Littinéraires viniques

PÉPÉ JEAN…

Earl Bird. Peter Fendrik.

 Pépé Jean était souvent humide à marée basse.

Il avait aussi du mal avec le haut, qui n’en faisait qu’à sa pauvre tête. Mais comme à toute chose malheur est bon, les oublis du haut le protégeaient des catastrophes du bas…Le matin, au réveil qu’il avait pénible, il gardait par malchance – l’humour peut être assassin – le souvenir douloureux de ses cauchemars. Le nez dans son oreiller qui puait la hyène, il ressassait les agressions multiples, endurées au coeur des vibrations basses, de ses sommeils successifs et agités. Dans les entrelacs de ses vieux os fragiles, s’épanouissaient les douleurs lancinantes, qu’il avait subies de tous côtés, dans le temps ramassé de son mauvais repos. Les visages flous des jeunes gens qui l’avaient tabassé, lui broyant les os, à longueur des temps nocturnes qui s’étiraient, longs comme des jours de plomb, le hantaient. Le masque crispé par l’effort, il sollicitait sa vieille mémoire, fondante comme une guimauve amère, lui demandant sans trop de succès, le réconfort fallacieux des souvenirs élégants de ces vieux pinots fondus, que la veille encore, il avait du déguster. Mais ses papilles, racornies par une respiration hésitante et sifflante, ne retrouvaient plus le charme fulgurant, des vieux vins de Bourgogne qu’il affectionnait tant…

Ses forces étaient comptées et ne le sortaient de la misère du réveil, qu’au prix d’une patience toujours à renouveler. L’attente n’en finissait pas et les ombres de la nuit, continuaient à le martyriser, longuement. Sous les persiennes closes de sa chambre sinistre, perçait un jour blafard. Mars était au summum. Le ciel, noir des giboulées à venir, emprisonnait la lumière du jour. Il lui faudrait, une fois encore, affronter le cours poisseux des heures interminables qui rythmaient ses espoirs déçus.

Il lui semblait que vingt ans avaient coulé, depuis qu’il avait réussi, au prix d’un effort inutile, à se réfugier dans le fauteuil crasseux, au creux gluant duquel, il redoutait le retour inexorable de ses terreurs nocturnes.

Une bouteille, belle comme un soleil levant, lui faisait de l’œil. Midi n’en finissait pas d’arriver. Les aiguilles arrêtées des montres de sa vie refusaient d’avancer.

 Il décida qu’il était temps.

Sous sa paume usée, le verre de la bouteille crissait. Le bouchon fit un bruit de fêtes anciennes, quand il quitta à regret le col trop étroit du flacon. L’étiquette toute neuve qui affichait : Morey Saint Denis «Les Millandes» 2005. François Legros avait accompagné ce vin, de la fin de l’été aux brumes montantes de l’automne. Longtemps, le jus précieux des grappes juteuses de ce pinot d’une belle année, s’était épanoui dans le silence feutré d’une futaille de chêne de noble origine. Quatre ans déjà qu’il était né. Pépé Jean se dit que le temps d’une transfusion de bonheur était peut-être venu. L’espoir d’une régénération temporaire lui fit entrevoir une heure de grâce, qui illuminerait un instant son quotidien souffreteux. Retrouvant quelques forces, il versa le rubis lumineux dans une carafe au cul large. Le jus soyeux, vigoureusement agité, lui rappela le clapot des mers tropicales contre la coque effilée des Bangkas Philippines, tandis qu’au zénith de son âge, il plongeait au cœur tiède des paradis marins.

Dans le verre aux formes féminines, qu’il avait sauvé du désastre quotidien de ses maladresses séniles, il plongea le nez. Il avait pris soin, juste avant, de soulager son appendice couleur d’ivoire, de la goutte grasse qui l’ornait ordinairement.

Mais le vin, replié comme un papillon dans son cocon, lui donna peu. Quelques notes d’un cassis, qu’il imagina plus qu’il ne sentit vraiment, lui caressèrent les narines. Il se persuada au prix d’un terrible effort de mémoire, qu’une fragrance éphémère de fruits rouges, rehaussée de quelques senteurs grasses de terre humide, arrivaient timidement jusqu’aux synapses fatiguées de son cerveau ramolli. Cette succession de petits orgasmes olfactifs lui mirent les larmes aux yeux.

En tremblant de crainte, il porta le verre aux lèvres. Quelques gouttes du sang de cette terre qu’il aimait tant, s’échappèrent et mirent de la couleur sur le tissu gris de sa chemise élimée. Autant de pierres de lumière incarnate, qui changèrent sa chasuble craquante, en un pourpoint royal. Une onde chaude, d’une joie pure qui le surprit, couru sous son torse décharné. Il tressaillit comme un oiseau qui se réveille. Les images délétères de la nuit disparurent un moment.

 Rien que pour cela, il fut heureux.

Le jus frais et tendu mouilla ses muqueuses desséchées. Sa bouche tressaillante, happa maladroitement le nectar. Il ferma les yeux. Ce fut une minute qui s’étira dans l’absolu d’un ravissement infini. Pourtant, il le sentait bien, le vin ne se donnait pas, tout enfermé qu’il était dans les limbes hermétiques de sa jeunesse, comme un contrepoint sarcastique à son âge canonique…

Il se résolut, totalement désespéré, à avaler le vin. Sa glotte qui n’était plus synchrone, se trompa. Il toussa comme une trompette percée et sa trachée brûla, lui fit un mal atroce, tandis qu’il lâchait le verre. Le vin roula sur ses cuisses de serin. Le nectar, moitié bu, moitié craché, lui laissa au palais le souvenir d’un tapis de tannins, fins comme la grève à marée basse.

La vie est comme la mer se dit-il, un flux et un reflux, toujours répété, jusqu’à ce que le sable l’épuise…Il se recroquevilla dans le velours élimé et collant de son fauteuil et attendit les terreurs de la nuit. Quelques larmes perlèrent aux coins rougis des ses yeux jaunis.

EMOROTIMANCONENOIR.

LA TENTATRICE.

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D’après Victor Hugo : La cicatrice.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La louve toute raide est goule tentatrice.

Calcédoine tu caches, et règnes,  là-bas ton calice ;

Se déplisse, charmant ma foi, et sur ta peau,

Baie, tourterelle, gratté ton dos et ton berceau,

Vasque ronde, belle fleur, et ton giron se pâme,

Bel impalas. Sous tes baisers, je suis en larmes,

Mon âme, bandonéon qui m’ouvre ses bras,

Dès lors la belle se rend, j’ai caressé ses pas,

Elle m’a prit, cimeterre d’argent, si blême,

Le supplice du pal au cœur de son arène,

Je te câlinerai, très pâle, bisque ma reine,

Tes doux genoux tremblants, à me rendre si bon,

Je pousse la romance, je vois tes seins si blonds.

CHANSONNETTE ET FOUTRIQUETTE …

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Sous le trait léger de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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 Suceuse gourmande de sucettes

Ma fillotte, ma fillette, ma pucette

Tu fais des ronds sur mes bonbons si bons,

Et ma belle, ma pucelle, tournicotons,

Toi tu me l’uses quand tu me la pèles,

Me la tournes, la chantournes ma ficelle

Marie-Luce, tite puce a tété le bébé

A pleuré si frais pour avoir sa purée

Qu’a coulé sur son nichon suret,

Ultra salope nyctalope interlope,

Si bonne ma cochonne, tu fumes ma clope

Grosse botte de salsifis tout flétris,

Étalés, équarris sur ton lit.

—–

Ma pelote, ma petiote, ma ravigote,

A boire à la fontaine, tu as tant ri.

—–

Tire bouchons de réglisses à façons,

Tagada, t’as qu’à pas croquer des valdas,

Liqueur de prose ça coule sur la chose,

Candide Candice, joli colimaçon,

La vanille et la fraise coulent sur ton menton,

Roploplos, ventre, dos, à cheval, à dada,

Croque coco, bubble-rose,

Barbe à papa, pistache et caramel mou,

Coquilles sucrées, sac à puce et roudoudou.

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Chansonnette et foutriquette,

Chevrote la biquette,

Branlotte la meufette.

TES REINS, TES LOBES …

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D’après Victor Hugo, “Demain, dès l’aube” …

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Tes mains, tes orbes, bonheur, beaux lys en flamme,

Exaspérés. Sens-tu, je fais que je te fends.

Je serai le goret, je serai belle poigne,

Je ne puis t’emmancher tout en toi comme l’amant.

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Je te prendrai les mains crochées à ton fraisier,

Tant bien croire si fort, tant bien prendre ta nuit,

Veule et bossu, si fort bandé, les reins brassés,

Aigri, et ton jour ta loi connaîtra ma scie.

—–

Je n’oublierai ni la mort qui le soir gronde,

Ni la moelle en vain dégoûtant vers ta fleur,

Et quand j’éclaterai, je serai comme un monde,

Le hoquet d’un fou pers, en colère, en sueur.

ODE A PAULI PIETRO …

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Le Pauli de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Il est grand, il est beau, elles tombent par jonchées,

Brisées comme des poupées, toutes pâmées à ses pieds.

Sous sa carcasse gigantesque, regard frisé,

Brûle, feu de grand chêne, petit cœur de cousette,

Mais le Pietro beau, pas une raclure de braguette,

Il aime trop le vent pour draguer les minettes,

A trop croquer la vie, il oublie les doucettes.

—–

Perdu là-bas, loin de son île bleue de beauté,

Il rumine, seul dans son château délabré,

Concocte, peaufine, un plan très désespéré,

C’est un battant au cœur violent, bouche de sang,

Pauli ourdit, crayon de mine, départ ardent,

Vers les confins, patin couffin, comme un enfant,

Voler plus loin, ronger son frein, manger le temps.

—–

Adieu bouchons, quenelles, saucisses, vive le son,

Le grand tromblon, bandé, il tire le canon,

Pleines bordées, virées vers le large horizon,

Va s’envoler, poches lestées, Indes galantes,

Les poings serrés, les yeux fermés, espoir, je tente,

Il veut, il va, vienne le temps des tremblantes,

Alors mon cœur, serrez les dents, filles dolentes.

—–

Pauli, fils des ris, cloue sa tente à Bombay,

Dans les ruées, les nans, les encens, les fumets,

Saris dorés, couleurs, odeurs, il s’est posé,

Ailes ouvertes, bec acéré, regard verdet,

Dans ses pupilles, éclats brisés, il a osé,

Larguer amarres ; sonnez fanfares, Pietro l’épée,

Tire des bords, du sud au nord, parti flingué.

—–

Bali, balo, Pauli Paulo est un taureau,

Petit Pauli, je ne suis lui, et je pâlis.

—–

Vole donc mon frère, vers les rivages, mords les mirages,

Où est le temps jadis où nous étions en lice …

LES ORGUEILS SYNTONES.

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D’après Victor Hugo : “A une femme”.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Olifant ! Si j’avais froid, je vomirais le pire,

Et mon dard, et, mon être, et ma hampe dans la boue,

Et ma bonne qui dort, et ses seins lourds de cire,

Et les fiottes, à qui le haire ne peut souffrir,

Pour un panard d’un sou !

—–

Si j’étais pieu, la bayadère toute ronde,

Les langes, les tétons gonflés devant mes doigts,

Et le si blond verso à la faille furibonde,

La volupté, vorace, et les dieux et les ondes,

Pour ta bouche en émoi.

ET LES BALEINES BLEUES …

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Je marchais à tétons, j’ai perdu mon chaton

Quand le ciel se déchire, l’orage se déchaîne

Mais Dieu ! Toi qui me rinces quand je suis rincé

Eclaire plutôt le ciel, et volent les hirondelles.

—–

Je croyais que mon chien se prenait pour Pétain

Etrange, mais Dieu a plus d’un tour dans son sexe

Et voilà que Pétain se réincarne en clebs

Mandela est mort qui aimait tant la hola.

—–

Keats, Whitman, Shakespeare et même le très Poe

Tous traînants sous la pluie qui claque sur les docks

Les passant harassés allongés comme des veaux

Et les baleines bleues, les séquoias en cloque.

—–

Dis moi que le ciel après que les eaux grasses

De nos pleurs et des leurs sur nos peaux si lasses

Sont tombées ont lavé nos vie et nos godasses.

Soleils écarquillés faites fondre les glaces.

LASCIA CH’IO PIANGA …

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Ciel polaire si clair froid coupant si blanc

Oeil de nymphe sang de lymphe flanc battant

Dragon noir dents d’ivoire pupilles broutilles

Dans la nuit ours gris du vent dans les trilles

—–

Au pays dégourdi mains glacées pieds plantés

Elle m’a dit la houri sous tes reins j’ai pleuré

A dormir soupir désir travertin de ton sein

Odorant hérisson ta pupille charmille

—–

Montaigu l’âme nue Capulet œil crevé

Odalisque je te bisque ta cuisse triste

Enchanteur le merlin a tué le bélier

Vole ma folle farandole amour trop loin

—–

Point n’en faut trop c’est trop à cheval au galop

S’en est allé sur les galets la Diva ho !

Tranche la faux huile à la mort sinistre corps

Voix de tête cœur qui tète dans tes ors mi amor

—–

Lascia Ch’io pianga, mon âme chante Haendel

Fou d’elle ma mirabelle tes ailes tes dentelles

BIGAME, ELLE FLATTE.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Elle pleurait avec sa blatte,

Et c’était si bon de boire

La liqueur franche à la blanche jatte

D’albâtre dans le creux du peignoir.

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Elle criait – la petite rate ! –

Sous la laine de son encensoir

Son beurrier, ondes pirates,

Brûlant, et chairs comme un bavoir.

—–

L’autre farcie voulait sa purée

Et ouvrait sa grotte perlée,

Mais le pendable n’y laissait rien …

Et dans le tiroir où, sa flore,

Coulait à frire comme de rien,

Brillait la seule pointe que j’adore.

SOUS LA LANGUE, PERFIDE …

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Ce que La De voit dans les mots …

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

L’agneau aux yeux de soufre a bêlé,

Plus fort qu’il ne le fera plus jamais,

Il a tant aimé être ainsi crucifié, foutré

Que les cloches de Pâques se sont fêlées.

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Entre les cheminées aux braise ardentes,

Comme un corps extasié sous la langue sifflante,

Il a connu plus qu’il ne connaîtra jamais,

Pantelant, soumis, ravi, emporté, ravagé.

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Sous la bouche pointue d’une goule puissante

Ses chairs, sa peau, son ventre, toutes ses fentes,

Coulantes, brûlantes, et navrées tout autant,

Quand son cœur est nié, sa volonté brisée.

—–

Quand le temps infect des turpitudes infligées,

Acceptées aussi, désirées, adorées à crever,

A passé. Quand le vent si fort, si pur, à en mourir,

S’est engouffré sous ses voilures de porphyre.

—–

Alors ses grands yeux de larmes refoulées,

Comme des tempêtes aux douceurs ignorées,

Se sont ouverts, un soir qu’il n’attendait plus,

Le vent s’est calmé, la brise a tiédi quand il a paru.

—–

Succubes, incubes, démons des temps passés,

Sur vos crânes lustrés je chie comme un damné,

Je suis la douceur, la tendresse, la main qui caresse la soie,

Celui qui lui sourit, je ne suis pas sa loi.

—–

Je suis l’amour, à jamais espéré.