Littinéraires viniques » Christian Bétourné

L’ADIEU AUX LARMES …

1017499_10200110181262788_462892179_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

A force
De pleurer,
La source
A tari.
Lui,
Bel amour
Joli,
Il a vidé
Les yeux
Des orages
Maudits,
Broyé
L’espoir.

Les poires
Blettiront
Entre d’autres
Menottes,
Serrées,
Patientes,
Lentes.

Accrochées,
Au rose
Des joues,
Les larmes
Séchées
Des tendresses
Envolées.

Dans le silence,
La pente,
Des reins
Meurtris,
Connaîtra
Les délices
Des amours
Complices.
Et pleure
Le gland
Melliflluent,
Des élixirs
Blancs
Qui coulaient
En grumeaux
D’argent
Sur le ventre
Gluant.

Obsidienne,
Factice,
Si lisse,
La peine,
Trop pleine,
Pour que vienne,
Le temps,
Harassant,
Du souvenir
Glaçant,
Des atermoiements
Désolants.
Mutine,
Coquine,
Souris,
Regard
Banni …

Dans la nuit
Du sommeil,
Envolée,
L’abeille,
S’est
Évaporée.
Pierre
De lune,
Au sommet
De la dune
Reste,
Perchée.
A l’équilibre
Instable,
Les larmes,
As préféré.

Pleure
La douleur.

Coule
La douceur,
Aimer
Ne sais.
De caresses,
Drôlesse,
Privé
Il est.

Poivre

Concassé,

Désir

Castré,

Plaisir

Refusé.

L’adieu

Aux larmes

A sonné.

A,

Le rat,

B,

Musqué,

C,

A crié,

D,

Dépiauté,

Dévasté

Déglingué.

Radieux,

Le soleil,

S’est couché.

Humide,

La lune,

Timide,

S’est levée …

CASSE, TOI QUI CASSE …

Casse le cœur

Des couilles,

Casse les couilles

Du cœur,

Lâche,

Fugace,

Rapace.

Peureuse,

Dévoreuse

Radieuse,

Petit cœur,

Bonheur,

Balance

Ta pulpe

Grasse,

Mielleuse,

Sur la rose

Fanée.

Hardeuse

Heureuse

J’aime

Ta gemme

Inexplorée.

Rêve

D’orfèvre,

De perle

Enchâssée,

Brisée …

 

 

 

Lance,

Brillante,

Ta fiente,

Agace,

Perce

Ta fente,

Ta mousse,

Éteint

Les globes,

Laisse

Ta robe,

Tes orbes

Se pâmer.

Au vent léger,

Tu es allée,

Désagrégée.

Te pendre

Au cou brisé

D’un amour

Hésitant,

Que porte le vent

Léger

Sous ta jupe,

Parachute,

Envolée.

Ma grâce,

Tu m’as,

Grognasse,

Déglingué…

 

 

 

Vorace,

Tu m’as

Exaspéré.

Pablo Casals,

Laisse aller

Ton archet,

Sa gomme

Arabique

L’a révulsée.

Brisée,

Elle s’est donnée,

Écartelée,

Aux coups furieux,

Sulfureux,

Dorés,

Et répétés,

De ses ardeurs

Renouvelées,

Tu as crié,

Adoré,

Ce jour

Maudit.

Et tu renies

Hésites,

Marrie,

A me consoler.

Le souvenir,

Menhir

Sanglant,

Te plaît…

 

 

 

 Dans la nuit,

Chouette,

Il t’a faite

Hululer.

Entre les étoiles

Scintillantes,

Il t’a emportée.

Moribonde,

Tu as bramé.

Tu cries

Au ciel,

A la voûte

Étoilée,

Ta peine

Ultime,

Qui sourd

De la pine

Sacrée,

Des espoirs

Inexplorés.

Le seuil,

Cercueil

De ta vie

Rêvée,

Jamais,

Tu n’oseras

Passer …

 

 

 

Livide,

Déchu,

J’erre,

A demi nu.

Excalibur,

Si dure,

Pure,

Épée d’acier

Trempé,

Découpe,

La loupe,

Défonce

La houppe,

Remplis

La soute,

Vide

Tes flancs,

Plonge,

Crève

Les flots

Blancs,

Allège

Le cœur

De tes amants.

Rutile,

Nubile,

Fée

Dépecée.

Jamais.

Rubis,

Paradis

Souris …

 

 

 Casse,

Toi qui casse,

Enlace

Moi.

ACHILLE ET L’ENFANT …

Marianne Stokes. la vierge et l'enfantMarianne Stokes. La Vierge à l’Enfant.

 

C’est l’heure …

Achille s’ébroue. Du mal à décoller de sa couche qui le réchauffe. Landonne ne va pas tarder. Deux semaines qu’il esquive, louvoie, emmuré dans un silence buté, la tête prise dans un ciment épais, collant, qui lui englue les neurones dans une sauce épaisse, une béchamel grasse, une soupe de légumes broyés à la moulinette émotionnelle. Il sent bien que son plexus qui irradie nuit et jour une chaleur brûlante le bloque, l’empêche, comme si le passé délétère ne voulait pas remonter, de peur de se dissoudre, de disparaître à la lumière crue de sa conscience claire. Alors il s’assied à chaque fois face à la dame, le dos droit sur sa chaise, jambes croisées, serrées à se faire mal aux génitoires. Visage fermé comme celui d’un enfant capricieux, tête baissée il se perd dans la contemplation des chaussures noires de cette femme si patiente, se noie dans le cuir verni, se dissout dans les boucles argentées qui les ornent. Achille se dilue, s’échappe, se ferme de peur de mourir. Cela vient de loin, il le sent bien, quelque chose d’avant la parole, d’avant les premières idées, du temps très ancien, archaïque des premières croyances élaborées d’instinct au creux de son ventre de bébé en pleurs. Mais il repousse ces émotions, ces idées confuses, comme si les reconnaître le tuerait, le renverrait à l’avant vie, petite tête agitée au bout d’un spermatozoïde à flagelle, qui grimpe, qui grimpe …

Nan bredouille l’enfant en hurlant qui s’agrippe de toute la force de ses petites mains potelées aux barreaux du lit blanc. C’est qu’il est puissant l’enfantelet, il tient Achille par la nuque et lui écrase le cœur de toutes ses forces décuplées par la rage de survivre. Ce cœur en purée incarnate, chaude, dégoûtante, coule dans sa poitrine, l’étouffe, le paralyse, s’immisce en grumeaux paralysants jusque dans ses extrémités, lui transforme la verge en pousse de radis, lui broie les tripes et lui crame le ventre. Achille se recroqueville tant bien que mal, un goût métallique de vieux sang séché lui mange la bouche. Le soupir d’un enfant au cœur gros s’échappe de sa bouche, malgré lui. Landonne le regarde, son regard brille mais pas trop, ce qu’il faut pour qu’il ne sente pas sollicité mais discrètement encouragé cependant à dire ou non. Mais qu’il lui est difficile de se redresser, de lever la tête et de regarder le visage de cette femme ! Rien à voir avec Marie-Madeleine, avec cette rousse charnue, charnelle, bandante. Impossible de la regarder d’un œil spermatique, de jouer la séduction, de faire la voix sourde, de la fixer dans le blanc des seins jusqu’à la faire bafouiller, tant et tant qu’à la fin les obus pointent, prêts à craquer!!! Non, Landonne a quelque chose de sexuellement neutre pour Achille, quelque chose de doux, de réconfortant, son corps n’est pas fait de courbes audacieuses, de défis à l’équilibre, de sucs succulents, il est même un peu massif, mal dégrossi, d’un bloc, mais rassurant. Sa mise n’est pas triste, elle est vêtue élégamment pourtant mais elle ne sent pas le cul. Elle dégage des vibrations douces, à s’y blottir, elle l’apaise, l’autorise à se taire, à attendre, c’est bon .

Achille a regagné sa tanière, son antre, son refuge, il s’est allongé la nuit venue, nuit sans lune, silencieuse, effrayante, sidérante. Fœtal, poings serrés sous le menton, dos courbé, genoux sur la poitrine, il fait son œuf sous sa coquille de laine chaude, il bout, macère dans son jus, renifle, cherche des odeurs qu’il ne retrouve plus, si proches mais oubliées. Sous l’os épais de son crâne obtus, dans son hémisphère gauche Descartes pontifie, analyse, dissèque, relie, écarte, juge, soupèse. En vain. Les brumes du passé, enfouies sous les injonctions, les interdits, les refoulements, les reniflements du mental, sont floues, insaisissables, comme des fumerolles, comme les mirages au désert. Achille patauge dans l’indicible comme un chien lourdaud. Alors il respire, lentement, longtemps, avant de s’endormir …

L’ourson n’a plus qu’un œil, mais un œil au regard étonné plein du regret de qui lui arrive, lui qui n’est que pur amour, il ne dit rien et sa bouche qu’il n’a pas reste close. Sous les gencives édentées de l’enfant qui le mord, il subit. Sa peau pelée, au poil arraché, n’est plus que tissu élimé, prêt à craquer, mais l’ourson, compagnon des douleurs, aime à mourir ce petit bout de chair rose qui le martyrise pourtant. Tant et tant, tant et plus, qu’à la fin il cède. Un peu. Et la paille rêche qui pointe du petit trou au creux de son flanc griffe l’enfant. Et nounours verse les larmes absentes de sa souffrance sur la joue rebondie du bambin qui piaille. Le bébé trépigne de joie mauvaise quand craque le bras gauche de la peluche qu’il l’agite convulsivement. La paille éparpillée dans le petit lit blanc lui fait la couche de l’enfant de Noël. Dans le grand lit d’à côté, ça gémit, ça soupire, ça se retient pourtant. Alors soudain les cris aigus de l’enfant en terreur éclairent la chambre.

Dans son lit d’adulte Achille gémit dans son sommeil, ses mains s’agitent sur le vieil ours disparu. Ses propres cris le réveillent, corps tendu, douloureux. Il se lève comme un automate un peu rouillé et se dirige au radar vers les toilettes. En traversant le couloir il se traîne, maladroit comme un automate rouillé, ses genoux cognent contre la porcelaine et sa vessie pleine obstrue sa conscience en demi sommeil. Et le voilà penché vers l’œil en pleurs qu’il regarde, un peu hagard, du haut de ses trois ans. Maladroit il se met à pisser comme un enfant qui vise le fond de la cuvette. Il lui semble ne tenir en main qu’un appendice minuscule, fragile et tremblant. Il est là, debout sur ses jambes, d’adulte pourtant, il le sait bien, qui contemple du fond de son âge le jet de gouttelettes très pâles qui giclent sur les parois lisses de la céramique. Comme autant de petits soleils jaunes remontés d’un hiver lointain qui se suivent en guirlande lumineuse, la pisse des soleils couchants coule en flots drus qui éclatent en écailles de lumière crue et sonore sur les chiottes immaculés. Ce matin Achille rejette tous les soleils de tous les soirs de sa vie. Ce soir une intuition aveuglante le frappe, il pissera tous les soleils levants, morts et perdus depuis le jour de sa naissance. Achille pisse les temps à l’envers et cela le soulage. Autant que sa vessie qui soupire de plaisir. Dans l’eau croupie des gogues l’araignée à demi noyée se débat, ses pattes crochues glissent sur la céramique humide, elle couine et menace toujours, pourtant …

Ce matin Landonne a changé de tenue, elle s’est recouverte de feuilles d’automne, aux pieds ses chaussures marrons parfaitement cirées attendent qu’Achille veuille bien. C’est à chaque fois pour lui une douleur immense de lever la tête, de regarder dans les yeux cette femme paisible, cette femme si patiente qui ne demande rien. Le temps passe inexorablement. Entre ses mains serrées Achille compte les secondes de sable de ce temps si précieux qu’il s’obstine à gâcher. Ses lèvres s’entrouvrent parfois, balbutient un peu d’air en bulles, mais aucun mot articulé ne sort d’entre ses mâchoires crispées. Le temps s’étire comme une patte molle sous un rouleau enfariné. Les chaussures brillantes de Landonne sont immobiles. De temps à autre elle décroise les jambes pour les recroiser à l’inverse, on dirait les aiguilles d’une horloge invisible qui marque les minutes lentes, elles lui disent que le présent n’est qu’un leurre, qu’il est impossible le retrouver le temps passé, le temps imparfait de son passé pas simple. Il a beau serrer les doigts très fort, le passé dévore le présent, le présent n’existe pas.

Achille n’a pas pu, il s’est levé l’heure échue, s’en est allé sans avoir pu relever la tête. Il se sent lourd comme un sac d’éclats de pierres. Et noir de rage intérieure. D’un coup de tête rageur il veut ouvrir sa porte. Elle claque violemment contre le mur et rebondit, joueuse, pour lui ouvrir le front.

Achille a chaussé ses bottes de sept lieues, il fonce dans les allées, dérape sur les herbes mouillées, se griffe aux branches basses qui laissent sur ses jambes des limaces de sang et de lymphe. Le vent qui s’est levé le fouette et le freine. Sous ses côtes meurtries son cœur s’affole, quitte sa poitrine et s’envole comme un soleil blessé. Sous son crâne en surchauffe un tambour sauvage imprime le rythme sourd de la montée à l’échafaud. A courir au-dessus de ses forces son regard se voile, ses chairs crient, ses tendons sont à la rupture, ses jambes moulinent son désespoir. Le vent redouble, il croit entendre l’enfant hurler dans les branches. Oscar ne se montre pas, seul, immensément seul Achille trace sa route. Une dernière racine qu’il ne peut éviter le jette à terre, il s’écroule d’un bloc, son front heurte la terre grasse et trace un sillon dans les feuilles pourries, un goût de champignon lui envahit la bouche, il étouffe à moitié, se débat, crache et se retourne sur le dos, jambes flasques, haletant. Le ciel gris vire au rouge, les chants des oiseaux cessent, le vent tombe lui aussi, les sons du monde s’éteignent, il ferme les yeux, la peur le déchire.

Éberlué, n’en croyant pas ses yeux qui ne voient plus, pétrifié par les deux grands yeux bleus qui le regardent plein de rage et de fureur, Achille ne bouge plus. C’est un éclair blanc, aveuglant qui le dessille, lui déchire le cerveau.

L’araignée est un enfant !

Achille le désintégré rit en silence sous la pluie jaune qui inonde son bureau. Sa lampe se fout bien du temps qui passe, elle lui donnera le jour au creux de ses nuits blêmes jusqu’à son dernier rayon. Montlouis, à moi ! Ce qui le fait ricaner plus encore. A regarder la robe d’or fin de ce vin qui lui renvoie les feux vifs de la lampe, il se calme un peu. Son rire mouillé s’affaisse, comme lui, alors qu’il se souvient de sa chute douloureuse, de cette révélation sous le ciel rouge qui s’est éclairé jadis avant que la mort l’emporte. Quand l’araignée a mué, quand l’enfant s’est montré. Ce petit con puissant, assis ce soir, très sage, juste contre lui. Un pauvre môme devenu alcoolique depuis qu’il l’incite à sucer le goulot. Rires ! Tous deux se marrent. Le vieillard et l’enfant. Achille lui fourre sous le nez le lac d’un vin clair, ce chenin « Les Tuffeaux » 2009 de François Chidaine, un vin de tendresse pour célébrer les retrouvailles nocturnes et graves du vieillard et de l’enfant. Sous la fleur d’acacia l’enfant éternue, il salive quand le miel parfumé le caresse, quand le jus mûr lui offre son très fin botrytis, il sourit ; et s’affole un instant, avant qu’Achille ne le calme de la main, quand la cire de la ruche lui fait croire aux abeilles piqueuses, et salive quand la mangue et l’ananas, en fragrances sucrées, lui montent aux narines. L’enfant sourit à nouveau, Achille a larmoyé. Mais le jus frais coule dans sa bouche, les fruits jaunes que la pêche a rejoints, gonflent, soyeux et mûrs sur sa langue aux papilles fatiguées, puis la cire des abeilles, le miel léger, le poivre blanc dansent et rient comme l’enfant ébahi sous la caresse goûteuse de ce vin qu’il ne boit pas. Achille a fermé les yeux et ceux de l’enfant quand le jus, gagné par la fraîcheur, coule dans sa gorge. Sur leurs langues turgides, le tuffeau, le poivre et la réglisse s’éternisent …

Achille a posé,

Sur les épaules frêles

De l’enfant blond

A demi endormi,

Légèrement,

Son bras …

 

ERASSÉMORÉTINÉECONE.

JULES CASÉ …

Laqué,

Comme,

Un canard,

Sur le chinois,

Coule

Le jus,

Il brille

Et palpite,

Sous la braise

Qui l’ambre …

—–

A feu doux,

Il fond

Comme,

Une gomme

Fluide.

Une bougie

De cire

Chaude,

Elle Coule

Comme

Un cierge

Maudit …

—–

Sur le tabernacle

Profane

Qui luit,

Gras

De plaisir.

Dans l’ombre

Propice,

Et ne résiste pas

A l’oeil

Torve …

—–

A sa morve

Translucide,

Qui brille,

Sous la lune

Exorbitée.

L’astre

D’albâtre,

Cyclope

Énucléé,

Baille,

Pleure

Et quémande …

—–

La goutte

D’or blanc,

Dernière,

Issue

De l’amant

Dont la moelle

Epinière

Sourd

De son gland

Branlant,

Dodelinant,

Après

Que sa charge,

Il a jeté …

—–

Dans le rail

Profond

Qui va

De la fesse

Au con,

Il défaille,

Tressaille,

S’englue

Tout près

Du cul …

—–

Canyon,

Arizona,

Barbe

A papa,

Délices,

Réglisse,

Il glisse,

Velu,

Repu,

Glandu …

—–

Impavide

La lune

Se vide

De son plaisir

Hurlant.

Fusion,

Métal,

Faïence

Fessue

Fondue.

Défaillance

Or blanc …

—–

Jules

Hulule,

Brûle,

Et se vide,

De ses humeurs

Musquées,

A pleurer.

MA CATIN …

Sous la caresse

Du vent,

La chair rosée

De l’odalisque

Au repos

Frémit.

Sous les dentelles,

Resserrés,

Ses oblongs

Tressaillent,

Son ventre

Baille.

Désir,

Soupir

Rouge …

Sur son ventre,

Sa main

Repose.

Demain

Je tiendrai

Son sein,

M’y fondrai

Comme rosée

Au pré.

Caresserai

Le giron

Rond,

Ombilic,

Te pique,

A coup

De dents

Humides …

Tombé

Dans la vallée

Cachée,

Centre des

Rêves

Éveillés,

Des plongées

Profondes

Vers l’autre

Monde.

Perdre

Le souffle,

Boire

A la source

De ma vie.

Au fond

De ce puits

Clair

Ton regard

Hagard

Quand je.

Offrande.

Chaude …

Jambes

serrées

Autour

De la taille

Cambrée,

Le dard

Travaille

Si tard.

Creuse

Dans ta chair

De multiples

Éclairs

Violets.

Fouaille,

Tenaille,

Broussaille.

Éclairs

Gelés,

Corps

Liquéfiés.

Parfums

De rose

Éclatée …

Sur l’aine

Perlée,

Qui court

Sur ton flanc,

Je dépose,

Crémeux,

Des larmes

De ce lait

Brûlant,

Qui sourd

De mes reins.

Ma reine,

Ma peine,

Ma laine

Brossée.

L’aigrefin

Et sa catin.

Flamboyante

Tremblante

Énamourée …

Comme

Mon Amour

Irradiant

Entre

Tes fesses,

Hurlant,

Quand tu

Enfournes

Le gland

De ton amant

Deshérent ,

Te tords,

Me mords.

Serpent

Errant.

Diamant

Étincelant …

Allongé
Sur le flanc
Je regarde
Le ciel
De ta peau
D’opale.

LACIS …

 

Lacis de veines,

Et de ravines

Serrées,

Sur dentelles rouges,

De sang contenu,

Qui ne demande

Qu’à pulser,

Bouillonner ,

Donner à boire,

Ses bijoux,

D’or fin,

De peau diaphane,

De musc

Délicat,

De nougat

Sucré.

Poivré,

Aussi.

A s’étouffer …

 

 

 

A croire

Que le bonheur

Existe,

Qu’il est là,

Sous la main,

Qu’il palpite,

Comme un oiseau,

Aux plumes tièdes,

Inespéré.

Croquer,

A pleines dents,

Ses chairs

Goûteuses,

Son jus.

Verjus

D’amour.

Suave.

Goyaves

Mûres

Soleil,

Nié …

 

 

 

A percer

L’ombre

Touffue

Des lointains

Inatteignables.

A vivre

De pleines nuits

De plaisirs

Partagés.

A se gaver

Encore,

Encore,

Tant et plus,

De liqueurs

Précieuses,

De regards fous

Et de baisers

Charnus.

A se gorger

De viande

crue,

Lourdes,

A me ravir,

Fines,

A me désaltérer,

Me graisser,

Les babines,

Retroussées …

 

 

Soupirs,

Discrets,

Fleurs

Écrasées.

Souffles

Mêlés,

Embrasés,

Brûlants.

Secrets

Chuchotés,

Désirs

Cinglants,

Culs

Démontés,

Mains

Enlacées.

Verres brisés,

Souffle

Coupé.

Braises

Enflammées.

Opales

Fondantes …

 

 

 

Nuits

Interminables,

Peaux

Abrasées,

Cuisses

Râpées

A force

D’être frottées.

Coeurs

Exsangues,

Voix

Blanches

Des crèmes

Accueillies.

Corps

Épuisés,

Touffes

Écrasées

Sous le boutoir.

La Loire coule,

Maboule,

Sur les

Draps blancs.

Membres

brisés,

Mains enlacées

Regards

Hagards …

 

 

 

 

Échines

Ployées,

A se damner.

Mon velours.

Amour.

 

ACHILLE ENTRE L’ARBRE ET LE POULPE …

408737_4754712871248_1900606208_n Insulaire anonyme. Dessin de nuit.

 

Achille pétochait dur …

Assis sur le banc fatigué à l’entrée du pavillon il attendait qu’on l’appelle. Mais qu’allait-il pouvoir dire à cette femme, cette Landonne au nom de grande syrah qui l’avait une seule fois enchanté, ravi, livré, pieds, poings et papilles liés à ses pieds. Dans sa tête en feu le souvenir de ce vin de pure grâce le soutenait. Ses jambes battaient spasmodiquement le sol sous ses pieds, il luttait pour ne pas s’enfuir, courir dans les allées pour chercher Oscar son ami à fourrure. Comme un dératé avaler les sentes herbues entre les arbres si souvent frôlés, accélérer sans cesse et remplir ses poumons de l’air coupant de ce matin gris. Achille avait peur et cette peur stridulante et glaciale congelait la bête aux mille pattes qui distillait dans ses veines durcies cette angoisse qui lentement le tuait. Il l’avait découvert récemment, la peur est plus forte que l’angoisse, comme un yatagan à la lame sifflante elle découpait, annihilait tout ce qui tentait de s’opposer à elle. Les pattes griffues de cette salope d’araignée, coupées nettes, giclaient leur sang noir, ses yeux crevés par la pointe du kriss dégorgeaient leurs humeurs glauques et ses mandibules aux crocs mortels explosaient sous les coups. Achille respirait à petits coups douloureux, tête baissée et poings serrés.

Au travers du brouillard sanglant qui l’avait envahi il entendit à peine la voix calme qui lui disait « Monsieur Achille » ? Il suçait encore une des pattes velues de la salope et son jus de carogne pourrie lui empuantissait la bouche, quand il se leva, tête toujours baissée. A quelques pas de lui deux chaussures noires, vernies, à talons compensés, attendaient patiemment qu’il veuille bien relever la tête. Il prit son temps. Sans un mot de plus les chaussures firent demi tour, il les suivit. Elles s’installèrent dans un petit bureau. Les chaussures bien propres, luisantes, esquissèrent une danse rapide quand Landonne croisa les jambes. Achille gardait les yeux fixés sur les boucles de métal luisant qui les ornaient. L’image d’un courtisan replet, habillé des mêmes boucles, posé le cul pointu sur un siège de velours dans l’antichambre de Louis XIV, lui traversa l’esprit. Son rire intérieur, pour autant, ne sécha pas le filet de sueur chaude qui glissait entre ses fesses durcies par la crainte. Lentement il releva la tête. Le visage de la femme, dodu, souriait sans se forcer. Elle avait de petits yeux ronds, vifs, dont la lumière chaude était un brin espiègle. Des sourcils noirs, une chevelure taillée courte, épaisse et raide, un nez sans défauts, deux lèvres pâles et fines qui lui faisaient une bouche plutôt large, un cou gracile posé sur des épaules solides. Elle lui fit penser à un kit aux pièces dépareillées. Achille bredouilla un « Bonjour madame syrah » qui se voulait fin, ne l’était pas et qui tomba comme une crêpe molle dans l’eau d’un bassin. Madame Landonne ne parut pas surprise sans pour autant comprendre. «Vous n’aimez pas le vin ?» poursuivit-il d’une voix plus aiguë qu’à l’habitude. «Pas plus que ça, je préfère le thé», l’entendit-il répondre.

Achille, à la verve d’ordinaire affûtée, resta sans voix. Un silence de près d’une heure s’ensuivit. Landonne ne souriait pas outre mesure, comme ces psys toujours heureux qui affichent sur leurs lèvres un peu crispées ce sourire de façade qui engage à se taire plus qu’à se livrer. Du reste dans ce bureau minuscule aux murs vides, cette femme dont le regard seul attirait l’œil ressemblait plus à une passante, de celles que l’on ne remarque pas, assise sous un abri bus, qu’à une professionnelle des inconscients meurtris.

Elle fut la première à parler, lui signifiant par là qu’elle ne cherchait aucun pouvoir, pour lui proposer de passer avec elle une heure deux fois par semaine. Achille dut faire un gros effort pour répondre « oui », un oui net cette fois qui sonna à son oreille comme son ancienne voix. Puis elle ajouta que ces temps lui appartiendraient, qu’il en ferait ce qu’il voudrait bien qu’ils deviennent avec ou sans elle. Qu’il verrait bien. Achille ne lui fit pas son numéro de taré, il ne joua pas au dépressif profond baveux. Sa peur se diluait et l’araignée pourtant ne mouftait pas ! Landonne se leva, l’heure qu’il avait peinte en blanc venait de se terminer, elle lui tendit la main d’un air aimable et naturel. Il la prit sans hésiter. Elle était chaude, de taille moyenne, ferme ce qu’il faut, sa peau était douce, ni moite, ni sèche. Il se retint pourtant de l’écraser méchamment comme il aimait à le faire avec les volailles du pavillon. Leur poignée de main fut mesurée mais agréable et l’énergie paisible de cette peau qu’il ressentit finit de l’apaiser. Il la garda un peu plus longtemps que nécessaire et ferma les yeux. Landonne le laissa faire un instant, puis après une si légère pression des doigts qu’il la sentit à peine, elle se dégagea doucement. Elle sortit laissant Achille seul Qui se crut, étrangement, abandonné.

Étendu sur sa couche étroite comme un gisant sur son marbre froid Achille se demandait ce qu’il allait faire, ce qu’il pourrait bien trouver à dire au prochain entretien. Mais quelle frelon l’avait donc piqué à vouloir ainsi «travailler» avec une thérapeute ? Il se persuadait de n’avoir rien à lui dire et ne supportait l’idée de faire la carpe face à elle. Il avait beau fermer les yeux et laisser venir les images, qui croyait-il l’éclaireraient, sous ses paupières closes ce n’était que nuit grise, silence et vacuité. Sous sa fenêtre quelques mésanges charbonnières zinzinulaient et leurs chants de croches aiguës résonnaient dans le silence de la chambre. Achille les écoutaient, il s’accrochait à leurs pépiements pour ne pas perdre pied. Il bascula sur le côté, ramena ses genoux contre son torse et s’endormit.

Dans le froid d’une nuit d’hiver un nourrisson aux grands yeux écarquillés serre entre ses mains potelées une couverture bleue qu’il suce par saccades. Proche de lui, dans un lit gigantesque, un homme et une femme gémissent et bougent en rythme. Le bébé est terrifié par ces bruits, incongrus pour lui, qui lui font peur. Pourtant il ne pleure pas. En silence il appelle sa mère. Elle ne vient pas. Au creux de son ventre affolé, un vide, comme une absence définitive, s’installe. Au petit matin froid sa mère se penche sur lui et l’emporte entre ses bras. Déjà il redoute l’instant où elle le reposera entre les barreaux blancs du lit abondamment mouillé.

Achille se réveilla en sursaut, le soleil avait baissé et sa lumière orangée jouait avec la poussière qui flottait dans la pièce. D’un coup de rein Il se releva, s’assit sur le bord du lit humide de sueur, son ventre brûlait et son dos était trempé, une moiteur dégoûtante poisseuse et glacée. Dehors les mésanges à joues blanches s’étaient tues. Sous ses paupières lasses l’image de l’enfant apeuré persistait. Dans l’intervalle des mondes, sur le ciel rouge, l’arbre-poulpe pulsait …

Madame Landonne revint le surlendemain, son corps massif était corseté dans une robe noire. Dans le bureau Achille lui fit face, prit avec précaution la main qu’elle lui tendait, petite, douce et franche. Il tremblait un peu ne sachant que dire. Elle souriait à peine mais ses yeux au regard direct et sans affectation attendaient paisiblement qu’il veuille bien. Mieux, qu’il puisse. D’une voix sourde, les yeux baissés, tout nu dans ses vêtements, il raconta son cauchemar. Elle se taisait, ne l’abreuvait de ces « hummm » de psy, d’invites à poursuivre, non, elle ne grimaçait pas non plus un sourire de pro, un de ces sourires qui l’aurait mit en furie. Il la sentait attentive, calme et réellement présente, ouverte, d’une neutralité bienveillante. Cette femme lui plut. Il sut qu’il ne jouerait pas avec elle. Qu’il partait pour un long voyage chaotique.

Dans sa mémoire à vif Sophie souriait …

Dans l’ombre épaisse de cette nuit orpheline de la lune la lumière drue de sa lampe de fortune, comme un diamant jaune, rutile. Achille le momifié adossé à son fauteuil de bois déverni émerge ; une douleur sourde, comme un papier de verre qui lui gratterait les chairs, tarde à s’estomper. Sous l’exact cône d’ambre clair opalescent le cristal à long pied abrite au creux de ses hanches rondes la demi sphère d’un vin de rubis, clair, lumineux dont le cœur immobile concentre l’or foncé de la calbombe. La nuit le cœur des vins s’illumine. Plus Achille se concentre sur la robe fluide, plus il remonte des limbes. Non ce n’est pas une Landonne de belle année, c’eût été trop. Non ce soir il aspire aux parfums subtils de la Bourgogne, alors il se penche sur le cercle étroit du verre. Une rose délicate délivre son parfum gracile jusqu’au profond de son appendice en prière, le charme et le ramène au présent. Généreuse elle s’efface un instant devant les fruits rouges, mûrs, juteux, encore mouillés par la rosée de l’été naissant. Dans le lointain le regard de l’enfant apeuré s’adoucit quand le parfum sucré de la cerise tendre, des épices douces et du cuir gras, lui chatouillent le nez. Puis le jus clair passe le buvant de cristal et coule dans sa bouche, frais et délicieux. Lentement il se resserre, enfle et roule sur sa langue incurvée, glisse et envahit son palais. Derrière la finesse la puissance apparaît, la chair de la fleur et des fruits, une chair pulpeuse, riche et goûteuse. Les épices douces émergent eux aussi et donnent au vin un relief, une consistance supplémentaires. Achille trémule et sa peau, sous la caresse du jus, un instant tressaille. Et pourtant quelle délicatesse en bouche, cette soie mouvante, une peau d’amour qui équilibre la force de cette vieille vigne. Oui ce Clos de la Roche 2006 du Domaine Castagnier est digne de son rang. Quand enfin, à regret, il bascule derrière la luette, le Clos laisse derrière lui quelque chose du sourire tremblé de Sophie, si longuement qu’il la croit encore présente, les mailles réglissées et finement grillées de ses tannins soyeux aussi.

Sur la roche crissante

De son souvenir

Aux yeux clos,

Dans le verre vide,

La rose de Sophie,

Lentement, a refleuri

Quelques instants …

 

EMENOTIVRACCONE.

ACHILLE ET LE COMBAT DES OMBRES …

Daniel Tramer. bassethoundDaniel Tramer. Bassethound.

 

Ils rentrèrent au pas de charge …

Olive courait presque. Lui l’agité perpétuel, capable d’extrêmes folies, qui n’avait pas hésité lors d’une de ses phases délirantes à semer la panique aux Halles de Paris jusqu’à ameuter les forces de police après qu’il a explosé plusieurs vitrines, poursuivi qu’il était par une meute d’agents secrets imaginaires et féroces, oui, lui ne mouftait pas et trottinait derrière ACHILLE comme un loulou de Poméranie derrière un dogue.

Fatigué par la longue marche de l’après midi, Achille s’endormit le soir venu plus serein que Mao Zedong au bord de la rivière aux sables d’or. Armé des deux aiguilles de sa montre il combattit toute la nuit une araignée noire aux mandibules puissantes qui le poursuivait sans relâche. Fourbu, épuisé, au bord de la reddition, sur le somment venteux d’une haute montagne perdue dans une brume épaisse, les pieds crispés sur le bord d’une falaise abrupte, il ferrailla une dernière fois, frappant désespérément le monstre, en vain, ses aiguilles tordues, émoussées, restèrent impuissantes à percer l’épaisse carapace velue de l’aranéide. D’un dernier revers de patte la bête le fit basculer dans les abîmes. Le vent glacial sifflait à ses oreilles, il tombait sans fin, épouvanté, les bras agités, se vidant de ses humeurs, les dents serrées à se briser. Le dernier hurlement qu’il poussa le réveilla. Le corps tendu par l’épouvante il se retrouva sur le sol de sa chambre qui le réveilla en arrêtant net sa descente aux enfers. Sous la poussée du vent qui s’était levé sa fenêtre mal fermée claquait. L’air s’engouffrait dans la pièce faisant voler aux quatre coins les dessins en cours et autres feuilles de papier entassées sur son bureau. Le froid glacial de cette nuit de janvier le réveilla tout à fait et la sueur aigre qui l’enveloppait de son seconde couenne poisseuse gelait presque sur sa peau. Étrangement il n’avait pas froid, bien au contraire il bouillait, le sang courait dans ses veines comme une bouillon en ébullition. L’araignée, pattes écartées, crochées dans son cortex tendre, vomissait ses habituelles imprécations. Achille saisit sa montre qui phosphorait à son chevet. Les aiguilles intactes marquaient quatre heures pile. Une grande vague de rage monta de ses entrailles, l’inonda tout entier, frappa l’araignée dont les vociférations se turent noyées par l’onde puissante qui la submergeait. Sa peau se rétracta, la sueur disparut, il poussa le cri du gladiateur vainqueur du tauride et se redressa à demi nu. Envahi par la colère, rouge du sang pulsé par son cœur déchaîné, il se rua, muscles de bois dur, courut comme un aveugle jusqu’à la chambre de Sophie dont la porte fermée à clef résonna sous ses poings. La pièce était vide, ça sonnait creux mais elle ne s’ouvrit pas. Sa tension retomba, il regagna hébété sa chambre sans se rebiffer, escorté par les cerbères en panique qui étaient accourus …

Allongé sur son lit les yeux grands ouverts il revécut sa journée. Olive, le chemin, le centre commercial, l’altercation, son intervention efficace, la prise de conscience, la volte face sur le chemin, la montre, le retour et la force qu’il lui semblait avoir retrouvée. Cette force qu’il ne dominait pas. Et cela l’effrayait. Il se mit à pleurer à grosses larmes irisées sous la lune qui grisait la pièce, des billes chaudes et grasses qui roulaient le long de ses joues, glissaient dans son cou, salant au passage la commissure de ses lèvres. Comme si des lustres de souffrances oubliées remontaient du fond de sa vie si longtemps étouffées, niées, retenues, écrasées. Se pourrait-il qu’il soit au fond de la piscine prêt à donner du talon pour enfin remonter ?

Le lendemain il fit irruption dans le bureau de Marie-Madeleine qui tenta en vain de le renvoyer. Lui parler, lui faire une demande, répétait-il sans cesse, n’écoutant pas son refus de l’entendre, là de suite sans rendez-vous. Elle était seule gribouiller des formiulaires qui pouvaient bien attendre un peu, geignait-il l’oeil humide et les lèvres tremblantes. Elle était ce jour-là rayonnante, toute de chairs gonflées, dans une robe de soie légère. Une brioche au sortir du four. Un paysage tout en rondeurs, une peau de lait, des lignes souples, élégantes, des courbes parfaites et des abîmes vertigineux à mettre en ébullition l’imagination des pires psychotiques. Mais ce matin là Achille était insensible à ces merveilles, il ne percevait plus la beauté de cette femme aux cheveux étincelants ! Il était dans l’urgence, il avait peur d’une rechute qu’il sentait imminente, plus profonde encore s’il ne parvenait pas à s’expliquer.

C’est alors, quand il ne s’y attendait plus qu’elle céda …

Achille se vida de ses eaux noires. C’était comme un torrent boueux à la fonte des neiges qui inondait la pièce de sa terre grasse et de ses roches aiguës. La psy le regardait, interloquée. Un long moment après que le gave a charrié son flot tumultueux et qu’Achille, prostré sur sa chaise, tête basse et mains nouées, s’est tu, Marie-Madeleine, sidérée, n’a toujours rien dit. Plus pâle encore qu’à l’habitude, elle a les yeux creusés, cernés de mauve et sur sa gorge découverte des plages marbrées de rose et de veines bleues. Le silence succède au vent furieux, longuement. Un silence épais. Quand Achille relève la tête, derrière le brouillard qui voile un peu yeux verts de l’Irlandaise au visage pétrifié, elle le regard mouillé de douceur et d’émotion. Alors il relève la tête pour y planter le sien.

Le lendemain on lui présenta madame Landonne qui lui propose de le recevoir deux fois par semaine. «Landonne» ! Avec un nom pareil, le nom d’une grande côte rôtie, comment dire non ? Achille accepta sans discuter. En sortant du local des infirmières il riait en douce et remerciait le sort d’avoir tant d’humour.

Achille le ratiboisé, seul dans le silence mouillé de cette nuit de pluie battante, emmitouflé dans une robe de chambre rouge qui le réchauffe, se marre silencieusement, le regard fixé sur le nom de cette cuvée de Morgon 2011 du Domaine Jean-Marc Burgaud : « Les Charmes » ! Le gros œil immobile dont l’or flamboie au centre du vin sous le rayon dardant de la lampe peine à en percer le grenat profond bordé de rose intense. Les arômes montent jusqu’à lui sans qu’il ait besoin d’y plonger le renifloir. C’est un bouquet de fruits rouges, complexe et déjà fondu qui l’a renvoyé au temps des sortilèges. Du lac parfumé, la cerise mûre émerge, si juteuse qu’il lui semble déjà la croquer et sentir sur sa langue creusée, gicler sa chair sucrée. Hasard, sort, destinée, coïncidence, Dieu ou l’un de ses anges du bout de son aile plumée l’a renvoyé à sa douleur. Achille rit encore à se mouiller les yeux. L’humour sous toutes ses couleurs, de la plus tendre à la plus fuligineuse serait-il la preuve de l’existence de Dieu ? La cerise dans sa robe d’épices douces est si présente dans le verre qu’il en oublie le coup de pouce du démiurge. Ce n’est certes pas une Landonne de pure syrah qui s’ouvre sous son nez mais ce gamay dans l’enfance suffit à le combler tant il a le nez joyeux. Sur la pointe de sa langue, le jus crémeux, que perce déjà la fraîcheur, roule jusqu’au creux de sa langue pour s’épanouir pleinement et donner à goûter sa matière pleine et tendre. La chair abondante de la cerise, que les épices enrobent et relèvent, à nouveau le ravit. Et la cuve a élevé son enfant de belle manière. Un enfant mutin, fils des grappes portées par de vieux ceps de quatre vingt trois ans ! Dans sa bouche le jus joue à la marelle, s’ébroue, s’ouvre et n’en finit pas de se vider de son fruit ! Passé l’uvule le vin le réchauffe, non sans lui laisser longuement au palais la fraîcheur épicée que portent ses tannins soyeux.

Dans la nuit

Que rincent les ondées

Achille bouboule …

 

 

EBRASMOSSÉETICONE.

MOURIR DANS …

Amour de velours,

Entre tes mains jointes,

Tu tiens la sonde,

Qui cherche au monde,

Qui rode et gronde,

A la ronde

Que tu t’apprêtes,

A danser.

Écervelée,

Déjantée,

Déhanchée,

Tu roules,

Boule de feu,

Ta houle,

Et tes creux,

Ma poule,

M’hypnotisent,

Et me brisent,

Heureux

Comme un chien…

La loutre

De ton cri,

Qui arrache,

A ta gorge,

Ton sucre d’orge,

Au goût de sang

Pulsé,

Résonne,

Sonne

La charge,

Largue les ris,

Au vent hurlé.

Coupé,

Comme l’orge,

Sous la faux,

Qui tranche,

Tes hanches,

En rondelles

De sang

Séché …

Tu murmures

A l’envi,

L’infini

De ton plaisir

Qui veut,

Que le temps,

Hoquette,

S’arrête,

Comme cette langue

Sous ta dent.

Ravi,

Le Navire,

Qui fend

L’estuaire

Charnu

Qui mène

A l’absolu,

Sous le suaire

Dévolu,

A recueillir le fruit.

Crucifix profane

Qui tombe

Au pied

De ta croix …

Hasta la vista,

Mucho te gusta

Chiquita,

Esmerada,

Fine fleur

De mon tabac,

Que je fume

Sous la pleine lune,

Quand le loup

Blanc

De neige,

Hurle

Comme un fou,

A se casser

Les dents,

Se briser les flancs.

Te guette,

Étiquette

Collée,

Sur mon cœur

Navré …

Mourir
Dans les yeux
De ta nuit.

LA PREMIÈRE SORTIE D’ACHILLE …

4675b8b9Agnès Boulloche. Licorne bibliothèque.

 

Deux semaines passèrent.

A chercher, à fureter, à interroger tous les gens des autres pavillons qu’il connaissait. Sans résultats. Sophie avait disparu. Achille s’était replié sur lui même comme un mammifère en hibernation. Il passa des heures à épier les entrées et sorties des pavillons, caché derrière un arbre ou assis sur les bancs, à sursauter aux chevelures blondes, ondulant sous le vent ou collées aux visages par la pluie. Mais aucune silhouette semblable à la sienne ne traversait jamais les allées, aucune démarche souple, ni jambe galbée, pas une Ophélie ne glissait, royale, port altier et regard perdu, ne se matérialisait derrière les vitres sales des pavillons bondés. Il dénombra force regards d’azur, bon nombre de grands yeux splendides, des foules de longs cils battants qui hélas n’arrivaient pas à lui faire oublier les aigues-marines cristallines des atolls immenses de Sophie. Bientôt il connut mieux que personne tous les pensionnaires de l’hôpital. A chaque repas dans les allées du réfectoire il errait de table en table, parlant à toutes, se forçant à sourire, à séduire, à se faire connaître pour glaner quelques renseignements.

Déçu, il s’enferma dans sa chambre des jours entiers, lisant tout et rien à la fois, relisant dix fois les mêmes phrases sans pouvoir les comprendre, la pute d’araignée le rongeait. Il délaissa les livres, se mit au bout de ses crayons, dessina des formes étranges aux couleurs vives, enchevêtrement de lignes torturées, labyrinthes complexes habités d’yeux aveugles et de signes ésotériques, lourds de sens indéchiffrables. Dessiner lui fit travailler sa concentration. Un peu. Pendant qu’il couvrait son papier d’entrelacs mystérieux, de formes rondes, brisées nettes par des angles durs et aigus qui crevaient la douceur, l’araignée perdait un peu de sa voix. Alors il s’accrochait à son dessin, vaille que vaille. Et trimait. Le travail est une souffrance dit l’étymologie, il le vérifia à longueur d’après midis douloureux, main crispée, poignet raidi, tête vibrante et reins brisés. Parfois il se perdait dans les soleils figés, les plages blondes et les eaux turquoise des cartes postales qu’il avait épinglées sur le mur face à sa table de torture. Sous son crâne la gelée tremblotante de son cerveau inerte coagulait. Comme un jelly anglais. Et l’inertie le soulageait vraiment. Un temps. Mais l’araignée veillait, elle suçait la gelée fragile pour le tarauder de plus belle. A tremper sa plume dans l’encre de son mal-être, il s’essaya. Pour se perdre très vite dans l’océan des mots à tordre une syntaxe qui lui résistait, à ciseler des phrases creuses, à tailler des pierres qu’il ne parvenait pas à polir. Comme lui ses phrases étaient vides de chair et de sens.

Il constata et admit qu’il n’avait aucun talent.

Et se le tint pour dit.

Paul Auster pouvait écrire en paix.

Henri Miller et Anaïs Nin aussi …

Un matin Marie Madeleine s’enquit de lui. Mais il ne lâcha pas un mot, ni même ne bava, se contentant de la regarder droit dans les yeux. Il avait recouvert les siens de de voiles bleu nuit et tiré les rideaux les plus opaques possibles. Comme un sphinx dérisoire il l’écouta. Elle était pourtant belle cette irlandaise crémeuse, resplendissante même, mais il ne la vit pas. Sa voix, fraîche comme les aigues vives de la Bride, glissait sur son visage hermétique. Il l’écoutait pourtant attentivement. De l’entretien qui se prolongea bien une heure, il retint qu’à partir de cette fin Janvier il avait le droit de sortir du parc entre quatorze et dix huit heures, à condition de faire une demande écrite, d’être accompagné et de présenter sa permission signée au poste de garde. Le lendemain, flanqué d’Olive, pour la première fois depuis quatre mois et demi, il retrouva ce que l’on a coutume d’appeler «Le Monde» !

Dès la frontière franchie, il remit en poche son autorisation de sortie dûment tamponnée et fit quelques pas derrière Olive qui trépignait d’impatience. C’était un jeune gars nerveux au visage émacié, constellé, comme une lune en plein jour, de cratères à grumeaux, séquelles d’une acné tenace et purulente qui lui rougissait encore le visage il y a peu. Moins de trente ans et un passé psychiatrique conséquent. Olive est un maniaco-dépressif profond qui passe régulièrement des Abysses à l’Everest, du désespoir suicidaire à la surexcitation frénétique. On le bourre de chimie dans l’espoir de le maintenir entre les deux états, dans cette espèce de normalité que la société réclame. Pour le moment les médocs dont on le gave le maintiennent à flot moyen. Mais il reste nerveux, fébrile même, il ne reste pas en place et ses yeux roulent de droite à gauche constamment.

Or donc cet après midi Olive était son guide, son protecteur dûment mandaté par l’institution qui faisait un double pari, responsabilisant l’un en sécurisant l’autre. L’enjeu était risqué. Olive à la surprise d’Achille se montra «paternant», délicat, calquant sa marche sur la sienne. Dès qu’il fut à l’air libre Achille se raidit, fut prit d’abondantes suées qui lui embrumaient le regard, terrorisé par la comptine de l’araignée qui enflait jusqu’à hurler dans sa tête. Olive le prit par le bras et l’entraîna doucement vers la ville. Ils longeaient une deux voies fréquentée et le souffle des voitures les décoiffait et les pans de leurs manteaux s’envolaient. De pauvres pèlerins égarés sur le chemin de Saint Jacques, cette image traversa fugitivement l’esprit d’Achille. Surprise, l’araignée baissa d’un ton. Il respirait lentement, profondément, le pas hésitant et le torse penché vers l’avant. Olive lui proposa d’aller faire un tour jusqu’au centre commercial en périphérie de la ville. Ils marchèrent longtemps, près d’une heure dans le bruit de la circulation. Achille, étourdi par le tintamarre et la pollution n’en pouvait plus. A l’entrée de la zone commerciale les voitures étaient si nombreuses qu’il fallait forcer le passage pour traverser la route. Olive redoubla d’attention, insulta les automobilistes et guida Achille jusqu’à l’entrée. Celui-ci plissait les yeux, affolé qu’il était par le tumulte, la foule, les couleurs criardes et les néons aveuglants. Dans les allées bondées, les caddies bourrés de victuailles fonçaient droit devant, l’un deux bouscula Achille au tournant d’une allée. Olive s’énerva, monta dans les tours et se mit à apostropher durement une ménagère rondelette qui lui répondit sur le même ton. Les insultes fusèrent. Cela eut un effet bénéfique sur l’état d’Achille qui s’interposa, arrondit les angles en quelques phrases habiles qui firent rire les protagonistes et calmèrent les esprits. Il comprit à voir les sourires autour de lui qu’il n’avait rien perdu de sa capacité à redresser les situations, ni cette heureuse disposition qui lui permettait instantanément de prendre la mesure des êtres et de leur servir les mots qu’ils attendaient. En calmant les autres il se pacifiait lui-même et cela lui fit si grand bien qu’il se redressa ! Surprit et dompté Olive se tut. L’araignée se recroquevilla dans l’ombre, muselée elle aussi. Il eut l’impression que son cervelet dégonflait, la pression baissait et la bête perdait de la masse. Ce fut une révélation, un moment de bonheur, si doux, la certitude de sortir la tête de l’eau après avoir failli se noyer. Il respira goulûment l’air vicié, comme s’il respirait le parfum sucré d’une pivoine au printemps. Il inhala encore et encore, jusqu’à ce que la fragrance subtile du jasmin blanc qui sourdait il y a peu des épaules veloutées de Sophie, lui parvint enfin. La disparue lui sourit en mémoire, de son sourire triste et aimant à la fois. Elle était là, en lui, éclatante, belle comme la bulle de savon fragile qui danse sous le vent. Il s’assit à la terrasse d’un café dans la galerie marchande du supermarché, ferma les yeux un instant pour mieux s’enrouler dans les plis délicats de sa ressouvenance. Olive et lui burent une bière quelconque dont le goût de carton âcre plut à l’araignée. Prendre l’initiative pour ne plus être l’esclave de la bête. Oui c’était la voie. Du moins, le crut-il ce jour là.

Achille se leva sans un mot, ils sortirent de cet enfer marchand.

Olive bien qu’un peu surprit le suivit docilement. Ils regagnèrent l’Institut. Achille maintenant marchait devant d’un bon pas, le front haut et l’air assuré malgré la sueur qui lui rafraîchissait le cou. Olive tentait bien de se hisser à sa hauteur mais il accélérait pour mener la danse. Brusquement Achille fit demi tour sans un mot et d’un regard qui ne soufrait aucune remarque il incita Olive à le suivre. Dans le supermarché il s’engouffra et s’acheta une belle montre, son premier achat depuis longtemps, depuis le jour ou pauvre oiseau blessé il entrait à l’hôpital. Pour la première fois depuis des mois il décidait à nouveau.

De prendre le temps à bras le corps.

Pour commencer …

Dans la nuit d’encre, la clarté de sa lanterne dessine sur le vert bronze du cuir de son bureau le cercle presque parfait d’un petit jour arraché aux ténèbres. Achille le décomposé caresse à rotations rapides, comme s’il voulait accélérer le temps du bout de sa main lasse, le verre usé de sa montre.

Les années ont passé si vite. Fatigué de son voyage au pays de la mémoire, Achille regarde droit dans le verre ce cœur de pur rubis qui palpite derrière la paroi lisse du verre. La courbe ronde du cristal, qui plonge vers la fine tige posée sur le vieux cuir, luit sous l’ambre de la lampe. L’image de la hanche émouvante de Sophie lui traverse l’esprit, plus nette que jamais. D’infimes particules, étincelles changeantes, animent la lumière qui vibre sur la peau douce du souvenir. Mais l’œil, comme à l’habitude, est dans le verre et son regard carmin le regarde fixement. L’agatite de la lampe a allumé au centre de l’œil une pupille jaune éblouissante qui irradie jusque dans la chair rose orangé de ce « Clos du Saut au Loup » 1996 du Domaine Dozon. Ce vieux jus de Chinon, sous le nez recueilli d’Achille, dégage de subtils parfums floraux, de vieille rose et de pivoine avant de s’ouvrir aux effluves douces des fruits rouges bien mûrs de ce grand millésime. 1996 a mené le cabernet franc à sa pleine maturité. Enfin des fragrances de poivron rouge, quelques notes tertiaires de champignon et d’humus, closent la ronde des délices olfactifs dont Achille se régale. Il tarde à porter à ses lèvres le verre, tant le bouquet du vin est complexe, harmonieux et fondu. Concentré et patient il parvient enfin à déceler quelques notes de cuir fin, de terre sèche et d’épices douces. Les bienfaits du temps, ce temps de jadis retrouvé au cercle de sa montre, ont poli ce vin au toucher délicat qui lui caresse le palais. La matière lui paraît demi corps mais il se trompe car elle déploie lentement son fruit. Une corbeille généreuse qu’exaltent les épices regorge de tannins, si fins qu’il peine à les percevoir. Comme un organsin fragile ils déposent sur sa langue leur trame délicate, fraîche et réglissée. Interminablement le vin, de ses notes épicées, lui caresse l’âme autant que les papilles.

Dans le verre vide,

La rose qui a vécu

Ce que vivent les roses,

Lui parle du temps disparu.

Quand à la sortie morose,

L’espoir a reparu …

 

ECHROMONOTIPHACOGENE.