Littinéraires viniques » l’Abbé

LE BON PASTEUR, BON PIED, BON OEIL …

Grande Clotte à bouts de doigts sur meuble ancien cérusé.

Les voies du Fatum sont impénétrables …

En ce 19 Juillet 2012 elles me guident vers Pomerol. La pierre noire de la Mecque Bordelaise, terroir des finesses dit-t-on, patchwork de propriétés minuscules aux tailles inversement proportionnelles à leur notoriété internationale : enclavées les unes dans les autres, parcelles imbriquées entre les Châteaux, qui paient moins de mine – hors quelques chais fastueux – que les altières célébrités de la Rive Gauche. Pour une fois que la droite n’étale pas !

Sous la pluie battante, je quitte Cognac, m’évade de l’atmosphère recluse (de cette ville endormie sous la domination des grandes maisons florissantes dont les eaux de vie inondent les continents), me faufile entre les mammouths en files compactes qui engorgent la Nationale 10, puis me sors des vapeurs odorantes des trente tonnes rugissants pour me glisser sur le bitume étroit des départementales désertes, à zigzaguer comme une puce énervée entre les rangs de vignes, à me faufiler entre les velours céladons porteurs du millésime à venir. Et de couper les virages, et de jouer comme un idiot avec freins et accélérateur, loin des radars embusqués et des képis mandatés par le Trésor Public, qui n’en finit plus de dépouiller les hommes troncs dociles accrochés à leurs volants. Bon pied donc et bon œil aussi, grand ouvert par la grâce d’un soleil absent en ce matin estival.

C’est que Madame Rolland nous attend, l’Abbé, la Nonne et moi ! Dany de son prénom, ni rouge ni rousse, mais blonde comme les blés mûrs, nous a conviés à « Le Bon Pasteur » himself, propriété familiale de sept hectares en parcelles disséminées, à goûter ses vins, « Le Bon Pasteur » « Fontenil » et son « Défi » et d’autres encore, comme deux « Argentins » de haute volée « Val de Florès » (Mendoza) et « Yacochuya » (Salta). De ces vins de l’hémisphère sud, je ne connais rien, si ce n’est une Argentine rencontrée dans mes rêves torrides. Nous ne croiserons pas le « Flying Winemaker » ainsi finement baptisé par le gotha journalistique pas toujours énamouré. C’est qu’il « flaille » l’époux de Dany, prénommé Michel, du côté de l’Argentine précisément. Tant pis pour lui ! A la vérité, inutile de mentir comme un courtisan, je flippe un peu. C’est que le pékin que je suis, qui écrivaillonne vaguement à la frontière incertaine du monde des vins, n’a pas l’habitude de traîner ses baskets usés sur les parquets vernis, ni d’être ainsi gentiment invité à tremper son vieux bec dans les nectars encensés des hauts rangs de vignes basses. Va falloir que je fasse mon courtois, politesse oblige, que je tourne sept fois ma langue de vipère dans ma bouche impolie (je ne tweete pas!), que je ne me comporte pas comme un furet déchaîné dans un poulailler !

Mais ma bonne étoile veille sur moi.

L’esprit de finesse aussi …

Or donc, je chemine, et laisse mes pensées vagabonder. Surpris je suis, moi qui n’imaginais pas me retrouver un jour à lipper les jus d’un grand (c’est ainsi que beaucoup disent) Pomerol, même pas d’un beau Fronsac, encore moins d’un supposé élixir de fleurs, et surtout pas d’une pulpe mûre de cactus géant. Ainsi va la vie d’un découpeur de mots de rien, buveur de vins d’ici et d’ailleurs. Mes comparses et moi sommes à pied d’œuvre. Suis propre sur moi, de jaune vêtu, comme un vieux poussin pépieur. L’Abbé cache sa robe cardinalice sous de discrets habits profanes, La Nonne, fidèle à ses vœux, polie comme un onyx de belle eau, est toute de nuances, qui vont du noir térébrant au gris pâle, vêtue. Tissus et soies légères qui ondulent au gré des brises mutines sur son corps callipyge. Nous sommes tout sourire, même mézigue qui d’ordinaire fait la gueule, s’efforce. L’épouse du bon pasteur s’avance. Il est des gens qui se présentent en se cambrant légèrement en arrière, épaules dégagées et tête relevée. Ce n’est pas bon signe. Dany au contraire se penche plutôt légèrement vers l’avant, joli port de tête sur un long cou gracieux, en venant vers nous, mains à demi tendues. Cette femme semble tactile, me dis-je in-petto (in-petto, je vous le présente, est mon meilleur ami du dedans), une de ces personnes qui a spontanément besoin de toucher, pour ressentir et affiner sa perception de l’humain. Et ça j’aime bien, et je n’aime pas, oh non je n’aime pas (!), celles et ceux qui refoulent les animalcules qui les habitent. La Nonne sourit ; elle sourit la Nonne, elle est comme ça, pulpeuse et tendre, mais pas que. L’Abbé lui est en phase pré-aqueuse, ses yeux sont expressifs, chaleureux, sa bouche sourit elle aussi, aimablement, mais dans le fond de son regard, perce déjà la concentration aigüe du tasteur averti. On se rapproche, un peu intimidés quand même (c’est toujours comme ça les premières fois), visages ouverts et mains tendues (on n’est pas des Bonobos quand même!) qui se frôlent pour finir par aller jusqu’aux bras, tandis que l’on se bise juste après que l’on s’y soit verbalement invités et mutuellement autorisés. La bise, ou du moins la nature de bise, c’est fichtrement important ! Entre des joues qui se rapprochent alors que les lèvres picorent le vide, et des bouches qui claquent sur des peaux qui disent oui, il y a autant de différence qu’entre un coït de lapin anémié et un grand orgasme – toutes proportions gardées – qui sent bon. Mais si, mais si, j’vous jure ! Pas besoin de glace ; nous ne sommes pas là pour une rencontre en macération carbonique.

La salle de dégustation est vaste et bellement agencée, avec goût mais sans ostentation. Le blanc cassé des murs domine, quelques vieux meubles cérusés dans les tons œuf pâle, finement grisés, habillent ce qu’il faut l’espace. Une cheminée ancienne aux pierres ouvragées s’offre aux regards pacifiés. Quelques touches de couleurs égayent les lieux, dont l’atmosphère est aussi doucement vibrante que le toucher de bouche d’un vin à l’équilibre. Au centre, une grande table de marbre clair aux bords arrondis, montée sur pierre, sur la quelle deux Jéroboams (?) encadrent deux coupes de verre garnies de fleurs blanches, en opposition – apparente seulement – avec les dossiers et assises noires de quelques chaises anciennes, cérusées elles aussi, donnent de la profondeur, ainsi qu’une légère touche de mystère, à l’ensemble. Rien d’excessif qui pourrait insidieusement influencer la dégustation de la belle brochette de vins proposés. Quelque chose, de l’ordre de la dualité humaine, plane.

Monsieur Prévot, directeur technique du domaine, prévenant et précis, moins « Benoît » que son prénom ne pourrait le laisser supposer, veille sur les vins. Qui coulent dans les verres et se succèdent tranquillement. La Nonne et la maîtresse des lieux conversent (sic) à voix douce, l’Abbé griffonne en marmonnant in petto, dans son carnet à coups de pattes de mouches illisibles. Je volète tous sens aiguisés, m’imprégnant des subtilités de l’instant et de la qualité des vins. Les violettes me chatouillent le nez, les fruits rouges me racontent leurs jardins, la truffe puissante me chatouille les neurones, la réglisse me « turgesce » les papilles, le toucher d’un jus crémeux, un instant m’emporte, la ronde onctueuse des tannins soyeux me ravit plus d’une fois, tandis que la race d’un vin à la puissance maîtrisée m’emmène en Bourgogne, le temps d’une lampée. Le simple Bordeaux, Château La Grande Clotte, 2010 * né sur les terres de Lussac Saint-Emilion, clôt le bal des rouges. Ses arômes de raisins mûrs, de pêches, infime pointe d’agrumes, soupçon de miel et touches exotiques, embaument. Sur les parois fines de mon verre, le gras du vin dessine les jambes fines et les arrondis plantureux du Pont du Gard. Ma bouche le remercie qui le boit et s’en rafraîchit …

Ni conseilleur bêlant, ni prescripteur reconnaissant, ni même ministre intègre, je m’enivre plus de l’instant que des vins.

Pour la précision, l’essentiel,

Et l’analyse scrupuleuse,

Lisez l’ Abbé.

Vous serez comblés.

Or donc bis, le temps a passé en quelques minutes qui ont duré plus d’une heure. Et voici que nous nous sustentons aimablement, à la table d’une bonne table sise à Pomerol, de fraîcheurs et de carnes fines qu’accompagnent avec bonheur quelques uns des vins dégustés peu avant. Le temps est au plaisir, au partage, aux échanges simples, à l’humanité, urbaine, simplement.

Mon hôtesse et mes complices retournent à leurs pénates, Mozart chante dans l’habitacle de ma quatre roues. Le bitume du retour chuinte sous les pneus, je rêvasse comme à l’habitude, quelque part, en vie retenue, dans les nuages de mes impressions récentes pas encore débourbées. Patience et gravité y pourvoiront, et me repaîtrai des lies fines de mes souvenirs à peine pigés.

La vie est alchimie subtile,

M’en vais écrire œuvre au blanc.

* 60% Sauvignon (qui ne sauvignonne pas), 25% Sémillon sémillant, 15% Muscadelle qui fait la ritournelle.

ESONMOGEUTISECONE.

LES DÉMONS DE L’ABBÉ …

L’Abbé en prières …

L’ Abbé * est mon ami,

Et la (sa) Nonne aussi.

Alors ne vous attendez pas à trouver sous ma plume, un portrait au vitriol ou un bonbon empoisonné, une parisiannade ou quelque trait mauvais ! Ne croyez pas non plus, que vous veux infliger un papier sauce mayonnaise, car qui aime bien, observe bien et laisse les « laudate » aux professionnels du copinage déliquescent. Si cher aux Chapelles du monde vinique tous intrégrismes confondus. Émerveillements factices qui masquent les intérets. Et l’Abbé, autrement baptisé par mézigue le Cardinal des Astéries – tant les terroirs argilo-calcaires de la Rive Droite lui tiennent aux papilles – est un homme au regard de chat perçant qui n’aime pas la flagornerie ! L’expérience l’a façonné de longues années durant, il a conscience de ses insuffisances qu’il reconnaît volontiers, de ses forces aussi. L’équilibre et la lucidité lui tiennent à coeur, l’acidité mûre également.

Alors je laisse volontiers l’encensoir aux enfants de coeur …

Or donc, L’abbé est un Ardent, un homme né sous le signe du feu, une boule vibrante qui brûle plus qu’il ne vit. Qui ne manque pourtant pas de chaleur pour autant. Selon que vous l’aborderez, bardé de convictions de salon mal étayées, ou plus prudemment l’écouterez, en prenant soin de lui opposer des arguments solides et réfléchis, vous passerez un moment douloureux qui vous dégonflera grave la suffisance, cette fatuité propre aux petits maître imprudents qui donnent la leçon, ou a contrario, vous enrichirez vos connaissances que vous pensiez pourtant inébranlables. C’est que le bougre n’est pas chien, il aime la controverse excepté celle de Valladolid

Quand, emporté par mon lyrisme naturel, je pars en métaphores osées, le nez penché sur le corsage d’un vin, l’abbé sourit (sic) avec tendresse et ne me contrarie pas. Je dirais même qu’il aime ça et me laisse délirer, car le bougre n’est pas sectaire. Mais une fois que mon discours s’épuise, en douceur mais en profondeur il revient à l’essentiel. Ah « l’essentiel », un mot qui sonne sans cesse dans sa bouche purpurine, un mot qu’il tonitrue souvent et qu’il ponctue d’un point d’exclamation sonore. Et le voilà qui dissèque le jus, l’analyse, vous parle de construction, de cette façon qu’il a, précise et bluffante – ses bras battent l’air comme les moulins de Calon – de vous faire ressentir la trajectoire du vin en bouche. Et voilà que vous vous mettez à vivre ce vin que vous venez de taster, comme un être de chair vivante, qui peut-être massif, longiligne, de constitution frêle, bodybuildée, élancée, long de torse ou bas sur pattes, aux muscles saillants ou aux attaches fragiles. Et me voici, visualisant Ben Jonhson ou Hussein Bolt ! Ce n’est certes pas ce qu’il dit, quand il me parle de strucure longiligne, de précision constitutive, de centre sphérique ou de belle matière, extraite en douceur de raisins mûrs à la seconde, mais c’est ainsi que je traduis sa parole avec mes mots de pauvre troubadour. Puis il relie le vin à sa terre, aux pratiques culturales et aux choix de vinification de l’obstétricien qui l’a accompagné à la vigne et au chai. Et moi, de trouver dans ses paroles l’heureux complément « scientifique » (aussi important pour ce géologue de formation, que « l’essentiel » !) qui me remet les pieds sur terre sans me brider l’imagination.

Ceci dit Belle Abbesse, hors les séances de dégustation, comme celle, toute récente (que vous retrouverez tantôt sur son Blog) des Rive Gauche 2009, et autre précédente promenade autour des Rive Droite 2009, déjà parue, mon frère en déconnade l’Abbé est un fier compagnon de table. Lors de ces soirées, à trois partagées (l’Abbé, la Nonne des Fourneaux Enchanteurs et bibi) autour de mets exquis, joliment tournés par la Converse, et de grands vins de haute lignée Bordelaise, Bourguignonnes ou autres, l’atmosphère est celle des grandes fêtes profanes en Sacristie. Et l’Abbé se fait Moine, truculent, rieur et généreux … La dernière caille, pattes largement écartées sur le ris de veau qui la farcissait, s’en souvient encore. Et mes papilles turgescentes aussi ! Soirée mémorable, encore une, qui vit un « Griotte-Chambertin » 2000 du Domaine Ponsot, glisser avec classe, buisson de merises fruitées, délicatesse et puissance maîtrisée, dans nos gorges en fête, après qu’un « Forest » 2007 du Domaine Dauvissat ciselé et tendu comme une lame de Tolède, eut longuement caressé un rôti de Saint Jacques, Pétoncles et Saumon, monté en rouleau de pousses d’épinards au sabayon de fumet. Cuit, au battement de cil, à point.

Grand moment de partage, d’amitié vraie et de joie.

Parfois me vient l’envie de filmer (mais la compétence et le matériel manquent) ces soirées de grâce, sans chichis ni nuques basses, sans paroles creuses ni sourires de circonstances, sans flatteries ni remerciements mielleux, quand en toute simplicité, la chaleur, l’amitié et la complicité abolissent le temps, polissent les inquiétudes du quotidien. Et font glousser la Nonnette aux yeux qui plissent, au nez qui fronce de plaisir. Sur la toile qui voit passer tant de mièvreries fadasses, de tels moments feraient sans nul doute un Buzz d’enfer, et prouveraient à qui ne le saurait pas encore, que le sacré sang de la vigne est aussi fait pour donner de beaux orgasmes profanes et gustatifs.

Matin montant ou nuit tombante, soleil levant comme à la fraîche, sur la terrasse que ne borde nul baobab, café fumant et « Hareng de la Baltique » en bouche, palabres et divagations, politique et fiction (sic), rires et silences, soupirs et délectations.

Supplice à Saint Sulpice !

En contrebas,

Les chatons jouent,

Le ru glougloute,

L’herbe est grise,

La Nonne baille,

Et je souris.

Il est temps …

* Daniel sériot.


EMOCOMTIBLÉECONE.