Littinéraires viniques » Chet Baker

ACHILLE ET LES CINQ CAÏDS…

Rossetti. Vénus Verticordia.

 

Achille vient d’avoir dix ans, juste avant l’été …

Bruno a dégoté les roulements à billes. Cinq ! Va savoir où et comment ! Comme neufs ils brillent de tout leur acier. A la décharge, derrière le quartier, les garçons ont récupéré une caisse de bois vieille mais solide, quelques planches et des cartons d’emballage. Melloul, qui n’en est pas à son premier bolide, dirige les opérations et son poing vole quand ça ne tourne pas à sa façon. Rachid, Aziz et Achille sont nommés tâcherons à l’unanimité moins leurs voix. A eux tous ils forment la bande (et non pas le club, on n’est pas de fifilles …) des « Cinq Caïds », Maroc oblige ! Ne reste plus qu’à assembler les pièces du puzzle. L’angoisse est palpable car l’enjeu est d’importance puisqu’il s’agit d’épater « la bande du haut », la bande des « riches », de surpasser leur « standing », eux qui se pavanent sur leurs vélos neufs quand les cinq traînent leurs savates, langues pendantes, en les regardant parader.

A donc, l’instant est grave, il en va de l’honneur de la troupe. Pas question de se planter, va falloir assurer. Accroupis autour du puzzle à mettre en forme, les trois garçons lèvent la tête vers Melloul qui sort de sa poche une poignée de longs clous, des grosses vis et des écrous ad hoc. Bruno, un peu à l’écart mais pas trop, comme un chef, fait son cador. Une lourde chaleur torride écrase cet après midi de Juin, ce qui ne suffit pas à expliquer les larges auréoles qui maculent leurs chemisettes. La crainte de l’échec leur tord les boyaux de la tête et leur met au front une suée plus acide que les autres, cette eau âcre, caractéristique, cette eau de stress. Ben oui, on peut stresser à dix ans. Dans un silence, sinon glacial, du moins à peine tiède, Bruno leur tend marteaux et autres outils, genre gros silex et pince anglaise, si usée, qu’elle n’accroche plus puis il s’assied et se met à graisser méticuleusement les roulements à billes. Au premier clou le marteau dérape et fend la planche. Le poing de Melloul fend lui aussi, mais l’air et s’écrase sur l’épaule gauche d’Achille juste là où passent les nerfs, entre le deltoïde antérieur et le médian. Le coup sec et précis le paralyse, mais moins que rage et honte mêlées qui lui mettent les boules dans la gorge. Bruno sans un mot le regarde et lui reprend le marteau. Viré. Terminé ! Alors Achille se lève, saisit Melloul par le col de sa chemise et lui balance un putain de balèze de coup, un de ces taquets monstrueux qui vient du fond des rancœurs accumulées juste avec son petit poing de moineau qu’il imagine énorme. En plein dans le bas ventre, et même un peu plus bas que le bas. Carrément dans les glaouis. Melloul ploie le genou, lâche un gloup douloureux la respiration coupée et reste quelques minutes à grimacer, muet et surprit. Les autres, prudents, ne mouftent pas, regardent à la dérobée et attendent. Achille lui aussi attend, sur ses gardes, les poings serrés, oubliant de respirer. Bruno toujours aussi placide les observe un moment puis rend le marteau à Achille, crevette tremblante qui semble, tant elle est rouge, sortir d’un court-bouillon … Le temps se détend, Melloul sourit. Dès cet instant Achille sera admis et Melloul l’aura discrètement à l’œil à la récré, toujours prêt à lui prêter poing fort. Au cas où …

Le bolide est prêt. Il en jette avec sa caisse vernie de frais au ras du sol, ses gros roulements brillants et sa longue barre en « T » reliée au conducteur par deux lanières de cuir tressé. L’engin est hissé tout en haut de la côte : une longue ligne droite pentue, suivie d’un large virage à gauche puis l’arrivée trente mètres plus loin. Sur le haut du quartier, à la limite de la « frontière », la bande du haut le nez au ras des herbes rares, espionne. Bien sûr ils sont vus et le savent mais l’important c’est surtout de faire « comme si », du genre les cow-boys ne voient pas les sioux. Bruno s’installe, le bois accuse le cul. Le groupe est inquiet, la caisse a du mal à absorber son gros fessier de culbuto et ses graisses périphériques. Si ça passe c’est que la machine est solide se disent-ils à coup de regards furtifs et de silences éloquents. Bruno est poussé par les huit bras de ses copains et part timidement. Mais la pente forte l’avale d’un coup et son poids aidant il dévale comme un bolide. A l’instant de vérité – le virage – la machine dérape à mort, les roulements sont à la rupture mais le gros cul de Bruno fait son boulot et colle la caisse au sol. Ça passe, juste au ras du mur du bas, mais ça passe. Derrière les herbes sèches la bande du haut enrage. En silence. Les autres mouillent leurs culottes et envient le gros cul de Bruno. A la stupeur générale Bruno désigne Achille pour le deuxième round. Ça tourne à toute vitesse sous le crâne du fluet, il serre les fesses et fait un effort terrible pour que ça ne se voit pas. Les autres ricanent en sourdine, persuadés que le moineau va se dégonfler. Et même s’il y va, il va se manger le mur, sûr ! Le périnée au bord de la crampe Achille a du mal à marcher, alors les mains dans les poches il la joue façon cow boy que ses éperons ralentissent. Pierre après grosse pierre, il leste l’engin et se glisse entre entre les rochers. Y’en bien une fois et demi son poids qui le ceinture et lui griffe les cuisses. Grand silence dans la troupe et yeux écarquillés. « Les gros cailloux c’est bien aussi » leur balance Achille en évitant le regard de Bruno. Et c’est parti, l’engin de mort tressaute à fond les burettes sur la piste caillouteuse, Achille se dit que son coccyx va lâcher, que ses dents vont tomber, que ses yeux vont exploser mais il s’agrippe aux lanières de cuir comme un damné aux portes de l’enfer. Simultanément, le long de sa colonne vertébrale, le plaisir le caresse, les poils qu’il n’a pas se dressent et pas que. Cette sensation, nouvelle, intense, cette giclée d’adrénaline qui l’inonde, la vitesse, le mur qui s’approche, sa vue qui tremble, tout ça le fait crier de peur et de plaisir indistinctement mêlés. Oui mais le mur, les pierres sèches empilées qui se rapprochent, l’engin qui vibre ! Achille tire à mort sur la lanière gauche, sa cuisse se crispe, son talon s’enfonce sur la planche, les vis grincent, les roulements à bille dérapent. Alors, sans savoir pourquoi, d’instinct, Achille contre-braque, et ça passe, si près qu’il a le temps de voir la rouille qui tache la pierre et les clous qui dépassent par endroits. Puis l’engin s’en va tout droit vers l’arrivée sur le faux plat goudronné qui mène au ciel, aux étoiles qui voilent sa vue, au paradis des intrépides et des imbéciles, heureux et réunis ! Ce soir il va lui falloir nettoyer son slip discrètement, le plaisir plus le corps qui lâche, c’est bien mais c’est salissant. En attendant l’enfant, « fier mais modeste », se laisse à peine féliciter. Les autres prennent leur tour, Melloul passe avec brio mais les deux derniers renoncent avant le virage. Les cris, les encouragements et les bruits secs et crissants du chariot dévalant la pente ont attiré les mômes alentours qui ouvrent de grands yeux admiratifs et félicitent chaudement les guerriers intrépides. En quelques minutes les Cinq Caïds sont devenus les stars du coin ! Sur le haut de la côte la bande du haut n’en finit pas de les épier et rumine déjà une action d’éclat, histoire de reprendre le contrôle du quartier.

Ce matin c’est jeudi. Pas d’école. Au bord de la décharge sauvage, Achille et les autres jouent à lancer de grosses pierres qui font éclater en mille morceaux les bouteilles vides plantées dans les immondices. Chaque flacon brisé joue une musique différente, mate ou cristalline selon que les fioles sont pulvérisées ou simplement brisées. Sous le soleil levant les éclats de verre descendent en ruisselets étincelants et multicolores vers le bas de la pile puante. Achille préfère les brisures de verre brun qui chantent plus bas que les autres en glissant et diffractent la lumière rose du petit matin en arcs-en ciels rutilants. Au bout d’une heure le tas d’ordures, décoré comme un sapin de noël, brille de tous ses tessons irradiés qui brasillent en rus d’étincelles éblouissantes. Les autres sont partis, rappelés par les piaillements de leurs mères poules, Achille reste seul, assis en tailleur au bas de l’éboulis puant, émerveillé par les rafales de lumière qui chantent sous la baguette du soleil montant. Sur le sommet du crassier un coquelicot à la corolle fragile danse lentement sous la brise tiède, comme un petit cœur émouvant. « Angélique » soupire t-il à voix mourante … C’est l’heure de rentrer à la maison, pense t-il, soudainement inquiet. Une bouteille à ses pieds lui tend son goulot cassé, Achille la jette de toutes ses forces vers le haut du Sinaï, pour se libérer des sanglots retenus qui l’étouffent. Au passage le verre lui fend le pouce en deux dont une moitié pendouille, sanguinolente, à peine retenue par un lambeau de peau. Branle bas de combat ! Accroché au dos de son père, la main recouverte d’un paquet de coton suintant, Achille, le nez au vent à l’arrière du « Lambretta », vole vers la ville. Au retour il tient son pouce gauche recousu, emmailloté comme un nourrisson du jour, bien levé vers le ciel, comme un patricien aux arènes. Le médecin lui a interdit l’école quelques jours ce qui fait monter en flèche son prestige dans la bande. Au retour de l’école il attend les copains, s’enquiert des nouvelles de la cour de récré puis se moque d’eux quand ils lui récitent la litanie des devoirs à faire. Tous l’envient et lui balancent de grandes claques dans le dos. Un soir une des filles du quartier s’est approchée lui avec la mine fripée et le regard lourd de sens des comploteuses de cet âge, pour lui glisser à l’oreille : « Angélique a demandé de tes nouvelles et t’a appelé son petit bleuet blond ». Il a haussé les épaules en ricanant …

Ce soir là, au fond de son lit,

Il lui a longtemps parlé,

Avec des mots secrets,

Qui ne se disent pas.

Achille le vieux dont la tête repose dans sa main droite, yeux clos et mine mâchée, sourit. C’est étrange ce flot d’images qui remonte ainsi du profond de sa vie. Sans doute va t-il mourir bientôt ? Sa main gauche, oui … il regarde ce pouce de dix ans, le tiers du sien, boursouflé qui s’étale en relief sur son doigt d’adulte. Il n’a pas rêvé même s’il a brodé largement sur ses souvenirs, digérés, modifiés, réinventés par la magie du langage, par l’épaisseur filtrante de la vie, l’ordonnancement des mots, les temps stratifiés, la mort à l’affût. N’empêche que cette cuvée « Les Églantiers » 2001, robe rouge sanguinolent, couleur vive, comme épargnée par les années, du Domaine de la Réméjeanne, qui le regarde de son œil de cyclope à mi hauteur du verre …. « Rémé » comme remémore, « Jeanne » comme Angélique, lui a bien rincé la mémoire et nourrit son imagination. La fiction est fille de la réalité revisitée, taillée, élaguée, magnifiée, ce soir … comme à l’habitude quand la transe le prend à la gorge, qu’elle lui fait rendre ! Séance tenante. Dans le verre immobile la robe du vin est d’un beau grenat au cœur noir comme l’enfer, intacte. Dans la lumière, le vin qui tourne au rythme de son poignet a les reflets changeants des flacons pulvérisés de l’enfance, la lumière diffractée par l’épaisseur du vin envoie alentours des flammèches impressionnistes, comme un feu d’artifice liquide. C’est ce manège enchanté qui l’a replongé dans son passé. Les arômes poivrés du vin associés aux senteurs de garrigue ensoleillée se marient aux fruits rouges mûrs, aux prunes éclatées, à la réglisse en bâton. En bouche le vin puissant, très, (trop ?) mûr, lui remplit la bouche de sa matière poivrée et lui laisse longuement au palais l’empreinte de ses tannins fondus et réglissés.

Comme le vin dans la gorge,

Le petit bleuet blond a disparu,

Dans les trappes profondes,

Du passé d’Achille …

EHOMOSATINNACONE.

LE ROY RICHARD COEUR DE LION *…

Le Douanier Rousseau. Le repas du lion.

 Octobre 2002. De mémoire, vers le douze.

Pause méritée pendant les vendanges chez Joguet.

Toute une journée à me reposer quadriceps, ischio jambiers, trapèzes, grands droits et quelques autres, qu’une bonne semaine a passablement meurtris. Oui, il me faut vous dire amis du vin, qu’avant que vous ne dégustiez dans vos bars métropolitains les produits de la vigne, des milliers de fourmis anonymes connaissent les joies de la torture faiblement rémunérée. Non pas dans les rangs des armées démocratiques, qui défendent la liberté de pomper du pétrole et autres matières premières juteuses sur tous les continents (surtout celui où les autochtones ne sont pas blancs de peau), mais dans (ou plutôt entre) les rangs des vignes de France et d’ailleurs. Ceci dit, il me faut bémoliser. Certains rangs sont aussi productifs – je parle pas d’hectos à l’hectare quoique… – que les meilleurs derricks…

Bon, c’est dit.

Or donc, en ce jour de repos qui n’était pas Chabbat, je m’en allais baguenaudant, flâner plus au nord en Anjou. Derrière l’os arrière de la tête, en cet endroit obscur où siège la conscience sourde – vous savez ce lieu stratégique qui voit naître tout ce qui devrait nous arrêter illico. Ce lieu des importances souvent vitales que l’on refuse d’éclairer, parce que la fausse «vraie» vie nous emporte loin des rivages du sens, de l’être et du pourquoi – hé bien en cet endroit précis, le désir d’Anjou me grattait. A bord de «Maquatrerouesmobiles», qui n’était vraiment pas fille Germanique de «joie» publicitaire, je m’en allais, passant des crêtes douces ourlées de vignes, aux bords de la Vienne puis à ceux de la Loire, par un de ces chemins d’alors que le GPS dernier pondu just now, serait incapable de prévoir. Oui, au gré de ma fantaisie presque inconsciente, je roulais. Mon maître était au volant, ce maître que nul ne connaît, mais qui vous emmène en des lieux magiques – si vous avez l’humilité (pas très tendance, je sais), de lâcher votre putain de bride. Alors là! Bon voyage assuré au téméraire…

C’est comme ça sans plan pré-établi que, sur le coup des onze heures, après avoir halté au Château du Hureau puis chez Jean Noël Legrand et quelqu’ autres bons faiseurs, je me retrouvais pedibus cum jambis (latin de cuisine…), à déambuler dans les rues étroites d’un des multiples trous du cul du monde, un de ces rectums dont la France (Dieu soit loué, mais ça risque d’être cher) a le secret. Pour être précis et tout dire, j’étais à Rablay sur Layon. Sans savoir qu’y faire…Tu parles d’un menteur! C’est à ce moment là très précisément (vers onze heures et trente et une minutes), qu’un rayon de lumière d’une étrange pureté, jaillit d’entre les nuages aussi lourds qu’automnaux ce matin là, pour me frapper en plein Sahasrara. Dans ces cas là, assez courants d’ailleurs (!), il n’y a rien à faire. Avec un peu de bol, faut espérer que ça ne vous foute pas en branle Koundalini, parce que là c’est l’explosion implosante du petit bourge amateur assurée… Rompu aux études théosophiques et régulièrement initié par les plus secrètes des Écoles de Sagesse, ce genre de rayon, je maîtrise… Il n’empêche que ma conscience fut immédiatement dé-sourdée. La nano seconde d’après, je sonnais à une porte que rien ne distinguait des autres.

L’illumination du roi des chakras venait de m’envoyer chez Le Roy Richard.

Deux points d’interrogation m’accueillirent. Deux yeux clairs parfaitement calmes, comme dénués d’affect. Je me vis remuer la queue et me tordre la colonne, pour le coup plus mouvante que vertébrale, comme un chien, qui fait son dominé pour avoir une caresse. J’envoyais une purée de mots d’excuses, maladroite et convenue. Le gars ne broncha pas, ne cilla pas et m’offrit de franchir le pas de sa porte. Pas un expansif le Richard. J’expliquais en m’embrouillant les muqueuses, qu’entre deux semaines de hottage chez Joguet, j’avais été pris de l’envie de goûter un peu de ses vins. L’allusion lourde à mes travaux de Romain d’occasion, fit son effet sans qu’il y paraisse. Il me convia à m’assoir dans son salon. Sa femme charmante me donna des sourires, de ces sourires sincères que les femmes savent faire… Nous conversâmes un moment. Richard s’enflamma doucement. Debout au milieu de la pièce claire il me suffit d’une question pour le faire démarrer calmement. Il avait un phrasé sérieux de coureur de fond. Une parole lente, claire, modeste, précise. J’appris ainsi qu’un groupe de Belges devait arriver. Il me proposa de me joindre à eux.

Harnachés comme des pros, les cuissards collants à leurs cuisses puissantes de cyclistes habitués à lutter contre le vent du nord, les Belgicos arrivèrent. Rien de mieux qu’une troupe de joyeux Outre-Quiévrains pour faire monter la mousse. D’un naturel aussi «confondant» que les vins branchés encensés par les critiques qui ont le droit de parler, les Wallons, plus levurés que la meilleure des houblonnées, initièrent cette «amitié» immédiate que seuls les bons vivants savent proposer à ceux dont le cœur bat encore. Moi qui passais alors, comme tous les frontaliers, le plus clair de mes weekends en Belgique, je me retrouvais presque chez moi, joyeusement. Le petit garage, plein à ras bord de tonneaux soigneusement alignés, eut du mal à enfourner la troupe. Nous ne fîmes que le traverser, car Richard, le cœur en bandoulière, nous emmenait aux vignes. Le téton de Montbenaut, sur lequel se battaient quelques vignes basses à peine chargées de deux ou trois grappes par cep, m’est resté en mémoire. Plantées dans la roche, les vignes se tordaient sans rire, grimaçaient et peinaient à pomper, au profond du sol, leur pitance. Quelques ares de lambrusques chétives, qu’entouraient d’autres parcelles, plantées de lianes hautes aux larges feuilles vert céladon, vigoureuses et charnues, lourdes de grappes peu mûres, donnaient à l’arrondi de la colline, des allures de moinillon fraîchement tonsuré. Plus tard, je compris que ces petits raisins miséreux exsudaient à terme, des jus d’une élégance, pour le coup, vraiment confondante! Plus le temps passait, plus Richard se déplissait. Le «pot Belge» faisait son effet….

De retour à Rablay (ça ne s’invente pas), le casse croûte était prêt. Un combat violent, intense, fraternel,entre la mangeaille généreusement déployée, et les bouteilles de toutes régions, qui n’en finissaient pas de se succéder, commença. Richard était maintenant complétement déployé, et son humour froid, auquel répondait la faconde tendre de ses hôtes, était à l’instant, ce que dans le vin, la fraîcheur est à la richesse. Un moment d’équilibre, de plénitude, de bien-être.

«Bliss» total!

Vous dire ce qui dévala la pente de nos gosiers gourmands, m’est impossible. À mémoire infaillible nul n’est tenu. Mais il me souvient que notre hôte ne fut pas avare de vins d’exceptions… L’après midi était bien entamée,et moi aussi,lorsque je me décidai à reprendre la route des «hasards» bienheureux. Je me dois de dire,pour les gendarmes qui me liraient (je m’la pète!), qu’après quelques hectomètres comateux, je fis une pause au somment d’un cotal (singulier de coteaux), histoire de laisser à mon foie le temps de distiller les gentils breuvages dont je m’étais ravi la glotte, peu avant de tomber en catalepsie,sur le bord du chemin, ombragé à souhait,que longeaient de paisibles vignes anonymes. Régénéré par un somme aussi profond que ronflant,je repris le chemin, laissant à ma fantaisie retrouvée le soin de me ramener au bercail.

Dans le coffre de mon tas de tôles, ondulées comme je l’étais encore un peu, brinqueballaient une douzaine des 2001 de Richard roi de cœur…

Elles se sont reposées presque dix ans, bien à l’abri des soiffards amicaux,qui régulièrement me pillent. Aujourd’hui,le souvenir vif de cette journée vibrante, à mon cœur défendant, me fait tendre la main vers un «Clos des Rouliers» 2001. Le temps aura t-il fait son œuvre de sagesse??? Vous le saurez ci-dessous…

Le bleu franc de l’étiquette,est toujours aussi surprenant. Le bouchon qui ne résiste pas à ma poigne décidée, cède avec un petit bruit prometteur et humide. Mi grosse et lourde, la bouteille au col effilé,dont coule, plutôt grasse dans le verre ventru, une aqua que je n’espère pas simplex, me livre son trésor liquide. La robe,ou plutôt le cafetan, tant les reflets d’or vert,reflètent puissamment,la lumière crue de ce printemps balbutiant, roule, glisse et s’accroche comme un surfeur des neiges,aux parois du verre. Le vin semble liqueur de soleil. Dans ses plis épais l’astre diffracte.

Je m’y plonge, le regard en dedans sous mes paupières closes. Et je m’en vais profond, rencontrant au passage les parfums de sucre tendre de la dragée du communiant, les notes fruitées de l’angélique confite, la fragrance sèche de la réglisse brute,et le vol des odeurs de la ruche, cire tiède et propolis.

Ma bouche s’attend,à ce qu’une purée de fruits jaunes miellés l’envahisse. Que nenni! Du caillou, tendu, sec comme une lame du plus pur Tolède, me cisaille, le temps d’une surprise aigüe – de ces surprises qui vous font croire à l’infarctus prochain – la langue! Dans la foulée,c’est une matière grasse et onctueuse,qui enfle au palais, délivrant au passage,l’ineffable plaisir des fruits jaunes qu’un bel été a nourris… Moment de grâce subtile,où la puissance ne masque pas l’élégance essentielle de ce Chenin,transfiguré par la subtilité d’un élevage suprêmement abouti. Le vin gracieux s’étire infiniment,et me laisse au palais la trace pure de sa roche tranchante.

Grand silence assourdissant en bouche, pure joie au cœur!

Jamais je ne fus ainsi, aussi parfaitement, dévoré par un lion…

*    M’en étant aperçu après coup, je rends au virtuose de l’Olif-ant, la paternité de ce titre, que je lui emprunte néanmoins…

ETRANSMOFITIGURÉECONE.

C’EST BON, UN GRAND COUP DE MAILLET DERRIERE LA GLOTTE!!!

Van Gogh. Tournesols.

La première fois, c’était en 2004.

Après avoir tourné en rond un moment – faut dire que le sens de l’orientation n’est pas ma vertu cardinale – je m’étais arrêté devant le Domaine, à tout hasard. Heureusement que ce foutu «hasard» est une daube pour crétins. Pour les âmes errantes, qui volent au travers de l’intemporel à longueur d’infini, ça n’existe pas, Dieu merci!!!

Un gaillard, plutôt de chêne que de balsa, est sorti de derrière ses cuves, à petits pas précautionneux. Une tête de gamin costaud, le Nicolas Maillet, et une démarche de vieillard… ce jour là.

A la vérité, je n’avais pas téléphoné, je ne pensais vraiment pas verser du côté de Verzé. C’est dire comme j’étais dans mes petits souliers. Je l’abordai donc, et lui dis mes errements. J’accompagnai misérablement mes explications laborieuses, d’un de ces regards larmoyants, dont les caniches enveloppent leurs vieilles dames. Poli comme un vigneron qui sait, il m’écoutait le buste un peu penché, s’appuyant tantôt sur une jambe, tantôt sur l’autre, la main droite, appuyée sur les reins. A part la posture, rien à voir avec la Goulue… J’en revins difficilement, lorsqu’après cinq minutes, il remit son rendez-vous médical, pour m’ouvrir sa cave!!! La ronde enchanteresse des 2002 m’attendait. Des blancs purs cuves, comme ça… Moi, qui coulais tout juste de la Côte Orienne, ça m’a cloué sur place. Je goûtais et sifflais la pipette généreuse, oubliant un peu vite le crachoir, préférant celui de Nicolas, qui n’était pas avare…

Oui bon, ben… c’est bien beau de ramer sur son clavier, mais n’est pas Balzac qui veut les gars. Le corps a ses raisons, que la raison ignore… La chambre de bonne, la plume taillée – régulièrement ça fait du bien – la cafetière, les pages et les pages, allégrement descendues par l’ogre. Oui d’accord mais bon, j’ai faim moi, misérable petit tâcheron. Je croûte donc. Pourtant très vite, j’ai le regard attiré par le minuscule bout de jardin que j’aperçois de derrière mon assiette. L’après midi a été belle, en ce mois de Février, après les fortes pluies des derniers jours. La nature envoie dur. L’herbe s’extrait de l’hiver. Les pâquerettes, les fleurs jaunes, roses, bleues, tachent le vert majoritaire – de droite donc encore quelques temps – de leur irrespect salutaire. Merci la vie!!! Ça pulse à donf. Ça sent l’énergie à plein nez. T’imagine pas la force!!! Ces milliards de tonnes que la terre expulse, pure fertilité originelle. Waowww, de la centrale nucléaire à gogo, du pétrole à s’engorger les coffres, tout ça en silence, sans espoir de rapports ou d’intérêts. Le pur Amour, celui qui nous dépasse, qui nous fait pleurer sans savoir pourquoi, devant un paysage, en haut d’une montagne, devant les fleurs peintes par un rouquin maudit. La très grande classe, la vraie la seule, celle qui ne s’affiche pas.

Entre une poignée d’herbe et le tronc malingre d’un poirier des villes, passe en sautillant un merle. Oui, un de ces merles tout con, qu’on ne voit même plus. Pétrifiant de beauté l’oiseau. Une ligne si simple qu’elle en paraît évidente. Comme le jeu du Barça un soir de grâce. Noir c’est noir, éclairé par la touche effilée d’un bec jaune. A côté de ça, la Ferrari ressemble à une caisse à roulettes. Ça me fait penser au requin aussi. Ah oui les «pointes noires», ou «blanches» – à vot’ service – qui surgissent au détour d’un récif, pétrifiants de beauté glaçante, par trente mètres de fond. La rencontre furtive et effrayante de la perfection.

Pendant ce temps là, l’oiseau s’affaire. Simple l’oiseau, pas un de ces merles à Ray-Ban, pas un de ces merles «envuitonnés», «guccisés», enturbannés, comme ces précieux intemporels, qui traversent l’Histoire immuablement, à jamais falots et insipides. Pas un de ces «Lagermerles», indigne des plus tristes dénouements du dernier des romans de Huysmans, qui se haussent du col, sur les pages glacées de nos inconsistances. Non, un putain de merle simplement, mais un autre, que je reconnais à son bec presque orangé.

Salut l’oiseau, que ton plumage est beau…

Les 2007 sont rentrés il y a quelques mois. Je prends le temps de les «expertiser», un à un, tout cool. Il a encore progressé le Nicolas. De l’Aligoté au «Chemin Blanc», sur ce millésime pas facile, tout est bel et bien beau et bon, voire très. Pas un bout de bois pourtant, pour arrondir les angles.

Du raisin et des cuves.

Ça me fait penser à Steinbeck. C’est bête!!!

Le premier de la série c’est son Aligoté.

La robe est jaune, pâle, rehaussée de reflets verts. Le nez est très élégant, vibrant, pur, sur l’acacia, la pêche blanche, les agrumes, la banane mûre, le coing. C’est cristallin comme un Chardonnay du Jura!!! Une belle fraîcheur, autour de tout ça, qui fait saliver. La bouche est à l’unisson. C’est bon, poire, agrumes, citron, c’est puissant, vif. Ça se boit avec plaisir et gourmandise, et ça peut s’enchainer grave!!! Un vin qui rit dans la bouche. C’est long, fruité, frais. Un des tous meilleurs Aligotés de l’année.

Le deuxième est un Mâcon-Village.

Les jeunes vignes du domaine. Le nez est tout en subtilité. Sa finesse, de fruits blancs et de poire mêlés est délicatissime. L’attaque est franche, fraîche et fruitée. La matière est plus que correcte, élégante, en parfaite équilibre avec le nez. Belle finale revigorante.

Le troisième est un Mâcon-Verzé.

Le nez, ici aussi, se distingue par sa grande finesse. Fleurs blanches, et poire. L’attaque en bouche est franche, nerveuse, ronde à souhait. Le vin passe et vous fait sourire. La finale est tendue, crayeuse, fruitée; elle vous laisse les papilles propres, comme un Euro de petit porteur.

Le dernier est un Mâcon-Verzé «Le chemin blanc».

Le nez, fin et complexe, dévoile des arômes de pêche blanche, de poire, et de fleur d’acacia. La bouche est puissante, avec une bonne rondeur «roulante», qui s’installe et ne vous quitte qu’à regret. Finale sur des notes d’agrumes et d’anis. Belle bouteille, qui se dévoilera complétement dans un an ou deux

Une superbe série de vins sincères et droits. Rien, aucune intervention appuyée, ne vient altérer la qualité et le naturel des raisins. Tous sont à leur place dans la gamme et la justifient pleinement à la dégustation. Non, j’ai beau chercher, pas de fausses notes. Des jus cristallins, vibrants, purs, élégants, équilibrés. Inutile de vous parler des prix, cela pourrait donner des idées et des complexes (non je blague!) aux «Seigneurs, blasonnés de gueules d’Or en Côte, écartelés en Chardonnay et Pinot flamboyants

EMOUSMOTICONILLEE.