Littinéraires viniques » CEUX DU VIN …

LE BON PASTEUR, BON PIED, BON OEIL …

Grande Clotte à bouts de doigts sur meuble ancien cérusé.

Les voies du Fatum sont impénétrables …

En ce 19 Juillet 2012 elles me guident vers Pomerol. La pierre noire de la Mecque Bordelaise, terroir des finesses dit-t-on, patchwork de propriétés minuscules aux tailles inversement proportionnelles à leur notoriété internationale : enclavées les unes dans les autres, parcelles imbriquées entre les Châteaux, qui paient moins de mine – hors quelques chais fastueux – que les altières célébrités de la Rive Gauche. Pour une fois que la droite n’étale pas !

Sous la pluie battante, je quitte Cognac, m’évade de l’atmosphère recluse (de cette ville endormie sous la domination des grandes maisons florissantes dont les eaux de vie inondent les continents), me faufile entre les mammouths en files compactes qui engorgent la Nationale 10, puis me sors des vapeurs odorantes des trente tonnes rugissants pour me glisser sur le bitume étroit des départementales désertes, à zigzaguer comme une puce énervée entre les rangs de vignes, à me faufiler entre les velours céladons porteurs du millésime à venir. Et de couper les virages, et de jouer comme un idiot avec freins et accélérateur, loin des radars embusqués et des képis mandatés par le Trésor Public, qui n’en finit plus de dépouiller les hommes troncs dociles accrochés à leurs volants. Bon pied donc et bon œil aussi, grand ouvert par la grâce d’un soleil absent en ce matin estival.

C’est que Madame Rolland nous attend, l’Abbé, la Nonne et moi ! Dany de son prénom, ni rouge ni rousse, mais blonde comme les blés mûrs, nous a conviés à « Le Bon Pasteur » himself, propriété familiale de sept hectares en parcelles disséminées, à goûter ses vins, « Le Bon Pasteur » « Fontenil » et son « Défi » et d’autres encore, comme deux « Argentins » de haute volée « Val de Florès » (Mendoza) et « Yacochuya » (Salta). De ces vins de l’hémisphère sud, je ne connais rien, si ce n’est une Argentine rencontrée dans mes rêves torrides. Nous ne croiserons pas le « Flying Winemaker » ainsi finement baptisé par le gotha journalistique pas toujours énamouré. C’est qu’il « flaille » l’époux de Dany, prénommé Michel, du côté de l’Argentine précisément. Tant pis pour lui ! A la vérité, inutile de mentir comme un courtisan, je flippe un peu. C’est que le pékin que je suis, qui écrivaillonne vaguement à la frontière incertaine du monde des vins, n’a pas l’habitude de traîner ses baskets usés sur les parquets vernis, ni d’être ainsi gentiment invité à tremper son vieux bec dans les nectars encensés des hauts rangs de vignes basses. Va falloir que je fasse mon courtois, politesse oblige, que je tourne sept fois ma langue de vipère dans ma bouche impolie (je ne tweete pas!), que je ne me comporte pas comme un furet déchaîné dans un poulailler !

Mais ma bonne étoile veille sur moi.

L’esprit de finesse aussi …

Or donc, je chemine, et laisse mes pensées vagabonder. Surpris je suis, moi qui n’imaginais pas me retrouver un jour à lipper les jus d’un grand (c’est ainsi que beaucoup disent) Pomerol, même pas d’un beau Fronsac, encore moins d’un supposé élixir de fleurs, et surtout pas d’une pulpe mûre de cactus géant. Ainsi va la vie d’un découpeur de mots de rien, buveur de vins d’ici et d’ailleurs. Mes comparses et moi sommes à pied d’œuvre. Suis propre sur moi, de jaune vêtu, comme un vieux poussin pépieur. L’Abbé cache sa robe cardinalice sous de discrets habits profanes, La Nonne, fidèle à ses vœux, polie comme un onyx de belle eau, est toute de nuances, qui vont du noir térébrant au gris pâle, vêtue. Tissus et soies légères qui ondulent au gré des brises mutines sur son corps callipyge. Nous sommes tout sourire, même mézigue qui d’ordinaire fait la gueule, s’efforce. L’épouse du bon pasteur s’avance. Il est des gens qui se présentent en se cambrant légèrement en arrière, épaules dégagées et tête relevée. Ce n’est pas bon signe. Dany au contraire se penche plutôt légèrement vers l’avant, joli port de tête sur un long cou gracieux, en venant vers nous, mains à demi tendues. Cette femme semble tactile, me dis-je in-petto (in-petto, je vous le présente, est mon meilleur ami du dedans), une de ces personnes qui a spontanément besoin de toucher, pour ressentir et affiner sa perception de l’humain. Et ça j’aime bien, et je n’aime pas, oh non je n’aime pas (!), celles et ceux qui refoulent les animalcules qui les habitent. La Nonne sourit ; elle sourit la Nonne, elle est comme ça, pulpeuse et tendre, mais pas que. L’Abbé lui est en phase pré-aqueuse, ses yeux sont expressifs, chaleureux, sa bouche sourit elle aussi, aimablement, mais dans le fond de son regard, perce déjà la concentration aigüe du tasteur averti. On se rapproche, un peu intimidés quand même (c’est toujours comme ça les premières fois), visages ouverts et mains tendues (on n’est pas des Bonobos quand même!) qui se frôlent pour finir par aller jusqu’aux bras, tandis que l’on se bise juste après que l’on s’y soit verbalement invités et mutuellement autorisés. La bise, ou du moins la nature de bise, c’est fichtrement important ! Entre des joues qui se rapprochent alors que les lèvres picorent le vide, et des bouches qui claquent sur des peaux qui disent oui, il y a autant de différence qu’entre un coït de lapin anémié et un grand orgasme – toutes proportions gardées – qui sent bon. Mais si, mais si, j’vous jure ! Pas besoin de glace ; nous ne sommes pas là pour une rencontre en macération carbonique.

La salle de dégustation est vaste et bellement agencée, avec goût mais sans ostentation. Le blanc cassé des murs domine, quelques vieux meubles cérusés dans les tons œuf pâle, finement grisés, habillent ce qu’il faut l’espace. Une cheminée ancienne aux pierres ouvragées s’offre aux regards pacifiés. Quelques touches de couleurs égayent les lieux, dont l’atmosphère est aussi doucement vibrante que le toucher de bouche d’un vin à l’équilibre. Au centre, une grande table de marbre clair aux bords arrondis, montée sur pierre, sur la quelle deux Jéroboams (?) encadrent deux coupes de verre garnies de fleurs blanches, en opposition – apparente seulement – avec les dossiers et assises noires de quelques chaises anciennes, cérusées elles aussi, donnent de la profondeur, ainsi qu’une légère touche de mystère, à l’ensemble. Rien d’excessif qui pourrait insidieusement influencer la dégustation de la belle brochette de vins proposés. Quelque chose, de l’ordre de la dualité humaine, plane.

Monsieur Prévot, directeur technique du domaine, prévenant et précis, moins « Benoît » que son prénom ne pourrait le laisser supposer, veille sur les vins. Qui coulent dans les verres et se succèdent tranquillement. La Nonne et la maîtresse des lieux conversent (sic) à voix douce, l’Abbé griffonne en marmonnant in petto, dans son carnet à coups de pattes de mouches illisibles. Je volète tous sens aiguisés, m’imprégnant des subtilités de l’instant et de la qualité des vins. Les violettes me chatouillent le nez, les fruits rouges me racontent leurs jardins, la truffe puissante me chatouille les neurones, la réglisse me « turgesce » les papilles, le toucher d’un jus crémeux, un instant m’emporte, la ronde onctueuse des tannins soyeux me ravit plus d’une fois, tandis que la race d’un vin à la puissance maîtrisée m’emmène en Bourgogne, le temps d’une lampée. Le simple Bordeaux, Château La Grande Clotte, 2010 * né sur les terres de Lussac Saint-Emilion, clôt le bal des rouges. Ses arômes de raisins mûrs, de pêches, infime pointe d’agrumes, soupçon de miel et touches exotiques, embaument. Sur les parois fines de mon verre, le gras du vin dessine les jambes fines et les arrondis plantureux du Pont du Gard. Ma bouche le remercie qui le boit et s’en rafraîchit …

Ni conseilleur bêlant, ni prescripteur reconnaissant, ni même ministre intègre, je m’enivre plus de l’instant que des vins.

Pour la précision, l’essentiel,

Et l’analyse scrupuleuse,

Lisez l’ Abbé.

Vous serez comblés.

Or donc bis, le temps a passé en quelques minutes qui ont duré plus d’une heure. Et voici que nous nous sustentons aimablement, à la table d’une bonne table sise à Pomerol, de fraîcheurs et de carnes fines qu’accompagnent avec bonheur quelques uns des vins dégustés peu avant. Le temps est au plaisir, au partage, aux échanges simples, à l’humanité, urbaine, simplement.

Mon hôtesse et mes complices retournent à leurs pénates, Mozart chante dans l’habitacle de ma quatre roues. Le bitume du retour chuinte sous les pneus, je rêvasse comme à l’habitude, quelque part, en vie retenue, dans les nuages de mes impressions récentes pas encore débourbées. Patience et gravité y pourvoiront, et me repaîtrai des lies fines de mes souvenirs à peine pigés.

La vie est alchimie subtile,

M’en vais écrire œuvre au blanc.

* 60% Sauvignon (qui ne sauvignonne pas), 25% Sémillon sémillant, 15% Muscadelle qui fait la ritournelle.

ESONMOGEUTISECONE.

LES DÉMONS DE L’ABBÉ …

L’Abbé en prières …

L’ Abbé * est mon ami,

Et la (sa) Nonne aussi.

Alors ne vous attendez pas à trouver sous ma plume, un portrait au vitriol ou un bonbon empoisonné, une parisiannade ou quelque trait mauvais ! Ne croyez pas non plus, que vous veux infliger un papier sauce mayonnaise, car qui aime bien, observe bien et laisse les « laudate » aux professionnels du copinage déliquescent. Si cher aux Chapelles du monde vinique tous intrégrismes confondus. Émerveillements factices qui masquent les intérets. Et l’Abbé, autrement baptisé par mézigue le Cardinal des Astéries – tant les terroirs argilo-calcaires de la Rive Droite lui tiennent aux papilles – est un homme au regard de chat perçant qui n’aime pas la flagornerie ! L’expérience l’a façonné de longues années durant, il a conscience de ses insuffisances qu’il reconnaît volontiers, de ses forces aussi. L’équilibre et la lucidité lui tiennent à coeur, l’acidité mûre également.

Alors je laisse volontiers l’encensoir aux enfants de coeur …

Or donc, L’abbé est un Ardent, un homme né sous le signe du feu, une boule vibrante qui brûle plus qu’il ne vit. Qui ne manque pourtant pas de chaleur pour autant. Selon que vous l’aborderez, bardé de convictions de salon mal étayées, ou plus prudemment l’écouterez, en prenant soin de lui opposer des arguments solides et réfléchis, vous passerez un moment douloureux qui vous dégonflera grave la suffisance, cette fatuité propre aux petits maître imprudents qui donnent la leçon, ou a contrario, vous enrichirez vos connaissances que vous pensiez pourtant inébranlables. C’est que le bougre n’est pas chien, il aime la controverse excepté celle de Valladolid

Quand, emporté par mon lyrisme naturel, je pars en métaphores osées, le nez penché sur le corsage d’un vin, l’abbé sourit (sic) avec tendresse et ne me contrarie pas. Je dirais même qu’il aime ça et me laisse délirer, car le bougre n’est pas sectaire. Mais une fois que mon discours s’épuise, en douceur mais en profondeur il revient à l’essentiel. Ah « l’essentiel », un mot qui sonne sans cesse dans sa bouche purpurine, un mot qu’il tonitrue souvent et qu’il ponctue d’un point d’exclamation sonore. Et le voilà qui dissèque le jus, l’analyse, vous parle de construction, de cette façon qu’il a, précise et bluffante – ses bras battent l’air comme les moulins de Calon – de vous faire ressentir la trajectoire du vin en bouche. Et voilà que vous vous mettez à vivre ce vin que vous venez de taster, comme un être de chair vivante, qui peut-être massif, longiligne, de constitution frêle, bodybuildée, élancée, long de torse ou bas sur pattes, aux muscles saillants ou aux attaches fragiles. Et me voici, visualisant Ben Jonhson ou Hussein Bolt ! Ce n’est certes pas ce qu’il dit, quand il me parle de strucure longiligne, de précision constitutive, de centre sphérique ou de belle matière, extraite en douceur de raisins mûrs à la seconde, mais c’est ainsi que je traduis sa parole avec mes mots de pauvre troubadour. Puis il relie le vin à sa terre, aux pratiques culturales et aux choix de vinification de l’obstétricien qui l’a accompagné à la vigne et au chai. Et moi, de trouver dans ses paroles l’heureux complément « scientifique » (aussi important pour ce géologue de formation, que « l’essentiel » !) qui me remet les pieds sur terre sans me brider l’imagination.

Ceci dit Belle Abbesse, hors les séances de dégustation, comme celle, toute récente (que vous retrouverez tantôt sur son Blog) des Rive Gauche 2009, et autre précédente promenade autour des Rive Droite 2009, déjà parue, mon frère en déconnade l’Abbé est un fier compagnon de table. Lors de ces soirées, à trois partagées (l’Abbé, la Nonne des Fourneaux Enchanteurs et bibi) autour de mets exquis, joliment tournés par la Converse, et de grands vins de haute lignée Bordelaise, Bourguignonnes ou autres, l’atmosphère est celle des grandes fêtes profanes en Sacristie. Et l’Abbé se fait Moine, truculent, rieur et généreux … La dernière caille, pattes largement écartées sur le ris de veau qui la farcissait, s’en souvient encore. Et mes papilles turgescentes aussi ! Soirée mémorable, encore une, qui vit un « Griotte-Chambertin » 2000 du Domaine Ponsot, glisser avec classe, buisson de merises fruitées, délicatesse et puissance maîtrisée, dans nos gorges en fête, après qu’un « Forest » 2007 du Domaine Dauvissat ciselé et tendu comme une lame de Tolède, eut longuement caressé un rôti de Saint Jacques, Pétoncles et Saumon, monté en rouleau de pousses d’épinards au sabayon de fumet. Cuit, au battement de cil, à point.

Grand moment de partage, d’amitié vraie et de joie.

Parfois me vient l’envie de filmer (mais la compétence et le matériel manquent) ces soirées de grâce, sans chichis ni nuques basses, sans paroles creuses ni sourires de circonstances, sans flatteries ni remerciements mielleux, quand en toute simplicité, la chaleur, l’amitié et la complicité abolissent le temps, polissent les inquiétudes du quotidien. Et font glousser la Nonnette aux yeux qui plissent, au nez qui fronce de plaisir. Sur la toile qui voit passer tant de mièvreries fadasses, de tels moments feraient sans nul doute un Buzz d’enfer, et prouveraient à qui ne le saurait pas encore, que le sacré sang de la vigne est aussi fait pour donner de beaux orgasmes profanes et gustatifs.

Matin montant ou nuit tombante, soleil levant comme à la fraîche, sur la terrasse que ne borde nul baobab, café fumant et « Hareng de la Baltique » en bouche, palabres et divagations, politique et fiction (sic), rires et silences, soupirs et délectations.

Supplice à Saint Sulpice !

En contrebas,

Les chatons jouent,

Le ru glougloute,

L’herbe est grise,

La Nonne baille,

Et je souris.

Il est temps …

* Daniel sériot.


EMOCOMTIBLÉECONE.

QUAND MALDOROR CHANTE EN BOUTEILLE …

William Turner. Le matin après le déluge.

« J’ai vu, pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions: la gloire ». Lautréamont. Les chants de Maldoror. Chant I.


Simone, petite Grande Personne Soigneuse à la voix virtuelle, me guide dans le petit matin voilé. Tout de blanc impalpable vêtus, les bras tourmentés des vignes taillées courtes, surgissent parfois sous le pinceau étroit de mes phares écarquillés, comme des cris noirs et muets, dans le mur étouffant du brouillard ouaté. C’est mon ami, le Cardinal Flamboyant, arpenteur infatigable de la Rive dite « Droite » – et pourtant ô combien tortueuse – de la Garonne Bordelaise, que je m’en vais rejoindre, à Saint André de Cubzac, non loin de l’embouchure de l’estuaire Girondin, que creusent sans cesse, les élégantes ragondines et les facétieux ragondins, trop souvent improbables, qui se répandent doctement autour du vin … Ce matin, point de glossateurs alentour. A l’abri, bien au chaud des rédactions, ou bien au confort de leurs officines indépendantes, ils ne risqueront pas leurs plumes frileuses au frimas. « God is on our side », ce faisant.

Or donc, Simone m’a mené à bon port. L’Ecclésiaste, en prières, chemine encore, quand je parque mon carrosse au flanc de la gare de Saint André de C. Les frimas de ce Janvier, tant attendu par les vignes, me mord les joues, tandis que je baguenaude, en fumant un de ces « Harengs », dits « de la Baltique », par mon complice « es » promenades viniques … Temps d’hiver, atmosphère particulière, les gens transis ont une démarche hésitante, et tous les bâtiments sont des châteaux hantés … Dans un état proche de la période glaciaire, j’erre, tourne autour de la station, en fouille les moindres recoins, zoom à la main, la démarche prudente et l’œil passé au « papier de verre » (Cartier-Bresson dixit). Bien m’en prend, je clichetronne à tout va.

Enfin, le Prélat se présente. Magnifique, la démarche chaloupée, chaussé d’un galure digne des plus beaux aventuriers des vignes, le sourire aux lèvres, et l’amitié en bandoulière. Foutre de moine syphilitique (!!!), petit grand bonheur, qui dissipe la brumaille et nous mène à discuter devant un café chaud. Il est des moments, comme ça, qui valent toutes les Rolex et les Fouquet’s – il faudra qu’on m’explique le pourquoi de la tournure Anglaise ? – du monde, quand au comptoir d’un bistrot perdu, on se sent bien, paisiblement, chaleureusement. En vérité. Un putain de AAA+ que nul « Norme et pauvres » (Standard and Poor’s) ne pourra jamais dégrader.

L’humanité serait-elle l’avenir possible de l’homme ?

Pour l’heure on s’en tape, trop occupés que nous sommes à chercher autour de Bourg, le Château Fougas, au ventre duquel nous espérons faire belles découvertes. Marche avant, marche arrière et demi-tours aidants, nous voici dès onze heures, rendus au pied des lambrusques cachées dans la brouillasse. Jean-Yves Béchet, père des vins de ces vignes en appellation « Côtes de Bourg », nous accueille, sans façons, sans Bordeauniaiseries suffisantes. L’homme est discret, peu disert, préfère répondre que débiter le salmigondis habituel des choses convenues du vin. Grand, solidement charpenté, pieds bien ancrés au sol, le cheveu blanc, d’âge affirmé, le visage marqué par les années passées entre les rangs, battoirs puissants et voix douce, cet homme est le parfait contraire du « winemaker » discrètement élégant que les salons s’arrachent ou exècrent, selon qu’ils règnent ou aspirent à régner. Nous conversons à trois voix, questionnons en stéréophonie, prenant notre temps et notre plaisir, paisiblement. Le Cardinal Rutilant, ex géologue à l’esprit scientifique (les informations sérieuses sont chez LUI), à qui on ne la raconte pas, s’informe. J’écoute un peu et m’imprègne beaucoup, comme une vieille éponge sèche, de l’atmosphère des lieux et des « vibrations » de l’homme ; tourne et vire, observe, respire et photographie.

La cuvée « Maldoror » qui tourne bon an, mal an, autour des 35 hectolitres à l’hectare, vient du sirop des plus vieilles lambrusques, choisies sur les meilleures parcelles des 17 hectares du château. Jean-Yves Béchet, qui ausculte et soigne ses vignes depuis 1976, affirme que l’homme et la terre, intimement unis, font et sont ensemble le « Terroir », et que dans une appellation dite mineure, on peut aussi faire de bons, voire d’excellents vins. Des évidences, certes, mais qui méritent d’être ressassées. Et il n’est pas non plus surprenant que ce vin de Maldoror, précurseur des Côtes de Bourg de qualité, porte le nom de la plus célèbre des œuvres polyphoniques d’Isidore Ducasse qui fut, de la bouche même d’André Breton, un surréaliste avant l’heure. A ce titre, monsieur Béchet est un « surréaliste des vignes », qui s’est rebellé en douceur contre l’image rustique des vins du cru, et qui a su interpréter la nature, en respectant puis en soignant sa terre, pour en tirer le meilleur et la purger des traitements « ordinaires ». C’est ainsi que certifié « Bio », il est en conversion à la Biodynamie, en marche donc, vers la « sur-réalité » (sic), par opposition à la réalité de la production traditionnelle de l’appellation. Petite confidence au passage, sa femme Michèle est une admiratrice de longue date du « rastaquouère sublime », grand désosseur de syntaxe, selon l’expression de Léon Bloy. Tout ceci, donc, explique cela … Les chemins du vin sont parfois impénétrables.

Chemin faisant, donc, conversant, bavardant et jabotant parfois autour de l’importance du choix des verres dans la dégustation, nous voici face aux bouteilles. Maldoror, que nous espérons chantant, coule généreusement dans les verres. Dans sa robe pourpre aux franges roses que gagne l’orangé, le millésime 2001 fait franchement sa truffe sous nos nez attentifs. Le tuber melanosporum laisse ensuite affleurer des fragrances de cerise mûre, de fraise en purée mêlées aux épices douces. Au bout de l’olfaction, quelques notes de café et de cacao apparaissent. En bouche la matière est conséquente, sans trop, l’élevage a poli les tannins, les fruits s’expriment en finesse accompagnés par des épices fondues et douces. La finale est longue, fraîche, délicieuse.

Le deuxième chant du vin est dédié à l’année 2005. C’est un jus sombre, au cœur noir comme un lac volcanique, qui déroule ses jambes grasses aux flancs du verre. Seul un fin liseré, sang de bœuf, laisse à peine passer la lumière pâle du jour. Du disque de jais montent en vagues successives, des parfums de fruits mûrs que la cerise domine. La mûre douce, qu’exaltent épices et réglisse en bâton, pointe le bout de sa fragrance discrète. Quelques notes élégantes d’un élevage bien conduit, aussi. Tout cela reste en demi puissance olfactive, le vin ne se donne pas encore complètement, « loin s’en faut » comme disent nos orateurs ordinaires, friands de locutions adverbiables ronflantes. Le millésime parle, la matière est pleine et remplit en rondeur la bouche d’un bout à l’autre; sa puissance est patente et la charpente constitutive du vin parle déjà des temps à venir. Bien qu’à l’aube de son âge, le jus ample, de purs fruits mûrs, laisse augurer, à terme, grand plaisir et race certaine. A l’avalée, la persistance est impressionnante, la fraîcheur finale retend l’animal, et laisse aux lèvres de fines notes salines. Une superbe bouteille, à laisser reposer en paix quelques années.

Le troisième Aria de Maldoror est encore dans l’enfance. Mais le millésime 2009 a ceci de gracieux, que pour l’heure, il s’offre comme l’ingénue au premier sourire du galant. Des tréfonds enténébrés de sa robe opaque, qu’égaient quelques reflets de sang vermeil au juste bord du cercle parfait, le juvénile disperse alentour ses poignées de cerises et de cassis frais, juste après que la violette a poussé furtivement le bord de sa corolle sous mon appendice recueilli. Les épices, aussi, sont de la fête olfactive, qui exhaussent les fruits. La pointe de vanille qui se joint au cortège, élégante et mesurée, me rappelle que bel élevage ne nuit pas au vin. En bouche, le cru, plantureux comme une odalisque épanouie, fait sa houri et déclenche « in petto » des hourra silencieux. Le nectar est sensuel, plein, charnu comme belle combe de femme ronde. On sent que la belle sera à la hauteur des promesses esquissées. Les fruits roulent en bouche, gourmands et mûrs, la bouche est à l’extase. Sous mes paupières closes, je sens mes yeux rouler comme aux plus beaux moments des plaisirs intimes. Puis l’élixir puissant caresse l’œsophage, sans faiblir pour autant. Longuement, il persiste et rechigne à s’éteindre; ses tannins, frais, aux reliefs crayeux, ont encore à se fondre, qui laissent la réglisse au palais, longtemps après que la belle s’est envolée …

Que dire, sinon que le vin, en ces lieux, honore Maldoror!

Petite graine copieuse, cassée à Saint André « Chez Tonton », au débotté. Grand moment de bonheur à l’ancienne ! Petit bistrot qu’aurait bien plu au Bruno de Perret. La patronne est accorte, elle a le balcon plus à Noël qu’en janvier, l’œil triste et rieur des femmes de Reggiani, qui ont vécu bien plus que la moyenne …

Sur le retour, Simone fait des siennes. Perdu dans mon souvenir tout frais, sous le charme du concerto pour piano N°2 de Rachmaninov, je me perds dans les chemins vicinaux, puis pédestres, de la Charente profonde. A moitié embourbé, je m’ébroue, reprogramme ma guide facétieuse et retrouve mon chemin de misère.

A ne pas vouloir, vraiment, m’en aller, perdu je me suis!

Les chemins des retours sont souvent, eux aussi, impénétrables …

Spéciale dédicace, expressément mal écrite, à Hervé Lalau, journaliste et célèbre père des «Chroniques Vineuses », Empereur des lettres, qui n’aime pas, non pas qu’il y ait trop de notes dans la musique de Mozart, ainsi que l’affirmait Frédéric II, mais que trop de mots indisposent …

 

EPAUMOTIMEECONE.

AU FOND DE LA COMBE, LA VERITE EST DANS LE VIN …

Georges de La Tour.  Le tricheur à l’as de carreau.

En 2005, il a délaissé les rives douillettes de la critique pour apprivoiser le jus de ses lambrusques qui croissent dans les vents et la douleur, quelque part, perdues dans les Combes du Col de la Dona. Au pied de Força Réal, ce petit col, aux terres schisteuses, fait lien entre la vallée de l’Agly et celle de la Têt.

C’est ainsi, ou presque, qu’est né le « Domaine de la Combe Majou », bravant banques et marées. « Majou », que je poserais bien sur la grande courbe fine de ta combe … La Combe sèche n’est pas généreuse, qui donne, bon an mal an, quelques 10 à 15 Ho/Ha ! Allez, 25 peut-être les années très pluvieuses ! Dix hectares en une quinzaine de parcelles éparses, vieilles vignes de coteaux schisteux, sises principalement sur Estagel et Tautavel, et sur l’aire d’appellation Maury (St-Paul-de-Fenouillet), d’autre part. Rien de certifié encore, ni Bio, mais bientôt (?), ni biodyn, le maître du Domaine, qui ne manque pas de bon sens, ce qui lui évite de jouer au philosophe qui sait, regarde et aime sa nature, qu’il s’efforce de respecter au mieux. Simple « bon sens », mais l’expression, démodée paraît-il, convient d’être évitée… Disons pour clore qu’il est, le plus possible, avare de « traitements ». Et vent frais sur les cimes très fréquentées, monsieur Luc Charlier est d’une nature – forte dit-on – à ne pas se dire « Nature », non plus.

Commençons donc le voyage à Corneilla de la Rivière, en Pyrénées Orientales, par la visite de L’église 2008 : Encapsulée comme moine en prière. Assemblage de syrah, carignan, grenache. La robe violette est profonde, lumineuse et pure. Le regard s’y noie comme dans un lac souterrain. La violette, fugace, pointe sa fleur sous le bout de mon nez. Pureté parfaite et salivante des arômes de cassis, de réglisse, et d’épices douces. Un nez précis qui donne soif ! Une petite note fumée enrobe élégamment les fruits. Puis de jolis tannins, finement marqués, relèvent et retendent le vin. Un beau volume remplit onctueusement la bouche, qui acquiesce, tout est rond dans cette purée de fruits rouges bien mûrs. La finale réglissée/fumée, fraîche et saline, s’allonge sensuellement. Après l’avalée elle persiste, gourmande, sur le bonbon à la violette. Un vin joyeux, « nature », au bon sens du terme.

Le lendemain le vin s’est épanoui, comme Maja desnuda au divan. Et la bouche, qui se donne pleinement, est d’une fraîcheur fruitée qui recouvre le palais d’une fine poudre de tannins mûrs …

Ne buvez pas ce vin avec vos ennemis, ils pourraient se mettre à vous aimer !

Quelques jours ont passé, les barbus pointent déjà le bout de leur djellabas Outre-Méditerranée … Frissons. Confisqueront t-ils aussi vite cet élan qui a conduit ce peuple doux que j’aime ? L’aube de la Démocratie basculant à la nuit des obscurantismes, aussi vite ? Dieu … ! Mais que viennent donc faire ces considérations étranges entre les vignes de Coume Majou, me direz vous ? C’est que le vin vivant pousse à regarder la vie alentour, mes bons ! Et que le soufre n’est pas que dans les jus !

Manquerait plus que le vin rende sourd et aveugle…

Dans la famille Coume, je demande « Majou », qui aime tant à reposer au creux de ta hanche… Et oui encore, cette hanche ronde qui roule entre les tourments des vies de peu. Elle est mon fil rouge, ma plage de sable fin au soleil de toutes les tendresses, ma pente des désirs doux, mon havre de soie vivante… Merci Monsieur Charlier, sinon de vos vins, encore, du moins de ce mot magique qui parle de la Combe, calice de schistes et de peau fragile, en Amour Majeur. Cultivons – en ce temps de faillite des hommes dits puissants, face aux officines grises autoproclamées qui mettent à genoux les Nations – le goût des essentiels. Que les jupes légères qui faseillent dans le vent et les robes profondes des vins de caractère, nous consolent des vanités et des avidités triomphantes.

Encapuchonnée elle aussi, comme secret de Cénobite. Nostalgie de la lame fine qui perce le liège ductile … du bruit sonore de la délivrance qui rend l’air au vin. Habitudes qui nous perdent, au pays des certitudes ! « 2006 » a vu naître cette cuvée étendard du Domaine, tandis qu’elle se dévisse en douceur, dans un petit bruit aigu, crissant et métallique. Dans le verre aux formes accueillantes, large sur son pied élancé, le vin exhibe son grenat que la lumière traverse. Au cœur, comme sur les bords de la combe de cristal fin, se mêlent l’orangé naissant et le vieux rose.

Le nez prend le relai de l’œil. Y montent des fragrances de grenache très mûr, la garrigue et ses épices, la cerise confite à l’eau de vie, qu’adoucit une belle prune juteuse (Y’a d’la prune mais pas que ;-)), puis une pure purée purpurine de fruits rouges, puis s’immiscent cacao et réglisse…

Le corps juteux est matière charnue et fondante. Qui fait sa boule de fruits pour éclater ensuite sous la poussée des épices qu’enveloppe une fraîcheur récurrente, qui relance le vin. La réglisse, qu’exhausse le cuir fumé, allonge la finale qui, après l’avalée, illumine mes cellules qui font joyeuse troisième mi-temps…

Fanfare annoncée, de tous côtés, quand le temps vient de pousser la porte du Casot 2006, la grande cuvée du Domaine. Même caparaçon de métal qui couine en se dévissant, le vin dit « oui » en disant « non », comme une fausse ingénue mutine. C’est d’un assemblage de grenache de Maury, vendangé très mur et de très vieux carignan (1922!) d’Estagel, qui roule ses hanches larges sur les flancs accueillants du cristal. La robe, ou plutôt la peau nue de la prude, laisse au verre les filets gras de ses pièges innocemment tendus. Elle est belle sous son grenat brillant, qu’aucune trace d’âge n’affecte encore. Dense sans être obscure, la lumière la pénètre et renforce sa brillance.

Montent ensuite de ce calice que je vais boire jusqu’à la lie, des notes pures et précises de fruits rouges, qui font nez gourmand et appétant. Les épices douces, le poivre frais, le café et la réglisse zan, s’y marient harmonieusement. Un vin de pure cuve qu’habitent pourtant les premières notes des sous bois d’automne. De la cerise noire, du cassis et de la mûre écrasés, enfin. Une idée de chocolat noir me vient, qu’il me plairait de marier à ce jus puissant…

Mais c’est bouche vierge que je le prends ! Dès l’attaque, épices et fraîcheur sonnent. La matière, prépotente et très mûre pourtant, est fringante, et roule en bouche comme un yearling fougueux. Encore jeune, le vin récite ses rouges du jardin printanier et ses épices. Mais la fraîcheur perce les fruits, amenant avec elle, poivre et café, elle étire le jus jusqu’à la finale que l’avalée n’éteint pas. Seul un tapis de tannins croquants et crayeux, me dit qu’un vin est passé… Le sel fin qui a touché mes lèvres me parle de calcaire (?)… Allez, je n’y tiens plus, la dernière gorgée est pour le chocolat noir que je viens de mettre en bouche. Et je ne le regrette pas !

En ce jour de ciel bas qui voit l’heure basculer et nous mettre en hiver, ces vins me disent que passent les palombes, après que les champignons ont percé les feuilles, que désormais je ne ramasserai plus à la pelle…

EPOIMOTIVRÉECONE.

DE CALIFORNIE EN CASTILLON, IL COURT, IL COURT, L’HOMME DE RENOM…

Stéphane Derenoncourt. 26 Août 2011.

Deux grandes rides descendent de chaque côté de ses yeux de mer. Profondes comme des cicatrices, elles disent que son combat n’a pas toujours été facile en Bordelais. Avant que les batailles de la reconnaissance ne s’apaisent et qu’il puisse prendre racine et se poser, comme un « A » majuscule en Castillon, il lui a fallu trimer, et faire ses preuves, pour être reconnu comme l’un des plus grands vigneronsconsultants de la planète. D’entrée, sans être fermé pour autant, le visage est viril et impressionne. L’œil bleu turquin ne livre rien mais regarde droit. Une force tranquille, en attente des premiers gestes, des premiers mots, de ceux qui le visitent. Quelques phrases, quelques souvenirs, les atomes crochent. Et le visage s’éclaire quand les yeux cérulent, quand au bas du visage, un sourire venu de l’enfance gomme les traces profondes des joutes âpres d’avant Castillon, et souligne les ridules, déposées par quelque oie maligne, au coin des paupières. Transfiguration… Quand l’enfant transparaît pour adoucir le visage de l’homme, c’est qu’il – l’enfant – n’est pas mort. Tandis que nous nous dirigions vers le chai, n’a t-il pas lâché, « Je sais d’où je viens, je n’ai pas oublié ».

C’est qu’il est descendu, de BrayDunes, petite ville de pêcheurs à la frontière Franco-Belge, jusqu’aux plus prestigieux châteaux (rive-droite comme rive-gauche et satellites) Bordelais, après une scolarité brève (que d’aucuns disent tumultueuse, « l’ado » n’était pas un agneau de pré-salé !!!). Porté par une sacré volonté, doublée d’une ambition porteuse et d’un travail acharné, Stéphane le rêveur est devenu «DerenoncourtConsultants», qui accompagne et conseille près d’une centaine de propriétés … De Coppola à Bangalore. Au début des années 80, sac au dos et guitare en bandoulière, il musarde vers le sud, attiré par le soleil Marocain, s’arrête en bordelais, et se met à travailler aux lambrusques pour survivre… Autodidacte donc, qui a bourlingué à la vigne et au chai, l’homme s’est forgé de solides et multiples expériences, riches de toutes les galères endurées.

Bordeaux n’est pas «ville ouverte»…!

Il se met à nous parler de sa propriété…, le Domaine de l’A, acheté en 1999, une ruine complète, dit-il, qu’il a restaurée. Les belles pierres calcaires du libournais sertissent tous les murs des bâtiments, devenus les uns après les autres, cave, chai, bureau, salle de dégustation. Le domicile est une magnifique maison qui surplombe la plaine castillonnaise, comme celle de Verdi regardait le « Torrente Parma » … Les parfums qu’on y respire et l’atmosphère qui s’en dégage, parlent aussi de Stendhal et de son Italie rayonnante…

Le Domaine de L’A, c’est 13 hectares de vignes acquis progressivement, sur un sol qui a séduit le couple qu’il forme avec Christine, à Sainte Colombe, en Côtes de Castillon. Au moment où Stéphane nous rejoint, le Penseur de Nicolas Lavarenne nous happe et nous ravit : entre inquiétude et sérénité, entre songe et attention, dans la contention, selon Isabelle, de pensées tumultueuses, ou tout simplement géniales parce que portées par la philosophie terrienne de «O Fortunatos, nimium, sua si bona norint, agricolas»… et supportées par les barres qui le mettent en apesanteur. Belle préfiguration sculpturale, synthèse définitoire d’un esprit et d’une volonté. Celle de réussir. Rachats de vignes abandonnées, agrandissement progressif d’un Domaine… Ah oui, tiens ! et pourquoi Domaine de L’A ? « Parce que tous les mots qui nous plaisaient (on épluchait le dictionnaire…) commençaient tous par A. La lettre est donc une synthèse contractée de notre Ambition, de notre Amour, de notre Aventure… à Christine (sa femme) et à moi… »

En dégustant le beau fruit rond et dense du Domaine de L’A, l’évidence et la victoire coulent grassement le long des parois du verre. Victoire arrachée à bout de bras, pilonnée durant plus de 15 ans sur les machines viticoles, qu’il a promenées sur les chemins de la vie, en se désindustrialisant, pour n’être pas le ladre chevalier mais le servant des gents de Saint Emilion. Rançon de la gloire, sa signature respectée est partout sollicitée. « Je ne veux pas que mon nom apparaisse comme le garant promotionnel d’une propriété viticole ». « Si l’on me confie le rôle de conseiller, faut s’attendre à me voir bosser et à faire bosser ». Son combat, accompagner les domaines, les propriétés, qui savent mettre en valeur leur terre, et qui font que Bordeaux, grâce à eux, n’a d’identité que son terroir.

Stéphane a gardé de son parcours l’idée d’une coopération nécessaire et indispensable entre le chai et la culture de la vigne. Le vin est le résultat d’un « travail d’équipe » aux corps soudés, dont tous les maillons sont d’égale importance. Dans cet esprit, il a souhaité mettre en place un décloisonnement des compétences. Il est indispensable que le maître de chai maîtrise, comme le chef de culture, les travaux de la vigne, voire réciproquement…

Le domaine est un centre d’expérimentation et aussi une école pour les vignerons. Mais pourquoi le choix de ce terroir, pourquoi en Côtes de Castillon ? Christine et lui voulaient acheter… en rive droite ! Stéphane est un passionné de la rive droite. Saint Emilion est une terre de calcaires uniques au monde, les très fameux « Calcaires à Astéries » qui plaisent tellement à l’ex géologue Daniel, que les initiés surnomment, entre autres sobriquets, « Astérie l’Oligocène ». L’appellation Côtes de Castillon est récente : elle englobe un terroir intéressant qui ne supporte pas la médiocrité, d’une fausse réputation de rusticité… Certains vignobles, qu’il a rachetés, étaient délaissés. Il leur redonne vie, comme en pèlerinage vers les Terres Saintes non Emilionnaises…, avec un idéalisme généreux, lucide, vivant ! Bel itinéraire ; les cartes repères sont évidemment les tracés géologiques et le travail parcellaire, le viatique est le grain de raisin, goûté régulièrement. Voyage de la vie, du vin, rien qu’au Domaine de L’A, mais aussi tellement ailleurs … En Inde, au Liban, en Californie, en Syrie … Pour l’heure, Stéphane voue un culte aux divinités chtoniennes… (Caprice de star, évidemment …) et nous annonce un scoop. Il va nous présenter la vedette du Domaine de L’A dans le rôle titre : le Pigeur Manuel (un manche à balai planté sur une traverse trouée) ! Puis… dans les seconds rôles, Bacchus… et enfin, l’inévitable Pipette.

La cave (grande fierté de Stéphane), à la bourguignonne, petite, simple, voûtée d’un seul tenant…) nous accueille. Sous les bondes, dans les fûts, le millésime 2010, mature. Les vinifications sont conduites en cuves bois tronconiques ouvertes, aux noms fleuris, « Acanthe, Magnolia, Passiflore… , dédiées à chaque parcelle ». Les baies ne sont pas foulées, elles deviennent « caviar… », image qu’emploie souvent Stéphane. Puis il nous dit que « Faire du vin, c’est facile… ». Nous sommes de bonne volonté, nous voulons bien le croire. Avec l’aide d’Einstein, le temps suspend son cours, la relativité, c’est extrêmement simple : « Asseyez vous auprès d’une jolie fille, une heure vous semble une minute »… Sans se presser, au creux de la conversation, Stéphane nous livre, mine de rien, ses Dix Commandements !

1. Des grains entiers, non foulés, tu vinifieras.

2. Des macérations pré-fermentaires à froid, tu ne feras.

3. Tu ne levureras pas.

4. A des extractions douces, tu procéderas.

5. Le piégeage manuel, tu préféreras.

6. Des vins sur lies, tu élèveras.

7. Aucun soutirage, tu n’accompliras.

8. Ni collage, ni filtration, tu ne commettras.

9. Par gravité, tes vins, tu écouleras.

Et enfin, et dixièmement :  En barriques, tu élèveras…

Simple, simple ? Vous avez dit simple… !

Le temps au Domaine de L’A est effectivement relatif. Il se fige, il se pétrifie comme le calcaire qui nous entoure, et tout devient limpide. Beau… bon… Comme la dégustation sur fûts des vins 2010… Les deux premiers échantillons (du même tonnelier Taransaud) proviennent de vignes acquises sur le plateau de Belvès, à l’origine une parcelle de vieilles vignes plantées à trois mètres, ce qui a nécessité de planter en rangs intermédiaires des jeunes vignes, pour réduire l’écartement à 1.50 mètres et pour obtenir une densité de 5500 pieds à l’hectare.

1- Merlot, vignes de onze ans : Nez doucement expansif aux senteurs douces de cerise et de fleurs. La bouche combine aux impressions de cerise, des notes précises de fraise et de framboise, d’une belle netteté, d’une grande fraîcheur, jusque dans la finale portée par des retours floraux, de rose en particulier.

2- Merlot, jeunes vignes : Un nez plus expressif que le précédent, aux parfums de fruits rouges, tellement frais, qu’ils paraissent mentholés. La bouche est pleine, gourmande, agrémentée des mêmes saveurs réglissées et mentholées. Les tannins sont d’une belle finesse, presque « crayeux ».

3- Merlot sur les vieux rangs : Le nez est peut-être plus discret, mais l’olfaction décèle des notes épicées, douces et amènes. La bouche est très fine, souple, aux tanins d’une grande subtilité. La finale, en fruits apothéotiques de framboise et de cerise, rappelle une dernière et longue fois, les épices respirées.

4- Cabernet Franc : Un beau floral, dominateur, au nez. La bouche ronde, pleine, armée de tanins serrés, d’une puissance domptée dans une construction allongée, dans une finale fruitée, irriguée par des flaveurs de fruits sauvages, d’épices et d’impressions salines rafraîchissantes.

5- Les vieux merlots (80 ans) : Le nez embaume les fruits écumeux, denses et capiteux, complexifiés de fragrances florales. La bouche est d’une onctuosité fine, sphérique, fraîche, au fruit pur de cerise, construite autour de tannins fins et serrés, enrobés d’une belle chair dense.

Tout cela fera sans doute un bel assemblage, qu’il est temps d’aller déguster sur les millésimes précédents. Tout doucettement, nous quittons le chai, pour la salle de dégustation… Située à l’entrée du domaine elle est simple, fonctionnelle, lumineuse, belle et blanche. Sur la paillasse, Stéphane aligne trois millésimes récents, de bonne, voire excellente réputation.

Domaine de l’A 2009 : La robe est profonde, avec des nuances violines, le nez est net, intense et très séduisant, sur des arômes floraux (pivoines et violettes), la boite à épices, les fruits variés ( cerises mûres, rehaussées d’une touche de cassis et de réglisse), l’élevage est en retrait. La bouche est charnue, avec des tannins élégants bien enrobés. Le vin s’installe avec autorité, le milieu de bouche est sphérique, dense, avec des saveurs fruitées gourmandes, relevées d’épices douces. La finale est persistante, veloutée, sensuelle, équilibrée, fruitée, épicée (dont le girofle) ; avec une petite note saline. Noté 16,5, note plaisir 17 dans ce millésime que Daniel aime beaucoup.

Domaine de l’A 2008 : La robe est un peu moins profonde que celle du millésime 2009, avec des reflets couleur pourpre à sanguine, l’olfaction est délicate et soutenue, avec des parfums floraux (pivoines et une note de violette), de fruits rouges (cerises), de fines épices, de très légères notes réglissées. L’élevage est discret. La bouche est élancée, avec des tannins fins, enveloppés d’une chair délicate mais serrée. Le vin prend de la consistance en son centre, au corps fusiforme et plein, rehaussé de fruits mûrs et expressifs. La finale est étirée, fraîche, précise, savoureuse (fruits purs, épices et réglisse), avec des notes salines nettes. Noté 16,5, note plaisir 16et plus dans quelques années.

Domaine de l’A 2005 : La robe est profonde, avec un liseré de couleur sanguine à violine. Après une bonne aération, le nez est profond et pur, avec des arômes de truffes noires, de roses séchées, de violettes, de fruits noirs mûrs (cerises et mûres sauvages), d’épices douces et de zan. La bouche est veloutée, dotée de tanins finement tramés, enrobés d’une chair généreuse. Le milieu de bouche est plein, dense, très rond dans son dessin, avec une texture toujours aussi élégante, accompagnée de fruits expressifs, purs et épicés. La finale est longue, d’une bonne fraîcheur, intense, avec des saveurs de fruits variés, dominées par une cerise très pure, rehaussée d’épices douces et de notes salines. Un vin un peu plus évolué que celui dégusté en bouteille (75cl), il y a deux mois. Noté 17, note plaisir 16,5. *

Joli trio que ces trois vins unanimement appréciés, avec pour ma part, une petite préférence pour le 2008… Au mur de la salle, sur toute sa longueur, impressionnantes, alignées simplement, la troupe, presque complète des bouteilles issues des propriétés suivies et conseillées. Une seconde rangée en devenir, plus bas, sur la paillasse. Je me retourne, me lève et les détaille. Stéphane surprend mon manège, et me propose d’en choisir une. À la fin de la rangée du haut, une bouteille de « Les Carmes Haut Brion », l’une de mes premières amours Bordelaises, d’il y a … quelques lustres, un domaine complètement perdu de vue vers 1992, quand les prix ont commencé à flamber dans la région… Stéphane s’absente un instant et revient désolé, deux bouteilles sous le bras. Plus de Carmes en cave ! Il nous propose de goûter le remplaçant à l’aveugle. Daniel, « l’implacable » reconnaît le terroir, Stéphane déshabille la fillette : Château Allary Haut Brion 2008, (l’une des 2400 bouteilles produites), qui agita, il y a peu, le « microcosme Chartronnais ». Une parcelle de 1ha 31 au coeur du célébrissime Château Haut Brion, récupérée par son propriétaire en 2006. Un vin rare et délicieux, commenté par Daniel.

La seconde bouteille, c’est la bouteille « dentifrice », un blanc destiné à rafraîchir le palais, après les neufs rouges tastés. Un chardonnay, « Dolmen » 2009, cépage reconnu sans difficulté, du Domaine Belmont appellation « Vin de Pays » du Lot ! Surprise que ce chardonnay, frais élégant et long, que nous apprécions grandement (commenté par Daniel).

Deux heures et plus, ont semblé un quart d’heure, passées à cinq : Stéphane, Daniel, Isabelle, mézigue et… Einstein !!! Quand le temps se contracte, c’est que la compagnie est bonne. Nous repartons, les bouteilles des Châteaux et Domaines Alary Haut-Brion et Belmont sous le bras. Comme ça, simplement offertes, histoire de les finir à table, sans faire de bruit.

Stéphane, cet homme qui aime la fraîcheur des vins et n’en manque pas lui-même, devisant et paisible, nous raccompagne et nous quitte.

Coppola, le Liban, déjà, l’attendent …

* Les commentaires, texte en partie, et notations sont d’Isabelle et Daniel Sériot (Journal d’un passionné de la rive droite). Dieu, Marie, et Hadès reconnaîtront les leurs…

LES SOURIRES DE CATHERINE…

  Cranach l’Ancien. Les fiançailles mystiques de Sainte Catherine.

 

Une énigme sur longues jambes que cette femme roseau. Brune haut perchée, esprit vif, et revers de volée à qui la cherche. Mais fondante aussi, derrière le masque fermé de ses sourires absents. Une ligne à hanter les cocktails parisiens… rive droite, des mains certes soignées, mais marquées quand même par les travaux des vignes. Une femme complexe donc, qui marne dur dans ses Villafranchiens, ses Carbonifères et ses Basaltes sévèrement burinés. Les terrains volcaniques, somme toute, lui vont bien ! Selon les caprices du temps, elle est en « Lune Rousse », en « Lune Blanche », en guerre avec « Arès » qui boude sa malo, quand « Les Six Rats Noirs » embaument le cassis dans un coin du chai.

Vous dire, que de visu, jamais je ne l’ai vue. C’est une virtuelle. Mais une amie, car la fibre ne ment pas, et par l’étrange voie de l’optique lumineuse, les atomes crochent envers et contre toutes idées reçues. Ceci dit par honnêteté de blogueur, pas « Ô Ministre… », mais intègre néanmoins. Et vertueux, qui se veut aussi. Mais laissons là Victor et son Ruy. Blasé ne serai point. Et passerai au tamis implacable de mon palais de peu, les vins de la sus-évoquée.

Madame n’est point seule sur les rangs de Carignan, Syrah, Grenache, Roussane, et autre Mourvèdre. Daniel Leconte des Floris, son ex-mari lui reste associé, pour le pire comme pour le meilleur du labeur. Une belle paire de complémentaires, passionnés, opiniâtres, et durs au mal d’airain. Madame écume les piscines (municipales) pour se délasser les lombaires que la vigne lui noue. Daniel, lui, je ne sais, mais l’homme a l’air suffisamment Villafranchien, pour résister aux tourments du corps meurtri par les travaux de la terre si basse. C’est que vie de vigneron n’est pas  champ de poète, et la terre ne donne que ce qu’elle reçoit. La pioche sur silex résonne dans les bras, le basalte est compact et la végétation recherchée envahissante parfois. Saison après saison, ça n’en finit jamais !

Or donc mes gens, on travaille propre au Domaine, qui sans hurler avec les loups, à gorge éructante, respecte plantes et sols, n’engraisse pas la terre et ne l’inonde pas non plus de produits délétères. Naturellement Bio-Ecocerté dès le prochain millésime… La moindre des politesses, quand « des Floris » clôt en bouquet le patronyme particulé de ces jardiniers des lianes.

Mais allons voir mignonne si ces particules dorées et pourprées, n’ont point perdue en cette vesprée, leurs charmes annoncés. Et supputés…

La première approche est un échec. « Arès » 2007, fier guerrier, ne se rend pas au « sommelier » affûté, qui lui attaque pourtant le col en extrême douceur. Il préfère mourir, pollué par le bouchon ! Foutre d’Archevêque vérolé, marri je suis. Navré aussi. Résigné, enfin.

Mais sous son aube faussement pacifiée, la vieillesse est un volcan paisible sous les cendres duquel grondent encore les flots brûlants des magmas filandreux, rouges de tous les sangs noirs des désillusions passées. Me fiant à ma douceur naturelle, au charme lumineux de mes grands yeux bleus, à demi recouverts par l’âge qui effondre les paupières, je me dis que nulle « Lune », fut-elle « Blanche » et native de 2007, ne saurait me résister. Mais ne point effrayer la fragile surtout. Alors, c’est avec un doigté d’Archiprêtre grand manieur d’encensoirs fragiles, que je me fais plus léger que papier d’Arménie. La belle ne bronche pas quand je la décapsule de la pointe légère du canif. C’est en lui souriant, droit dans l’étiquette qu’elle a claire et ourlée de caractères tourbillonnants élégamment, qu’avec la plus infinie tendresse, je lui glisse la lame hélicoïdale de mon vieux sommelier poli par l’âge et les expériences moultes fois répétées, au plein centre de son bouchon encore pâle. Prudemment j’extirpe sans à-coups – de ces à-coups réservés aux vieilles lunes – l’oblong cigare de liège tendre qui la protège des tentations du monde. Elle émet un bruit gracieux, un petit pet clair, sous lequel montent déjà effluves et parfums. Jamais, je le confesse humblement, je n’avais eu mouvement aussi parfait de la lame, extirpation aussi compassionnelle. Généreuse, ravie, reconnaissante, la jeune lune s’offre alors à mes désirs multiples. Cette lune en premier quartier ne donne à humer que parcimonieusement. Elle prend air et temps pour monter au zénith. La pierre fumée domine d’abord, dans un corset fin d’épices douces, de cire, puis de pêche et d’abricot. Ajoutez une once de vanille, un soupçon de réglisse et vous aurez sa palette de jeunesse. C’est une autre affaire en bouche ! La donzelle ouvre largement ses quartiers et se montre pleine, ronde, caressante, fine et complexe. Enveloppée d’un gras gourmand, elle inonde le palais de fruits jaunes mûrs, de miel d’acacia, amer ce qu’il faut, et prend un beau volume. En milieu de bouche, elle enfle et lâche généreusement, la pêche, l’abricot et la réglisse. Derrière les fruits, c’est une soie délicate, fraîche et tendue qui relance le vin. La finale, sur le noyau et le poivre blanc, est longue et rechigne à faiblir. Le dernier quartier de cette gibbeuse n’est pas pour demain ! Et si tous les vins de lune avaient ce charme gracieux et cette opulence fraîche, je voudrais bien m’appeler Pierrot !

Petit tour, avant que de m’en aller, du côté du « Carbonifère ». Enfant j’entendais souvent : « Si tu n’es pas sage, tu finiras en Carbonifères !». La grosse trouille et les pleurs assurés. Mais place à l’une des Œuvres au Noir du domaine, sur Carbonifères justement (Schistes, grès, argilites…), au rendement de 25 Ho/Ha, élevages en demi-muids neufs et de un à deux vins… 2007 flambe sur l’étiquette et 2008 pyrogravé sur le bouchon !! Le mystère plane, que le vin va dissiper. Le temps qu’il daigne sortir de son placard. Pas très causant ce soir au premier fond de verre, le vin se révèle le lendemain midi.

Plutôt engoncé dans une stricte robe, opaque comme celle de la plus pudique des rosières, le vin ne laisse entrevoir de sa chair qu’un fin liseré rose soutenu, au bord du disque étroit. Après qu’agité à tours de poignet au long des courbes cristallines du verre fin, l’invisible pinceau de la vigne, esquisse le Pont du Gard et les frêles arrondis sous piliers ténus des chefs-d’œuvre Romans

Comme une poignée de cerises noires et de cassis écrasés sur un lit de mures mûres traversée d’épices douces fumées, et d’une furtive pointe de zan, chapardé par un gamin gourmand à l’étal d’un marché de printemps, me titille gaiement ce parfois bel organe fragile, qu’abondamment Rostand détaille.

La matière dense, fraîche et pulpeuse fait sa ronde charnue, qui s’étale et se déploie en ondoyant. Au sortir des fruits, la pierre sort de sa gangue et retend le vin comme un arc de pierre aiguë. Passé l’étroit détroit de la luette, la finale installe longuement au palais enchanté d’imperceptibles tanins crayeux, épicés et réglissés.

Quant au sourire de Catherine, c’est dans ses vins, pudique, qu’il se cache…

EHIMOLATIRECONE.

 

L’HOMME QUI PARLE A LA QUEUE DES LOMBRICS…

Clin d’oeil : Egon Schiele. Cardinal et Nonne.

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Souvent, hommes sourient d’un air faux…

Là haut sur sa Montagne proche de Saint Emilion, « Pierre Le Grand » nous accueille, Daniel « Le Cardinal » Sériot et moi à vrai sourire ouvert. L’environnement, du genre immense souche post industrielle, est surprenant ! De grands bâtiments des temps anciens, solides, marmoréens, construits pour défier les temps, disséminés ça et là, comme des Cathédrales profanes érigées à la gloire du Bacchus triomphant des jeunes années du siècle d’avant. Ils dominent les environs comme des pyramides occidentales. Un Château, volets entrebâilles au fond d’une vaste cour d’allure un peu froide, est assis sur la roche calcaire qui affleure. Sûr qu’il y a peu, relativement au lent temps de l’histoire des roches, le domaine était vaste, qui regroupait nombre de propriétés riches et prospères. Les générations qui se sont succédée, décades après décades, responsables ou dilettantes ont peu à peu lâché les brides du bel équipage et « l’empire », bribe après bride s’en est allé, érodé par les vents mauvais. Les pierres, depuis 2005 de Pierre la propriété, ont subi – résistant au mieux aux outrages des hommes plus que du temps – les affres d’un entretien négligé. Leur redonner le lustre de naguère demanderait des moyens gigantesques qui ne sont pas – dureté de la vie oblige – la priorité du moment.

C’est que le bestiau à l’œil clair qui sourit aux pampres de ses vignes, colosse aux pieds d’argile sur calcaire, tient avant tout à rendre à la terre qui porte ses lambrusques sa vigueur originelle. C’est qu’il est convaincu l’Obélix des Astéries que les très vieux braves fragiles qui ont survécu à la maltraitance des homoncules, méritent d’être à nouveau respectés. Sur les 26 parcelles qui font les 12 hectares de vignes, il s’est mis en tête – pour être « aimable » il n’en est pas moins opiniâtre – de permettre aux troncs tordus par l’âge et les misères qui leur ont été faites, de ses vieilles souches (les plus vénérables datent de 1901, les plus jeunes de 2002. entre elles, 1902, 1934, 1946 !) de replonger leurs racines dans les mystères nourriciers des argilo-calcaires de ce terroir qui fut beau. Alors, raisonnable comme un ex-citadin modeste (ils ne sont pas légions) devenu viticulteur par choix, il travaille dur à soigner la terre. Pas étonnant alors qu’il soit depuis 2007 certifié en agriculture raisonnée.

Les deux pieds plantés dans le sol, à l’écart d’une largueur d’épaules, il nous raconte d’une voix douce son quotidien. Le temps est au beau en cet Avril bleu et semble s’y plaire. Les argiles de surface sont craquelées. Pierre écarte herbes et fleurs diverses qui colorent les rangs et les fracturent en quadrillages grossiers apparaissent. Mais sous les 45 cm (en moyenne) de terre, la roche fissurée est là, l’humidité aussi. La liane y plonge ses doigts qui cherchent les failles étroites ou les parties délitées, pour s’y enfoncer en zigzags toujours réinventés. À la recherche de son mystérieux miam-miam. Vieux courbus boiseux et/ou de chairs sur herbes tendres, fleurs et insectes. Tel un microcosme en paix (rires !) au sein chaud duquel il fait bon se trouver en ce Samedi 23 avril à 18 heures et douze minutes exactement.

Le hasard est une idée ancienne qui a la vie dure…

Or donc « 1901 ». Trois hectares en sept parcelles de ces enfants du début du siècle, cabernet franc et merlot mêlés à « l’ancienne ». Près de 20000 survivants à toutes les guerres chimiques qui, bon millésime mal an, remplissent à ras col (50% Merlot, 50% Cabernet franc dont les raisins macèrent ensemble en cuve) entre 1000 (un accident !) et 5000 à 6000 flacons d’un sombre élixir juteux. Les 9 hectares (45 ans de moyenne d’âge) restant, en 19 parcelles à combinaisons variables, vont au Château Beauséjour (de 8000 à 27000 bouteilles de 70 à 95% de merlot selon les années) puis à Charme de Beauséjour (« Vestibule » eut été plus judicieusement amusant !) et enfin à la cuvée Tradition.

A vieux ligneux, bon bois ! “1901” s’en va malolactiquer dans 60 à 100% de bois neuf. Il y passe, de l’embryon à l’éléphanteau, quelques 15 à 20 mois. Beauséjour copie l’Ancien dans 30 à 60% de fûts vierges et reste au chaud dans le ventre des douelles entre 8 et 14 mois. Tout cela, qui va de soi, en fonction de ce qu’exige la qualité des années.

Anecdote sur le gâteau, les vieux bois de « 1901 » – il a fallu quelques années pour mener l’entreprise à terme – ont été, en collaboration avec Monsieur Vauthier propriétaire du Château Ausone, littéralement scannés par le regard analytique d’un ampélographe. Chaque pied a été étudié minutieusement. De ce travail scrupuleux, 31 « étalons » presque parfaits, beaux, solides, résistant mieux que les autres aux maladies et aléas divers du grand âge, sont ressortis vainqueurs. Ce sont eux qui fournissent les « petits bouts de bois » destinés à remplacer les souches mortes. C’est qu’ils sont fragiles les chenus aux silhouettes tourmentées ! Le moindre choc les brise comme cristal labile… Au fil des rangs, entre les vieux sages survivants, pointent le bout de leurs rameaux juvéniles nombre de nouveaux nés prometteurs. Depuis l’aube du peuple des vignes vivantes, les générations se suivent, permettant, époque après siècle, aux hommes qui les accompagnent la possibilité d’un espoir de grand vin.

L’eau de la clepsydre, insensible à nos émotions qui tordent le temps, l’accélérant ou le ralentissant, imperturbable, a coulé. Le quart d’heure a passé les deux heures sans que soif ni faim nous réveillent. Il est comme cela, qui jalonnent la vie de perles rares, des moments presque parfaits, lumineux comme les gouttes d’eau claire accrochées aux fils en balance de la toile d’une épeire entre deux rameaux de bois, le soir après l’orage, à l’instant précis où le soleil bascule.

Au juste instant, ils tombent en Terre mais vous restent en mémoire.

Beauséjour, qui l’est sans conteste, est de ceux-là…

Cinq jours ont passé, je n’ai pu résister. Quid de ces vins dont les parents m’ont conquis. Leurs enfants de jus ont-ils ce caractère qui marquait les vignes ? Le jus de l’union de l’argilo-calcaire, des bois torturés et de l’homme attentif coule enfin dans mon verre en ce début de nuit, à l’heure où les lombrics forniquent. Dans le silence des heures noires le vin sera communion ou détestation !

Capsules et bouchons se sont donnés sans peine comme si les vin impatients de chanter dans ma gorge avaient poussé de leur côté. C’est Beauséjour 2007 qui entre le premier en lice car c’est bien d’une joute sensuelle qu’il s’agit. La robe est toute de fièvre pourprée intense, brodée d’un fin liseré violet, elle rutile sous la lampe. Le disque sombre qui roule dans le verre comme une danseuse espagnole lascive lâche ses volutes invisibles et odorantes de mûres, de fruits rouges et d’épices suaves mêlés. Le toucher de bouche est peluche fondante qui s’insinue entre langue et palais. Puis le jus fait sa boule de fruit qui s’ouvre et se resserre sur des tannins encore fermes. Mais le tout est mûr, bien équilibré et d’intensité moyenne. A l’avalée, le vin pourtant tombé au fin fond du corps, persiste un moment. Frais, il laisse aux lèvres une trace de sel fin.

Puis vient à moi « 1901 » 2007 et c’est un jus de centenaire (rire) qui glisse sur la rondeur du verre comme une eau de sang, amarante et lumineuse. Le vin roule au long des hanches de cristal que mon poignet agite. Quand il s’apaise, demeure sur la paroi comme l’image translucide d’un aqueduc gras. Fugace, l’image d’une violette tremblante se pose sur le verre, dominant un instant les parfums floraux qui échappent à la surface mouvante. Suivent des fruits en foule, un nez de cade, un marché d’épices, quelque chose d’un peu sauvage et l’idée d’une crème pulpeuse. Le souvenir d’un poivre frais aussi. L’attaque est douce, onctueuse, tendre, délicate, subtile. La matière est dentelle de tannins fins et réglissés après que la violette et la cerise ont eu faits leur grosse boule qui caresse la bouche puis enfle plus avant. Une puissance contenue encore jeune, une tension manifeste, structurent ce vin. L’image d’une ballerine fine et forte à la fois qui danse sur des pointes claires s’imprime un instant derrière mes yeux clos. Je me résous à la séparation. Éploré (rire) j’avale… Après la bascule « post luettique » le vin semble toujours présent, laissant à marée basse et bien longtemps après que le poète a disparu, ses tannins croquants, mûrs et réglissés. La sève de ce vin, sommet de Montagne, est de race certaine bien que de millésime moyen. Il pourrait de haute lutte en terrasser plus d’un de mi-Côtal (singulier au regard du Coteau ordinaire)…..

Et pendant ce temps là, qu’il fasse nuit, qu’il fasse jour, sous nos pas lourds d’humains maladroits, dans le dédale invisible de la géologie des sols, quelque part entre terre grasse et roche dure, à la sombre clarté des micro-feuilles d’argile piquetées de cailloux blancs, les lombrics aux corps gras, comme des laboureurs invisibles transmutent inlassablement la terre sauvée de la bêtise crasse des hommes… ?

DANS LES REPLIS DE LA TOILE, L’ÉCHELLE QUI MÈNE AUX ÉTOILES…

Van der Weyden. Portrait de Francesco d’Este.

 

Il en va des blogs dédiés au sang de Bacchus comme des vins «nature» dans le paysage viticole, comme de l’usage des intrants et autre soufre dans le secret souffrant des chais, comme de l’art d’accommoder les patates… comme de tous les possibles auxquels l’homme s’attelle. Ça balaie large, de l’insipide au grandiose, de l’anodin à l’inspiré. Et mieux, il arrive que l’anodin fasse son inspiré et/ou que le grandiose de grande surface soit insipide !

L’un des tous meilleurs à mes modestes yeux est animé de souffle de maître par un Suisse iconoclaste, qui cite Deleuze sur des airs de R’n’Roll des années 70. L’homme est sec comme une gousse de vanille, son œil est vif comme un instantané de Cartier Bresson, et son sourire enfin garde quelque chose de l’espièglerie tendre de l’enfance. Mais il est d’affaires aussi ! Certes il traîne sa silhouette déguingandée et ses santiags (?) dans tous les palaces de la planète, en compagnie des plus illustres et supposés seigneurs du microcosme vinique. Il goûte plus souvent qu’à son tour à tous les grands jus de la terre que vous ne boirez jamais, mais peut-être aussi (?) aux plus obscurs des sirops que concoctent les «chercheurs» inconnus, dans la pénombre des caves perdues de tous les «continents», à toutes les altitudes… même les plus improbables. Sans doute.

Il ne néglige rien et reste en éveil. C’est sa «posture» naturelle. Il ne la force pas, il ne la joue pas. Ou alors c’est de la belle ouvrage, très nature-nouvelle-vague du temps passé. C’est ainsi qu’il «est», c’est du moins comme ça qu’il me semble que je le sens, Mister Tambourine Wine. Du royaume de l’Être avant que de la banque de l’Avoir, semble t-il. C’est sa fraîcheur à lui, qui pourrait ronronner ses certitudes installées, encore et toujours, comme d’autres qui se roulent dans la soie des vins et des draps à longueur de vie. C’est un curieux, de cette fratrie en voie d’extinction de la Curiosité, qui connait et fréquente les tables les plus huppées comme moi ma pizzéria préférée, mais qui semble au comble de la joie, quand il improvise dans sa cuisine perso ses petits frichtis qu’ont l’air gourmands et précis. Il traverse les mille-plateaux de l’expérience comme l’ont fait avant lui quelques touche-à-tout, dilletantes détachés. Je ne sais s’il l’est, suprêmement décontindéjanté, mais… sûr qu’il aime Cocteau. Bukowski ?

De la race des Mercuriens, il butine avec talent, talon agile, et nez au vent des cimes des impossibles.

Les petits marquis ont beau étaler les extraits secs de leur culture aride, aligner les citations et déverser leurs remarques ampoulées aux pieds de Monsieur qui aurait pu être d’Este, il leur répond, enfin… pas toujours, et ne se lasse jamais. Un des plus souriants silences que j’ai jamais lus.

Qu’il soit remercié de m’emmener ainsi, chaque jour ou presque, d’un pas léger, sur les sentiers escarpés de ses voyages, de ses rêves, de ses escalades, de ses fantaisies.

Mais je ne suis pour autant jamais sûr de rien, même pas du bleu céruléen de ce matin d’avril, si ce n’est en l’affaire, de mon optimisme. Qui veut bien peindre les oeufs de Pâques en rose… ?

EGIMMOMETISOMECOLOVIN’NE.

L’ARAMIS DE METHAMIS…

Le cœur sur la croix *.

Du dix septième siècle à nos jours,

il n’y a qu’un battement d’aile de colibri…

Et la réincarnation étant ce quelle est, c’est çà dire une croyance que partagent plus d’humains que notre Europe majoritairement cartésienne et comptable est censée en fédérer, pourquoi ne pas penser, ou plutôt pressentir du bout du cerveau droit – voué aux gémonies en nos démocraties pétries de certitudes inébranlables (pour ce qui concerne les démocrates de chair, il y a toujours moyen de s’arranger en matière «d’inébranlablement»…) – que l’Aramis d’Alexandre Dumas est de retour sur notre belle orange bleue ? Pour les embranchés égarés qui me liraient sur leur I-Phones 12 entre deux sessions d’un co-working en Vinocamp sous la tente, leur dire qu’Alexandre est un auteur «ancien» qui n’a point connu l’I-Pad, la High Tech, ni l’amphigouri clinquant cliquetant.

Malheur, enfer et damnations égales, il lui a bien fallu, lui Aramis le roué diplomate, le subtil prélat, croiser les chemins très ordinaires et réitérés au fil de l’histoire, des enchristés de l’époque, tous plus courtisans et girouettes folles des vents portants que notre Jack de la Saint Jean, archétypal et recousu comme un spinnaker en bout de route du rhum…

Oui Aramis is back ! Il a enfilé une autre peau. De deuil. Qu’il n’a pas volée. Lui, le prélat à l’âme défroquée, l’amphibolique. L’augural, le fuselé, qui traverse le siècle et la Compagnie des Mousquetaires de bien sinistre façon. Pour finalement tirer sa révérence, le Kharma lourdement accoré aux basques. On le reconnaît à l’amour du chapiteau qui ne l’a pas quitté. Il a troqué la plume contre le galurin paillé – l’épée vaut le sécateur – la Cour du Roi et ses fastes pour la solitude des vignes. Il garde en ce temps d’aujourd’hui, de son passé de ferrailleur délicat, sous la lèvre inférieure, la pointe drue de sa triple bacchante crochue d’antan. La boucle d’argent, qui lui perce l’oreille, signe de sa présence discrète le fer de ses tourments passés.

Il a posé la flamberge pour manier la pipette qu’il pique gaillardement dans le flanc de ses fûts, vers le ventre obscur. Le sang des vignes qu’il suce est chargé de l’amour qu’il leur porte. A prendre les vies il a renoncé, pour la donner à boire aux palais curieux de ceux que les vampires – succubes modernes – réincarnés autour de la corbeille des avidités spéculatives, n’hésitent pas à saigner à vif. Dracula changé en « trader »? Mais il n’a pas finit pour autant de payer les effets des moeurs légères de l’éclatant cavalier au coeur de papier mâché. La dame plus de pique que de coeur, apeurée par les arias, s’en est allée voleter ailleurs. L’Aramis/Olivier B, se retrouve clouté, coeur à cru, au pilori des adorations proscrites. Comme un cep sous eutypiose, étranglé par la finance, il a perdu bonne partie de sa sève. Mais les maîtres du Karma, sévères à l’ordinaire, donnent parfois dans le facétieux. Reconnaissant les indéniables efforts du spadassin des vignes, ils lui accordent l’aide – de peu de poids certes – mais gratuite, d’un quarteron de blogueurs illuminés.

Nul ne sait ce qui adviendra, mais l’amicale bouffée d’air apportée semble le regonfler. Ses vins se vendent un peu plus, pas suffisamment sans doute, mais se vendent… La Toile (humour karmique !) a oeuvré. Le buzz a dépassé le laps ordinairement très bref consenti à l’attrait futile de l’éphémère. La machine tient bon et le temps, pour une fois, prend son temps !

Puissent ces quelques lignes relancer la machine,

et dénouer les fesses des banques qui l’échinent… ?

Les « Amidyves » 2007 continuent d’enchanter mon palais à jamais conquis par leur chair onctueuse. Un nez aussi généreux qu’un poème de cassis, mûre et cerise tressé. Une telle attaque onctueuse et suave, une telle densité fondante, j’en redemande jusqu’à ce qu’amour s’ensuive…

*image empruntée au site du vigneron

 http://vigneronajt.centerblog.net/

EPUGMONATICECONE…

 

QUAND SAIGNE LE COEUR DU VIGNERON…

Botticelli. La Madone aux cinq anges.

 

Attack Massive, voix d’ange et coeur battant…

Cognac, loin des vignes à vin que j’affectionne.

Certes le Bordelais est juste là, passé ma cour. Pourtant je ne baguenaude plus sur les bords de la Gironde depuis vingt ans au moins. Mais je garde l’âme du guetteur, silencieux comme ces Sioux capables de scruter les vastes plaines des jours entiers, sans bouger, à chercher le bison blanc… A l’affût jours et nuits. Silencieux, enfin pas toujours… Je lis, j’écoute, j’observe, je suppute sans l’être pour autant, j’entends, je questionne, puis je laisse faire l’alchimie subtile dans l’obscurité de ma conscience sourde. Les informations glanées se télescopent, se corroborent, s’empilent, s’entassent, s’opposent, se neutralisent, bref, font leur chemin, librement. Dilettante je me veux et je n’interviens pas dans leurs échanges ou leurs conflits. Ça mijote, ça macère, ça glougloute, mes levures endogènes travaillent en silence.

L’ inconscience est ici une culture de la confiance.

Un beau matin, tout est en place, mes neurones ont classé le fatras, mon coeur a crémé le tout de sa lucidité paisible et je décroche. Le téléphone. Oui, un simple téléphone sans aucune de ces indispensables «applications» genre, micro-ondes-vibro-masseur ou mon frère (jeu de mot pitoyable qui se veut illustrer la vanité insane de ces petites machines à branler l’ego). Ça court dans les câbles, ça se connecte, ça bidouille dans les airs, dans le sol et miracle, me parvient, de là-bas, de quelque part en France, voire de Navarre ou de Bourgogne, ou d’autres contrées encore, récemment rattachées, la voix d’un homme que j’arrache un instant à sa vigne. Et de deviser. D’écouter, de palabrer parfois à l’Africaine, d’échanger, de rire, de déconner grave souvent et très vite. Et ça fait mouche toujours… Quelque chose du royaume de l’indicible, ce lien étrange qui se moque des fils, des cables, de l’absence, nous unit, les atomes crochent, nos âmes, par devers nos egos, se plaisent et ça n’en finit plus.

Quelques jours après les cartons pleins de bouteilles sont à ma porte. Souvent, très souvent, je n’ai rien encore payé, tandis qu’au loin, il rogne, il effeuille, il ébourgeonne, il s’affaire, paisible et confiant, dans les rangs des lianes qu’il accompagne, les pieds dans la terre qu’il aime, le coeur à parler aux vignes muettes qui ne lui répondent qu’au chai.

Et puis un jour que vous n’attendiez pas, tandis que vous sirotez paisiblement, en prenant le temps, un verre de vin sombre et odorant, après qu’il s’est détendu dans la carafe à large cul dans laquelle vous l’avez mis à son aise. Après qu’il a déployé, prenant le temps qu’il doit et mérite, ses ailes odorantes et fragiles, trop longtemps à l’étroit dans la bouteille sobrement étiquettée «Amidyves» 2007, vous apprenez, au détour d’un petit message de pixels bleus, que le mec qui s’est échiné à vous préparer ce jus qui vous extasie grave, a posé son chapeau entre les rangs de ses vignes ! Définitivement. Olivier B, qui en a marre de grimper les Côtes du Ventoux, à lâché son sécateur à caresser la syrah… Instantanément vous comprenez ce que le mot sidération veut dire. Pourtant le vin dans le verre, qui brille doucement à la lumière arficielle, au coeur de cet hiver sinistre, embaume et vous empalme la langue, comme le meilleur des baisers d’amour que vous avez jamais reçus. Vous frissonnez jusqu’au bout de la moelle, de plaisir et de tristesse confondus.

Quelques bouteilles des vins de ce vigneron au chapeau me restent. Je ne suis pas prêt de les boire. Mais je dis à ceux qui ne le connaissent pas, de l’assaillir de demandes, de le recouvrir de bons de commande, de l’asphyxier sous des monceaux de mails, de débarquer chez lui, «tout nu avec une plume rose dans le cul». Que les plus belles femmes du web vinique, nues commes des riedels graciles, frottent leurs seins lourds, leurs sexes phéromonés, leurs hanches agiles et charnues sur lui. Qu’elles s’empalent en ondulant et hurlant, qu’elles le chevauchent comme des cavales sauvages, qu’elles le vident, qu’elles l’épuisent. Qu’elles l’emmènent jusqu’au plus haut  des barreaux de l’échelle des plaisirs, qu’elles le roulent dans les farines levurées des orgasmes volcaniques et biodynamisants, qu’elles soient Chiennes et Madones, Mamans et Putains, qu’elles le libèrent de ses colères, et qu’elles impriment au creux de ses reins, le souvenir ému de leurs désirs dévorants. Qu’il repose exsangue et bégayant, le cep apaisé, sur leurs flancs tropicaux qui palpitent encore. Sorcières célestes, qu’elles le charment ! On ne sait jamais…

Pendant tout le temps qu’Olivier B s’est échiné,

Madoff faisait du lard dans son loft,

Sûr qu’il tirait le diable par la queue pourtange,

Le Diable, magnanime, rêvait la vie des Anges…

EFAISMOPASTIL’CONCONE…