HAÏKUS 22
Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
Littinéraires viniques
Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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À la fin du IIe millénaire avant notre ère, dans les Andes du Nord du Pérou, le centre cérémoniel de Chavin de Huantar apparaît comme un carrefour culturel entre plusieurs traditions issues de la côte, de la montagne et du versant amazonien des Andes. Entre 1200 et 200 avant J.-C. les prêtres de Chavin forgent les principaux modèles de civilisation qui caractériseront les différentes cultures pré-hispaniques du Pérou jusqu’à la conquête espagnole du XVIe siècle.
Daniel Levine. Professeur à l’université de Paris IV-Sorbonne.
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Le gymnase était vide. Dehors le vent aigu sifflait, il faisait quelque chose comme moins vingt sept degrés Celsius. A l’intérieur, l’air chaud pulsait. Un souffle monocorde. La température montait difficilement à quinze degrés. Idéal.
Dix ballons disposés tous les deux mètres. De son pied gauche il s’efforçait de placer la balle dans la lucarne opposée du but de hand-ball, de l’autre côté de la salle. Les yeux fermés il sentait sa patte gauche, la visualisait comme une main, souple. Quand il se déciderait à frapper, elle s’enroulerait autour du ballon, lui donnerait un effet qui le ferait tourner sur elle-même, de la gauche vers la droite, un mouvement de toupie qui dessinerait une trajectoire courbe, parfaite, et la boule de cuir irait se loger dans l’angle supérieur du but, gauche ou droit, selon la position de départ. Puis il respirait lentement, choisissait, soit l’intérieur, soit l’extérieur, soit le coup de son pied, s’élançait, et shootait le plus sèchement possible, en prenant le cuir en dessous, mais pas trop, au ras du sol. Le contact de la balle, qui s’écrasait un peu quand il frappait, il adorait ça ! Le bruit aussi, un bruit un peu gras, un peu lourd. Penché vers l’avant, il suivait le boulet du regard. Invariablement, il tirait un peu trop haut. Le cuir claquait contre le mur, au ras de la barre du but. Une détonation, qui brisait le silence, et passait, à peine le temps d’un dixième de seconde, au dessus du sifflement obstiné du vent glacial.
Cela faisait bien deux heures qu’il s’acharnait. La sueur coulait dans son dos, ses muscles étaient chauds. Le bonheur. Le grand lycée était vide. Février. Vacances.
Une bourrasque soudaine arracha le toit, la neige s’engouffra. Le monde explosa. Armael se retrouva sur le dos. Au-dessus de lui, le ciel de coton blanc lui tombait sur la tête. Mais il n’avait pas froid. Il crut à un accident vasculaire, il perdait la tête et le sens commun. Ou alors la folie s’emparait de lui. Armael – il détestait son prénom angélique et se faisait appeler Romain depuis toujours – s’affola, s’ébroua, mais une force douce le maintenait sur le dos, collé au sol. Ce n’était plus un enfant, il venait d’avoir quarante ans. De taille moyenne, il avait le teint mat, l’œil noir, et le cheveu taillé court. Bien planté sur ses jambes, c’était un homme solide et sportif, au mieux de sa forme. Pourtant ce qui lui arrivait le déstabilisait. Il eut envie d’appeler sa mère, son père, envie de pleurer, de crier. Puis il perdit conscience humaine ordinaire. Sans toutefois sombrer tout à fait dans le néant.
Romain hurla de terreur, il souffrait abominablement. Son corps lui semblait écrasé, écrabouillé, entre deux pierres de meule. L’espace avait disparu, c’était comme s’il s’était resserré autour de lui, comme s’il lui comprimait la poitrine. Romain respirait à petites goulées courtes pour ne pas étouffer. La pression devenait si forte que ses côtes craquaient. Son crâne allait exploser, il en était certain, et cette perspective le plongeait dans une peur extrême. Son cerveau allait fondre, gicler en gerbes grasses, blanches, chaudes, là, maintenant, il ne savait plus. Sa peau se mit à brûler atrocement. Autour de lui, il voyait défiler à vitesse maximale toutes les couleurs des arcs-en-ciel. Cela lui rappela les années psychédéliques de sa toute jeunesse. C’est donc ça la mort se dit-il, une désintégration progressive, le corps qui fulmine, seul un brin de conscience affolée vit encore, je vais m’éteindre d’un coup comme une étincelle. Mais quand ? Cette incertitude le terrorisait, plus que la certitude de disparaître à jamais. Romain hurla de plus belle, les yeux au bord de la rupture, la bouche grande ouverte, les cordes vocales au sang. Pourtant il n’entendait rien, la pression, la vitesse augmentaient, il eut le sentiment d’être une balle de chair saignante au sortir du canon d’un revolver.
Puis tout devint d’un vert éblouissant, il sombra, ou du moins le crut-il.
Le chant des oiseaux le réveilla. Des chants mélodieux inconnus. Allongé sur le sol herbeux, il vit très au-dessus de lui la cime de grands arbres agitées par un vent léger. Romain se redressa sur un coude, une longue mèche de cheveux, longs et noirs, lui caressa la joue. Cela le fit sursauter. Que se passait-il, où était-il? Ce bandeau de tissu blanc qui lui enserrait le front ? Cette étrange tunique de tissu grossier qu’il portait ? Ces sandales de cordes tressées ? Le vague souvenir d’une tempête de neige brutale, un toit qui s’envolait, le froid, son corps prêt à éclater, ces couleurs violentes qui défilaient, lui traversèrent l’esprit.
“Athualpa, lève toi, il faut repartir”. Romain leva les yeux, deux hommes vêtus comme lui, même tunique de coton grège, même cheveux noirs et longs, même bandeau blanc, le regardaient d’un air neutre. Ils parlaient une langue étrange qu’il ne connaissait pas mais qu’il comprenait. Il leur répondit en français, “je me suis bien reposé, nous pouvons repartir”. Ils acquiescèrent en souriant. Debout, au milieu d’une clairière épaisse située sur un haut plateau, les trois hommes levèrent la tête vers la grande montagne qui cachait déjà le soleil. Derrière la cime de Chavin de Huantar, la Cordillère blanche dont les sommets aux neiges aveuglantes, étincelantes, tutoyaient les six mille mètres, paraissait encore plus infranchissable.
Les trois pèlerins gravirent, attaquèrent, l’ultime montée vers les temples au travers de la forêt dense, inhospitalière. Ils avançaient, courbés, haletants, dans la végétation luxuriante, s’arrêtant souvent pour reprendre souffle. Ils sortirent de la forêt, comme d’une prison. Un paysage d’herbes rases et de bouquets d’arbustes malingres, un paysage désolé succédait à la l’exubérance. Le ciel réapparut, vaste, d’un bleu d’encre, pommelé de nuages d’altitude. Tout là haut, ils crurent enfin apercevoir un peu des temples vers lesquels ils marchaient depuis des jours, comme des âmes en attente des dieux. La pente raidissait encore, le sentier allait tout droit vers le sommet. La montagne semblait s’enfoncer dans la chair ouatée du ciel, jamais ils n’avaient été plus proches des mystères.
Athualpa et ses deux compagnons, brûlant leurs dernières forces, arrivèrent au pied d’une gigantesque forteresse de lourdes pierres. L’édifice, flanqué de deux constructions aussi massives, mais plus basses, dessinait un “U” ouvert sur la forêt et la vallée, comme s’il leur tendait les bras. Au centre, une vaste cour carrée, au sol de terre battue, entourée de murets sculptés dans la masse, était vide. Le fort vent d’altitude faisait voler leurs cheveux et leurs amples robes de tissu.
Armael et Romain, tous deux à l’étroit, relégués, emprisonnés, dépossédés de leurs consciences propres, s’ébrouèrent. Tout encore endoloris par leur étrange voyage, ils se frayèrent un chemin dans l’esprit exalté d’Athualpa. Par les yeux de leur autre, qui était pourtant aussi eux-mêmes – et cela les intriguait grandement -, ils virent la grande cour, l’étrangeté des lieux, ces grands blocs de pierre, taillées au cordeau, des pierres grandes comme des camions, parfaitement alignées, jointes, emboitées, une vraie muraille, titanesque, impressionnante. Au dessus de la cour, au centre de ce qui leur sembla être un sanctuaire monumental, s’ouvraient deux grands yeux noirs, insondables, deux puits térébrants forés par des êtres sans nul doute cyclopéens, deux portes encadrées par des colonnes sculptées. Des sortes de têtes, mi-humaines, mi-animales, ponctuaient, à intervalles réguliers, la haute façade rectangulaire de l’édifice. Les figurines grimaçantes achevèrent de les désorienter, mais Athualpa les musela brutalement, les renvoyant dans la glu de son cerveau. Ils crurent étouffer. Alors Armael terrassa Romain et surgit du fond des fonds des espaces inconnus. Athualpa tomba à genoux, comme si, envouté par la magie ambiante des lieux, il se mettait à prier. Armael tonitrua, son rayonnement était si fort que les yeux de Athualpa virèrent à l’or incandescent. Armael se dressait devant lui, son corps luminescent l’aveuglait, sa cape blanche volait autour de lui comme une mandorle mouvante, son visage de pure albâtre le regardait, ses yeux de jade bleu, très doux, contrastaient avec sa voix assourdissante qui résonnait dans le corps d’Athualpa, à lui briser les os. “Je suis l’ange terrible incarné dans ton corps, ne me renie pas !!!”. Puis il disparut. Les deux autres guerriers, impressionnés par l’attitude d’Athualpa dont le visage maintenant semblait manger la terre, se prosternèrent à leur tour.
Un bruit sourd et profond de conques marines retentit dans le silence ambiant, une basse obstinée, traversée de notes plus aigües, qui leur vrilla les tympans. Les trois hommes relevèrent la tête. Deux êtres effrayants, du haut des marches du temple, les regardaient. Leurs visages n’avaient plus rien d’humain, leurs yeux profondément enfoncés, grassement maquillés de noir les terrifièrent. De larges traces de terre blanche, rouge, verte, ocre, à moitié mélangées les unes aux autres, encadraient leurs bouches démesurées, peintes de rouge sang, dont sortaient de grandes dents, pointues comme des crocs de fauves. Leurs mains, peinturlurées elles aussi, étaient griffues comme celles des grands jaguars des forêts. Dans leurs atours bigarrés, sous les masses de collier d’os et de pierres multicolores qui pendaient à leur cou comme des rivières tumultueuses réverbérant les rayons du soleil au zénith, on eût pu croire que les forces de la nature, mêlées à celles des animaux les plus sauvages, les avaient engendrés. A leur côté, d’autres prêtres, la tête levée vers les cieux, soufflaient de toutes leurs forces dans des coquillages sculptés et peints. Les trois hommes, pétrifiés, ne bougeaient plus. Leurs lèvres tremblaient, ils psalmodiaient un chant inaudible, qui leur était inconnu la seconde d’avant, et dont ils ignoraient le sens. Quelque chose les transportait.
Alors ils furent emmenés. Les trois pèlerins gravirent le grand escalier noir et blanc. A la suite des prêtres hallucinés, ils entrèrent, passant entre les deux colonnes décorées de félins, de serpents, de caïmans et de rapaces stylisés, dans le ventre ténébreux du temple. Très vite le noir absolu les avala, la peur les submergea, l’exaltation aussi. Les prêtres avançaient lentement dans le dédale des couloirs souterrains. Sans aucune hésitation. Leurs yeux écarquillés, leurs pupilles dilatées à l’extrême, voyaient comme en plein jour. Puis dans les canaux profonds qui irriguaient les fondations, les eaux de la terre matricielle chantèrent la douce mélopée des sources naissantes. La musique des eaux cristallines qu’exacerbaient les pierres, le sol et les plaques d’anthracite qui obstruaient les ouvertures sur l’extérieur, apaisa l’angoisse glaçante qui enveloppait Athualpa et ses compagnons. Un sorcier noir au visage difforme, à la bouche affaissée, grimaçante, déformée par les trois dents monstrueuses qui la remplissait toute entière, assis sur un trône de pierres, balbutiait un chant monocorde, guttural, une salive épaisse coulait à la commissure de ses lèvres et tombait en longs filaments blanchâtres sur sa blouse cérémonielle. Sur sa tête, comme une couronne vivante, un serpent annelé de rouge et de blanc, immobile, reposait. Autour de son cou s’enroulait un reptile charnu, d’un gris brillant, ocellé de vert bronze et de terre de sienne. Entre ses longues griffes, noires comme l’ébène, polies, luisantes, pointues comme des dagues de femmes, il tenait un coquillage sacré rempli d’une décoction de cactus San Pedro. Agenouillés devant l’officiant, ils avalèrent le breuvage puis, à l’aide de canules ornementées, on leur fit inspirer une poudre fine.
Athualpa cria. La mescaline lui brûla les sinus, un feu ardent lui déchira le crâne. Les pierres alentour se disloquèrent, les murs tanguèrent, il eut peur d’être enseveli, écrasé par le poids du temple. Le monde ordinaire vacilla, les bords de l’espace se consumèrent puis le temple s’effondra. Il tombait, une chute sans fin, vertigineuse, comme un regard dans le chatoiement crépusculaire d’un Soulages. Son corps, allongé, immobile, à demi éclairé par la lumière grise reflétée par les miroirs d’anthracite qui avaient été dégagés des ouvertures, ne laissait rien paraître des épouvantements que son esprit endurait. Sous sa robe, des reptiles multicolores s’étaient lovés, d’autres grouillaient en paquets, enlacés à ne plus les distinguer. Puis la chute tourna à l’anéantissement, il voyageait au cœur des secrets de l’âme humaine, là où nul être vivant, jamais, n’a accès. Il y vit mille nuances de noir, indiscernables par la vision ordinaire. Sa glande pituitaire était en surchauffe, son corps calleux irradiait, son cerveau gauche prenait les commandes. Alors il eut accès aux révélations insupportables qui le conduisirent aux confins de la mort, à la connaissance suprême, il plongea dans sa propre infamie. Son visage suait à longues rigoles, son vêtement fut bientôt trempé, la morve coulait grassement de tous ses orifices, jusqu’à ce qu’il se soit vidé de toutes ses humeurs. La puanteur gagna toutes les galeries du temple, mais les prêtres en transe, insensibles aux pestilences, les yeux clos, marmonnaient continûment une complainte étrange, grave et rauque à la fois. Leur chant tremblé accompagnait le voyage infernal des initiés en partance.
Les trois initiés se réveillèrent en même temps. On les conduisit jusqu’à la salle principale, là où convergent les galeries souterraines. Le bruit des eaux devint assourdissant, les conques marines les accompagnaient puissamment. Devant eux, plantée en terre comme un poignard, se dressait une haute lame de granit, la lance monolithique, “El Lanzón”. Gravé en creux dans la roche, un personnage anthropomorphe, aux mains et pieds griffus, à la chevelure serpentine, à la face de félin enragé, monstrueux et menaçant, les regardait en dansant. La grande pierre ne bougeait pas, mais l’être surnaturel, fusion du spirituel, de l’imaginaire et du réel, semblait se détacher, prendre vie aux yeux des trois humains pétrifiés. Athualpa, encore sous l’effet des drogues ingurgitées et inhalées, s’allongea face contre sol. Les eaux souterraines continuaient à bruisser dans les entrailles de l’édifice. Athualpa crut qu’un serpent gigantesque, incarnation de toutes les abjections qu’il avait entraperçues, se coulait dans la galerie obscure. Le chant crissant de ses écailles contre la roche dure se rapprochait. Les conques marines, au summum de leur puissance, accompagnait la progression du reptile géant. Son visage se crispa, il crut mourir d’effroi. Puis le silence revint. Les prêtres relevèrent les pèlerins. De la partie supérieure du Lanzòn, éclairée par la lumière du jour qui tombait de la brèche ouverte dans le plafond de la salle, du sang chaud se mit à ruisseler jusqu’à la bouche déformée du dieu danseur. Sur la plateforme supérieure, un homme au visage maquillé de blanc pur, la gorge tranchée, s’écroula sur le bord d’une vasque. Son sang jaillit à gros bouillon jusqu’au trou creusé dans la pierre. Derrière le sacrifié, un prêtre au visage écarlate, leva sa lame de pierre sanglante vers le ciel. L’infernal spectacle du danseur démoniaque aux crocs écarlates, ajouté aux effets distordant des stupéfiants, déstabilisa définitivement Athualpa. Qui s’écroula, évanoui.
Romain frissonna. Allongé sur le sol glacé du gymnase silencieux, il ouvrit les yeux. Devant lui les ballons alignés attendaient qu’il veuille bien. Sa tête était douloureuse, il se passa la main sur le front. Un peu de sang tâchait ses doigts. Une petite coupure, due à sa chute sans doute, quand il avait glissé au moment de frapper la balle. Au dehors le vent s’était calmé, la neige avait cessé. Romain, prit deux pas d’élan et shoota. Le ballon fila, trajectoire parfaite, dans la lucarne droite.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Blatérant et flânant, naviguant sur les dunes
Un chameau s’ennuyait bien plus qu’à Pampelune
Une bosse penche à gauche l’autre sur la droite
Et personne ne sait quand lui prend de tourner
Dans ses grands yeux navrés le reflet des mirages.
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De la scatologie à l’eschatologie ?
Quelques pas les séparent, pense le philosophe
Pendant que sa mâchoire mâchonne un bout de bois
Volé près d’une tente où dort un marocain
Un berbère abruti par le soleil tueur
Un bout de bois d’argan à la fine saveur
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Ses grandes dents carrées derrière sa lippe molle
Ecrasent le bois tendre, on dirait une folle
Dans son manteau de poil égaré au désert
Othello le chameau n’a besoin de personne
Il ne dit jamais rien, il rumine en silence
L’envie d’une pomme rouge à se caler la panse.
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Le grand ciel bleu de Prusse est vide comme l’estomac
Du chameau philosophe. L’image d’un grand pré
Qu’il ne verra jamais, là-bas à l’horizon
Bien sûr il n’est pas dupe, ce n’est pas un melon
Mais il donnerait cher pour tondre le gazon
Othello a la dalle du côté de Vierzon.
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Les palmiers sont si grands qu’il a l’air d’un gros rat
La palmeraie déjà ? Il n’a rien vu venir
Il pensait en marchant aux sonnets de Shakespeare
Jamais il ne s’inquiète, ne tombe dans l’effroi
Ses grosses pattes souples le mènent et il les suit
Il se fiche du tiers du quart et du demi.
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Blatérant et flânant, naviguant sur les dunes
Un chameau s’ennuyait bien plus qu’à Pampelune
Une bosse penche à droite l’autre tombe éplorée
Et personne ne sait quand lui prend de tourner
Ce soir il s’est trompé, il pensait à Voltaire
La falaise était haute il n’a même pas souffert.
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Une bouteille oubliée, disparue dans la cave de sa mémoire.
Du Domaine de la Pinte, cet Arbois Savagnin 1994 de l’ancien âge, où nul de ceux qui labouraient leurs vignes et rejetaient les intrants, ne se savaient clairement Biologiques, où d’aucuns qui regardaient la lune et fouettaient leurs lambrusques aux orties magiques, ne s’imaginaient Biodynajamaïques, où les quelques méconnus qui accompagnaient au chai leurs raisins, ignorant les artifices et laissant faire l’alchimie des levures qui ouataient les baies, ne se proclamaient Nature matures… Oui en cette année 1994 donc, si proche dans le passé et si lointaine dans l’esprit des choses du vin, la Terre connaissait à peine le réchauffement climatique, les banquises étaient solidement arrimées, les glaciers ne se vautraient pas dans la vanille et rasaient le fond des vallées de leurs dents aiguës, les méduses en nappes n’attaquaient pas de leurs filaments urticants la peau halée des bimbos en string, et cette putain de couche d’ozone qui s’en va tant et qui revient à n’y plus rien comprendre, foutait une paix royale et démocratique aux bons peuples du nord, innocents et repus qui surconsommaient à bourses rabattues et à couilles factices, en toute joyeuse inconséquence.
Pourtant quelques signes, déjà, étaient à lire. Nos Princes intègres l’eussent pu. Car cette année là, ça massacrait à tour de machettes fraternelles au Rwanda. Dans l’indifférence générale, le très plébéien mouvement Taliban, né de l’accouplement monstrueux entre un Tityus discrepans et une Latrodectus atritus – fraîchement émigrée de Nouvelle Zélande par le truchement d’un conteneur bourré de kiwis – venait d’éclore et commençait à répandre sa terreur ténébreuse sur les terres Afghanes. Le Mexique tremblait dans l’ombre du Popocatepetl éructant, à Gaza, Arafat au sourire si doux et aux poches si pleines du pain de son peuple, engraissait comme un porc hallal. A l’opposé du spectre humain, Georges Cziffra reposait son violon, le foie de Bukowski rendait sa vésicule à Wenchangdijun, Paul Delvaux lâchait ses pinceaux à poils et – chancre bubonique sur le gâteau fielleux du désespoir – Jean Carmet vidait sa dernière fillette de Beaujolais…
Une année comme tant d’autres, semée de perles noires, éclairée de quelques pulsations lumineuses cependant. Ironie du sort, sur les rivages conquérants pour l’heure du continent Américain, la naissance de Justin Bieber redonnait à l’humanité insouciante l’espoir d’un monde meilleur.
Enfouie, reléguée tout au bas de la pile, recouverte par les jeunesses successives de ses consœurs insolentes, la rombière n’était plus qu’une vieille favorite décatie délaissée, presque répudiée dans le coin le plus sombre du harem vinique. Son maître volage, séduit par les charmes toujours renouvelés de ses rivales en fleur, l’avait négligée. Elle était à l’abri, définitif croyait-elle, de la lame aiguisée du sommelier étincelant. Jamais elle ne connaîtrait cette vrille espérée et pénétrante qui lui écartèlerait l’opercule, cette tige voluptueuse qu’elle avait rêvé de serrer dans les replis tendres de son bouchon de liège timide, sous l’alliage fragile de sa capsule ductile. La douleur de cet abandon, longtemps l’avait meurtrie. Bien des années, elle avait pleuré des gouttes de son vin précieux qui avaient coulé le long de son col, et tâché, en les agaçants, les ventres rebondis de ses rivales souriantes. Puis son chagrin avait tari au fil du temps…
Il y avait maintenant belle luette, qu’elle s’était installée dans le confort irrémédiable d’une solitude acceptée. Dépassé le temps des regrets, elle croyait avoir maîtrisé l’implacable Chronos. Dans le silence poussiéreux de la cave qui la protégeait désormais de toute lumière, elle se sentait reine apaisée. Elle était l’élue de Bacchus, elle qui avait dompté le temps et, pour toute éternité, était entrée au royaume – inaccessible pour le commun de ses paires – de l’immortalité. Dans son sarcophage de verre, son liquide précieux était lentement, insensiblement, entré en Sagesse, donnant à la rusticité sauvage de son Savagnin originel, la grâce, que nul jamais ne pourrait savourer, de l’immuable et irrévocable perfection.
Dans le silence admirable de ses entrailles fluides dans le secret desquelles elle sentait pousser l’Émeraude de la Table éponyme, elle chantait avec l’Ange qui lui avait laissé sa part, la gloire du Jura…
Un soir de hasard sans pitié, la main d’Artaban l’a saisie par le goulot pour l’extraire avec précaution de la pelisse de fils noirâtres, qui l’avait si longtemps soustraite au sort ordinaire de tous les flacons à boire. Extirpée de son long sommeil, elle a senti la lame patinée de son couteau, puis la blessure froide de sa queue de cochon qui lui explosait le bouchon. L’air frais lui lava le col des miasmes emprisonnés et caressa, en le réveillant, le vin. Elle n’eut qu’une fugace poignée de secondes pour comprendre que son rêve d’immortalité se brisait. Sa liqueur coula le long du toboggan de cristal labile et remplit le verre à moitié. Elle sut alors qu’elle connaissait le bonheur de se donner, que le fouet de l’air était bon, qui la cinglait de bulles vives et joueuses. Vivre pour mourir du plaisir d’un autre était son destin. L’illusion de l’impérissable était vanité. Elle fut heureuse de «traminer» ainsi.
Dans le verre d’Artaban, au cul épanoui de Vénus Hottentote flaccide, ce vin revenu de nulle part brasille d’une mystérieuse opalescence. La lumière chaude de la lampe basse tension exalte l’or, l’ambre profond et le rayon de la ruche oxydé par le soleil d’août. Respectueux pour une fois, il se penche sur le disque fluorescent, lentement. Patiemment, il attend que l’élixir veuille bien… Manifestement ravi d’avoir quitté les jupes, trop mystiques à son goût, de sa mère bouteille qui se prenait pour la moitié de Marie, ragaillardi par l’air frais qui lui a lavé le jus, le jeune vieillard lâche ses gaz odorants. Chaud comme le bronze fondu des réminiscences de l’ancien été, c’est un parfum complexe et ravissant qui lui chatouille la couche glomérulaire. De subtiles touches de caramel salé, de gentiane, de bouillon de légumes verts, puis de miel, de mirabelle mûre, de noyau de fruit, de cannelle, de noix, d’encaustique, de sucre candi, d’angélique confite, de gomme arabique et de réglisse en bâton, intimement mêlées au vieux rhum de l’âge, montent en nuages invisibles du ventre de verre ouvert. Au bout de l’inspiration, comme un clin d’œil rapide, une pointe de curry lui titille les cellules mitrales. Heureux comme un Pape priapique, il entrouvre la bouche sur le buvant du Saint Graal d’un soir. Alors là, foutre d’hérétique, c’est une boule, une pelote, une sphère, un globe, une mappemonde de chairs fondues qui se déploie comme un plaisir crissant, enroulant ses papilles consentantes et derechef conquises. Le gras des années a donné à la matière du vin une sensualité débordante, faite du sucre extravasé de la prune chaude, du miel doux, de la dragée de communion, de la réglisse, qu’équilibrent avec bonheur les amers nobles, les épices et la fraîcheur des marnes bleues du lias après que la nuit est tombée…
A regret vient la coda. Le temps a repris son pouvoir et ce vin, qui s’était cru liqueur d’Éternité, bascule à regret dans la béance suspendue d’Artaban. Ce sont ses larmes noblement amères, le sel de ses regrets, le poivre blanc de ses sursauts et les dernières étincelles de silex de sa vie, qui tapissent sa bouche surprise. Mais Ô stupeur, après que la finale a perdu sa queue, la voila qui revient le surprendre, comme si l’ange du vin, regrettant de le laisser ainsi orphelin, voulait lui caresser l’âme – de ses belles ailes douces aux plumes de chocolat noir, de réglisse délicate et de drupe de prune, grasse de soleil – une dernière fois…
Dieu, qu’après la mort la vie est belle…
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Illustration Brigitte de Lanfranchi – ©Tous droits réservés.
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Le Vendredi 2 Septembre 2016,
POÈMES EXACERBÉS reprend ses publications hebdomadaires, en commençant par une fabliette tirée d’une nouvelle rubrique ” LES ANIMAUX MARTEAUX”.
Et toujours avec la précieuse collaboration “picturale” de Brigitte de Lanfranchi.
La semaine suivante ce sera une Nouvelle, puis un Poème.
Ce sera ainsi, et dans cet ordre, jusqu’à épuisement du stock.
A bon liseur, salut.
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Alsacien ne suis, Dieu m’en garde, mais bon Alsace aime.
Je cherchais un Riesling Kirchberg 2000 de Louis Sipp, que je comptais marier, bon gré mal gré, avec de savoureuses Saint Jacques poellées, salées-poivrées, à peine relevées d’une nano-larme de Balsamique TM. Le choc, que j’anticipais, me plaisait déjà… La tendre chair sous le jus minéral, tendu et sec du Riesling, frissonnerait, surprise comme une rosière remontant ses jupes au sortir de la sacristie, puis se dilaterait à souhait – comme la même rosière, un quart d’heure plus tôt, avant de se faufiler en rasant les murs hors de la tanière du bedeau – pour séduire l’impatient impudent.
Mais, car il y a souvent un mais – sauf sous le joug des dictatures – c’était sans compter avec moi, l’égaré, le lunaire, le ravi de la crêche, l’étourdi!!! Le col fin, le jaune et le rouge de l’étiquette, l’appellation, le millésime, entr’aperçus, d’un coup d’œil aussi distrait que soit disant synthétique, suffirent à me convaincre, plongé que j’étais, au tréfonds de puissantes pensées, dont la pertinence éblouissante, ne tarderait pas à modifier l’équilibre instable du Monde, tant économique que politique, que j’avais entre les mains, la bouteille recherchée.
Pour ce qui est du bonheur sur Terre, je m’y attellerai très sérieusement, incessament sous peu.
C’est d’une main souplement expérimentée, que je fis sauter la capsule, et ôtai le bon bouchon sain de la bouteille. Le verre se remplit à demi d’un liquide, gras ce qu’il faut, d’un bel or franc marqué de reflets verts.
Ça commençait bien.
Le vin resta un quart d’heure sur le coin de mon bureau, tandis que je creusais et mettais en forme – laissant au passage quelques milliers de mes neurones mal en point – les concepts complexes et élaborés qui me taraudaient le cervelet, et qui feraient fuir, un peu plus encore, les deux lecteurs alzheimérisés graves, qui me restent. Avec ça, s’ils ne veulent pas pointer à l’ «Amicale Navrée des Philosophes Éplorés», les intellos branchés du web et les minettes à géométrie variables, qui sont au vin, ce que BHL est à la philosophie, seront bons pour un Bac Pro tôlerie, en alternance, et en urgence…
Le verre au nez me ramena dans le concret du vin. Une vague florale, brève comme une brume d’été, la pierre et l’amande amère, de fines notes fugaces de pétrole vraiment très raffiné, puis les fruits mûrs, le citron, les fruits confits, la mangue rôtie, le raisin de Corinthe, le sucre candi, la cannelle. Un nez d’une folle élégance, complexe, riche et mesuré à la fois!!! Ah j’oubliais l’abricot… que nous aimons tous et tant!!! De la pulpe juteuse plein le nez, un délice olfactif. Dans le fond de ma conscience subjuguée, sous le charme, au sens propre, de ce nectar, sourdait comme la figure, inquiétante déjà, de «quelque chose», comme une incertitude naissante, l’ébauche d’un doute, l’affleurement d’une angoisse…
D’un coup d’un seul, fulgurant, comme la lame de Zorro dans le ciel Californien, «V.T» (Vendanges Tardives) s’inscrivit en lettres d’infamie, sur l’envers de mon frontal en sueur subite. NDD hurlai-je à l’intérieur de moi-même (In petto, one, one more! J’adorooore, comme disent les dindes au vocabulaire étriqué), me fissurant la rate, M’aurais-je trompé???? Il va bien falloir que ma bouche tranche, me dis-je tremblant, les intestins comprimés, flatulant comme un Bolivien qui aurait sniffé par mégarde de la farine bio, ultra-naturelle, non sulfitée, et à peine moulue…
L’heure de vérité sonnait à la pendule, les «Trissotins», (voir sur Google…) déjà, ricanaient dans la pénombre épaisse. Mais oui, vous savez bien, cette pénombre, ce truisme, récurrent dans les romans de gare, cette vague obscurité, dans laquelle les traîtres de tous bords, de tous temps, de toutes obédiences, de toutes confessions, copulent, à testicules en position de vol (oui je sais ça se lit bizarre, mais «couilles rabattues» ça fait redite, non?) , frénétiquement, comme des punaises sous coke, histoire de faire tomber le cours de mes bourses.
C’est à la bouche que l’affaire aurait à se régler.
Oui, de nos jours les duels à l’épée sont prohibés, comme détester BourgogneLive, dire qu’Aurélie, parce qu’elle est… blonde, souffler dans l’Olifant d’Olif, ne pas caresser VickyWine dans le sens des poils du canard jaune, pêter au Grand Tasting, «twitter» en Français, avoir un vocabulaire qui dépasse les cinquante mots… et bien d’autres petites choses sans importance, encore. Une seule question valait la peine de vivre, de respirer, qui me taraudait le chou : l’abricot serait-il sec ou serait-il de pulpe tendre et de sucre fondant???
L’attaque du vin fut poétique, subtile, élégante, droite, nette, fraîche, et de classe, comme un texte de «Littinéraires Viniques» (charité bien ordonnée…). Bref sursis qui ne put satisfaire mon orgueil. Ce fut alors une cascade douce de fruits jaunes, qui dévala la pente abrupte de mon gosier. Honte à moi, que je sois maudit jusqu’à la treize millième bouteille!!! D’un équilibre d’école certes, que cette VT. Rien ne dominait vraiment, et cela faisait le vin léger. Mais aussi, la pâte de coing croquante, la marmelade de citron, la cannelle, les épices douces confirmaient mes craintes, tout en douceur mais hélas, en tendresse (trop pour l’occasion) aussi. Puis le vin porta l’estocade, sous les fougueux assauts d’un abricot, comme j’en aurais volontiers croqué plus souvent. De l’essence de fruit, toute en jus subtilement sucré. La finale célébra la puissance du vin, longuement. La pierre derrière les fruits apparut, bien après que les poètes fussent disparus… Avec elle, une pointe d’amertume discrètement salée, me laissa la bouche plus propre que le plus expert des baisers goûlus.
Comme un taureau d’Hemingway, sous les regards énamourés des belles américaines aux corsages palpitants, escabellé je fus!!!
Je tombe – le «hasard» est souvent maître – sur un texte aussi délirant que navrant commis par un illuminé mystico-hystérique qui voit des tags austères sur les bouteilles des excellents Alsace de Monsieur Ostertag!
Non seulement le mot est facile, mais je trouve l’entreprise farfelue et les commentaires plus réducteurs que la pire des piquettes lavassées qu’il m’a été donné d’avaler!
Que ce monsieur, qui se pique de donner un avis, sombrant très vite dans le désolant, relise un peu modestement nombre de textes humbles, descriptifs, modérés, pesés, argumentés et réfléchis qui pullulent sur le Web!!!
Non mais!!!
Il est urgent de mettre de la mesure dans ce bordj virtuel! Il est temps que la caravane puisse suivre la piste sans essuyer les crachats purulents des mécréants de toutes obédiences, partis ou sectes.
Voilà Monsieur Chris-machin, je vous le dis en «direct-live» (suis quand même top-branché-télé pour un vieux, non?… Suis à la mode ce que le sucre est aux fraises.). Assez de vos délires incontrôlés. Foin de vos élucubrations ésotéri-coco-grinçantes. De grâce, por favor, ti prego, revenez parmi nous, essuyez vos narines enfarinées par l’extrait sec de coca pilé, conformez vous aux règles que suivent et respectent les contributeurs sérieux qui enrichissent de leurs commentaires pointus, de leur reportages fouillés, de leurs états d’âmes maîtrisés, cette interface dédiée au vin. Cette boisson divine que tous ici révérons, encensons, vénérons.
A vous lire nous sommes unanimement vénères!!!
Ceci étant dit, je vous conserve et mes camarades de libations aussi et néanmoins une considération toute minérale qu’il ne tient qu’à vous de consolider. Rejoignez-nous donc enfin. Que votre plume s’assagisse, que votre âge s’apaise, que votre morgue s’épuise, que vos commentaires rejoignent le cortège éclairé des respectueux, des énamourés du rouquin, de la bibine, du mazout, du piccolo, du pinard, du reginglard, du rouge comme du blanc.
Ce n’est pas que je sois un adepte du politiquement correct – le PDR lui-même, tantôt a su parler vrai aux besogneux de base. Mais… de là à sombrer dans l’obscurantisme, tant lexical que syntaxique, il y a moyen de faire moins par pitié, mais mieux… voire de défaire!!!
Sur le bord de mon bureau exempt de toutes fantaisies inutiles, vibre, sous l’effet de mon indignation sus-exprimée, l’or pâle – dans le verre qu’illumine la lumière chaude d’une lampe basse consommation (soin de la planète oblige) – de L’HEISSENBERG 2007 DU DOMAINE OSTERTAG.
Alors là, c’est du sérieux!!!
Je ne partirai pas Messieurs dans une série de digressions absconsantes, ronflantes, grandiloquentes, déclamatoires, boursouflées, creuses, emphatiques, voire ampoulées. Non j’irai droit au verre. Je m’attacherai, tel un maître de recherche du CNRS, à l’étude précise, exhaustive et froide de l’objet-vin.
Ah Putain Martin, pourtant…
Quand tu fourres le blair dans le cristal, ça fouette, dur et bon. Exotiques les fruits, l’ananas mûr surtout. C’est du chaud qui sucre le nez. Quelques notes, que dis-je, quelques soupçons sous-homéopathiques d’un pétrole si fin que les générations futures post-consuméristes en auront depuis longtemps oublié l’odeur subtile, quand l’un de nos très arrières petits enfants, ouvrant la bouteille nue dénichée sous un tas d’Ipad éventrés dans l’ancienne cave où vous entreposiez amoureusement, la nuque humide et le souffle court, vos précieux flacons deux cents ans auparavant, re-découvrira interloqué cette fragrance, plus ancienne que les parfums suaves des roses disparues. De la pierraille aussi, les fleurs blanches odorantes du printemps à venir, les vergers d’Israël et leur pamplemousses juteux également dans ce jus frais, dont les parfums vibrent comme l’eau d’un lac d’altitude sous une brise d’été.
Tu peux pas t’empêcher d’y mettre la bouche. Impossible, tant le nez t’a envoûté et fait de toi un esclave définitivement docile. T’arrive pas non plus à sortir le nez du verre. Alors, pour toi dont la trompe est moyennent subtile, pour toi qui ne pourra jamais déclamer la célèbre tirade c’est une séance de contrôle conjugué des appendices qui commence. Tu continues à respirer lentement tout en happant, au risque de te froisser la luette, une gorgée de liquide. Là tu te dis que t’as bien fait, parce que du nez à la bouche tu ne t’es pas rendu compte du passage tant les étages du vin sont équilibrés et harmonieux. La réglisse douce n’a pas fini de t’enchanter le reniflard que déjà les fruits, aussi mûrs que jaunes, t’emplissent le gueuloir. Une pointe de miel, fugace, une once de gras puis la lame sort du fourreau et te tranche tout ça menu menu… Les épices font cause commune pour tenir en respect les quelques tentatives susucrées qu’osent les fruits. Poivre blanc et piment enrobent un bois de réglisse douce qui s’efface sous l’action sans concession d’un suc de granit concassé, qui te laisse la dent blanche et la langue rose. Un petit voile salin sur les lèvres, aussi, que tu lèches avec gourmandise.
Sans doute le plus extraverti des vins de la gamme. Né des grès roses et des sables rouges Vosgiens, il est aussi solaire que «Fronholz» est aigu.
Tu vois Chris-crucifié, pondre un compte rendu de dégustation qui se tient c’est quand même pas l’Alsace à boire…
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Dire que la Bourgogne est propice aux vagabondages et autres errances, est un lieu commun. Mais rien de moins commun qu’un truisme revisité … Et puis, se laisser emporter au pays infini des imaginaires, sentir en soi les mots affluer, comme des émotions brutes, comme autant de climats intimes et insoupçonnés, vivre la maraude qui s’installe, les nœuds qui se nouent, les images qui défilent, vous projetant dans l’espace-temps d’un rêve éveillé; j’avoue que je ne saurais m’en passer… Mieux même, je m’en régale, je m’en lèche les neurones, je m’en gave le plexus, dès que le possible m’en donne l’occasion.
Mais personne n’est maître de ses rêves.
Libres et indépendants, ils vont et viennent, fumerolles incontrôlées et enivrantes. C’est la quintessence de tous les paradis artificiels qui vient à vous, pour vous prendre à jamais. Plongez dans vos rêves, jamais ils ne vous asserviront…
Pendant ce temps, au cœur de la réalité-système solaire-planète Terre…
Hubert Chavy Meursault « Casse-Têtes » 2006.
C’est le temps du combat contre cette capsule de cire jaune, dure comme un calcaire du Bajocien; les entroques s’entrechoquent. La lame du sommelier ripe, crisse, et m’entaille le Mont de Venus, que mâle, je porte haut. Quelques gouttes de sang perlent et se noient, dans le torrent d’injures que je profère «in-petto», avec délice. Ah ces belles injures imagées, grasses comme des Marennes en juin, qui fusent, dans le secret des petites colères, goûteuses et épicées. Imaginez les sensations déclenchées par un suppositoire au piment oiseau, que distraits, vous auriez pris pour l’objet aussi fuselé qu’oblong, qui d’ordinaire calme vos toux hivernales… vous y êtes… mes frères en petites souffrances. Casse pattes et casse-cul, ce Casse-têtes!!!
C’est au dessus du berceau de ce vin, juste né, que je me penche. La cire m’accueille…Par réflexe, je me recueille. Au travers de ce parfum monastique, pointent ensuite, discrètes, des notes de chèvrefeuille d’hiver. Le vin cristallin vibre sous le nez, comme un mirage Libyen. Austère et tendu, il attend son heure. Servile, je l’écoute, et remets la suite de ce demi-verre au lendemain…
L’air lui a ouvert le cœur, il se donne un peu mieux. Outre ce qui charmait le nez, de jolies touches de pêches blanches mûres, légères, et marquées par la fraîcheur verte et gourmande du «dessous de peau», me séduisent. C’est délicat, subtil et doux, comme l’épiderme tendre d’un bébé propre. Un vin de climat froid, assurément. La réglisse pure apparaît, de bâton, et sans sucre. De fines notes de poivre blanc closent le chapitre olfactif.
Casse-têtes, casse-têtes, ça tourne dans ma tête…
Des images en foule à toute allure…Montcalm, Canada, pas qui craquent sur la neige gelée, bruit soyeux d’un coq de bruyère qui s’envole. Le lapin blanc qui gratte le sol. Des tâches noires, sur l’immaculé des énergies absentes. Deux yeux qui scrutent. Le casse-tête du diable, d’un coup, au bout d’un bras nu. L’os qui craque, le corps sidéré qui s’abat, fusillé. Le sang qui goutte comme un acide rouge. La neige crépite.
Un Pollock sauvage s’inscrit dans le sol… A se cacher sous le lit à dix ans, et pleurer de frayeur, et de frissons mêlés!!!
L’attaque est aussi franche que fraîche. Un vin qui n’empâte pas!!! Les fruits, justes sucrés, équilibrent. Du fruit blanc, un miel léger, de la réglisse poivrée en bouche. La matière est tendre pourtant, et caresse, les griffes à peine sorties, comme un chaton qui ronronne. Un vin jeune somme toute, et qui l’affiche sans complexe. Un Meursault qui fait son Puligny.
Du fruit et de la cendre dans le verre vide.
Je tressaille, dernier frémissement d’un voyage qui s’achève…Le vin m’a emporté aux confins du conscient, et me laisse pantelant, et ravi.
Celui qui me lit peut-être, n’en revient pas…Moi non plus!!!
De l’Iroquois de nos jours, seule la crête vit encore.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Ah que la vie est belle quand au petit matin,
La belle pâtissière sous son tablier blanc,
Les bras chargés de petits pains et de croissants,
Fumants, croquants, tout chaud dorés comme ses seins
Se penche, corsage béant, à tomber sur le flanc.
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Sous le fournil qui vibre, le petit chat mignon,
Aime quand ça tremble, ça ronronne, est ravi,
Sa maitresse a versé dans sa tasse, ronron,
Du bon lait, de la crème, du sucre et bien servis.
Il lape comme un bébé le très bon biberon.
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Le boulanger bien rond en short et en chaussettes,
D’un coup de pied rageur a boulé le chaton,
Il marmonne des mots crus, se frotte la cassette,
Il est blanc et neigeux, père noël patapon
Son gros nez cocaïne, d’un doigt il l’époussette.
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Dans un coin le mitron lorgne sur le giron,
C’est un vrai potiron, quel cul la pâtissière !
Le petiot en pensée lui pétrit le chignon,
L’allonge sur la table, lui tête les nichons.
Il a le cœur en rut, la lippe carnassière.
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Entre les mains de beurre, le chaton s’est blotti,
L’apprenti n’en peut plus, ses mains tremblent, il rougit,
Se rue dans les toilettes, le boulanger le voit,
Il a ouvert la porte, lui tape sur les doigts,
Le petit écarlate, la boulangère a rit !
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D’une rude bourrade, le mitron a jailli
Des gogues sous la poigne, et le voilà meurtri.
Le doigt du boulanger a montré le fournil,
Mais la belle le prend, l’attire sur son sein,
La vanille de sa peau lui a tordu les reins.
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Et le chaton ronronne du soir jusqu’à midi,
Et le four qui gronde, des matines à demain.
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Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Nul n’a jamais su comment ils s’étaient retrouvés enfermés dans cet espace surchauffé. Pas même eux deux.
Ils ouvrirent les yeux au même instant, nus comme au premier jour, allongés, non loin l’un de l’autre, dans une chaleur humide qui leur luisait la peau. Le regard noir de Agamemnon rencontra les aigues marines de Diane. Elles brillaient d’un feu ardent, on eût pu croire que le feu de la toison touffue, qui l’embellissait de la tête jusqu’aux épaules, se reflétait jusque dans ses yeux. Et les aigues marines de Diane scrutèrent le puits sombre des yeux de Agamemnon. Regard noir, si enténébré, qu’elle ne distingua pas l’iris de la pupille. Elle frissonna.
Le boa constrictor qui s’était enroulé autour d’elle, des chevilles à la gorge, l’adornait toute entière d’un tissu d’écailles vivantes, ondulantes, qui lui faisait parure d’automne, sable, parsemée de lacis d’ivoire vieilli et de chocolat noir. La tête du serpent aux yeux clos s’était nichée dans le cou de la jeune femme, jusque dans l’épaisseur odorante de sa broussaille bouclée. Elle ne parut pas étonnée. Pourtant elle fut surprise, et sa main tressaillit quand elle se posa sur la peau froide du reptile. Agamemnon, sidéré par le spectacle, étrange, émouvant et si beau, de cette splendeur blanche et rouge dans son brocart vivant, en oubliait de respirer.
Diane observait cet homme robuste, à la carnation bistre, dont les rares zones de peau visibles étaient recouvertes d’un velours de poils couleur charbon, drus, lustrés, un peu inquiétants, comme si l’homme était lentement infesté de l’intérieur par les eaux montantes de la mort. Le corps fauve, tacheté de fleurs de fourrure couleur palissandre, d’un jaguar alangui, reposait en travers de ses hanches, dans sa gueule entrouverte le félin tenait le poignet droit de l’homme, sans le serrer vraiment. Ses crocs blancs, comme deux aiguilles d’ivoire ancien, brasillaient sous la lumière irradiante qui semblait surgir d’un ciel dissout dans la substance des choses. Le bout de sa langue humide pendait entre ses dents aiguës, comme un pétale de rose embrumé d’aiguail au petit matin d’un automne rêvé.
Leurs regards ne se quittaient pas, se reconnaissaient croyaient-ils, mais sans s’être jamais vus. Le monde organique s’éveilla doucement, des oiseaux pépiaient, criaillaient, roucoulaient dans les feuillages… des feulements rauques glissaient au ras du sol, invisible tant il disparaissait sous d’épaisses couches de roches dures, de branchages, de feuilles et d’humus. D’étranges chuintements gras sourdaient, des cliquetis, des craquements, des bruits inconnus arrivaient de toutes parts. Lentement ils sortirent de leur engourdissement.
Diane se demandait ce qu’elle faisait là, dans cet appareil, elle ne se souvenait de rien sauf de son prénom.
Pourtant, la veille, à la tombée de la nuit, elle courait en bord de Tamise. Du casque collé à ses oreilles coulait une musique forte, violente et rythmée, un rock à rendre sourd, un ouragan sonore qui roulait dans ses veines et cadençait sa course. Courir à perdre haleine, courir pour se débarrasser un temps du stress de sa vie de femme très affairée, solitaire et cruelle. En rentrant elle s’était longuement douchée, séchée, crémée, parfumée, avant de se glisser entre ses draps de soie, dans son grand lit de bois précieux, au fond de son loft, quelque part dans un quartier huppé de Londres. Demain très tôt, pensa-t-elle, dans son bureau haut perché, la finance internationale l’avalerait à nouveau. Elle prit un somnifère, suivi d’un grand verre d’eau.
Agamemnon regardait de tous côtés, perplexe il réfléchissait, cherchait dans son souvenir, mais rien ne remontait à sa mémoire, il ne se recordait plus de rien, excepté son prénom. Sous ses yeux clos, de grandes étendues de couleur blanche, molles, lisses, sans limites ni aspérités, informes, angoissantes, défilaient lentement.
Pourtant, la veille, le chef des Achéens contemplait pensivement les remparts de Troie qu’il attaquerait bientôt. Le ciel était noir comme les enfers, aucune étoile ne scintillait. Seul sous sa tente, il songeait à Clytemnestre, à ses trois filles, à Iphigénie surtout qu’il avait failli devoir immoler pour calmer la colère de la déesse Artémis. Mais au moment du sacrifice, Artémis, calmée, avait remplacé la jeune vierge par une biche.
Le grand roi s’allongea sous les épaisses fourrures, il soupira et ses yeux se fermèrent. Demain l’assaut serait rude.
Leurs cœurs battaient comme des purs-sangs affolés, ils respiraient comme des forges attisées par le grand vent des terreurs immémoriales, ils se regardaient, sidérés, incrédules, ne sachant plus qui ils étaient, ce qu’ils faisaient là, nus et sans défense, et quel était ce lieu étrange, touffu, dense, humide et chaud, oppressant, illuminé par cette lueur invisible qui ne faisait pas d’ombre ? Autour d’eux, une forêt épaisse, des arbres gigantesques autour desquels s’enroulaient des lianes torturées qui grimpaient, rampaient, s’accrochaient aux buissons, aux troncs, étalant de grandes feuilles dont la couleur verte allait du jade au Véronèse, en passant par l’anis, le sinople, l’olive et le bronze, des feuilles rondes, réticulées, des feuilles de toutes formes, de toutes tailles, mouillées, mates, brillantes, cirées, comme si toutes les forêts tropicales de la terre s’étaient rassemblées dans cet espace exotique. Ils avaient peine à se mouvoir, la végétation luxuriante semblait impénétrable dans ce royaume végétal aux limites indiscernables.
Les deux êtres avaient beau regarder de tous côtés, ils ne voyaient qu’une masse céladon au-dessus de leur tête, la canopée formait un nuage feuillu compact, insondable, et le ciel, qu’ils cherchaient désespérément, était invisible. Pourtant, il faisait jour autour d’eux comme en plein soleil ! Un son grave, profond, doux et velouté leur parvint, qui les calma. Pas une mélodie, non, quelque chose d’étrange et apaisant, comme une basse ostinato. C’était comme si la respiration paisible, chaude, réconfortante, de l’exubérante frondaison, distillait dans leurs veines, leurs esprits, et jusqu’au fond de leurs âmes inquiètes, la chaleur réconfortante du soleil disparu.
Alors le reptile et le jaguar disparurent dans la végétation. Diane et Agamemnon se rapprochèrent, leurs peaux collantes et palpitantes étaient à se toucher. Pourtant leur nudité ne les troublait pas, leurs mains se nouèrent, ils souriaient comme seuls peuvent sourire ceux qui ont oublié leur ego.
Alors ils perdirent jusqu’à la perception de leurs limites corporelles. L’une et l’un se fondirent l’autre dans l’une. Une multitude de gros bourgeons dodus surgirent simultanément dans la verdure, éclatèrent, libérant profusion de fleurs multicolores et chatoyantes, délicates, fragiles, ou exubérantes, plantureuses, pulpeuses, charneuses, qui exhibaient leurs pétales versicolores, leurs habits chamarrés, leurs textures grasses ou poudreuses, leurs grâces bigarrées. La basse ostinato se tut. Lui succédèrent les eaux chaudes d’un Duduk Arménien à la voix de bronze miellé, dont les notes, rondes comme les hanches tremblantes des danseuses orientales, enturbannées aux sonorités liquides assourdies des tabla Indiennes, leur embrasèrent les os, les sangs, jusqu’à ravir leurs âmes.
Puis les embruns des mers anciennes, des fleuves et des rivières, l’odeur des fourrages, le musc des fauves et des savanes, des terres brûlées par le soleil, les parfums épicés des souks et des marchés, les essences de tous les continents, toutes les fragrances de la création, s’unirent aux beautés qui les entouraient. Ils crurent à ce moment toucher à la félicité absolue.
Entre eux un bloc de bois précieux, magnifiquement sculpté, se matérialisa, incrusté de bronze, d’or, d’éclats de lapis, de larmes d’obsidienne, d’éclairs de quartz rose, d’esquilles de malachite, un cube parfait, richement ouvragé, qui tournait sur lui-même. Au centre du chef-d’œuvre, derrière de fines parois de cristal, on apercevait une sphère creuse, taillée dans la masse, d’où rayonnait un chatoiement d’intensité variable qui passait par toutes les nuances de l’arc-en-ciel.
Enfin la scène pâlit, ce fut comme un mirage qui s’affaiblissait progressivement, quelque part entre les mondes perceptibles par les yeux de chairs, comme une scène inventée, un rêve inimaginé, un cauchemar, effrayant comme un chandelier d’argent noirci dans une crypte introuvable. Puis il y eut un grand bruit chuchoté, une implosion invaginée, un trou noir qui engloutissait tout ce qui n’avait peut-être pas été. Et les profondeurs infinies des espaces éternels réapparurent. Et les étoiles immobiles continuèrent leur ronde céleste. Les âmes explosèrent en milliards d’étincelles fulgurantes. Qui voyagèrent, invisibles, jusqu’à ce que …
Dans la douceur de ses draps, le corps de Diane frémit imperceptiblement, ses doigts se crispèrent, puis elle s’étira dans son sommeil finissant, sa main gauche remonta lentement de son ventre à sa bouche entrouverte, elle respirait maintenant comme un bébé qui tète en poussant de petits cris aigus. Une gerbe d’étincelles l’entoura.
Agamemnon avait rejeté la couverture loin au milieu du grand tapis qui rougissait le sol, Talia la servante l’avait aussitôt ramassée. Assise dans l’ombre au fond de la tente, elle le regardait dormir en serrant la fourrure contre son ventre. Cette nuit là, son roi, dont le repos était toujours agité, qui hurlait parfois, qui arrachait les draps au plus fort de ses cauchemars, lui, qui pleurait en criant le nom d’Iphigénie, cette nuit d’avant l’assaut, n’avait pas bougé. Allongé sur le dos, le corps détendu, il souriait. L’aube grisait, au-dessus des remparts de Troie, la lumière sourde du petit matin pointait. Talia, assoupie, ouvrit un œil quand Agamemnon se mit à hoqueter rapidement. Son corps tremblait, ses lèvres balbutiaient des sons crémeux qui éclataient en bulles moirées sur ses lèvres mouillées. Les flammes grasses des bougies mourantes perçaient encore un peu les ténèbres, une salve d’étincelles crépitantes jaillit en bouquet autour du lit, elles disparurent à l’instant où le premier rayon du soleil levant éclairait le visage du roi.
Diane traversait à grands pas la place immense qui conduit aux tours sinistres, elle avait dormi comme un plomb au bout d’une ligne. Et ce matin, le cœur chargé d’un espoir inhabituel, elle se demandait quelle pouvait bien être cette nostalgie sans nom qui lui chatouillait la conscience. Et cette chaleur douce qui réchauffait son ventre d’ordinaire si froid ? Elle pressa un peu plus le pas, les temps n’étaient, ni à la mélancolie, ni aux mollesses du cœur. Ses talons sonnaient la charge enivrante de la journée à venir.
Agamemnon décida de surseoir à l’assaut pour se consacrer aux dieux. Il demanda qu’on lui apportât des femmes, et pria à longs sanglots sur leurs ventres blancs. Une courtisane rousse à la peau d’albâtre demeura près de lui la journée entière, il s’employa à l’honorer régulièrement. Quand la nuit fut tombée, il sortit de sa tente, le camp brillait de mille feux, et sur les cuirasses polies des gardes qui l’encadraient les étoiles du ciel se reflétaient. L’une d’entre elles clignotait. le grand roi des Achéens frissonna malgré la chaleur accablante.