Littinéraires viniques » Daniel Bouland

ACHILLE ET LE CHEVAL FOU …

Natacha … von Teese.

 

Ce soir Achille a le bourdon …

Paris ce soir est noir. Même les illuminations excessives – magie factice pourtant – ne peuvent l’éclairer. C’est que … c’est le Paris d’Achille (sic). Nul ne peut voir sans ses yeux. Et ce soir l’âme d’Achille est sombre. Pour d’autres, au même instant, qu’il croise en foules agglutinées, Paris est rose de tendresse, éblouissant, rouge de plaisir, multiple, multiforme, changeant. Paris n’existe pas. Achille traîne, ses pieds sont lourds de fatigue, suants, il fait chaud dans les rues, sur les boulevards ; sous les jupes légères des filles rieuses aussi.

Mais Achille ne voit rien, il est « inside » dans le fond du puits de ses craintes, la glu de ses terreurs. Comme un escargot par forte chaleur. Le spectre de l’échec lui caresse les reins. Il a beau faire tous les efforts du monde, se battre pour se dégager de ces tentacules visqueux qui lui paralysent la cervelle, il n’y parvient pas. Alors il marche d’un pas de métronome, au hasard Balthazar. En ce 13 Juillet 1969, le temps est changeant, morose, incertain. Grand soleil et ondées orageuses se succèdent. Mais ce soir il fait lourd, moite, collant, on dirait que même le ciel angoisse. La pluie s’est arrêtée, les rues se sont vidées, c’est l’heure des transhumances. Sous le sol qu’il foule à grandes enjambées mécaniques, Achille sent la vie qui vibre sous le bitume luisant. Les termites en jupes et pantalons, besogneuses et flapies, courent, parfaitement dressées, dans l’alignement des galeries sans fin. Il frémit. Les lourdes ondes, noires de la suie des violences retenues, des frustrations accumulées, des haines masquées, sourdent du sol et le polluent. Non ! Pas ce soir, il lui faut se protéger, il a besoin de toutes ses forces claires et intactes demain aux aurores. D’instinct il grimpe sur les trottoirs et marche comme un équilibriste sur les blocs de granit imputrescible qui les bordent. La pierre épaisse le protège se dit-il, mieux qu’un bouclier d’airain ne le ferait. L’image de Spartacus lui traverse l’esprit, impromptue. Musculeux et suant le gladiateur esquive les coups, le bronze qui le préserve résonne et ce son mat le transcende ; son glaive court taille les chairs, vide les ventres, fend les crânes. Le sang chaud gicle et le recouvre à longs jets gras. La rage de survivre le porte et l’enivre, plus que le vin capiteux dont il se désaltérera après le combat. Car il est sûr de vaincre. La force de Spartacus court dans les veine du jeune homme, une bouffée de chaleur brûlante lui met sueur étrange au front. Achille hurle en silence ! Demain, il va les décaper, les étonner, les enchanter, tous ces barbons qui le regarderont, l’air ennuyé et la lippe méprisante, ces nœuds papillons, ces garants de l’orthodoxie universitaire. Ils l’attendent ces badernes vicieuses mais l’ectoplasme de Spartacus est en lui, il sera rebelle, charismatique et tempétueux. Insolent, provoquant, il tordra les concepts, jonglera avec la rhétorique, osera des folies, les fera blêmir, rosir, il les mettra dans sa pogne de velours violente !

Achille a passé l’Étoile depuis un moment, il descend les Champs-Élysées qui l’éblouissent et le tirent de sa torpeur. Inconsciemment il sait qu’il doit puiser dans les forces de la terre du ciel et de ses intuitions réunies l’énergie dont il aura besoin au petit matin. Trop de ces artifices de lumière lui nuisent, il en a l’intuition. Très vite il prend à droite l’Avenue Georges V. La station de Métro vomit un long jet sombre de termites à demi aveugles, au juste instant où il échappe à la dangerosité de ces champs frelatés, pas très verts. Ah, « La Leçon », il a beau calquer ses pensées sur ses pas, scruter le sol, compter les pierres, activer la pensée magique qui lui dit « Allez, cinq pas d’ici à la prochaine fissure dans le sol et le ciel pourvoira … », il a beau implorer la fleur chétive qui s’arrache du goudron à ras mur, visualiser un cône de lumière dorée qui le barde et le protège, rien n’y fait ! Il a beau envoyer tout l’amour dont il est capable aux silhouettes anonymes qu’il croise pour attirer la compassion des anges (!), non, milliards de non, les griffes bleues de la peur ricanante sont plus fortes que toutes ces fantasmagories et lui excorient la chair et l’esprit avec délectation. Alors il marche, marche et trace pour fuir ces anticipations funestes. Comme à son habitude il n’a pas bossé beaucoup, il a survolé les œuvres et les ouvrages critiques d’un œil rapide, plus rêveur que hardeur, se fiant à son sens de l’improvisation, à son à-propos, à l’aide d’Hermès et aux vents subtils de l’esprit.

Devant lui une coulée de lave figée tremble au sol comme un mirage citadin. Le macadam réverbère une lumière rouge, crue, acide, dont un néon serti dans une façade inonde la rue. Des silhouettes sans visages s’enfoncent dans le mur comme des âmes en peine dans l’Antre du Diable. Achille plisse les yeux, surpris. Sous verre, près de l’entrée, des photos de jolies filles dénudées, sans la vulgarité glauque des boites de strip-tease prennent des poses languides sous des jeux de lumière colorée. Des femmes très belles mais désincarnées, réduites à la plus simple expression de leurs formes sans défauts, soumises aux loi de la symétrie froide, corps pâles et parfaits. Des apparences de femmes, sans chaleur, sans odeur, sans la chair ductile des femelles d’amour, sans les torrents de pleurs retenus qui les rendent émouvantes. Entre les reflets changeants qui moirent le panneau de verre froid, une surface de papier glacé – image insolite – attire son attention juste alors qu’il s’apprête à poursuivre son échappée incertaine. Perdu dans une ombre épaisse, un visage aux lèvres rouges, fines mais incroyablement charnues à la fois, émerge d’une touffe de cheveux noirs en broussaille agités par un coup de vent. Sous l’eau céladon vibrante de ces deux grandissimes yeux liquides, il perçoit furtivement un abîme de ténèbres épaisses, peuplées d’algues serpentines inquiétantes qui ondoient lentement comme les fantômes sidérant d’une vie au passé douloureux. Ce visage le happe d’une seule goulée. Son angoisse laisse instantanément place au désir irrésistible de retrouver cette apparition qu’il sent déjà vivre en lui.

Oubliant ses inquiétudes, Achille franchit le pas …

Le « Crazy Horse Saloon », n’était encore qu’une petite salle. Un grand bar auquel s’accrochaient, verres en main, une grappe de noctambules silencieux, faisait face à la scène au rideau fermé. Dans la pièce vieillotte, au devant du bar, quelques tables rondes nappées, entourées de chaises kitsch. Couples, trios et quarterons, devisaient à voix basse. Leurs voix feutrées se mélangeaient aux notes cuivrées d’un saxo en sourdine. Les tableaux se succédaient qui laissaient Achille impavide, sourd aux applaudissements nourris. Brochettes de corps vernis aux acrobaties millimétrées vêtus de projections psychédéliques sur dessous chics et seins calibrés. Numéros mélaminés, longues jambes gainées et sourires figés, dans l’ombre ménagée, glissaient comme d’improbables beautés glacées. Sophisticated Ladies …

Plusieurs fois il tenta de s’arracher au sortilège qu’il pressentait, mais voltant très vite, hébété, pour revenir dans l’antre entre tables et zinc, le cœur dilaté à la rupture, sans savoir ni pouvoir. C’était comme une gueuze de fonte qui lui dévorait les reins. Ces yeux étranges, liquides, toujours au bord de se vider, insondables, translucides, tendres et confusément perfides à la fois, il voulait éprouver leur fulgurance, tester en frissonnant leur charme ; c’était un besoin incoercible qu’il ne comprenait pas, une attirance délétère et inexplicable.

Le rideau retomba, l’éclairage décrut jusqu’à ce que ce soit noir absolu. Épais à ne pas voir le bout de ses yeux. La musique jazzy qui avait accompagné les tableaux précédents s’éteignit peu à peu. Montait lentement le battement sourd des tambours mêlé aux raucités des fauves. Tapis dans le velours luisant. Dessiné ligne à ligne par l’éclairage rasant. Divan de jais pelucheux sur fond charbonneux. Le son profond des tambours hallucinés envoûtait les spectateurs attentifs que l’attente exaltait. Entre les battements mats des tam-tam se glissaient le souffle chaud des buffles affolés, le rugissement gras des lions en rut, le crissement des panthères à l’affût, le feulement des tigres en chasse qui enfiévraient l’atmosphère. Le rayon blafard d’une lune artificielle tomba brusquement, étroit d’abord, sur le visage pâle d’une femme aux lèvres blessées de rouge, puis s’élargit pour dénuder un corps d’albâtre languissamment étendu sur le sofa de ténèbres. Dans ses cheveux sombres, qui cascadaient en vagues ruisselantes jusqu’à ses épaules graciles, ondoyaient les reflets bleus cobalt de cette nuit électrique. Au centre de ce tableau en noir et blanc, deux émeraudes opalines, comme deux puits d’eau fraîche, rutilaient, immobiles, le regard perdu bien au-delà des murs du lieu. Natacha Dynamo éclaboussait de sa beauté détachée les voyeurs médusés. Elle se mit à onduler imperceptiblement ses hanches félines, s’appuya sur un coude en levant mollement une jambe galbée, muscles longs au relief léger. Achille se coula entre les tables jusqu’au pied de la scène. Tout près. Le satiné de la peau qu’il voyait à portée de main, soyeuse et ductile, le dessin d’école de ses seins lourds et fermes, le rose tendre de ses aréoles piquées d’un court téton flaccide en leur plein centre, la courbe ovoïde de sa hanche et surtout ce regard qu’il avait cru voir sourire furtivement le mirent en adoration. Le plaisir et l’horreur l’inondèrent à la même seconde quand sur le corps parfait de Natacha l’image d’un cadavre en putréfaction, seins vides et ventre verdâtre béant se superposa. Ce fut un flash, un éclair d’horreur qui le fit reculer. Puis s’effaça aussi vite. Au même instant une risée de tristesse trembla sur l’eau des lacs vert tendre. Natacha le fixait, éberluée !

Ils surent à l’instant qu’ils étaient deux, mystérieusement liés …

Mais c’en était trop pour Achille qui fut dehors en un bond. Sous la pluie tiède qui redoublait il leva la tête pour se laver du sentiment ambigu qui l’avait assailli. Puis s’en fut, épaules basses et cheveux collés. L’eau ruisselait jusqu’à ses reins, il ne la sentait pas. La nuit sans ciel l’avala. Par instants des éclairs cisaillaient la pénombre, le tonnerre grondait au loin. Le ciel violaça en rafales, qui découvrirent par instant les bourrelets noirs des nuages denses qui roulaient, électriques, emportés par de violentes bouffades.

Achille disparut.

Le lendemain à l’aube il entrait dans la cour de la Maison d’Éducation de la Légion d’Honneur. Bien décidé à défendre le sien. A quelques pâtés de maison de là, Natacha Dynamo, de Mostar, regard mouillé au plafond, ne dormait pas. Achille dans le creux de sa conscience sourde, confusément sentait sur sa nuque l’étrange et douce chaleur de ce regard qui l’avait bouleversé.

Il savait qu’un jour viendrait …

Ce matin sera feu d’artifice,

Ou mort subite …

Rétrospectivement Achille le pré-sénile fut parcouru par un spasme douloureux. Comme s’il avait mis le doigt sur un fil électrique dénudé. Derrière la porte qui venait de s’ouvrir dans le fouillis de son passé, la scène qu’il découvrait comme si c’était hier, impitoyablement précise, l’avait sidéré. Il chercha le refuge, l’ambre fondu de sa lampe et se recroquevilla pour qu’elle le réchauffe entièrement. Pourquoi cette bouteille ? Pourquoi ce Gamay 2010, ce Côtes de Brouilly, cette cuvée « Mélanie » du Domaine Daniel Bouland l’avait-elle entraîné dans ces ombres passées ? Dans l’élégant cristal à haut pied qui lui servait de couche, ce vin à la robe d’un beau violet cardinalis brillait intensément. Sous la lumière dorée il était agité de vifs reflets rubis. Au centre du cristal, un oeil jaune battait. « L’oeil sans doute » pensa Achille ? Il souleva le hanap et s’y plongea. Juste avant de clore les paupières, au centre du verre, il vit un lac, surface claire au dessus d’un abysse insondable qui le regardait, impavide. La même secousse lui vrilla les chairs. La chair sucrée d’une pivoine rouge enchanta son inspiration et se prolongea sur des fragrances fruitées. La précision olfactive du vin, la netteté de la fraise épicée, de la framboise et de la cerise poivrée, mûres et presque palpables, l’enchantèrent. Il n’ouvrit plus les yeux quand le vin toucha sa bouche. Les fruits bien mûrs, à l’unisson du nez, lui offrirent leur matière goûteuse et conséquente, lui tapissèrent le palais de leur pulpe crémeuse. Le jus enfla et sa fraîcheur le relança comme s’il prenait encore du volume. Rien à voir avec ces vins étriqués au fruit brouillon, à ces jus issus de macérations carboniques, identiques et souvent vernissés. « Mélanie » la généreuse le combla jusqu’au bout, se prélassant longuement après l’avalée, lui laissant au palais longue fraîcheur et nano-tannins soyeux …

Derrière ses paupières closes,

Dans les vapeurs du Gamay,

Achille brillamment fait sa leçon.

Natacha sourit,

Elle le sait …

 

EPIÉMOGÉETICONE.


BIEN AVENT QUE JE T’AIME …

Suzanne Valaldon. Femme avent la tétée.

Elle a glissé son bras sous l’oreiller …

Il s’étire en chicotant…

Lui a la main qui caresse en mémoire la hanche, doucement, du long corps blanc allongé sous le drap de soie froissée. Elle soupire au jour gris qui perce à peine les rideaux. Sous ses yeux clos, il la voit ronde et ferme, qui l’attend. Un jeans, un tee-shirt, se dit-elle, suffiront ce matin à se traîner jusqu’à demain, démaquillée et désœuvrée. Le linceul lilial chante comme une âme froissée, sous le doigt, qui lentement le relève. Il soupire de désir. Zut, se dit-elle, rien à lire, rien à foutre, triste jour à attendre ce foutu lundi, redouté et espéré à la fois ! Comme un chat repu, il fait la boule, genoux à la poitrine, ronronne en dedans, et serre entre ses jambes la belle qu’il désire. Elle est ronde et ferme, fraîche, la peau fine qui recouvre ses adducteurs charnus, frémit à ce contact. Il a beau la serrer, elle ne faiblit pas.

Bof ! Elle téléphonera à sa mère, longuement, elle a tout le temps, avent que la journée finisse. Avent de la connaître, la humer, la rouler sous sa langue avide, il la regardera, encore, intacte, vierge, hiératique, immobile, impavide, mais offerte. Mais que ce temps d’attente est bon, qui décuple son désir. Ah oui, ne pas oublier de dire à maman d’aller chercher le môme à l’école demain. Et lui, ce veau de mer, qui ne bouge pas, ne la touche pas ! Elle se retourne et contemple, l’oeil critique, pour la première fois, ce visage, arrondi par les années, qui sourit béatement à ses rêves. A vaincre sans péril, on finit par s’oublier, se dit-elle, coeur lourd et seins pendants. Elle le revoit comme naguére – devenu jadis, hélas – qui le regardait, l’oeil brillant. Sa peau vibre au souvenir des caresses anciennes, des jeux stupides qu’elle affectionnait, qui la faisaient fondre, comme la boule de sorbet goûteuse qu’elle était alors. Mais il ne bronche plus, il ronfle comme un vieux diesel, bouche béante et luette tremblotante, sous le souffle putride de ses excès. A vins répétés, il s’en est jeté de ces saloperies de jus rouges, blancs et rosés, de ces bulles hors de prix, aussi, qui lui ont cramé la langue et noircit les dents. Une larme, limpide comme un cristal triste, roule sur sa joue defraîchie, lui sale les lèvres, et tombe sur sa main fripée par le manque de soins. Pas nets ces ongles écaillés se dit-elle, plutôt sèche cette peau abimée, cette taille déformée …

Anne-Sophie déprime.

Dans le coton brumeux de son demi sommeil, il vole au delà du temps présent. Debout, jambes écartées, reins bandés mais bedaine relâchée, bien campé sur ses cannes de serin anémique, il se gave déjà d’avoir d’abord à l’ouvrir à la vie. Le sommelier d’acier, lame au repos, luit sous la lampe, qui pend au plafond, comme un vieux chapeau poussiéreux, au ras de son crâne, à moitié déserté par les souples boucles blondes du temps de sa splendeur. Il attend, se retient, et recule l’instant, où la lame courte et dentelée attaquera l’opercule ductile, oxydé par l’âge et l’humidité. Sous l’étain tendre, il trouvera le bouchon, intact comme l’hymen d’une vierge, gonflé par la poussée du vin impatient de se donner à lui. L’émotion fait trembler sa main fébrile, qui déplie la vrille étincelante, polie par l’expérience, habile à extirper les plus improbables scellés. La pointe fine, pique le centre du bouchon, entre les deux zéros de 2009, et lentement s’insinue entre les fibres molles, puis tourne au ralenti, attentive à ne pas blesser les chairs fragiles. Le liège geint doucement, se tait, puis couine de plus en plus sourdement, la vrille touche au fond. L’instant de la délivrance est proche. Paul Marie savoure ce temps storoboscopique de l’avent plaisir, s’en délecte, se pourlèche, se penche et coince le flacon de verre entre ses genoux cagneux, creuse le dos, crispe sa main maigre, et tente de dégainer lentement le cylindre humide. Mais le jeunot résiste, enfle, écarte ses écailles comme un mérou apeuré. Surpris par ce refus inattendu, Paul Marie se cabre, s’arc-boute, les muscles de ses bras chétifs tremblent sous l’effort inhabituel, habitués qu’ils sont à ne lever qu’un coude. Il sent l’afflux sanguin sous ses tempes battantes, son souffle se raccourcit, une brume de sueur marque son front, sa respiration s’affole. Malgré le voile gris qui le gagne, il s’accroche, trépigne, vacille et tremble comme un mât sous tempête. Le barrage cède d’un coup et le projette en arrière, il perd l’équilibre, tombe sur les fesses. La douleur fulgurante lui arrache un bref cri aigu, mais la bouteille est sauve. Il sourit. Les tâches rougeâtres qui maculent son pyjama crème, recouvrent de leurs fragrances naissantes, les remugles aigres qui sourdent de ses aisselles inondées par le combat. Péniblement il se relève, coccyx endolori, heureux d’avoir vaincu. L’image d’un gladiateur casqué lui traverse l’esprit. Celle d’une vertèbre éraflée, aussi. C’est tenant la bouteille à deux mains qu’il verse, arrosant à l’entour, le jus violet dans un grand verre. Le reître vainqueur aura droit à sa couronne de fruits mûrs, cassis, framboises, groseilles en guirlande, à sa bolée de jus frais, rond, qui ne veut pas quitter la bouche, qui joue avec la langue, qui enfle au palais, pour y laisser après l’avalée, l’envie d’y replonger les lèvres … Paul Marie sourit aux anges. Au « Côte de Brouilly » « Cuvée Mélanie » de Daniel Bouland qu’illumine l’ampoule blafarde, il jette un regard ému …

Putain, Paul Marie,

Sors toi le cul du lit …

… Il est onze heures !

Affolé, il se redresse d’un coup, les fesses endolories.

Les deux poings sur les hanches, fulminante,

Et débraillée,

Anne-Sophie le regarde.

C’est la énième année de l’Après.

EAVEMONANTITECONE.

BOULAND M’A BOULÉ…

Veneto. La circoncision.

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  Encore un vin goûté le week-end dernier en compagnie du Seigneur de C…. et de l’affligeant patte-pelu. Connaisseur, le margay avait carafé le breuvage, depuis …je ne sais plus quand. A l’aveugle, comme de bien entendu et systématiquement….avec ces deux fondus…qui n’ont de Savoyard que le gosier pentu!!

Le cœur battant la chamade, le front plissé et l’angoisse au ventre, je porte le verre au nez, tire et retire sur l’appendice, cherche et recherche, les plus subtiles fragrances que le liquide, à la robe opaque, qui rosit à peine…délivre abondamment.

Sérieux comme un buveur d’eau plate, je suppute, j’analyse et compare, à l’immense bibliothèque olfactive – trop modeste, je sais – qui alourdit ma tête, plutôt légère de nature…. J’y retourne, j’y replonge, à m’y noyer le bulbe!!! Ce coup-là me dis-je « in peto » – domaine dans lequel les deux bougrasses excellent – je me vais, me les enterrer grave-à-donf, les deux moineaux!!! Le vin est magnifique de générosité et de richesse olfactive. Une pointe de grillé, du café, du cacao, de la réglisse (M…e encore un Languedoc???), de la confiture de myrtille sucrée accompagnée de notes terreuses, de poivre moulu, d’épices douces….Je reste coi, coincé même. Mais une intuition, aveuglante comme il se doit, me transperce de plaisir.

Ça y est, je sais, l’évidence même!!!

Détendu et sûr de moi, comme un radar, un quinze Août, face au soleil, vers vingt heures, du côté de Montélimar, je souris intérieurement, dans un délectable état de suffisance délicieuse. Me reste à goûter le vin….bof…pas nécessaire pensais-je, l’ego baudruché comme un Zeppelin. Mais bon, je vais attendre un peu, pour les humilier bien profond, et savourer le plus longtemps possible, le vent que je vais leur mettre!! M’en vais profiter tranquillement du nectar, dont la matière imposante et fraîche, m’agace la bouche, à grand renfort de fruits croquants. La finale est sublîîîmissime de douceur et n’en finit pas de me rouler dans la soie.

Une bouteille d’exception, “pour quand que je serai vraiment vieux” *

Le silence se fait, car la bête est belle. Je les regarde, de l’air innocent du prélat, qui vient de s’essuyer au rideau et leur lâche du bout des lèvres : Gevrey Premier Cru 2002!!!!! Le pépère reste silencieux, comme sidéré. Raminagrobis, vaincu se tait. Il a l’air assommé, KO, pulvérisé!!!! Et voilà les p’tits gars, boum, badaboum, qui c’est le plus balèze????

D’une voix douce qui ne veut pas blesser, plus faux qu’un Oscarisé qui remercie la salle, après un long silence, le grappin mité, dans un souffle, susurre en regardant ailleurs :

Daniel Bouland Morgon VV 2003!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Ni fleurs ni couronnes.

 * Dédicace “spéciale Equipe de France de foot”.