monaco, fait son vin, qui vieillit ensuite un an en vieux fûts. Sans complication œnologiques à la mode de chez “je sais tout”.

Voilà, voilà, pour le côté poético-technico-amateur-éclairé-à-deux-balles.

Au sortir de la bouteille prestement ouverte, un fond de verre m’envoie un peu de fruits au nez. Sans avoir eu besoin de dire, le vin me demande de l’air. Ses raisins, habitués aux courants d’air, aspirent à retrouver leur souffle. Alors je découche le vin de sa bouteille, un peu comme on délivre les fesses dodues d’un bébé rougies par les couches.

Au frais de la cave tout un matin, je le laisse se déployer en silence, comme un papillon au sortir du cocon.

C’est un disque brillant, immobile, d’un beau rubis grenat, qui s’étale dans mon verre, habillant ses parois fines et arrondies, de belles arabesques grasses. Sous mon nez curieux, c’est un bouquet complexe qui monte. Complexe parce que tout y est harmonieusement mêlé. Dire qu’on y distingue des notes de fraise, de cerise, plutôt griotte, agrémentées d’une touche de noyau croqué, le tout enrobé d’épices douces amèrement réglissées, suffit amplement. Pour autant, le vin ne s’étale pas encore, frileux, il reste dans ses langes, et je sens le bouquet de boutons entrouverts, plus que de fleurs épanouies.

L’attaque est fraîche, épicée, fruitée, réglissée – la réglisse en bâton – le vin ne manque, ni de corps, ni d’allonge et tient le palais en respect sans jamais faiblir. La matière est conséquente, droite, centrée, goûteuse. A l’avalée, c’est peu dire que mon gosier s’amourache. La finale est longue, le vin ne perd son fruit et ses épices que lentement. Les tannins ciselés, enrobés, réglissés sont parfaitement mûrs. Ni dureté, ni la moindre astringence. Ils me disent simplement, que le vin qu’ils structurent est bien jeune, mais tout à fait agréable déjà.

Je rouvre les yeux, sur un ciel pluvio-merdouilleux, à ne pas mettre un ceps dehors. Sur mes lèvres, un peu des embruns du golfe ….

“A ringraziavi O Batti” …..