Littinéraires viniques » Christian Bétourné

GEORGES ET PHAEDRA.

Léonard Lomosin. 1560.Phèdre

Phèdre. Emaux. Léonard Limosin. 1560.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La soufflerie du Richelieu faisait un vacarme infernal qui couvrait les hurlements entêtants des moteurs diesel poussés au maximum. Les pistons cliquetaient, ça ronflait dur dans le ventre surchauffé du navire lancé à pleine vitesse. Sur la passerelle, sous sa casquette galonnée d’or, le pacha imperturbable dirigeait la manœuvre. Le lourd cuirassé changeait de cap fréquemment, mais sa masse imposante peinait à réagir aux ordres. Un U-Boat maraudait sous la surface. Le navire de guerre était sa proie du jour. Cuirassé certes, mais pas au point de résister à quelques torpilles bien placées. Impossible de virer sèchement, de tourner à angle droit, comme un slalomeur sur les pentes neigeuses le bateau décrivait de belles arabesques. Régulièrement, les artilleurs du bord balançaient des chapelets de grenades sous-marines, un peu au hasard, en espérant toucher le squale noir qui zonait sous les eaux agitées de l’atlantique.

La première frappe fendit la proue dans l’axe du bateau, qui stoppa sous le choc avant de poursuivre sa route en piquant un peu du nez. Sur la passerelle le pacha trébucha, la barre vibra, les hommes se regardèrent. La deuxième déchira le flanc droit, la ferraille coupante déchiqueta les mécanos qui graissaient les moteurs emballés. Georges, abrité par une épaisse tôle blindée, remplissait sa pompe, la porte se tordit mais le protégea. L’eau froide de l’océan envahit en partie la salle des machines, un moteur explosa sous la caresse glacée. Le navire ralentit encore et prit un peu de gîte. Georges réussit à s’accrocher à la rambarde quand la coque blessée laissa vraiment entrer le flot vert et blanc, il se hissa à la force des bras, puis,  la vareuse en lambeaux, couvert de graisse et d’huile noirâtre, il gravit l’échelle de coupée. L’air glacé et les embruns cinglants le revigorèrent, il ouvrit grande la bouche pour respirer à pleins poumons et rejeter l’ait vicié de la salle des machines. La troisième torpille percuta la poupe, le grand navire sursauta, se cabra, Georges déséquilibré roula sur le pont avant, le blindage de la tourelle quadruple de droite l’arrêta, ses canons de 380 mm, impuissants contre l’ennemi sous marin, regardaient le ciel d’encre. Seul le tonnerre résonna quand la pluie se mit à tomber à tonnes rabattues. En quelques secondes on n’y vit plus rien qu’un brouillard liquide. Georges accroché à l’angle de la tourelle ne sentait plus son épaule gauche ensanglantée par une profonde coupure. Le Richelieu grinça comme une vieille tôle sous le marteau. Son arrière s’enfonçait déjà sous les eaux, quelques marins échappés de son ventre aux entrailles béantes, tentèrent de gagner les canots de sauvetage, mais l’inclinaison du navire, gueule en l’air, les énormes vagues noires qui attaquaient les flancs de la bête blessée, et le ciel qui déversait ses eaux comme si tous les dieux de l’Olympe s’en donnaient à cœur joie, emportèrent tous les hommes. Le pacha se tenait à la barre, le visage blême, les mains crispées sur le bois, les pieds agités de soubresauts électriques, il mourrait avec son Richelieu.

Agrippé aux rebords du canot, Georges attendit qu’il touche l’eau, libéra les amarres, souqua pour s’éloigner le plus loin possible, pour échapper à l’attraction du bateau qui s’enfonçait de plus en plus vite. On eût pu croire que l’océan était une goule affamée qui avalait sa proie. La proue disparut, Georges était déjà assez loin, il s’arcbouta sur ses rames de toutes ses forces pour résister à la succion des eaux. La mer blanche lâchait de grosses bulles bruyantes, des fragments de toutes sortes surgissaient des flots avant de retomber alentours. Quand le canot, aspiré par les force déclenchées par le cuirassé mourant, arriva sur site, la goule avait fini son repas, les dernières bulles de ce champagne sinistre finissaient de crever, une large tâche claire, d’un calme contrastant avec les hautes vagues déferlantes, s’installa, puis les flots recrachèrent des tonnes de fuel, la mer devint noire comme la colère des dieux, les vagues reprirent le dessus, la chaloupe connut les joies des montagnes russes.

Le ciel bleu avait balayé la rage, Georges somnolait sous une bâche au fond du canot depuis des jours. Sa large plaie s’était infectée, la fièvre le dévorait, il grignotait parcimonieusement les rations de survie trouvées dans l’embarcation, mais ses lèvres craquelaient sous l’effet du sel. Ses yeux bleus souffraient, la lumière hivernale, très crue, l’aveuglait, il grelottait de fièvre et de froid. Sans force, il était incapable de tirer sur le bois des rames, et la barcasse dérivait comme un bouchon au gré des courants. Georges perdit connaissance le septième jour.

L’océan luisait sous la pleine lune, il était d’encre de chine, d’huile lourde, immobile, réverbérant. Les étoiles s’y reflétaient, tremblant à peine tant le miroir était lisse. La fine étrave de l’U-Boat fendait les flots, de chaque côté un fin liseré d’écume blanche l’accompagnait. Quand Georges se réveilla, il était solidement sanglé sur une couchette étroite. Un officier en vareuse bleue l’informa dans un français approximatif, qu’il était désormais prisonnier du Reich, et qu’il serait débarqué dès que possible.

Phaedra Verrazano, de mère grecque et de père incertain, sortit de la prison sous les sifflements admiratifs des matons athéniens débraillés et rigolards. C’était le même rituel tous les jours en milieu d’après midi, quand les trois femmes chargées de la buanderie, en sueur et légèrement vêtues, quittaient leur travail. Sa     mère, native de Delphes, avait quitté Catane. Après la naissance de Phaedra, elle s’était retrouvée seule avec l’enfant. C’était un matin de plein été. Guiseppe n’avait pas reparu. La veille il était sorti “régler une affaire” avait-il dit. Son corps, bien abimé, avait été retrouvé, longtemps après, au pied d’une falaise de roches rouges, sur une grève de galets roulés par les vagues. Le sang sicilien coulait abondamment dans ses veines, pourtant ses yeux vert d’eau dénotaient un peu, mais sur sa peau safranée aux traits fins et ses cheveux aile de corbeau, son regard clair prenait une profondeur liquide particulière, et les reflets d’azur du ciel y ajoutaient une moire changeante qui la rendait irrésistible.

Après un long périple, Georges fut débarqué à Athènes et jeté brutalement sur le bat-flanc d’une cellule crasseuse. La prison était administrée par les Grecs, sous le contrôle d’un officier de l’armée allemande d’occupation. Très occupés par la résistance grecque, les allemands surveillaient de loin la marche de l’établissement pénitentiaire. C’est dire que le régime réservé aux prisonniers – principalement des détenus de droit commun – était relativement souple.       A vrai dire Georges était le seul prisonnier de guerre incarcéré. Il fut donc traité comme les autres, c’est-à-dire humainement. Lorsque les yeux bleus du marin croisèrent le regard d’eau douce de Phaedra, un jour qu’elle déposait dans les bureaux les grands sacs de linge propre du jour, Georges qui avait été affecté au nettoyage des lieux, fut proprement subjugué et surpris de l’être à la fois. C’était la première fois qu’il la voyait, pourtant elle lui sembla étrangement familière. Des images inconnues, des visages, des lieux, des scènes violentes, défilèrent dans sa tête à toute vitesse. Au point d’en oublier la réalité, des lieux, de sa situation de prisonnier, du désespoir qui le gagnait jour après jour, de la présence des gardes même. Phaedra, qui se moquait ordinairement des regards et des sourires salaces des hommes, habituée à repousser leurs avances maladroites, s’étonna de l’émotion qui la gagnait, du sentiment puissant qui la paralysait elle aussi. Ils restèrent face à face quelques secondes, sans pouvoir ni parler, ni bouger. Les gardes, alertés, sentant confusément qu’il se passait quelque chose, intervinrent, et renvoyèrent Phaedra à sa buanderie. Georges fut bousculé, jeté à terre, copieusement insulté par les matons jaloux, et remis durement en cellule.

Quelques semaines passèrent, le caractère insouciant des gardes reprit le dessus. L’incident passa aux oubliettes. Mais ni Georges ni la jeune femme ne réussirent à l’oublier. Ce fut Phaedra qui renoua, et Georges ne s’en étonna pas. L’un et l’autre se sentaient dépassés, quelque chose venu d’ailleurs, quelque chose d’avant la vie, remontait à la surface sans que leurs consciences actives n’y puissent rien. Phaedra, en deux sourires au chef des matons, fut affectée au ramassage du linge. Elle demanda l’aide d’un détenu chargé de la collecte préalable. Finement elle œuvra pour que Georges soit désigné, arguant du fait qu’un  voyou de bas étage pourrait se montrer dangereux, alors que le français était un soldat, donc certainement plus fiable. C’est ainsi, qu’une fois par semaine, ils purent passer près d’une heure ensemble. Georges poussait le chariot, levait les gros sacs lourds, tandis que Phaedra pointait minutieusement, en prenant son temps, toutes les pièces de linge. Enfin, le jeune homme ramenait le chariot débordant jusqu’à la buanderie pour le décharger et vider les sacs. Leurs yeux se souriaient, leurs mains se frôlaient, mais leurs visages restaient impassibles. Nul besoin de se parler, entre eux tout était évident, ils partageaient la même bulle bleue, leurs auras se confondaient. Le soir, Georges, allongé sur sa paillasse, le regard fixe, luttait contre le désir qui lui serrait les reins, Phaedra ne trouvait pas le sommeil et soupirait entre ses draps. Dans le ciel de pur jais, la pleine lune trouait le velours de la nuit, les étoiles vivantes scintillaient en cadence. Le mois de septembre 1944 avait été torride, le bruit du départ des troupes allemandes courait dans tout le pays. La prison de Korydallos s’agitait aussi, on n’y avait pas vu le major Trauttman depuis plus d’un mois. Les gardes inquiets relâchèrent brusquement leur surveillance le 2 octobre. Le 12 l’armée d’occupation quittait les terres grecques. Georges et Phaedra avaient fui dès le 3 octobre sans que personne ne songeât à les en empêcher.

Zeus le bouc noir courait dans la montagne au milieu des roches grises et des herbes rares. Une douzaine de chèvres à barbichettes le suivait en béguetant entre elles. Leurs cris rauques et tremblants rebondissaient sur les parois abruptes. Le bouc s’arrêta au milieu d’un bouquet de chardons que les chèvres s’empressèrent de croquer. Quelques ruades empêchèrent le mâle noir insatiable de saillir les croupes blanches offertes. Georges, debout sur une grosse roche ronde, surveillait le troupeau. Au loin, la mer réverbérait le soleil de l’après midi. En ce mois de septembre 1948, à moyenne altitude, il faisait un temps idéal sur le flanc est du mont Olympe. Phaedra et lui s’y étaient réfugiés après leur fuite de Korydallos. A mi-pente ils s’étaient abrités, alors qu’un gros orage éclatait, dans une large grotte de granit qu’ils avaient élue, puis au fil du temps sommairement aménagée. Ils menaient une vie simple, se nourrissaient frugalement de quelques légumes sauvages et de fromage frais. Tapis au fond de leur grotte au sol recouvert de peaux de chèvres et d’herbes sèches, ils passaient de longues heures silencieuses blottis dans les bras l’un de l’autre. L’émerveillement ne faiblissait pas, il leur arrivait souvent d’avoir les larmes aux yeux, pour un geste gracieux de Phaedra, un sourire de Georges, une flèche de lumière rouge qui trouait la grotte au coucher du soleil. Les deux fugitifs s’aimaient d’un amour tendre, têtu, fort, cristallin comme une eau de source, entrecoupé d’ébats aussi soudains que fougueux. A la tombée du jour, à l’heure où les dieux s’assoupissent, Georges passait des heures à se perdre dans les cheveux de sa belle, sa peau hâlée, pneumatique à souhait, l’enchantait, il aimait à s’y promener doucement, à se nourrir de sa souplesse, à l’embrasser à petits coups de langue humide qui faisaient glousser la jeune femme.

De son côté Phaedra roucoulait doucement, la tourterelle aux plumes soyeuses enfouissait son visage dans les cheveux en bataille de celui qui fut un marinier plongé dans la tourmente par la folie des hommes, elle susurrait des chants étranges venus de l’aube des mondes, qui la surprenaient elle même, ses mains enserraient le visage du soldat, elle le tenait, inquiète et tremblante comme si elle craignait de le voir disparaître, effacé par la magie noir d’un succube pervers, dans un écran de fumée, elle était terrorisée à l’idée que le ciel étoilé pourrait le lui ravir dans un embrasement soudain. Instinctivement elle détestait l’étoile polaire, attendant que la nuit fut installée avant de lever les yeux vers la voûte illuminée. Quand ils montaient les chèvres au pâturage Georges faisait le bouc, Phaedra s’enfuyait en courant, se cachait entre les pierres, Georges faisait mine de la chercher, puis la cherchait vraiment, ne la trouvant pas il prenait peur, s’affolait, l’appelait, gémissait, elle ne répondait pas. Quand, épuisé, désespéré, il finissait par s’asseoir sur un rocher, le dos ployé, la tête entre les mains, tellement inquiet qu’il en négligeait le troupeau, elle surgissait dans son dos, vive, agile comme une fée des cimes, riait dans son oreille, le chatouillait et repartait aussitôt en faisant sa cabrette.

Le temps passa, les hivers rigoureux succédèrent aux étés fleuris, ils vieillirent ensemble sans s’en apercevoir. Une nuit d’été finissant, la voie lactée traversait le ciel d’un infini à l’autre, étendus côte à côte, ils s’en délectaient. Soudainement la lune et les étoiles s’éteignirent, ce fut nuit absolue, ils se prirent la main, soupirèrent ensemble, leurs yeux se fermèrent et ne se rouvrirent jamais. Zeus le bouc noir sauta la barrière de l’enclos, seuls ses billes d’ambre brillaient dans l’obscurité totale, il lécha longuement à grands coups de langue râpeuse les visages des amants purs aux âmes envolées. La lune et les étoiles se rallumèrent.

DODO PAS LÀ.

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La Chimère de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dodo moi, là

Sucre candi fraise tagada

Sous les bateaux de la Volga

Les sirènes roulent des yeux de chat

Ils sont partis très loin là-bas

Manger des noix et des rats gras.

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Dodo toi, dis

Fraise tagada, sucre candi

Sur le navire, la belle houri

Ventre de paille dents de souris

Danse la ronde du roulis.

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Dodo moi, dis

Noir salsifis ou blanc radis

Comme une poule dans un taudis

Tonne le ciel tombe la nuit

Voici que crient les yeux rougis.

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Dodo là, toi

Jambe de bois et chocolat

A l’embouchure du grand delta

Où nagent lisses les chinchillas

Voila que grouillent les cancrelats.

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Dodo, moi, toi

Crème de chou et cacao

Dans la soupente entre leurs bras

Des rêves jaunes de tequila

Et le sang coule du coutelas.

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Dodo toi, leurre

Petits malheurs des tristes heures

Canaille pâle morte de cœur

De tes doigts blancs sourdent les peurs

C’est le printemps des aboyeurs.

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Dodo moi, non

Tige de lys pelure d’oignon

Dans les ténèbres du cabanon

Pleure la voix du tympanon

Les chants des moines en pâmoison.

LAS VEGAS CITY.

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Las Vegas from the sky.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Burt roulait depuis des heures en provenance de Los Angeles. La Buick verte filait au milieu du désert. Sous le soleil éclatant la tôle brillait comme une pomme crue au verger. Pour la dixième fois au moins, il avait tout quitté pour tenter à nouveau sa chance sur le Strip. Au Cæsars Palace précisément, l’un des plus anciens établissements de cette “fucking city” de tous les hasards. Burt n’avait jamais dérogé, le Cæsars Palace était son casino fétiche et le demeurerait, jusqu’à ce qu’il fasse, une nuit faste dont il rêvait souvent, exploser la banque de ce temple mythique. Sous son stetson à large bord il suait à grosses gouttes, pourtant il roulait toutes vitres ouvertes, mais le désert de Mojave, impitoyable, le tenait entre ses mâchoires de feu. L’interstate 15 tranchait les sables clairs du paysage désolé, droite comme une lame noire, étroite comme la langue de basalte du diable ricanant qui le guidait. Cette image terrible, ce diable a la peau rocheuse, gueule ouverte et langue de bitume roide, revenait elle aussi, sans cesse, au cœur de ses nuits insomniaques. Sa vie oscillait ainsi, entre espoirs insensés et cauchemars terrifiants. Alors il trimait comme un fou, se tuait à la tâche, prenait tous les risques pour accumuler de quoi saupoudrer sa route vers le paradis des chimères. Chacun des grains de sable de cette terre aride et désolante brillait comme pépite d’or fin.

Carolina ondulait au rythme saccadé de “La Grange”. Elle dansait accrochée à sa barre, ses petits seins d’ivoire aux tétins noirs ne bronchaient pas, ses hanches étroites soulignaient sa croupe joufflue entre lesquelles une ficelle de tissu rose se perdait. Son contrat prenait fin bientôt. Tout en se balançant elle se demandait ce qu’elle deviendrait. A trente cinq ans sa carrière de pole danseuse touchait à sa fin. Au mieux elle se dégoterait un boulot de femme de chambre, un boulot de misère. Au pire elle accepterait quelques soirées avec des texans bouseux en goguette. Elle les connaissait bien les éleveurs de bêtes à cornes, un peu rustres, mais généreux et inoffensifs après une soirée bien arrosée.

ZZ Top assurait. Sur les riffs rageurs qui lui faisaient trembler le ventre Carolina se donnait à fond, elle tournait autour de la barre, se cambrait, ses fesses mafflues s’agitaient devant les groins des hommes aux visages rouges de désir. Les billets verts tendus par les mains avides s’accrochaient en grappes à son string pinky. Quelques doigts parfois la frôlaient, certains se posaient un dixième de secondes sur ses cuisses, mais la fille, comme une anguille, s’échappait en souplesse, le regard dur et le sourire éclatant. Les hommes aux regards glaireux battaient des mains en cadence, lui lançaient des invitations sans équivoques qu’elle n’entendait pas. La routine. Son corps faisait le job, mais sous le casque coiffé court de ses cheveux aile de corbeau son esprit s’évadait. Cela l’aidait beaucoup. Elle se voyait courir dans la prairie grasse de son enfance au Wyoming. L’herbe haute lui arrivait aux genoux, dans le vaste enclos, non loin de la ferme, la jument bai et son petit paissaient paisiblement. Pendant ce temps, insouciante, elle cueillait avec application une brassée de fleurs multicolores qu’elle agençait en un gros bouquet odorant. Ziggy le poulain la surveillait du coin de l’œil. Quand elle disparaissait à demi sous les beautés en pétales, il quittait sa mère, galopait vers elle en hennissant et cherchait à croquer les corolles appétissantes. Carolina s’enfuyait en riant, poursuivie par le yearling joueur qui la poussait du bout de son museau de velours gris. Un jour qu’elle jouait ainsi, une colonne de fumée noire s’éleva du corps de ferme en flamme. Ce jour là son enfance prit fin.

Le stetson suant repoussé vers l’arrière et le bolo à tête d’aigle desserré, Burt entra dans le hall immense qu’il connaissait par cœur. Louer pour trois nuits la 1555, sa chambre fétiche, ne lui prit qu’un instant. La chance planait, il la sentait lui chatouiller le sommet du crâne qu’il avait à moitié chauve. Il aurait quarante ans le lendemain, il comptait bien fêter ça au bar, les poches gonflées de “Franklin” neufs et craquants, à se gorger de  Bourbon sec ou de Rye glacé, puis s’en aller dormir au comble du bonheur sur son épais matelas de billets arrachés de haute lutte aux coffres du veau d’or. Oui Burt était comme ça depuis vingt ans, depuis 1966 date de l’ouverture du Casino, périodiquement il quittait tout, persuadé qu’il allait faire fortune en trois tours de Black Jack et quelques tables de poker, ponctués de séances de bandits manchots pour se détendre les méninges et faire tomber la pression.

Après sa longue journée d’acrobaties érotiques, Carolina, assise haut perchée sur un tabouret, buvait une eau gazeuse au Shadow Bar. Non loin d’elle un grand gaillard en chemise de cow boy riait, parlait fort à la barmaid court vêtue qui lui souriait machinalement. Burt avait déjà perdu la moitié de son pécule, alors il buvait des coups pour se redonner du courage. Sous sa chemise de jeans, cravaté de son bolo porte chance, un crâne de bœuf à longues cornes, il sentait malgré l’air climatisé une rigole de sueur chaude qui coulait dans son dos. La chance allait tourner, il le sentait bien. Deux fois déjà, à un point près, il avait failli faire un gros coup au Black Jack. Au poker aussi il était passé près du jack pot, pour un brelan de valet contre son brelan de dix ! Ce n’était pas le moment de faiblir.

Une violente odeur de tubéreuse lui chatouilla le nez. Il se retourna vers la fille brune qui venait de quitter son tabouret pour s’asseoir à côté de lui. Elle souriait en le regardant, un drôle de sourire triste, désenchanté. Une bien belle femme se dit-il, tout en se demandant ce que pouvait bien être cette cendre grise qui flottait dans son regard cannelle ? Ils parlèrent un peu, enfin Burt surtout, Carolina se contentait de le détailler l’air de rien. Ses moustaches grisonnantes à la gauloise, sa mâchoire carrée, ses dents blanches, son attirail de gardien de vaches, ses grands battoirs calleux surtout, ne lui déplurent pas. Et cette candeur d’enfant qui luisait dans ses yeux gris l’émut un peu. L’image de ces mains puissantes lui tenant très fort le bassin la fit frissonner. Elle eut envie de se pencher devant lui. Burt avait peu l’habitude des femmes, il fut vite au bout de ses compliments à deux sous, de ses blagues de vacher aussi. Dans le brouhaha du bar le silence s’installa entre eux. Carolina souriait légèrement, elle flottait au-dedans. La présence de ce grand gaillard maladroit et pataud qui la regardait gentiment, sans arrières pensées lourdement apparentes, lui faisait du bien. Elle poussa un soupir de bien être en souriant un peu plus, quand un individu chapeauté, vêtu d’un pantalon à grands carreaux et d’une veste d’un bleu électrique à donner mal au crâne, s’interposa entre le colosse et elle. La liasse de billets qu’il tenait d’une main désinvolte bruissa à deux centimètres de son visage, l’homme la lui promit contre une petite promenade à l’étage. Il ne put en dire plus. Burt, sans bouger de son tabouret, le tenait crocheté, veste et chemise tordues d’un demi tour de main, sa poigne puissante lui avait coupé net le sifflet. L’intrus gigotait, ses pieds ne touchaient plus le sol, ses cheveux teints débordaient de son chapeau de travers, il ressemblait maintenant à une tomate trop mûre, son bolo raccourci lui sciait la gorge, il hoquetait. Burt relâcha sa prise, l’homme s’écroula sur ses bottes. Carolina fut surprise par la rapidité avec laquelle le cow boy avait réagit. Son visage avait grisé, deux rides profondes lui creusaient le visage et ses yeux bleus clairs viraient au bleu noir des profondeurs. Mais dès qu’elle le regarda, son regard redevint lagune, une vague de douceur transforma instantanément sa physionomie.

Carolina, émue aux larmes, remercia Burt d’un imperceptible battement de paupières, ses lèvres tremblaient, le texan lui caressa la joue du bout d’un doigt en lui tendant les clés de la Buick. “Je joue mes derniers dollars, je rafle la mise et je vous rejoins” lui dit-il, “nous irons voir le soleil se lever sur Sunrise Moutain”.

Les lumières de la ville étaient si puissantes que le ciel aveugle était d’un noir profond. Les yeux levés, accoudée à la voiture, la jeune femme cherchait les étoiles. Dans le ciel si pur du désert de Mojave, elles devraient scintiller comme jamais pensait-elle. Alors elle attendit patiemment qu’elles percent les ténèbres. Petit à petit le ciel s’éclaira. Au dessus des Sunrise l’étoile polaire apparut la première, puis l’immensité du ciel se mit à clignoter. Soudainement un éclair puissant et silencieux fendit la voûte, une zébrure violette zigzagua entre les étoiles et se résorba au-dessus de Alpha Ursae Minoris. Alors la polaire devint aveuglante tandis qu’une pluie d’éclats de lumière tombait lentement autour de Carolina.

La roue tourna une dernière fois, cliqueta longtemps, la boule hésita longuement puis roula sur le trois. Blanc comme un linceul Burt se leva et se dirigea vers le parking. La voiture démarra. Ils s’en allèrent vers les montagnes. Carolina posa doucement sa main sur le genou de Burt. Ils partirent d’un même éclat de rire joyeux.

UN ÉCUREUIL.

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L’Oscar de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Oscar et sa queue rousse posée dessus sa tête

La touffe de poils flous lui fait une chapka

On dirait un boyard paré pour les grands froids

L’hiver peut tempêter, l’écureuil est poète.

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A l’abri des branchages, il croque des noisettes

Réfléchit et compose de longues élégies

Ses petits yeux brillants, toujours surveillent et guettent

Sous son pelage roux s’opère la magie.

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Cachée dans les fourrés la martre se régale

A l’idée de sucer le sang du flamboyant

Dans le ciel gris du soir un Autour rouge pâle

Cherche à faire bonne chair de l’amateur de gland.

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Oscar le roux rapide s’est tapi dans son tronc

Il a senti la mort, son regard de métal

Bien à l’abri du bois il peigne son plastron

Puis se casse une noix d’un coup de dent brutal.

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Par la fente de l’arbre il regarde alentour

Sous les couleurs d’automne la nature saturée

Les feuilles sous le vent, le ciel blanc devient lourd

Dans son nid de poils doux il tricote un sonnet.

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A le voir si mignon on le croirait fragile

Quant à la nuit tombée un oisillon distrait

A chanté deux trois notes demandant un asile

D’un coup de croc rageur le rongeur l’a saigné.

LE PRINTEMPS SE PRÉPARE.

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L’oiseau bec clos-cousu de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La neige est sur le sol comme la mort sur la peau.

Sous la poudre figée que la glace transforme,

le ciel étreint la terre. Ses griffes broient son dos.

Le silence est total, et même le vieil orme

A replié ses branches. Tandis que les oiseaux,

Le bec cousu de fils, blottis en berlingots

Dans leurs nids de bois sec, sous le ciel des roseaux,

Oublient jusqu’à leurs chants. Le rossignol muet,

Tel une carpe noire, caché dans les fourrés,

Balbutie quelques notes pour ne pas oublier.

Oublier que la vie, à l’abri des regards

Englués des humains aux paupières sans fard,

Remonte des abimes. Le printemps se prépare.

UN MÉROU.

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La De : Mérou en habit de fête.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans le fond de la grotte, sous la lumière bleue,

On ne voit que sa bouche, qui s’ouvre et se referme

Au rythme régulier des courants sous marins.

Surtout prenez bien garde ! Ne laissez pas vos mains

Près de ses grosses lèvres et de leur sourire blême,

Ne vous fiez surtout pas à son regard brumeux.

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C’est un très beau nageur à la livrée piquée

De tâches d’ivoire sali. Placide le gros baigneur,

Plus rapide qu’un naja saura vous avaler,

Bien avant que naïf, confiant, un peu dormeur,

Vous ayez pu comprendre que vous êtes croqué.

Personne n’aura rien vu, badèche est un saigneur.

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A longueur de journée, il flotte entre deux eaux,

Immobile et songeur. Tous les poissons l’évitent,

Le labre nettoyeur s’arroge tous les droits,

Il grimpe sur le râble du mérou qui l’invite,

Picore dans sa gueule, ne connait pas l’effroi.

On l’appelle Roméo le nettoyeur faraud.

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Le bougre a une copine, la loche Philomène,

On dirait sa jumelle aussi grosse que lui,

A deux ils vont chasser la girelle jolie,

Le homard à pois bleus et ses fines antennes

Ou l’anguille fluide au longs corps fuselé.

Quand la terreur foudroie, la faune est affligée.

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La mer est comme un lac, où se mirent les fous,

Sous les flots impassibles flâne le roi mérou.

UN BOUC.

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Le beau bouc de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Un bouc aux longs poils noirs, aux cornes tourmentées

Aux yeux couleur citrine veinés d’ambre vieilli

Fendus en leurs milieux, un vrai regard de diable

Quand il charge tout droit, ils ne cillent jamais

Sa lourde tête penche sous le poids des années

C’est un  fauve farouche aux effluves musquées.

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Quand la nuit est tombée, le bouc aux lèvres fines

Campé sur ses jarrets perce le ciel obscur

Il attend patiemment qu’arrivent en rangs impurs

Les succubes et les vouivres qui peuplent les marais

Les cabrettes et les chèvres se pressent contre lui

Sa voix grave résonne jusqu’au matin bleui.

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C’est une bête étrange au râble torturé

On dirait un navire remontant la marée

Plus rapide que la foudre il dévale les pentes

Et chasse ses rivaux à coups de cornes lentes

Il défonce les murs et perce les murailles

Le démon est en lui qui hurle quand il braille.

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Son sang de charbon noir bat dans son cœur de bronze

Entre ses cuisses fortes frémit un marteau lourd

Ses bourses sont des châtaignes, son lait épais et gras

Sa barbe de prêtre fou, sa bure de laine forte

A saillir violemment les femelles offertes

Il regarde les cimes en bêlant comme un reître.

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Les chevreaux de l’année jouent entre ses pattes

Le bouc ne bronche pas, on le croirait ailleurs

Mais il penche le col, son regard démoniaque

Prend des teintes pastelles d’agrumes mûrs et doux

D’un mouvement si vif que nul ne peut le voir

De sa langue râpeuse il baise leurs museaux.

UNE GIRAFISSIME.

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La girafissime de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Elle fait sa révérence devant les eaux du fleuve

Ses longues pattes folles dérapent dans la boue

La girafe a la mine d’une reine déchue

Ses sabots sont fendus, ceux d’un diable fourchu.

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On dirait que sa tête a pris de furieux coups

Des coups de soleil sage ou des coups de bambou.

Maître Yoda fardé aux grands yeux de gazelle

Sous des cornes velours une moue de princesse.

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Quand Dieu est fatigué il puise dans son stock

Des bouts de vie brisées qu’il assemble au hasard

Tout là haut dans le ciel c’est un sacré bazar

Et Sophie la girafe après l’électrochoc.

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Quand Livingstone a vu cette grande improbable,

Il s’est agenouillé et a remercié Dieu,

Une telle prouesse ne peut qu’être divine,

Quand le beau et le laid engendrent telle race !

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Ébloui, amoureux, il a voulu que voie

Cette reine des brousses, son île au cœur si froid

Alors avec douceur, l’a descendue en cale

Et de bonnes hautes feuilles l’a nourrie tout du long.

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Descendue sur le quai à force de palangre

Sophie dégingandée a retrouvé le sol

Elle a tangué un peu, la mer bougeait encore

Puis les pavés de pierre ont griffé ses sabots.

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En l’espace d’un jour, elle a conquis les foules

Tout le monde se pressait et ça sentait la moule

Sur les quais envahis les femmes se pâmaient

Au bout d’une semaine Londres se l’arrachait.

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La Reine d’Angleterre l’a conviée au palais

Autour de biscuits verts elles ont bu un thé noir

Elles ont ri de bon cœur en mangeant des beignets

A Buckingham Palace leurs robes se sont prêtées.

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La reine d’Angleterre en peau de tavelée

Et Sophie la girafe en tailleur jaune citron

Ont dansé comme des folles en bas résilles gainées

Aux abords du palais on a vu des tigrons !

SOUS LE HAUT MARBRE ABUSÉ DE HAUT-MARBUZET…

  Vieux tannin de Bordeaux.

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Un célébrissime Cru Bourgeois ce Château Haut-Marbuzet, si l’on en croit les encensements « Burdigalophilesques ».

L’initiale pour moi… Dans un millésime de bonne réputation, 1996. Alors une originelle, quand même, ce n’est pas rien. Timidité, appréhension, manque de confiance en soi. Soit ! C’est à vivre, et c’est souvent – si j’en crois mes amis qui sont riches et beaux – le « meilleur moment » (expression vague et conne à la fois). Parce qu’une rencontre liminaire, et plus encore un premier regard, ça fait monter la boite à sang dans les tours. Ça mets une légère et douce sueur au front, après que ça vous a forcé à prendre une douche à une heure inhabituelle ! C’est dire combien c’est plus important qu’un amour érodé par la routine, un « princeps » vinique ! Tremblant mais concentré (c’est le moins quand on s’apprête à mettre en bouche une réputation affirmée), l’oeil mi-clos, genre « suis mort de trouille mais fais mon Raminagobis qu’en a croqué plus d’une », je regarde la belle dans son strict habillage Bordelais. Hé oui le long de l’estuaire on est plus Chanel que Lacroix ! De la sérieuse, de la parpaillote, de la classieuse, cette bordelaise qui vous annonce que vous n’êtes pas en pays de packaging branché vulgaire mode, mais en paysage de plaine éternelle, dont la rectitude est à peine dérangée par quelques croupettes anorexiques. Pas la dégaine ondulante à Saint Estéphe. Pas le style bimbo qui vous fout ses nichons oblongs sous le nez avec des lumières partout pour que vous ne les manquiez pas. Pas le style non plus à se tortiller en souffrant dans une peau de tissu tendue à craquer qui transforme une mal lipposucée en une généreuse Venus Hottentote. Ni fiasque, flacon, chopine, fillette, fiole, pot ou rouille ! Une stricte bordelaise donc. A prendre avec des pincettes… avant d’oser la bousculer un peu.

Si tout va bien. Si elle le veut bien…

Passer ensuite à l’étiquette qui habille l’immobile protestante. Et la couvre généreusement. Aux antipodes de ces cache-sexes aussi tarabiscotés qu’étroits qui ornent et parfois défigurent (défiguré par une feulle de vigne !) les flacons modernes. Un Canson crème finement strié. Lettrage classique gris et bâtisse rectangulaire clôturée, du même tonneau. Devise courte qui annonce le goût de l’excellence : « Qualité est ma vérité ». De quoi m’inquiéter, moi qui suis déjà coi ! Puis vient le temps de l’ouverture, de la fracture du Temple. La capsule d’alliage ductile est lourde, que je tranche précisément. Sous la robe d’étain entrouverte, le cercle parfait d’un bouchon sain. Que je vrille lentement, bien au centre, avec respect, humilité, sourcils froncés et lèvres humides. Enfin j’extraie en douceur le long doigt de bon liège qui ne ploppe pas comme une vulgaire boutanche de Bojo fille de joie. Je n’ose nettoyer l’embouchure du doigt, comme je le fais ordinairement avec les vins que l’on me sert dans les bouges mal fâmés. Tissu de soie, geste tendre et précis. Inutile même car l’oeil est clean, mais la caresse est si douce…

Mon verre aux formes accueillantes s’étonne de ce jus muet qui glisse, silencieux, au long de la fine paroi de cristal. Plus encore, les quelques larmes discrètes qui rejoignent lentement le disque sage de ce vin bien élevé, ne laissent pas de le surprendre, lui, habitué à ces vins bruyamment généreux qui lui graissent le glissoir de mutiples Ponts du Gard épais. Le vin est dans le verre, qui demande l’air et le calme. Je vaque puis reviens, vaque à nouveau. Jusqu’à ce qu’il veuille bien. Patient je me laisse aller à rêver, l’oeil aux vagues, sur la robe apaisée. Coeur de grenat sombre, à la limite de l’obscur, dans sa ganse de rose vieillie. Quelques moires oranges, mais à peine, à la frange du disque.

Comme un rubis fondu.

Le temps a passé sans que le vin soit agité. Au dessus plane encore le fumet gras des tripes d’un lièvre qu’aurait nuitament éventré un 4*4 distraît. Qui disparaît, trois tours de poignet faisant. Après seize années de claustration, il faut bien que miasmes s’échappent. Un bouquet, le terme est mérité, de notes mêlées en parfum. Complexe. A la découpe, besogneuse, j’ose distinguer le sous bois mouillé de la propriété, le café de l’office, le cade de l’étable, le cèdre du parc, le bois de crayon du comptable, l’ardoise du toit du Château, le toast du petit déjeuner, les pruneaux au rhum du soir et les épices d’importation.

Enfin vient le temps de l’imploration. La bouche timide, humide, tremblante qui se moule sur le buvant du verre au bord des lèvres. La première gorgée qui ne l’est pas encore. Et caresse la langue de ses sucres frais (mais pourquoi parle t’on d’attaque du vin ? Des brutaux sans doute ? ), avant de s’épandre comme marée montante jusqu’aux cimes du palais. La matière mûre est à l’avenant du nez, refaisant d’identiques gammes. Toast, café, chocolat… Longtemps le vin voyage en flux et reflux, de la pointe au plafond. Fraîcheur, tannins et tissu de soie rêche finissent, après un dernier relevé de luette, par plonger vers la mort acide des profondeurs. Dans la salle mouvante aux papilles érectiles figées, le tapis noir des tannins du bois et du vin, unis par l’âge, recouvre de sa trame fondue, plis bosses et creux, lacs et vallées désertées.

Mais voici que me reviennent en mémoire,

Les coteaux en parcelles de ma belle Bourgogne,

Et ses pinots aussi…

 

EENMOGLUTIÉECONE…

UN COUCOU.

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La De et son rouge Coucou.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Il chante le coucou gris, il chante ses deux notes,

Maraude autour des nids en convoitant les œufs,

Les œufs tous chauds pondus par les grives volages,

Parties chasser là-haut pour se remplir la hotte,

Et le coucou matois, caché dans les branchages,

Entre les feuilles vertes épie le courlis bleu.

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Sur ses pattes aussi grêles qu’une paire de sarments,

Le long bec, sur la mare court le petit poisson,

Et le coucou hésite, la grive ou l’échassier ?

Le drame du voleur c’est d’avoir la tremblote,

A balancer sans cesse entre deux mêmes notes,

Comme une pendule Suisse sur le mur d’un chalet.

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Pendant qu’il réfléchit et se gratte les plumes,

La bécasse s’inquiète, elle déserte la dune

Pour retrouver son nid et ses six œufs tout frais.

La grive musicienne, juste après son marché,

Est retournée dans l’arbre couver ses espérances.

Tragique indécision, nul gîte en déshérence.

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De rage il a volé au dessus des grands monts,

Le désespoir au ventre en guise de raison,

Au sommet d’un grand pic il s’est posé vaincu.

Epuisé, affamé, l’oiseau ne chante plus,

Sur un tas de branchage il a fermé les yeux.

Qui dort dîne dit-on chez les bons religieux?

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Enfoui dans les branches, il a dormi longtemps,

Le coucou a rêvé de grands nids flamboyants,

Remplis de milliers d’œufs de toutes les couleurs,

Sur des duvets brillants qui faisaient son bonheur.

Il les jetaient à terre, débarrassait les lieux,

Pour en faire un logis confortable et spacieux

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Quand il s’est réveillé, perché au bord de l’aire,

Deux petits yeux cruels le regardaient d’un air

A lui glacer le chant. Un grand aigle battant

Glatissait comme un diable, prêt à trouer son flanc.

Le cŭcūlus vaincu se coucha sur le dos,

Les ailes écartées en coucoulant mezzo.

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D’un coup de bec vengeur, le rapace indigné

Lui a percé le cœur, et le sang a coulé.

Gentil coucou voleur, évite les paladins,

Continue tes larcins à l’abri des jardins.

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