Littinéraires viniques » Christian Bétourné

LA PARQUE A FERRÉ FERRAT…

 Chagall. Paradis.

 Ah le visage de loup efflanqué de ses jeunes années!

Hâve, émacié, à ras l’os, intransigeant mais tendre. Compagnon des illusions de la fin du vingtième, ce bout de siècle qui voyait les idéalistes de toutes obédiences, croire aux matins triomphants, en l’évidente fraternité des hommes. Le mur s’est écroulé à Berlin, comme les grandes chimères se sont diluées, dans le retour progressif des rapacités qui ne dormaient que d’un œil.

«Ab origine fidelis», il n’a pas succombé à la remontée enivrante des forces entropiques. Il n’a pas hésité, pas titubé. Sans jamais avoir franchi le pas des encartements suggérés, il ne s’est pas écarté de ses frères de coeur, idéologues bernés, ni commis de grands écarts à se rompre le myocarde. Nombre des chantres officiels, accrochés aux basques des cohortes rouges aveuglées, ont renié leurs engagements. Leurs voix se sont tues. Regardez les, qui étalent depuis, leurs réussites épaisses, sous les habits du velours côtelé de leurs reniements cauteleux…Ils se répandent sur les pages glacées des périodiques en «vogue», et affichent la mine insolente, des milliardaires suffisants du nouveau siècle. À la face des misères, désormais muettes.

Ferrat lui s’est tu. Impertubablement, il s’est contenté de nous bercer.

Encore et toujours les poètes, même ceux fourvoyés ou maudits. L’amour en boucles sous le vent, dans les éclatants silences lumineux de l’Ardèche. Loin des trémolos mous, complaisants et futiles des trompettes de la renommée, il a choisi de donner sens à sa vie, de mettre ses mots en juste résonance. Solitaire et pudique, il a disparu des champs électriques et mortifères des inconsistances. Nulle part il ne s’est affiché. La vie pleine et discrète lui a suffit.

Ah, le visage lumineux que donne le bel âge d’une conscience en paix!

Loin de tout, près de tous et des essentiels, il est resté à flot. Les U-boats délétères, qui célèbrent ou torpillent les notoriétés de surface, ils les a regardés, saborder sans états d’âme, les frêles esquifs de papier mâché, faire et défaire la pelote des glorioles éphémères. Le rythme dévorant de Chronos s’est accéléré, sans jamais pouvoir le croquer.

Ferrat est digne, définitivement. Diamant pur qu’aucun crapaud n’a terni, qui ne s’est jamais vendu, voix chaude de l’amour inoxydé, sa vie paisible a tutoyé la vérité des âmes simples.

Avec lui, disparaît sans doute, le temps arrêté au cadran de la montre…

Si le Paradis existe, il est sien.

Et là-haut dans sa moustache, Ferrat rit.

* Requiescat In Pace.

EMOTICONERIP*.

D’ISPAHAN À LA HAVANE, PAR CORDOUAN ET LA TRUFFE…

Mahmoud Farshchian. Roses d’Hispahan.

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 Quel nom! Eloi Dürrbach.

Eloi tout d’abord, le Saint du même nom était orfèvre et trésorier de Dagobert. Un homme donc, qui devrait savoir ciseler, compter et s’y connaître en pantalon…

Dürrbach. D’Eloi, René était le père. Peintre et sculpteur, il fut l’ami de Fernand Léger, Robert Delaunay, Pablo Picasso. Les étiquettes qui ornent Trévallon témoignent de sa présence, hors du temps compté de la matière. Tout pour faire un vigneron, non? Dont on attend rigueur, poésie, élégance.

Deux cépages, Cabernet Sauvignon et Syrah plantés dès 1972 sur les pentes arides et calcaires du versant nord des Alpilles. Un vin «inventé», anti conformiste qui rejoint dès sa naissance le sein hétéroclite des Vins de Pays.

Ce nom, Trévallon, m’était familier, comme il l’est de tous les amateurs. 1999. Familier certes, mais inconnu de mon palais. Une première rencontre. Un mystère qu’une première, l’émotion de la découverte, le frémissement de l’approche, le recul et l’hésitation, l’enthousiasme, la crainte et l’impatience. La reddition ou la déception.

La couleur aussi du «tonitruant», du Trévallon dont j’ai plaisir à lire les emportements, plus tendres qu’il n’y paraît. Décidément, je ne suis pas sou neuf devant ce vin qui l’est pour moi, et que j’attends, dans cette pénombre de la conscience, sauvage et sensible à la fois? Un voyage dans le verre, incertain, attirant. Oui, je sais bien que tout cela n’a rien à voir avec la dégustation pure et dure, mais existe-t-elle? Tant pis pour ceux qui la prônent, et qui me liront.

Dans le verre aux courbes féminines – on boit toujours dans une coupe qui les glorifient – le vin attend depuis une heure. Tamisée au travers du grenat liquide mêlé d’orange, la lumière pure de cet hiver Hollandais. Le relief de la vie s’y meut au ralenti. Comme un hymne à l’évolution lente, il n’est pas sans rappeler la fausse transparence des eaux tropicales. Une turbidité forte, qui évoque la chair dont on parle souvent.

Imaginez le mariage rare entre une perdrix dodue et un faisan nerveux, affolés par les bruits incongrus des chasseurs, au petit matin brumeux. Vous aurez là, précisément, l’idée du fumet puissant qui frappe mes narines. L’odeur de la curée, de la plume et du sang. C’est une journée qu’il faudra à ce vin, avant qu’il ne daigne se donner davantage!!! J’ai adoré ces premières effluves, si justes, si proches de l’essence même de la peur, qui doit tordre la biche ou le chevreuil coursés dans les bois. Ce mélange enivrant des adrénalines animales. L’effroi qui sidère les viscères, qui affole le cœur et les sudoripares.

Plus tard, au lendemain d’hier, comme un paradis fragile, les roses d’Ispahan surgissent du verre, graciles, délicates et fanées…Le cuir de Cordouan ajoute ses notes à peine grasses aux arômes puissants d’une belle truffe dans sa gangue de terre humide. La boite à tabac s’est ouverte elle aussi et délivre des parfums de Havane. Le tout se fond élégamment, et enrobe d’une sensualité toute en finesse, le cœur calcaire du vin. La rigueur est bien là. Le squelette soutient la chair. De la douceur aussi, qu’équilibre une touche d’amertume.

Il va bien falloir que la bouche accueille et prenne son bonheur…Le sucre et l’amertume, comme un sureau mâché, touchent la pointe de la langue. La sensation de fraîcheur est immédiate, puis les fruits (petits, moyens ou gros, je ne sais…) percent le liquide, et tapissent les papilles d’une chair parfumée. La matière enfle sans ostentation, l’équilibre est constant, comme le rythme d’un pur sang au galop maîtrisé. Cabernet et Syrah se respectent, et s’entendent comme cépages en foire. La finale n’est pas une fin, elle s’étire en lenteur et longueur, les tanins et la craie intimement unis.

Au fond du verre vide, la pivoine s’est invitée, et Ispahan s’étale.

Le pays de la grâce… J’y retournerai.

EQUIMOLÉTIVITECONE.

BURGAUD FAIT SON JAMES…

Maria Robin danse.

En ce Mars qui continue de faire son Février, les corps recroquevillés se complaisent dans la tiédeur nocture des chaleurs fossiles. Sous les plaids, étalés, ils rechignent à bouger. La nostalgie du cocon originel est puissante, subtile et se cache souvent sous le masque, rassurant pour nos entendements confits, de l’argumentation implacablement météorologique, biologique ou professionnelle, c’est selon. Mais au fond? Allez, avouons en silence, dans le secret obscur, même pour nous même, de nos lamentations intérieures… Il aura fallu que je m’arrache, littéralement. Que je coupe le cordon une fois encore. C’est tout de sang virtuel baigné que j’affronte la froidure qui me sépare de la culture.

Titi, me voici!

Sur la scène étroite, sous un clair bleu obscur, la gitane ondoie.

Elle est ronde comme sa danse. Ses bras ondulent avec la grâce d’un cygne blanc, sur un lac ancien qui aurait disparu. Juste après que les hommes aveugles aient traversés les temps, disparus depuis lors, de la fraternité. Ses longs cheveux blonds vénitiens ondulent en vagues claires autour de son corps qui roule. Elle joue, comme à peine sortie de l’enfance, sous les notes de braises incandescentes d’un Oud sensuel. Ses yeux gris rient du plaisir qu’elle donne.

La Florence de Vinci fécondée par un vampire des Carpates.

Dans la salle, comme une onde fraîche et fragile. Les vibrations tendres de la danse et les notes brulantes de la musique manouche, renvoient l’assistancesilencieuse et mouvante, aux souvenirs perdus de ses amours rêvées.

Et le Morgon « James » 2007 de Burgaud dans tout ça???

Un long carafage vigoureux, pour inciter l’animal à sortir de ses replis d’hiver. Il n’y pas que les marmottes qui hibernent.

Il est beau de le voir danser, lui aussi.

La robe est couleur liqueur de cassis, profonde et brillante. Le soleil, qui rit dans un ciel d’azur pâle, l’illumine et le met en feu. Il tourne d’un bloc, rond et soyeux dans le verre, comme un derviche joyeux. Liquide et compact à la fois. Ses composantes sont agrégées par un gras qui parle instantanément aux glandes salivaires. Un vin plus «communard» que commun, en quelque sorte.

Le vin est un hymne aux fruits rouges et frais du printemps qui s’annonce. Il s’ouvre à peine, sur des notes de framboise principalement. Certes, il n’a pas quitté son caparaçon de chêne, mais il donne à imaginer ce qu’il sera plus tard. A l’abri du bois qui le magnifiera, il prend le temps nécessaire de vivre chacune des phases lentes de sa vie. Pour l’heure, il est pleinement dans l’âge tendre et premier des fruits. Il est bon de prendre ce plaisir aussi. «Carpe Diem» me souffle le Stoïque Suisse dans le creux de l’oreille.

L’attaque est douce, comme une crème de mûre. La fraîcheur de l’enfance domine en bouche, mais derrière le printemps des fruits la matière est bien là, serrée. Elle est comme cryptée, tant elle est concentrée et secrète. Comme le bourgeon gonflé sur l’arbre du jardin, elle cache dans ses plis séveux la beauté pleine et gourmande des équilibres à venir. Le jour du déploiement vaudra d’être vécu. Le vin passe comme un caresse lente, et laisse longtemps au palais le sable fin de ses tanins, réglissés et croquants.

OLEMOTICONE.

C’EST BON, UN GRAND COUP DE MAILLET DERRIERE LA GLOTTE!!!

Van Gogh. Tournesols.

La première fois, c’était en 2004.

Après avoir tourné en rond un moment – faut dire que le sens de l’orientation n’est pas ma vertu cardinale – je m’étais arrêté devant le Domaine, à tout hasard. Heureusement que ce foutu «hasard» est une daube pour crétins. Pour les âmes errantes, qui volent au travers de l’intemporel à longueur d’infini, ça n’existe pas, Dieu merci!!!

Un gaillard, plutôt de chêne que de balsa, est sorti de derrière ses cuves, à petits pas précautionneux. Une tête de gamin costaud, le Nicolas Maillet, et une démarche de vieillard… ce jour là.

A la vérité, je n’avais pas téléphoné, je ne pensais vraiment pas verser du côté de Verzé. C’est dire comme j’étais dans mes petits souliers. Je l’abordai donc, et lui dis mes errements. J’accompagnai misérablement mes explications laborieuses, d’un de ces regards larmoyants, dont les caniches enveloppent leurs vieilles dames. Poli comme un vigneron qui sait, il m’écoutait le buste un peu penché, s’appuyant tantôt sur une jambe, tantôt sur l’autre, la main droite, appuyée sur les reins. A part la posture, rien à voir avec la Goulue… J’en revins difficilement, lorsqu’après cinq minutes, il remit son rendez-vous médical, pour m’ouvrir sa cave!!! La ronde enchanteresse des 2002 m’attendait. Des blancs purs cuves, comme ça… Moi, qui coulais tout juste de la Côte Orienne, ça m’a cloué sur place. Je goûtais et sifflais la pipette généreuse, oubliant un peu vite le crachoir, préférant celui de Nicolas, qui n’était pas avare…

Oui bon, ben… c’est bien beau de ramer sur son clavier, mais n’est pas Balzac qui veut les gars. Le corps a ses raisons, que la raison ignore… La chambre de bonne, la plume taillée – régulièrement ça fait du bien – la cafetière, les pages et les pages, allégrement descendues par l’ogre. Oui d’accord mais bon, j’ai faim moi, misérable petit tâcheron. Je croûte donc. Pourtant très vite, j’ai le regard attiré par le minuscule bout de jardin que j’aperçois de derrière mon assiette. L’après midi a été belle, en ce mois de Février, après les fortes pluies des derniers jours. La nature envoie dur. L’herbe s’extrait de l’hiver. Les pâquerettes, les fleurs jaunes, roses, bleues, tachent le vert majoritaire – de droite donc encore quelques temps – de leur irrespect salutaire. Merci la vie!!! Ça pulse à donf. Ça sent l’énergie à plein nez. T’imagine pas la force!!! Ces milliards de tonnes que la terre expulse, pure fertilité originelle. Waowww, de la centrale nucléaire à gogo, du pétrole à s’engorger les coffres, tout ça en silence, sans espoir de rapports ou d’intérêts. Le pur Amour, celui qui nous dépasse, qui nous fait pleurer sans savoir pourquoi, devant un paysage, en haut d’une montagne, devant les fleurs peintes par un rouquin maudit. La très grande classe, la vraie la seule, celle qui ne s’affiche pas.

Entre une poignée d’herbe et le tronc malingre d’un poirier des villes, passe en sautillant un merle. Oui, un de ces merles tout con, qu’on ne voit même plus. Pétrifiant de beauté l’oiseau. Une ligne si simple qu’elle en paraît évidente. Comme le jeu du Barça un soir de grâce. Noir c’est noir, éclairé par la touche effilée d’un bec jaune. A côté de ça, la Ferrari ressemble à une caisse à roulettes. Ça me fait penser au requin aussi. Ah oui les «pointes noires», ou «blanches» – à vot’ service – qui surgissent au détour d’un récif, pétrifiants de beauté glaçante, par trente mètres de fond. La rencontre furtive et effrayante de la perfection.

Pendant ce temps là, l’oiseau s’affaire. Simple l’oiseau, pas un de ces merles à Ray-Ban, pas un de ces merles «envuitonnés», «guccisés», enturbannés, comme ces précieux intemporels, qui traversent l’Histoire immuablement, à jamais falots et insipides. Pas un de ces «Lagermerles», indigne des plus tristes dénouements du dernier des romans de Huysmans, qui se haussent du col, sur les pages glacées de nos inconsistances. Non, un putain de merle simplement, mais un autre, que je reconnais à son bec presque orangé.

Salut l’oiseau, que ton plumage est beau…

Les 2007 sont rentrés il y a quelques mois. Je prends le temps de les «expertiser», un à un, tout cool. Il a encore progressé le Nicolas. De l’Aligoté au «Chemin Blanc», sur ce millésime pas facile, tout est bel et bien beau et bon, voire très. Pas un bout de bois pourtant, pour arrondir les angles.

Du raisin et des cuves.

Ça me fait penser à Steinbeck. C’est bête!!!

Le premier de la série c’est son Aligoté.

La robe est jaune, pâle, rehaussée de reflets verts. Le nez est très élégant, vibrant, pur, sur l’acacia, la pêche blanche, les agrumes, la banane mûre, le coing. C’est cristallin comme un Chardonnay du Jura!!! Une belle fraîcheur, autour de tout ça, qui fait saliver. La bouche est à l’unisson. C’est bon, poire, agrumes, citron, c’est puissant, vif. Ça se boit avec plaisir et gourmandise, et ça peut s’enchainer grave!!! Un vin qui rit dans la bouche. C’est long, fruité, frais. Un des tous meilleurs Aligotés de l’année.

Le deuxième est un Mâcon-Village.

Les jeunes vignes du domaine. Le nez est tout en subtilité. Sa finesse, de fruits blancs et de poire mêlés est délicatissime. L’attaque est franche, fraîche et fruitée. La matière est plus que correcte, élégante, en parfaite équilibre avec le nez. Belle finale revigorante.

Le troisième est un Mâcon-Verzé.

Le nez, ici aussi, se distingue par sa grande finesse. Fleurs blanches, et poire. L’attaque en bouche est franche, nerveuse, ronde à souhait. Le vin passe et vous fait sourire. La finale est tendue, crayeuse, fruitée; elle vous laisse les papilles propres, comme un Euro de petit porteur.

Le dernier est un Mâcon-Verzé «Le chemin blanc».

Le nez, fin et complexe, dévoile des arômes de pêche blanche, de poire, et de fleur d’acacia. La bouche est puissante, avec une bonne rondeur «roulante», qui s’installe et ne vous quitte qu’à regret. Finale sur des notes d’agrumes et d’anis. Belle bouteille, qui se dévoilera complétement dans un an ou deux

Une superbe série de vins sincères et droits. Rien, aucune intervention appuyée, ne vient altérer la qualité et le naturel des raisins. Tous sont à leur place dans la gamme et la justifient pleinement à la dégustation. Non, j’ai beau chercher, pas de fausses notes. Des jus cristallins, vibrants, purs, élégants, équilibrés. Inutile de vous parler des prix, cela pourrait donner des idées et des complexes (non je blague!) aux «Seigneurs, blasonnés de gueules d’Or en Côte, écartelés en Chardonnay et Pinot flamboyants

EMOUSMOTICONILLEE.

UN HOMME – JUSTE – ANONYME…

Equateur. Le passage de la ligne…

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27 Juillet 2010. Il est parti, voici trois semaines et je me souviens de Décembre dernier… Sur la mer calme, il vogue vers les infinis…

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Je roule, le cœur en vrac.

Les averses violentes frappent la tôle sans faiblir. Au fond du coffre de ma voiture, une bouteille vide roule et tinte. Mon âme est éteinte, elle aussi, comme un flacon sans vin. Elle ne clignote que faiblement dans la pénombre de ce jour sans lumière et sans joie. Mahler déroule la soie moirée de l’adagietto de sa Cinquième Symphonie. Les notes se déplient, comme un amour plus fort que la mort qui traverserait les déserts de toutes les souffrances possibles, pour les dépasser et se déployer à l’infini.

Soleil absent, la musique me berce.

Mon père n’en finit plus de s’en aller. Je l’ai laissé, là bas… Je le sens qui palpite, au cœur du ciel lugubre qui mange ma vitre arrière. La vie roule, la vie tangue, s’en va et renaît.

Son regard s’est tourné vers le souvenir des flots bleus qu’il a tant aimés. Ils ont laissé leur trace d’outremer dans son regard. Plus tendre que la lumière qui brille sous les paupières de ce visage creusé, ça n’existe pas. La mort le dispute à l’amour. Comme une pudeur douce qui caresse, comme une tendresse qui nargue la Camarde. Dieu que j’aime cet homme imparfait. Sa vie toute entière est un hymne aux subtilités de l’être. L’avoir, l’accumulation des biens et des monnaies, lancinante obsession moderne, ne l’aura jamais effleuré. Seul l’anime encore le souci de protéger les siens.

Il me laisse, héritage fragile, l’envie d’aimer les Hommes Justes.

Il est de cette génération qui a tout connu, le pire, à tous les coins de son histoire. Alors que nous nous prélassons dans le confort illusoire de nos existences étriquées… Nous n’étions pas encore, tandis que le déluge de haine et d’acier broyait les chairs et les cœurs. Sous ses pieds encore tendres – il avait dix neuf ans – la flotte française était exterminée à Mers-el-Kébir. Insouciant, il dormait au pied des canons brûlants qui hurlaient, en Sicile, en Provence, ravageant les consciences et révélant les Justes… Ses boucles blondes vibraient sous les vents déchirants des tonnes d’acier rougi, glaçant les âmes et pétrifiant les sables blancs des «golfes pas très clairs *». Sa peau blanche rougissait sous les regards noirs des belles du Liban. Baalbek l’ensorcelait. Le «Lorraine», en rade d’Alexandrie, était sous la menace Anglaise. Le long des flancs gris du cuirassé puissant, les requins blancs du Cap glissaient comme d’élégantes menaces. Plus tard, à l’abri des ports anglais, le temps d’un bref repos, la peau laiteuse des jeunes filles légères le divertissait. Les cornes des U-Boats perçaient les flots sombres des océans sans rivages et l’effrayaient, alors que tout au loin, il allait à la dérive des traversées incertaines. La vie pulsait en lui sa jeunesse immortelle. Le temps n’existait pas encore.

Humour noir et paradoxe funeste, c’est un crabe qui ronge les os durs du vieux marin.

Après la guerre extérieure, viennent les temps des guerres intérieures. Incertaines. Sous les feux croisés de la chimie moderne, qui tire à boulets rouges et imprécis sur sa chair fragile et tendre, le Marsouin ne se rend pas. C’est un optimisme de façade qu’il affiche. C’est sa famille qu’il protège. Encore et toujours. Se battre, courber un temps l’échine sous l’adversité, sous la fureur des homme, comme sous l’acharnement du sort aveugle, pour mieux apprivoiser la Faucheuse et la feinter d’un mouvement souple des hanches, quand elle croira l’avoir réduit. Pourtant le matelot n’est pas dupe. Il sait. Dans le respect des autres, l’humilité, l’amour et le silence, il combat. La pharmacie fait son office. Aveugle, elle attaque la bête et l’homme. Elle bouffe les chairs fragiles, autant que les pinces du tourteau. Après qu’elle a œuvré, la peau colle aux os, le visage se tend, le corps flotte dans la casaque. Enfant vieilli, perdu dans les habits racornis de l’homme. La médecine n’est pas subtile, elle fait la guerre à outrance, ne sachant toujours pas qui elle combat…

Le Chambertin 2000 du Domaine Armand Rousseau brille faiblement dans la demi obscurité de la pièce.

L’œil est d’un bleu profond comme un ciel de montagne. Des perles de bonheur y dansent. Mais le poison, qui roule dans les veines de cet homme meurtri, a tué le goût et l’odorat. Alors, je me recueille. Je bois, avec lui et pour lui, comme un chien d’aveugle énamouré.

La robe du vin est rouge, comme un sang fatigué.

Le temps n’a pas encore fait œuvre de complexité. Les notes déroulent leurs perles de griotte, de noyau, d’épices, de réglisse tendre et de menthe douce. Distinctes, elles ne sont pas encore fondues en un tout, toujours infiniment supérieur à la somme des parties. C’est une succession de notes que le nez perçoit. Lorsqu’elles seront une, l’apogée sera atteinte. Pudique, le vin ne se donne qu’à peine. L’attaque en bouche est douce, presque suave, la matière toute en fruits rouges frais est glissante. Elle ne révèle qu’à peine – comme un négatif photographique qui attendrait que la trame du papier dévoile ses nuances subtiles – la richesse du grand Bourgogne à venir. Le vin est une soie mouvante, mais garde en réserve l’élégance que le temps épanouira. Jeune en somme, malgré ses neuf ans. Dans le meilleur des cas le raffinement n’est que le prélude à la distinction de l’âme.

C’est en vain que je tente de lui faire partager, sans la lui dire, mon émotion. Pourtant il sourit, de ce sourire vrai qui n’appartient qu’à lui.

Dans la lunette obscure de ma voiture perdue sous le déluge resplendit un sourire fragile…

* Bashung dixit.

EHOMOHISSETIETHOCONE…

BOULAND M’A BOULÉ…

Veneto. La circoncision.

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  Encore un vin goûté le week-end dernier en compagnie du Seigneur de C…. et de l’affligeant patte-pelu. Connaisseur, le margay avait carafé le breuvage, depuis …je ne sais plus quand. A l’aveugle, comme de bien entendu et systématiquement….avec ces deux fondus…qui n’ont de Savoyard que le gosier pentu!!

Le cœur battant la chamade, le front plissé et l’angoisse au ventre, je porte le verre au nez, tire et retire sur l’appendice, cherche et recherche, les plus subtiles fragrances que le liquide, à la robe opaque, qui rosit à peine…délivre abondamment.

Sérieux comme un buveur d’eau plate, je suppute, j’analyse et compare, à l’immense bibliothèque olfactive – trop modeste, je sais – qui alourdit ma tête, plutôt légère de nature…. J’y retourne, j’y replonge, à m’y noyer le bulbe!!! Ce coup-là me dis-je « in peto » – domaine dans lequel les deux bougrasses excellent – je me vais, me les enterrer grave-à-donf, les deux moineaux!!! Le vin est magnifique de générosité et de richesse olfactive. Une pointe de grillé, du café, du cacao, de la réglisse (M…e encore un Languedoc???), de la confiture de myrtille sucrée accompagnée de notes terreuses, de poivre moulu, d’épices douces….Je reste coi, coincé même. Mais une intuition, aveuglante comme il se doit, me transperce de plaisir.

Ça y est, je sais, l’évidence même!!!

Détendu et sûr de moi, comme un radar, un quinze Août, face au soleil, vers vingt heures, du côté de Montélimar, je souris intérieurement, dans un délectable état de suffisance délicieuse. Me reste à goûter le vin….bof…pas nécessaire pensais-je, l’ego baudruché comme un Zeppelin. Mais bon, je vais attendre un peu, pour les humilier bien profond, et savourer le plus longtemps possible, le vent que je vais leur mettre!! M’en vais profiter tranquillement du nectar, dont la matière imposante et fraîche, m’agace la bouche, à grand renfort de fruits croquants. La finale est sublîîîmissime de douceur et n’en finit pas de me rouler dans la soie.

Une bouteille d’exception, “pour quand que je serai vraiment vieux” *

Le silence se fait, car la bête est belle. Je les regarde, de l’air innocent du prélat, qui vient de s’essuyer au rideau et leur lâche du bout des lèvres : Gevrey Premier Cru 2002!!!!! Le pépère reste silencieux, comme sidéré. Raminagrobis, vaincu se tait. Il a l’air assommé, KO, pulvérisé!!!! Et voilà les p’tits gars, boum, badaboum, qui c’est le plus balèze????

D’une voix douce qui ne veut pas blesser, plus faux qu’un Oscarisé qui remercie la salle, après un long silence, le grappin mité, dans un souffle, susurre en regardant ailleurs :

Daniel Bouland Morgon VV 2003!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Ni fleurs ni couronnes.

 * Dédicace “spéciale Equipe de France de foot”.

LA VIGNE, LES CERISES ET L’OISEAU DE PARADIS…

Nikko Kali. Petit oiseau de Paradis.

 

J’ai cherché partout et longtemps. Dans la famille les Moulins à Vent de Janin 2006, j’ai trouvé «Le Domaine du Tremblay» et «Le Clos» du même nom. Point de «Terre du Tremblay»!!!

Alors, quelle est donc cette «Terre Mystérieuse», que le hasard des rencontres en bouteilles, a déposé sur l’autel usé, constellé des ronds rouges et noirs de tous mes voyages mysti-viniques??? La jolie main fine et aimée, qui caresse, trop rarement à mon goût, le silence de ma vie, a déposé sous mes yeux six flacons de ce vin. Les ailes de ce Moulin à vent, ont tourné lentement, séchant, avant qu’elle ne bourgeonne, la larme chaude qui perlait, scintillante, sous ma paupière. Déjà, j’étais heureux. Il va sans dire, que le commentaire de ce vin, qui suivra, quelque part, au creux de ma divagation en marche, ne sera pas vraiment objectif.

Dans la salle, d’or et de rouge tendue, le murmure des voix féminines est sans équivoque. Aucune fausse note, ne vient troubler ces cœurs unanimes. Aux alentours, les mâles fatigués dont je suis, ne peuvent qu’acquiescer en silence. Loin et si proches pourtant, Farinelli et Carestini qui ont fait chavirer bien des cœurs, jubilent et se disent dans le silence de l’entre deux, qu’il doit être bienheureux ce garçon, qui n’a pas eu à subir les douleurs physiques et les blessures de l’âme, qu’ils ont endurées. Dans le secret de son alcôve, il va et les venge. Chacun de ses bonheurs, est le leur.

Nichés au creux du poulailler, comme suspendus aux cimes du théâtre, les bras des quelques enfants perdus au milieu des adultes révérencieux, s’accrochent aux balustrades dorées. Ils ont le regard flou, égaré, absent. Il boivent la transparence fragile, de cette voix, si proche d’eux, qui les magnifie. Le grand lustre de cristal de bohème frissonne, et palpite de tous ses feux. Le bâtiment tout entier respire à l’unisson. Les corps assis des humains, alignés le long des rangées rouges, semblent abandonnés par la vie. Dans le temps suspendu à la voix de l’éphèbe, planent les âmes mêlées, qui ont quitté leurs enveloppes de chair. Elles forment un égrégore de lumière, qui palpite, et que personne ne perçoit. Seul le cristal vibre doucement. Il est de ces moments, rares et précieux, où dans l’ignorance du subtil qui les dépasse et les conduit tout à la fois, les hommes se dépouillent, s’extraient de la pesanteur ordinaire, et communient en pleine beauté.

Nous sommes à l’opéra Vanessa, ici le poulailler est Paradis.

Vagabondages, sauts incroyables, que permet la pleine liberté de l’esprit. Entre Philippe, qui chante l’Aria d’Alceste du Termodonte de Vivaldi, l’Ariodante d’Haendel, là-bas, si loin bientôt, entre l’opéra de Bordeaux et cette bouteille, l’espace est aboli. A ma guise, je passe de l’un à l’autre et je pleure ces larmes rares, que la beauté me tire. L’imagination est ma liberté. Tout est possible, aussi je veux les unir en ce lieu intime, que les plus ardents Diafoirus ne soupçonnent même pas, tandis qu’ils continuent, imperturbables, à scruter les mystères de l’atome, à bord de leurs canons.

Mais voici que vient la cerise sous le nez. Le vin l’exhale, puissamment. Rouge sang de taureau fourbu, fraîche, juteuse, elle est de celles qui vous marquent les lèvres, pour mieux vous trahir. Sous le couvert fragile de mes yeux fermés, elles roulent en grappes, au milieu des fleurs. Effrayé, le lièvre qui avait, espiègle, remué son cul odorant sous mon nez, s’en est allé. De la robe d’un beau grenat sombre, une de ces robes, qui emprisonnent la lumière et qui rayonnent de l’intérieur, montent et s’unissent, en vagues successives, le parfum de la pivoine piquetée de rosée, en ce petit matin intemporel, et la poignée de grosses cerises, dont la peau tendue, rouge sang de veine, peine à cacher, dans la chair débordante, un jus sucré odorant. La réglisse et le noyau enfin.

Les lèvres violettes des petites filles, les cerises en boucles d’oreilles, qui jouent à l’ombre du figuier. «On dirait que t’es le monsieur qui chante comme un oiseau rouge, que t’as des yeux beaux et que moi je suis un oiseau aussi et que tu l’aimes…et que…».

Jeux de l’enfance qui s’étirent toute une vie.

En bouche, le jus attaque fraîchement, roule et s’étale. Puis, le flux de la marée de plaisir se fige. Au sortir de la cerise réglissée, la verdeur des tannins nappe la bouche d’un voile astringent, qui serre les muqueuses. La fraîcheur se fait acide et le miracle s’interrompt. C’est un abîme, plutôt qu’une finale, qui sidère la gorge en attente. Un vin, comme amputé. Une cuvée d’entrée de gamme sans doute, qui ne tient pas ses promesses. La vie…

L’ange qui habite la voix, lui, tient la note.

 

EMOJAROUSSKYTICONE.

What do you want to do ?

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LES ETOILES DE NUITS ENTRENT AU COUVENT…

Fabienne Rhein. Les Frat’ernelles.

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 Temps sec et frais en ce nocturne 19 Novembre 2009.

Comme une parenthèse au déluge ambiant. Le ciel pleure, quand la Bourse se vide!!!

Les étoiles sont dans ce ciel de nuit, mais faut-il dire pour autant qu’il serait habité?? La question n’est pas là… Seules ce soir sont dans la clarté, les «Étoiles de Nuits». Elles entrent au couvent, néanmoins…alors???

Bon, basta avec tes errements mystico-philosophiques, AOC est une association laïque d’amateurs de vins, qui libationne au Couvent de Recollets un point c’est tout.

Une certitude au moins, Saint Georges veillera sur nous.

Ce soir c’est Bourgogne. Belle soirée en perspective, que ces douze flacons de la Maison Drouhin alignés devant la haute silhouette du Stéphane. Il est grand le Stéphane, encore mince…parce qu’il est grand. Une main, qui se hasarderait le long de son flanc, y rencontrerait quelques discrètes rondeurs…Mais personne ne s’y risque, tant qu’il ne dort pas. Le Charentais est prudent, mais la Charentaise n’est peut-être pas prude, alors… Dire aussi qu’il rentre d’un week-end chargé en Bourgogne… Caves après caves… En apothéose, la Paulée de Meursault (j’enrage!!!). L’abnégation faite homme. Un grand amoureux, qui connaît la Bourgogne sur le bout du goulot. Il faut l’entendre la narrer, comme me parle un grand cru, le soir, au creux de la luette, avec finesse, élégance, grâce et simplicité.

Au risque de me répéter, cet homme, Grand Chevalier de l’Ordre des « Videurs des Divins Flacons », Grand Maitre de la Confrérie des « Gosiers Pentus », Grand Timonier de l’Union des « Arracheurs de Bouchons », Grand Ordonnateur des soirées des « Défonceurs de Capsules » (je vous la fait courte, car les autres titres du Sieur ne peuvent être ici dévoilés, tant ils touchent à des domaines ordinairement « réservés »…) est, de surcroît, grand ami de presque tous les vignerons des deux Côtes, dont le très fragile J.P.Charlot, qui est à la puce des vignes, ce que le Tyrannosaure est à Chaplin… C’est ma peau que je joue là, sauf à ne plus jamais mettre les pieds à Volnay.

Me suis égaré dans le labyrinthe des préambules je crois, mais la vie est courte et les chemins les plus tendrement longs, sont peut-être les meilleurs…???

Bon, ben, va falloir y aller. Savoir enfin que ce qui suit, est à lire, mais pas à prendre à la lettre. Mon esprit s’est par moment évadé, au contact d’aucuns de ces grands jus de vins. Gravir les flancs des monts de la délectation, et/ou se baigner dans les humeurs épicées de la subtilité, ne favorise pas la concentration Cartésienne, ni plus, la prise de note appliquée. Mes oreilles, ravies par le chant velouté des «Petits Monts», n’ont retenu que quelques bribes, des propos, richement incohérents, tenus par les dégustateurs patentés présents. Alors, merci d’être indulgent.

Douze DROUHIN, apôtres des villages et climats de la Côte, nous étaient proposés. Tous jeunets, inscrits aux registres en 2006, oui, les mêmes dans le millésime 78, eussent été sans doute, plus à point, mais à l’impossible, nul…

LES VILLAGES OUVRENT LE BAL.

 John Hoppner. Charlotte Papendick.

Tout au long de la soirée, les robes de ces vins, éclaireront la dégustation de leurs lueurs rubis, qui balaieront sous les lumières douces de la salle, toute la gamme des rouges, de la cerise tendre à peine pubère, au grenat sombre et éclatant des grands crus, en passant par le carmin velouté des premiers crus.

Chorey les Beaune : Un vin simple mais bien fait, sur les petits fruits rouges. Un vin de bonne soif, au fumé agréable, qui finit sur une fraîcheur un peu métallique, cependant. Une belle «charcutaille», l’aurait sans doute magnifié.

Vosne Romanée : Le charme de Vosne assurément, déjà. Un bouquet de pivoine en signe de bienvenue, puis une palanquée d’arômes fondus. Fruits rouges, cuir, vanille, poudre de cacao, en cascade complexe. Bel équilibre en bouche, la puissance maitrisée de Vosne pointe déjà le bout de sa séduction. La finale fraîchement épicée, dévoile de jolis tanins, réglissés et soyeux.

Chambolle Musigny : Un nez, encore sous l’éteignoir, qui daigne, après qu’il a bien pris l’air, laisser échapper des notes de fraise à peine écrasée. La bouche est subtile, comme se doit de l’être tout Chambolle bien élevé. L’image d’une crinoline, tendre, fragile et souple, qui valse entre les bras virils d’une jeunesse rieuse, me traverse l’esprit…Des tanins, encore saillants, qui demandent à connaître la lime attendrissante du temps, durcissent à peine la finale.

Gevrey Chambertin : La muscade, que l’amande rafraîchit, fragrance fugace et fragile, rode, délicate, l’espace d’un soupir. Puis le nez trouve le plaisir, dans une appétissante purée de fruits rouges. De la puissance en bouche pour ce village de bonne origine. Des épices ensuite, qui marquent franchement une finale aux tanins mûrs, réglissés, qui je l’espère, perdront de leurs épaules dans les trois ans… pour le moins.

Nuits Saint Georges : Un nez très aromatique, floral d’entrée, puis tout en fruits. Tout au bout, de la peau d’orange. L’attaque en bouche est sucre de fruits mûrs, la matière, conséquente, est encore en bloc, serrée. Le zan domine la finale aux tanins ronds, mais un peu verts.

LES PREMIERS CRUS ACCELERENT LA CADENCE.

 Maxwell Armfield. Faustine.

Nuits Saint Georges «Procès» : De vieilles vignes, de plus de soixante quinze ans, ont enfanté ce vin, qui vous plonge le nez dans la fourrure chaude, dès l’ouverture…Mais qui s’en plaindrait!!! De la réglisse, du cuir, de la cerise à l’eau de vie et son noyau, du cassis, puis du cèdre, suivent en foule bigarrée. Ça en jette, et ça pulse sous la narine, qui alerte les glands salivaires, lesquelles, accueillent en bouche un jus glissant, puissant et doux à la fois. C’est d’la bonne came ça madame!!!! Qui frétille sur la langue, et vous laisse en finale, le souvenir ému du passage impressionnant d’une marée gouteuse de tanins ronds, réglissés et croquants. Manquent à la fête, les fibres tendres d’une belle viande, rassie à point.

Morey Saint Denis «Clos Sorbé» : Les raisins de ce vin proviennent des vignes du «Père Jacquot», que Robert Drouhin vénérait, paraît-il. Les Bourguignons comprendront… dixit Stéphane, qui a trainé ses savates dans plus d’un chai. Il m’arrive de me perdre, délicieusement, dans les plis d’une robe de soie. Celle ci est profonde, comme l’eau d’un rubis Indien. Et quelle nez ma bonne!!! Rien n’y manque. Cassis, myrtille, cerise, ronce, réglisse, et fumé encore. La cadence vous dis-je!!! L’attaque, ou plutôt la caresse en bouche, est fraîche, comme une main réconfortante sur un front enfiévré. La matière, ronde, est d’un équilibre qu’envieraient nombre de Socialistes et Umpistes confondus, et confondants (Ah que la langue Française est belle et insolente!!!). Il y en a partout, dans tous les coins de l’hexagone buccal. Oui je sais…la bouche est ronde…sauf chez les gueules carrées. Les fruits sont aussi frais que rouges, les tanins sont aussi épicés que fins. La finale, encore un peu serrée, est longue et séveuse.

Chambolle Musigny 1er Cru : Ce «Cambolla» est une mosaïque, issue de différentes parcelles et finages, étoiles autour du soleil Musigny. Le premier nez est musqué, comme la trace d’un lièvre effrayé, surpris entre les ceps, un petit matin brumeux d’automne. Puis, le «paysage» olfactif, prend un air printanier, et s’élargit sur la fraise des bois, la cerise noire, les épices, la réglisse. Je perçois une touche de terre sèche aussi…La bouche réitère en tous points les bonheurs du nez. La finale est épicée, réglissée, sur des tanins de velours, fins comme un second degré dans une assemblée de primates.

Vosne Romanée «Petits Monts» : Ce climat, petit par la taille, est en haut de coteau et converse à mi-voix, dans le secret des vignes, des privautés insupportables, que le percheron à la crinière blanche – ne balaie-t-il pas effrontément de sa large queue, de vieux ceps irascibles!!! – se permet, tandis qu’il gratte en douceur, l’épiderme sensible du bas du dos du Mont?? Le Richebourg, en vieux sage, écoute et compatit…Le lièvre est aussi passé par là-haut. Il a laissé dans le verre, le fumet de sa fourrure chaude. Les cailloux du coteau, la griotte mûre, un soupçon de menthe, qu’exhauste un bouquet d’épices, marquent en finesse, le nez en devenir, de cet enfant de vin. La matière, déroule en bouche, les plis mouvants d’une soie, piquée d’imperceptibles tanins crayeux. La finale, encore sous le joug délicat d’un bois noble, s’éternise déjà, enrobant les papilles extasiées, d’un auditoire en prière.

Quand je vous disais que la Bourgogne tutoie le ciel…

LES GRANDS CRUS «MOLTO VIVACE».

 Cabanel. La comtesse de Keller.

Jeunes, hélas, trop jeunes.

Grands Échézeaux : Un jeune et grand Bourgogne, privé de ses cerises, qu’elles soient Griotte ou Burlat, serait un pauvre petit Chaperon, orphelin du rouge de sa cape. Divaguerai-je… Un peu sans doute??? Mais pas tant que ça, en fait. Les «Grands…» en bons orthodoxes, embaument la griotte d’emblée, la prune mûre aussi, la muscade, la menthe, le champignon frais, le cuir et les épices enfin. Ah, j’allais oublier le gibier à plume, qui voleta un instant, au sortir de la bouteille. Grand cru, grande matière??? Oui, pour celui-ci. Conséquente, tendre et tendue, elle vous relève les sourcils et s’installe, indolente. Que de promesses en bouche, jusqu’à la finale, épices, amande et réglisse en fanfare, fraîches et persistantes.

Griotte Chambertin : Petit «Grand Cru» que la Griotte; moins de trois hectares. C’est du bas pentu de la parcelle, qu’elle provient. Plus de terre, plus de puissance??? La robe est d’un grenat profond, presque ténébreux. Une lumière aigüe, d’un rubis éclatant, semble sourdre, du cœur du vin. Puissance toujours, au nez. Les arômes de fruits rouges, que la cerise domine (encore!!!), sont francs, et vous fouettent les naseaux. Le vin se donne sans préliminaire, le cuir neuf, la muscade, sont aussi de la noce. Puissance itou en bouche. La chair du vin se fait onctueuse déjà; la volupté demandera quelques années de plus…La bougresse ne boude pas ses tanins, ronds et soyeux, qui épicent avec beaucoup de fraîcheur, une finale qui s’étire, en relevant la queue. Une Griotte, qui me surprend je dois dire, habitué que j’étais jusqu’alors avec elle, plus à l’ingénue fragile, qu’à la cavalière énergique. Le temps domptera, sans doute, sa fougue.

Musigny : Le lièvre, décidément en pleine forme, est passé par ici aussi!!! Il s’éloigne vite et poursuit sa course folle, au long des coteaux du pays de Nuits. Élégance, me vient immédiatement à l’esprit. Le vin est jeune, mais affiche pourtant, la classe d’un jus, qui aurait fréquenté les écoles les plus huppées. C’est par petites touches raffinées, qu’il s’exprime au nez. Par petites bouffées de violette, de framboise, de cassis, de noyau de cerise, le nez se construit, timide encore. Le contraste, est patent en bouche. La matière est charnue, puissante («énorme»!!! pour les djeun’s), sauvage, «testostéronée» et fringante, comme un yearling fougueux. Élégance toujours, quand la finale s’élance, toute d’épices et de poivre habillée, longue comme un jour sans vin…Le temps sera son maître.

Douze vins, tous à leur place, parfaite illustration de la pertinence hiérarchique, patiemment élaborée par les générations Bourguignonnes… Quand le temps prend son temps… au temps des agités, des compulsifs, des «Nioxeurs» qui font du roman de Morand, leur unique et indiscutable bible, quelle leçon…!

Travailler lentement pour travailler mieux???

EMOTILIEVREOUTORTUECONE???

TOUS EN CÈNE…

 Simon Ushakov. La Cène. 

  

Vingt et une heures.

Diné sur le pouce. Douche. Pyjama en calicot mercerisé. Il fait frais. Petite laine. Comme chez soi. Téléphone!!!!!

Non, non, rassurez vous, Marguerite Duras est bien morte.

«P….n, qu’est-ce tu fous??? Onnnn t’aaaattennnnd depuis un moment!!! Écoute…»

A l’autre bout de la ville, le sans-fil – je parle du téléphone magique, ordinairement appelé portable – tente de capter sans succès les hurlements de la troupe. Le geste qui aurait du tuer, me fait sourire. Dans ma tête, une question incongrue est passée à toute vitesse, comme un écureuil le long d’un tronc. Va-t-il chier avec son zigouigoui coincé dans le calbar, comme Clavier dans les «Bronzés»!!!???

Silence stupéfait de mon côté. Alzy * a encore frappé… Je tourne et me retourne dans mon calicot. Bennnn… Un petit contre-temps les gars, mais je mets les gaz et j’arrive illico. Gros menteur me dis-je en parallèle!!! T’as oublié c’est tout. Même pas cap de le dire. Houuuuu, la grosse honte!!!

La grosse tablée des voyous ordinaires m’accueille.

Des sourires et des vannes.

Le Grand est là, les bras ouverts, accueillant. «Tata Anne», autrement affublée par mézigue d’un charmant «La Dédée», me fait des yeux qui rient et un sourire qui fait la gueule. Laurent, Charentais de cœur et réincarnation de Sardanapale le fier Assyrien, pelote ses foies gras avant de nous les servir. le Caviste fou, croisement malheureux entre une étoile du Bolchoï et un Bouledogue qui se serait fait refaire la gueule, efflanqué mais moins qu’avant…, ricane. Loulou, la Mongole décalée de l’Extérieur, est aphone ce soir, et sa voix flutée peine à percer. Édouard, le hussard au long sabre, rêve d’enfourcher la cavale. La Jeanne épanouie, et dont aucune ligne droite ne vient affadir la silhouette, est heureuse d’être là. Le Patrice est splendide comme à son habitude. Les quinquets allumés, la moustache en crocs soigneusement apprêtée, et les magrets avantageux. Voilà, le tour de table est fait, je retombe sur le Grand. Il a l’air heureux, frétillant, l’âme élégante et le cœur généreux. Rien que de très usuel chez lui. Je le regarde à la dérobée. Il vibrionne. Il savoure à l’avance, les bonheurs que sa générosité coutumière va dérouler, tout au long de ce moment d’amitié.

Nous régaler, il veut.

   

Magnanimes, nous sommes prêts. Le bonheur de donner, souvent, surpasse celui de recevoir.

La mise en palais se fait sur un Champagne Grand Cru Chardonnay J. Pernet qui déroule sous les nez silencieux, ses arômes fleuris, sa brioche chaude, son miel et ses fruits jaunes. Grand contraste avec la bouche, longue droite, toute d’agrumes et de craie.

Tous s’enfilent ensuite autour de la table ovale. L’orange et le rouge des assiettes égaient la nappe, et annoncent aux convives les couleurs saturées que prendront leurs visages, plus tard, au terme de la nuit joyeuse.

Les foies gras mi-cuits, découpés en tranches épaisses, nature pour les uns, piqué de cerises pour les suivants, apparaissent.

Un Cahors Montpezat 1990 roule dans les verres. Les nez plongent. Mieux vaut avoir un verre sous le nez que l’avoir «inside», me dis-je, fier de ma lucidité, aussi conne-branchée que temporaire. La robe est sombre, évoluée, quelques lueurs violettes persistent. Le nez envoie du zan, des épices et du chocolat. Damned, ça s’effondre en bouche, c’est petit, étriqué. Ad patrem!!!

Lui succède un Cahors Cessac Harmony 2004. Fruits et bois au nez. Belle matière charnue, confiture de prunes et fruits noirs. Frais, épicé, un poil rustique. Un bon Malbec consensuel qui ne me bouleverse pas pour autant.

Puis la Bourgogne s’installe à table. Le Stéphane, l’air faussement détaché, pose au milieu de la troupe, un Drouhin Puligny-Montrachet Premier cru 2001. Le bouchon est vierge… Étrange. Pas dans l’habitude de la maison…L’animal minaude dix bonnes minutes, avant de s’entrouvrir pour lâcher un joli pet citronné, façon des Îles. Puis replonge, et ne donne rien d’autre. Bof, rien de bien enthousiasmant, ça ne semble pas très complexe. La bouche est un peu maigrichonne aussi. Mettre le verre à gauche, et voir plus tard. Ah ben ouiiii. Quand j’y reviens c’est d’un autre voyage qu’il s’agit. Une autre dimension. Fleurs et fruits au nez, finesse et distinction. Tout est intimement mêlé… Mais c’est en bouche que la transformation touche au spectaculaire. A vrai dire, ça me troue… C’est comme dab en fait. Des certitudes et jugements trop rapides. Ne pas se prendre pour ce que je ne suis pas me dis-je… Humilité et profil bas, don’t forget et en toutes circonstances. Détendu qu’il s’est le Puligny, alangui, étalé, déplié. Y’a du vin dans la bouche. Et ça fait le beau. Et ça roule. Et ça gonfle. D’la belle came qui bedonne en bouche – citron confit frais… – onctueuse, fine, qui danse avec la glotte. Les épices apparues rehaussent la matière. Quelque chose de la turgescence vinique s’installe. J’oxygène encore et plus, et ça monte, et ça s’épanouit. Le vin étriqué s’est mué en vin à…. Il n’arrête plus d’enfler. Un vin de folots et autre génies. Posé sur le coin de la table de nuit, il aurait réveillé le Président Lebrun!!! Merci Monseigneur!!! Nous, on est d’accord avec toi!!! Toujours!!! Il t’en reste???

Le suivant à l’atterrissage devrait avoir de la voilure car c’est d’un Drouhin Puligny-Montrachet «Les Folatières» 2005 qu’il s’agit. Une millésime de grande réputation, un climat de près de 18 ha, conséquent donc pour la région. Versé, et mis à gauche aussitôt. Encore une fois, l’air et le temps vont aider à extraire l’esprit de la matière. Ça papote un peu, ça jacasse en périphérie. Tata veille au grain et au gratin. La Loulou muette sourit. Tiens j’ai le tympan gauche qui vibre. Non, non, le Caviste ne ronfle pas, il rétrolfacte comme un dogue en boule dans son panier. Le Patrice, les crocs de la moustache tendus à embrocher tout ce qui passe, se délecte, l’œil vague et le sourire extatique. Il faut dire que les vins ont fait leur effet, les yeux brillent comme des lucioles sous ectasy. La Jeanneton, le regard perdu au plafond, est aux anges, manifestement comblée. Ça va léviter sous peu. Juste à ma gauche, le hussard est prolixe et tout à la fois marmonne, le nez au fond du verre. Il lui arrive même de se répondre à voix basse. Le Grand embrasse la scène – la cène ??? – d’un regard énamouré et se nourrit en silence de nos présences. Il aime que l’on aime «sa» Bourgogne, qu’elle nous cause au creux des papilles, et adoucisse les visages marqués par les tracas du monde.

Mesdames, ce soir la crème de nuit est Bourguignonne!!!

Le vin s’est détendu lui aussi, et brille de tout son jaune chrysocale. J’y descends les yeux fermés. Non, je ne vous ferai pas le coup de la noisette grillée du Puligny des familles. Je lutte contre les clichés que ma mémoire propose, et m’ouvre au vin. Le silence s’installe, les conversations s’estompent, j’entre en conversation intime. Ça fleure bon l’acacia en fleur, le citron frais, la gelée de coing, le beurre frais. Quelques notes miellées aussi. La menthe enfin. Mais par dessus tout, le pamplemousse juteux domine, et fédère les arômes qu’il affine. C’est bien le mot, la finesse, qui résume le mieux le nez de ce vin. Droite, rectiligne, tendue, presque tranchante en bouche, la matière tout en retenue ne se livre qu’à peine. Seul le temps, le vrai, celui des caves aussi fraîches qu’obscures, le délivrera de ses crispations de jeunesse, lorsque au terme de ses rêves, il se déploiera.

Puis vient le temps du mystère – je parlais de la cène il ya peu… – qui se tient là, debout, sous le verre poussièreux d’une bouteile nue. Ni collerette, ni étiquette, ni falbalas. Le Stéphane boit du petit lait. Il se retient de nous aider, jubile et a du mal à se taire. Le jus sans nom remplit les verres. La robe est sombre. Sous la lumière artificielle, le verre levé à bout de bras dévoile un coeur brillant, pur rubis, rouge du sang d’une vigne encore inconnue. Un instant l’assemblée se fige. Sous les corsages, les kiwis, les poires, les pommes, les melons se tendent, et pointent le bout de leurs courtes queues agacées par l’angoisse. Sous le tissu des mâles, les prépuces se rétractent… S’agit pas d’avoir l’air c.. !!! C’est à chaque fois la même chose à l’aveugle. Les Egos s’inquiètent et se toisent, se dressent sur leurs ergos! Quelque chose d’un peu sauvage plane. Du fin fond des âges… Dans le verre aussi, subrepticement. Puis le vin se déchaine, et envoie grave. Des fruits rouges – ça mange pas de pain – en entrée, histoire de se mettre en nez, et surtout en confiance. Puis en rafales, de la mûre et du cassis, qui tournent très vite en confiture, de la réglisse, brute de bâton, du cuir, des épices et du poivre. La deuxième vague, un peu plus tard, révèle la cerise, un grain de framboise, une volute de tabac brun. Pas mal!!! Pas un village, un grand premier sans doute ou un grand cru. Morey me tente. Mille neuf cent quatre vingt dix neuf? J’annonce… Bingo pour le millésime, tiers de oui pour Morey. La matière est puissante, encore ferme, mûre. Elle roule et ravit la bouche, qu’elle marque de ses tannins soyeux et élégants. Les tensions ne résistent pas aux charmes du vin, qui Chambolle n’est pourtant pas. La basse cour caquète à nouveau. On dit et redit. On périphrase, on tourne en rond. Je me perds dans la réglisse épicée et la poudre de soie de la finale, dont la virilité ne me quitte pas. Tout au bout de sa persistance, comme un clin d’oeil jardinier, une pivoine dépose un grain de sucre parfumé sur ma langue pâmée. Stéphane, presque désolé annonce : Drouhin Bonnes-Mares 1999.

Silence.

Bien plus tard les millésimes 68 première mise, 68 deuxième mise, 69, 71,76, 77, 78, Cognacs de la Maison Prunier…Pas goûtés, pouvais plus. Le tenter eut été indigne de ces très beaux alcools. Mon nez, seulement, a survolé les verres. Tous différents, pourtant issu du même cépage. Le 68 première mise m’a enchanté. Pâte d’amande, fleurs, fruits confits, de mémoire…Une autre fois et sérieusement….

Ah, j’allais oublier. Façon de parler en fait. Je me la gardais pour la bonne bouche. La fraîcheur spontanée de Claire, l’une des «grandes» filles de la maison. Son regard espiègle qui tournait sur ce ramassis de vieux pochetrons! Encore que…

Un Bonnes-Mares-Puligny-carrément-Montrachet à elle toute seule.

 * Alzheimer enfant… 
 
 
 

 EPLUSMOTRESTICLAIRECONE.

LA BONNE GROSSE TEUF!!!

Robert Delaunay. Joie de vivre.

Il y a des repas, des soirées, comme ça… que l’on espère ou que l’on redoute.

Comme au bon vieux temps de la conscription, je comptais les jours inconsciemment. Plus le temps passait plus l’angoisse poisseuse montait, plus mes journées étaient perturbées, plus je faisais «c…r» mon monde. Désagréable sans raison, infâme sans complot, désabusé sans avoir tout vécu. La Bérésina du moral. Même Ma Mie, qui jamais ne rassit, perdait son sourire. Le spectre de la séparation planait.

Mais l’homme a des ressources que la femme ignore.

Vous dire, c’est bien le moins, qu’il me fallait accueillir amicalement et dignement Jean-Théobald, ancien de Sciences-Po, tâcheron à la Sous-Préfecture, constamment occupé à ourdir de sombres machinations à l’ombre de la machine à café, histoire «d’asseoir son autorité» tout en faisant «rebondir sa carrière». Jean-Théoche parle comme on tranche le jambon, la lame est sèche mais s’endort dans le gras. Sa diction en pâtit et l’intérêt de sa conversation faiblit. Jean-Babald s’écoute plus qu’il ne partage, c’est sa force et c’est mon soulagement. Pas besoin de lui répondre, un hochement de tête ponctué d’un «hummm» intelligent, suffit à lui faire accroire que vous buvez ses paroles. Dans la musique murmurante de son discours insipide je me sens rajeunir. Ah l’air niais que je savais prendre, au long de ces jours et ces cours interminablement linéaires que nous infligeaient certaines blouses grises, tandis que d’autres nous montraient les étoiles…

Marie-Esméralda l’accompagne, ordinairement. Beaucoup plus libérale, elle vogue sur les eaux tumultueuses et glauques de l’investissement, très mystérieux, comme il se doit. Elle en parle en termes vagues et sibyllins, redressant un buste qu’elle a conquérant. Son expression favorite qui clôt invariablement la conversation tandis que ses sourcils font flèche de tous poils, est d’une rare pertinence. «C’est du lourd…» dit-elle. S’ensuit un silence, pesant comme une gueuze dans la poche d’un noyé. On sent la présence vibrante du «Consortium de ceux qui en ont plus que vous ne sauriez l’imaginer», peser sur nos pauvres nuques de quidam de seconde zone. Les couleurs éclatantes de ses atours sont au bon goût, ce que la Ministre actuelle est à la Justice… Enfin, elle égaie. Ses saillies dévastatrices sont à l’humour, ce que serait «Black Sabbath» en concert à l’Abbaye de Solesmes. Elle, je l’aime, et son rire encore plus…Rien ne l’effraie, aucun surmoi, aucune limite, c’est de la galette pur beurre. Un vrai bonheur gourmand de la piloter, droit dans les récifs, quand la soirée se fait interminablement sinistre. Jean-Théobald vacille bien un peu, mais reprend invariablement le fil de ses palpitantes aventures professionnelles. Alors je flatte à nouveau La Marie, je la branche, je l’amorce, je la comprime et ça repart. Paf, une blagouille et c’est un rire infiniment aigu, tranchant comme un Bourgogne blanc 1996, qui attaque le cristal, qui coince et se déchire comme un shrapnell au dessus du Chemin des Dames. A la longue ça produit son effet et le Jean-Théche s’épuise. Ma douce s’éteint, un sourire plus navré que fané aux lèvres…

Voilà en gros, ce qui très bientôt, nous attend.

Une nuit, délaissant mon ouvrage, je me mis en tête de sortir de l’ornière conviviale qui, inexorable, approchait. Allez me dis-je vers les deux heures du mat, laisse toi aller, laisse émerger ta créativité, point besoin de créatine pour te débarrasser, en t’amusant, de ce poids qui te mine. Quitte à déclencher «innocemment» un petit scandale domestique, autant l’orchestrer, le «Deus machiner», y aller carrément, à la hussarde et te bien amuser, poil au nez!!!

Dix neuf heures quinze et ça sonne!!!

Je rajuste mon survêt élimé et passe une main fébrile sur une barbe de trois jours. Après avoir longuement hésité, je me suis décidé à me doucher et je le regrette déjà. Je me sens moins crédible, moins dans ma peau de ce soir. Ma douce, le regard écarquillé, n’a pas le temps de dire son désarroi que déjà j’ouvre. En cinquième, pied au plancher j’attaque, l’œil brillamment engageant. C’est un accueil princier, que celui qui les voient pour une fois balbutier, tandis que je les roule dans le bonheur tonitruant que j’étale, épais comme la croûte odorante d’un parmesan hors d’âge. L’alezane à la robe brûlée comme la crème éponyme, en tressaille de contentement. L’onde de plaisir qui la parcourt fait trembloter son fastueux poitrail qui porte sans faillir un somptueux et pesant pectoral de pur Lapis-lazuli. La crème au Lapis… Nefertiti est dans nos murs. Sa bise est tendre et sa main caressante me dit clairement sa délectation. Ses lèvres, qu’elle humidifie compulsivement, se couvrent de bulles fines comme le cordon du meilleur Sélosse. Légèrement en retrait, Jean-Théobuche est déstabilisé. Comment va-t-il s’y prendre pour reprendre la main??? Mais je tiens les rênes fermes et souples, et conduis mon attelage de percherons jusqu’au canapé. La tâche de vieille peinture blanche, qui illumine mon vieux falzar de bricoleur incompétent, répond à merveille au costard à rayures mode-branchée qui galbe les cuisses de fonctionnaire de mon bon Jean-Teiche. Rien à craindre. Concentré, il ne voit et n’entend rien, il réfléchit et affiche sur ses lèvres le sourire absent de celui qui cherche la façon dont il va amener son discours.

Une brève lueur chafouine éclaire un court instant son regard…

Eurêka!!! Bon Dieu, mais c’est bien sûr!!! Le vin, il va me parler vin. Il est certain ainsi de retomber sur ses pattes. Ça tricote sous son crâne. Le spectacle vacillant des synapses qui surchauffent est total. Un régal!!! Gourmand, je me délecte de ses paroles à venir. Ah, son Bordeaux de dessous les fagots, son Haut-Médoc des familles, son Château Glamouzeux, archétype flamboyant des soupes de tanins verts, ennemi du fruit et de ses déviances enjôleuses, chantre du pur jus de tonneau, intransigeant, immémorial, parangon sinistre du croisement approximatif entre le Nouveau Monde et la Tradition dévoyée. C’est le temps anthologique de la grande «Odyssea». Je le connais par cœur son grandissime picrate, pour m’y être blessé les gencives et l’idée de ne pas avoir à le boire, me réconforte d’avoir à l’entendre. A petites lampées tièdes, je m’en vais le déguster. Le cancre de mon enfance donne le meilleur de lui-même, et j’affiche le visage illuminé du crétin extasié. Seigneur que c’est bon, j’ai dix ans… Souchon est mon frère.

Et il fonce bien sûr et met le paquet. J’ai tout bon, je ne bouge plus, j’esgourde encore et toujours plus. Je flatte l’animal quand il faiblit et l’approvisionne en nourritures roboratives. C’est qu’il a besoin d’énergie mon Jean-Tuche. Il a beaucoup de choses à dire, avant de virer subtilement vers son pré carré, le premier étage de la «Sous-Préf», lieu de pouvoir par excellence, centre névralgique à partir duquel, d’une d’une main ferme, il contribue grandement à la gouvernance avisée de l’ombilic du monde qu’est le «Bureau de l’Identité et de la Circulation».

Discrètement je m’éclipse et prépare le Grand Blanc dont je vais les régaler. Ce soir pas question de mégoter, il me faut frapper fort les papilles et les imaginations. Avec des précautions de ballerine fraîchement ménopausée, je débouche et carafe un beau blanc sec, sobrement dénommé «Le Jus de nos Treilles», un VdPdJdlF, le dernier en rayon, arraché de haute lutte, à une mamie assoiffée de dentifrice liquide. J’irrupte, le col gracieux à la main, marchant avec les précautions feutrées d’un pingouin dans le bush Australien. Le regard épouvanté de ma très douce croise le mien… Elle se demande ce qu’elle fait là, ses pommettes qu’elle n’a d’ordinaire ni rouges ni brûlantes, la trahissent. Pas question de faiblir. Hardi mon gars, l’heure est venue de la dégustation… enfin la première. Dans les verres adéquats, la robe est belle, d’un jaune qui enchanterait les œufs anémiés des grandes surfaces. Pétant ce jaune. Boosté à «l’E 1912» que ça ne m’étonnerait pas. Jean-Tèche annonce :

– «Yquem»???

-Non, non lui dis-je, les Sauternes je crois, sont des liquoreux.

-Ils font un «sec», rétorque t-il d’une voix qui arrêterait un TGV lancé.

-Merci mon Jean-Jean, t’es pas le genre à tomber dans le premier piège à gland venu lui réponge. Ah t’es un bon toi!!! Allez, renifle et prends ton temps, c’est une rareté, ça n’a pas d’âge.

-Le sec est une rareté, le millésime c’est autre chose, assène t-il. Yquem vinifie quelques bouteilles les très grandes années…

Je ne dis mot et me contente d’opiner. Pas question de contrarier un tel maître. Quelle soirée édifiante qui me renvoie à plus de modestie. Le sec d’Yquem, en voilà une info… Marie des Asturies est toute ouïe, elle dévore son Théobuche des yeux et déguste à courtes lampées gourmandes, l’eau de vin brûlante. Proche de l’extase, elle lévite et pense à son canard. Il faut bien que, parfois, Thé-Thé se repose.

Ce blanc, il faut bien en parler, mais très peu, il n’y a pas grand chose à en dire. Pas de nez si ce n’est une légère odeur alcoolisée. La bouche elle, grimace et s’en souviendra, tant le liquide est agressif, acide un point c’est tout. Un beau candidat à la distillation. Voilà pour «l’Y d’Yquem»!!! Prévoyant, j’avais servi des entrées douces et crémeuses qui furent au vin de parfaites antidotes. Ma première expérience Sado-Maso. Très réussie.

Une grande souffrance peut conduire à un grand plaisir!!!

Une réputation, ça vous colle à la peau. «Grand» amateur de vin, ou plutôt perçu comme tel, nul, et surtout pas Jean-Thoche, ne pourrait imaginer boire chez moi, autre chose qu’un beau flacon, a minima!!! Et voici ma bouteille de rince-dentier, qui par un coup de baguette magique, se transforme en «Y»…Faute d’être un buveur d’étiquette, me voici contre mon gré, grand pourvoyeur en flacons prestigieux, ce qui est loin, très loin même, d’être la réalité.

Mais la fête continue, le temps vient de hausser les niveaux et d’entrainer Marie-Smémé au pays merveilleux des Grands Rouges de légende. C’est une vraie, une bonne, une grosse goulue gourmande. Vous la reconnaitrez aux légères chaleurs qui colorent son teint mat, comme à l’exquise brume qui perle sur sa lèvre supérieure duveteuse, dès que le moindre mets – de la vieille tranche de saucisson, à l’Ortolan sur sa broche – accroche son regard. Une cliente. Une sérieuse. Une appliquée. Qui aime ça et en redemande.

Une daube, cuite à n’en plus pouvoir et largement dopée aux épices et au Piper Negrum, entre en scène. Artistiquement confite dans son plat à Tajine, «comme là-bas», elle épate, elle éblouit, elle ravit, elle comble le regard de mes hôtes, sensibles, comme des milliardaires Russes, à tout ce qui rutile. Histoire de rester dans le ton et de remettre deux thunes dans le bastringue, je me lance dans un long discours creux et convenu, enfilant les truismes et les lieux communs comme autant de perles de bazar, pour expliquer l’accord mets-vin à venir. De quoi faire un article, aussi ronflant que prétentieux, dans le dernier des magazines «pipole dans la vibe», dans le genre «Hédoniste Rive-Droite». L’auditoire boit du petit lait, le bonheur d’entendre les inepties dont il se repaît à longueur de vie  l’enchante. Avec des précautions d’ostéoporosé, je dépose sur la table une carafe rouge, d’un Gevrey 2007 de derrière les gondoles. En moins de temps qu’il n’en faut au bâtard qui fréquente mes poubelles, pour engloutir une carcasse de poulet, la daube est dévorée par mes carnassiers. Le Gevrey (je ne donnerai pas le nom du négociant, si ce n’est qu’il a beaucoup flirté avec un politique à bandeau…), dont la classe est inversement proportionnelle à l’éclat artificiel d’une robe qui a connu les joies d’un filtrage digne d’une station d’épuration, coule à grandes rasades dans les gosiers délicats de Clodomir et Frédégonde. Le pinot anémié par des rendements Champenois, et affaibli, ou plutôt, assassiné, par un carafage intempestif, fait illusion au pays des vanités. Des arômes de «pas mûr», de racine fraîche au nez, une matière aussi maigre qu’acide en bouche, et une finale, oubliée dans les vignes, ou les vestiaires du PSG!!! Joueur et rassasié, Jean-Thûche fait son connaisseur, et disserte un moment sur les subtilités du millésime et la mâche du breuvage. Il est vrai que pour la mâche, la rafle verte ça aide…Un bémol cependant, des tanins, trop légers à son goût, qui m’ont laissé les gencives rétractées à ne plus pouvoir sourire des jours durant. En conclusion, c’est «Apocalypse Now», une comparaison rapide entre Bordeaux, réduit au Château Glamouzeux, l’égal des tous meilleurs et la Bourgogne toute entière…Ridicule cette pauvre Côte d’Or, balayée, éradiquée par la vindicte éructante d’un Jean-Thiche passablement secoué par le Gevrey. Vaincu, je baisse la tête. Magnanime, il sauve du naufrage l’exceptionnel Côte de Nuits qu’il a gaillardement éclusé, lui trouvant quelque chose de Girondin!!! Youpie, suis content.

C’est le temps de l’achèvement, le moment de l’hallali, l’instant cruel ou le torero sanglant se penche sur le Minotaure, la main visqueuse et le descabello tremblant.

L’instant sucré voit se matérialiser, sur la nappe tâchée, un énorme gâteau, plein de tout et d’autres choses encore. Un spécial «Sous-Préfecture», dodu, objet surréaliste, incongru en ces temps difficiles, enfant d’un pâtissier Allemand et d’une crémière Bulgare, un truc à tuer un innocent. Mais où a-telle pu dénicher – ou plutôt décoller – une pareille monstruosité, ma si douce qui n’y touchera pas??? Un anti Viagra !!! Va falloir que Théob se fasse une «deux litres» de Bandamor en rentrant, s’il veut se retrouver avant la fin de la semaine… Mais bon la basse-cour est fournie, les ersatz vrombiront de toutes leurs piles. La Mousmée est éberluée, figée, arrêtée, hypnotisée par l’engin. Elle a trouvé son Graal, l’Himalaya de ses rêves, l’anti Weight-Watcher, celui qui vous ruine en lippo-succions hebdomadaires, mais qui vous graisse l’œsophage de bonheur. En aurai-je une part, ou un fragment??? La bouteille frappée tape dans l’œil semi vitreux du cadre diminué. Un vrai bémol le Jean-Touche plus une, il s’est un peu répandu et les rayures de son costard tire-bouchonnent. Le bout des fesses sur le bord de la chaise et la nuque au milieu du dossier, il n’a plus grand chose du meneur d’hommes qui fait trembler les cantonniers alentours. C’est un gros effort qui le redresse et ses épaules, un peu moins larges que la chaise, peinent à lui remonter le fessier qu’il a façon «culbuto». Mais à l’impossible il est tenu et s’il veut se rafraîchir les amygdales, engluées par la friandise à l’eau lourde de ce Monbazillac dégoté au fond du fond d’un Hyper de campagne, une méga promo sur une infusion de canne à sucre qui ferait la fortune d’un dentiste avisé en mal de revenus, il va falloir qu’il se reprenne fissa. Pour être jaune il est jaune ce bougre de vin, un vrai canari fondu qui colle aux parois du verre tel un actionnaire à ses dividendes. Le propriétaire serait Canadien, que ça ne serait pas une surprise, du «suc de cabane» gras et lourd. La cérémonie de la dernière dégustation de la soirée se poursuit. Sous le nez, ça sent la betterave cuite à la cannelle. En bouche, les dents souffrent, et les plus fragiles se fendillent… La finale est difficile à estimer, tant la pâte colle au palais!!! Mais ce n’est qu’un avis très minoritaire, Marie-smalda et Jean-Béoche sont aux anges, l’œil révulsé, le menton maculé et le verre vide. Quelques regrets, vite résorbés, me chatouillent la conscience, le temps que Maritche, hébétée et heureuse, en plein trip de surconsommation frénétique, me sourit…Le café, pourtant bétonné, ne les améliore pas vraiment. Un second, à tuer un Italien, les laissent insensibles. Point besoin d’insister, il suffira de prier.

Alea jacta est…

Le lendemain vers quatorze heures, tout juste réveillé, l’homme de pouvoir, d’une voix retrouvée, me remercie.

Ouffff.

EPLEINMOLATIPANSECONE!!!