Littinéraires viniques

LE MARATHONIEN DE MOREY…

Henri Bellechose. Rétable de Saint Denis.

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 Souvenir de mon passage à Morey chez Alain Jeanniard. Affûté comme un athlète de haut niveau, l’homme est discrètement chaleureux. Dans une cave microscopique où chaque déplacement de fût, nécessite la consultation d’un Polytechnicien Centralien, sorti Major des Mines, tant cela paraît relever de la quadrature du tonneau…Enfin bon, le bougre y arrive, avec ses bras et ceux de ses amis, lesquels, ont sans nul doute, droit, l’affaire étant faite, de déboucher un flacon ou deux des meilleurs crus… Me voici, coincé entre deux Canadiens, enthousiastes, rieurs et connaisseurs. Très vite, l’ambiance vise à l’amitié, qui s’installe d’ordinaire, entre ceux qui n’ont besoin que de boire une même passion, pour s’apprécier. L’après midi fut belle, simple, intense, joyeuse.

Aujourd’hui ce souvenir me traverse, comme un train fou, rouge du plaisir d’alors…

C’est entre rubis et carmin, que la robe intense de ce Gevrey Premier Cru “En Chenevery” 2006, balance.

Ah ces nez crémeux que j’aime!! En voici un qui mêle allègrement – car j’ai trouvé ce vin élégamment joyeux – de beaux fruits rouges, framboicassis, merise et son noyau, un soupçon de fumé, prunelle. Le tout très pur.

Il faut savoir que les parents de ce jus soyeux, sont le produit d’une étreinte torride, entre l’oolithe blanche du Bathonien et le calcaire à entroques du Bajocien !!!

Tu parles d’une origine qu’elle a de la gueule…

Quand le Bathonien se glisse dans l’entroque, plus un cep ne la ramène, les coteaux sont muets et dans la nuit des vignes, l’extase est à son paroxysme. La bouche, la mienne, accueille une matière glissante et fraîche qui roule sur le palais, délivrant au fur et à mesure, tout en montant en puissance, les promesses faites au nez. Équilibre et pureté. Équilibré, comme un Morey, entre un Chambolle et un Gevrey, comme une crème douce, entre une chantilly et une pâtissière. Pour un enfant de vieux… les vignes ont 80 ans!!! Me souviens plus des tanins, tant ils étaient fins, à peine perceptibles, au bout du bout d’une finale fruitée et épicée, longue comme un jour sans seins.

DOMAINE OSTERTAG, HEISSENBERG 2011.

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J’ai pour habitude de me foutre comme de l’an 14 (festivités obligent) des étiquettes des vins. Je veux parler de ces modes qui disent que sont ringardes les étiquettes d’il y a 15 jours, mais qui resurgiront, encensées, dans trois semaines.

Exception faite des tags austères (surtout en 2007) qui ornent les bouteilles de ce Domaine Alsacien. Elles sont l’oeuvre de la dame du logis, qui, ceci dit sans aucune flagornerie, possède un joli pinceau. Doux et agile, du poil de martre sans doute ? Une sensibilité que j’aime, de celles qui donnent dans la finesse, l’élégance mais qui ne manque pas de puissance expressive pour autant.

Je ne sais ce que vous en pensez mais moi, cette oeuvre-étiquette …

Or donc, revenons au vin. Ah oui, un Riesling du lieu-dit HEISSENBERG, la “Montagne chaude” (grès rose et gneiss) qui renvoie à l’étiquette. Inutile de vous faire un dessin ? Quoique …

Dans sa robe jaune qui tourne joliment dans le verre, le jus gras (ça ne veut pas dire que c’est de l’huile de palme ! Je dis ça parce que d’aucuns … nous sommes lus parfois sur face book) s’accroche au cristal (oui on ne boit pas un pareil nectar dans un gobelet en plastoc). Sensuelles au possible ces jambes ! Des fruits jaunes dans un bain d’épices qui me disent que je risque d’avoir Phoebus en bouche.

Hé oui braves gens, c’est un vin qui s’enroule et fait sa sphère en bouche, et qui, mieux même, RAYONNE carrément, avant de libérer une masse grasse et fluide à la fois de fruits jaunes mûrs. Une formidable impression de puissance, comme si le soleil tirait à la roche qui porte ces raisins là, tout son “minéral”. Puis les épices s’y mettent et renforcent l’impression d’avoir le soleil au zénith du palais. Et le vin se retend et file droit, épicé et frais néanmoins. Il me laisse sur les lèvres une salinité délicate.

Regardez à nouveau ce soleil enraciné ! Tout ce qu’est ce vin, son étiquette vous le suggère … Un jus comme rarement bu, de l’énergie liquide !

PS : un domaine, bio, en biodynamie … et tutti quanti, qui n’a pas besoin de surfer sur la vague paresseuse des vins “propres, naturels, vivants” etc. Non, André Ostertag fait comme ça depuis plus loin qu’avant hier, sans en rajouter des tonnes dans les médias, sans chercher à séduire les jeunesses citadines non plus. C’est un convaincu, lucide, discret, qui n’a pas pris le train en marche. Une locomotive plutôt.

P! Me suis régalé grave.

DANS LE SILENCE DU MONDE.

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L’Arachné de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La toile est nue, l’Arachné s’est enfuie

Des larmes de rosée dessinent sous la lune

Le collier qui jamais, dans la vallée profonde

Se perdra, silencieux, entre tes seins si blonds

Dans le noir drap de soie qui étale ses plis

La nuit est descendue comme un linceul de plumes

Les oiseaux se sont tus et la voix du loup gronde

Sauvages et rauques, les cris à l’unisson

Des hommes en douleurs, arrachés à ton lit

Meurent toutes les heures, trépassent les secondes

Dans le silence du monde la mer à l’infini

Ses rouleaux pur argent se meurent comme ta vie

Au dessous des enfers j’entends gémir les Parques

Apollon le glorieux et Charon sur sa barque.

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Quand reviendra le temps des amours immortelles ?

BOULARD, C’EST BONNARD…

Dita Von Teese. Champagne glass.

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Petit – je veux dire jeune – Le sieur Boulard, Francis de son prénom, a dû subir moultes avanies. Toutes celles et ceux qui ont souffert dans l’enfer des plaines de récréation le savent bien. La moindre différence y engendre vexations, camouflets, brimades, parfois violentes. Orales, voire physiques souvent. En des temps anciens, où quelques horions griffaient quelques cellules épithéliales sans ameuter leurs homonymes psychologiques. Durs temps de l’école primaire qui voyaient s’écharper primates en herbe et fleurir chardons qui déchirent.

Plus les cœurs que les épidermes.

Alors, fiction aidant, je me glisse, tel un John Malkovitch amateur, dans la peau de Francis Boulard et dans celles de tous les jeunes martyrs inconnus qui se sont durcis le cuir, les fesses et les poings, jours après jours, pleurs cachés après larmes séchées, sur les champs de bataille de leurs jeunes années. Abitmol, Baisecourt et Sèchepine, Anus, Apoil et Pourchier, Bonichon, Belleverge, Melamet et Labonne, Lapute, Lagarce et Cascouille, oui vous toutes et tous, soeurs et frères en tribulations, permettez moi, au détour de ces phrases, un hommage tardif à vos cruels déboires enfantins. Devant vous petits soldats inconnus, présentement je m’incline. D’autant que je n’étais pas le dernier à jouer de vos noms… Mea maxima culpa.

Et vous Francis qui lisez peut-être ces lignes, je ne doute pas que vous finissiez par penser, que tout compte fait, Boulard c’est plutôt Bonnard !

Or donc après ce longuet préambule, sachez que Francis Boulard ne m’était pas inconnu. Que je lisais de-ci de-là, bien des bontés à son encontre. Ou plutôt à ses œuvres pétillantes et doucement bulleuses. Buveurs de bons, de tous poils, toutes chapelles et toutes régions, n’en finissaient pas de proposer à mon regard curieux, compte-rendus, billets, articles, notes et autres pré-textes viniques qui affirmaient et vantaient, venant tout aussi bien des Oracles Jurassiques, des Engouements Vendéens, des Inclinations Lutéciennes que des Adorations Provençales, les vertus et les charmes des bons pinots noirs, meuniers et autres chardonnay, après qu’ils soient pressés par les mains douces, mirés par l’œil expert, et finement bullés par le souffle subtil du Champagnard Boulard et de ses proches descendant(e)s…

Voilà qui illustre bien la subtile ironie du sort et l’humour facétieux du destin, qui ont fait de l’ex bambin bagnard Boulard, demeuré champagnard, cet homme, révéré de l’Art des mousses fines et bouches gourmandes. Qu’ici Dieu soit remercié de ne l’avoir fait ni viandard, ni cardeur de plumard.

Adonques vient le temps pour moi, tant bavard, de reposer l’encensoir à Boulard, de taire mon moulin à bobards, de quitter la mare aux canards pour m’en aller voguer sur ces vins de fêtards qui enchantent les avaloirs.

Mais – vêpres crapuleuses – ne voilà t-il pas, il y a fort peu, qu’au hasard Balthazar des rencontres lumineuses que ménage le Web à ceux qui en sont dignes, je me trouvais à baguenauder en l’illustre compagnie Saint Emilionesque d’un buveur de vins de Grands Crus de messe. Le soir qu’il avait assemblé chez lui un bel équipage de luronnes et lurons de haut lignage, préparant en compagnie son gosier aux épousailles proches qu’il allait endurer, mariant pour l’occasion une très accorte Nonnette, courbes pleines et mains agiles, je me trouvais, surpris de l’aubaine, devant un verre oblong à demi plein d’un vin pâle comme paille au soleil, au creux duquel, montaient en cordon serré, de fines bulles d’argent. Près de moi l’œil calamata de la future épousée souriait de toutes ses mélanocytes, reflétant à l’infini du jour déclinant, les serpentins de mercure qui fulgoraient dans les verres.

Foutre d’Archevêque libidineux, le miracle s’accomplissait !

Boulard en bulles dans les hanaps, sussurait dans la pénombre l’antique cantilène de « Petraea ». Comme un coup de coing au plexus. L’assemblée papotait, mais en moi le silence se fit. C’est dans un état proche de l’intersidéral que je m’unis au vin. Je ne saurais mieux et plus subtilement dire ce qu’écrivait il y a peu, en des circonstances similaires, dans un monde intermédiaire, mon hémisphère droit : « Un miracle d’équilibre entre le vineux du Pinot noir et la lame brute-minérale-affutée, adoucie en son milieu par une touche d’oxydation élégante, aussi justement fruitée que maîtrisée. ». J’avais certes jusqu’à lors trempé mes lèvres fragiles dans bien des bouillies vertes à bulles ballonnées, aux relents cartonneux et aux finales courtes comme des coïts d’oryctolagus cuniculus. Rien ne m’en était jamais resté, si ce ne sont bouche sèche, gencives à vif et langue pâteuse. C’est dire combien j’évitais le plus souvent de tremper mes tendres lèvres purpurines dans ces breuvages standardisés à prix stratosphériques.

Mais ce soir là Le Cardinal Inspiré – que les Anges de Dieu veillent sur lui et lui donne l’incessante vigueur érectile – m’avait entrebâillé les portes des Paradis de Boulard… Ne me reste plus qu’à arpenter, prenant mon temps à venir, les cols gracieux aux coiffes encapsulées de cornettes serrées, qui viennent de sonner à ma porte pour le denier du culte fruité.

Pas plus tard qu’hier !

L’épopée de Boulard le Bonnard chez Chrisbard le soiffard ne fait que commencer…

EBOUMOLARDTICONE.

LES OISEAUX PIAILLENT.

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Les conversations de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Rayon de lune, torée la raie au beurre blanc,

Mercure fondu, argent déchu, tes blancs battus

En neige. Coton filé, à oublier que tu

Lèches les jaunes coulants aussi. Rires charmants,

Trilles sous la Sybille, rires de printemps.

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Pégase vole, hennit, se cabre et se donne,

Le mors tendu, le jarret ferme sous la cravache,

Cavale et crache, moustache d’Apache, lâche,

Ruades rouges du sang qui tâche, aphone,

A tant brailler. De taille, d’estoc, madone.

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Dans la pénombre, même les ombres taillent

Des croupières. Éclairs violents, les deux amants

N’en peuvent plus. Même les draps mouillés défaillent,

Dans la pampa, dans la toundra, jusqu’au Zaïre,

Pleine savane, épices pilées, ne plus haïr.

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Dis-moi Lilou si je suis fou, à tant vouloir

Briller, crier, chanter comme un bougeoir,

Mordre ta vie, boire à l’envi, croire à l’espoir,

Allons ma mie, envolons nous. Au ciel maudit,

Les nuages noirs, les désespoirs, la comédie.

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Arrache les tes yeux voilés et ta langueur,

C’est l’heure. Je bois tes pleurs, meurent les malheurs.

Les anges ont soif, au cieux cloués, ailes collées,

Violés. Le vent se lève, loin sur tes lèvres. Gelé,

Le cœur ciré, sous les vagues, à l’amble, je rêve.

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La tension tombe, les oiseaux piaillent entre tes cuisses …

CLOS MANOU 2011. MEDOC.

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Ici nous sommes à gauche, L’Aquitaine, étonnement, n’a pas cédé à la marée bleue, au tsunami électoral qui a, voici quelques jours, changé la couleur de l’hexagone. Va comprendre Charles !!! … Et dans cette belle région, la rive gauche de la Garonne, qui fait de grands vins, à la couleur de leurs gentlemen-propriétaires très majoritairement bleus donc, est restée rose. Là j’avoue que le mal de tête me prend …

Aussi en ce beau jour dédié au ramassage forcené des œufs, moi qui n’ai pas vu la couleur d’un de ces ovoïdes chocolatés, dédaignant le cacao de rigueur, je me suis ouvert une bouteille de Clos Manou 2011, millésime décrié par les grands prescripteurs, un millésime réputé « moyen », si j’en crois les lectures que je n’ai pas faites.

Des caisses de vins, devant lesquelles un éléphant, sans doute amateur de pinard, fait la génuflexion, une œuvre de Noëlle Roudine, décore l’étiquette de cette médocaine, une bouteille austère comme un parpaillot. Rien à voir avec ces étiquettes colorées à la mode de chez les bobos show-biz.

Carafé le jeune médoc, quatre bonnes heures, histoire de le laisser peinardement se déployer et prendre ses aises aromatiques et machin truc.

Dans un verre aux formes maternelles je le verse généreusement, sa robe sombre est impénétrable, et la forte lumière de ce jour froid et venteux, mais au soleil pourtant aussi radieux qu’éclatant, ne se laisse pas pénétrer comme la première des radasses à trois sous. C’est à peine si Phébus parvient à aquareller d’incarnat le bord du disque. Le jus, au nez, ne fait pas sa mijaurée, et se donne gentiment, aromatique, élégant, complexe et pur. Un bonheur de blair ! La cerise noire qui me caresse l’appendice est mûre, appétissante à souhait. Se joignent au bouquet des notes délicates de vanille (un vin qui n’a pas dû être élevé dans du chêne de cercueil caucasien), des fragrances de sous bois sous la pluie (champignon, humus), de réglisse en bâton, le tout enrobé d’épices douces. Cabernet sauvignon, merlot, cabernet franc, petit verdot (45/45/6/4), bien mûrs et assemblés, dansent la même valse olfactive. Pour la plus grande joie du piètre tourbillonneur que je suis. En un mot comme en cent, j’ai les poils du nez qui frétillent de plaisir.

Ah oui, j’oubliais. Vous dire aussi que les lambrusques qui ont porté les grappes gorgées de ce nectar, croissent sur des sols argilo-calcaires, de graves argileuses et de graves sableuses (50/30/20). On ne dira jamais assez que les métissages, n’en déplaise aux racistes aux fronts bas et bleus très marins, donnent des résultats splendides chez les humains et des vins foutrement bien balancés.

En bouche, de la fraîcheur maîtrisée, une matière ample, un corps sans exagération, du café noir, des fruits de même couleur, de la réglisse et des épices. Et surtout des tannins fins, croquants, enrobés et mûrs qui tapissent le palais et ses environs, doucement, longuement, sans astringence. Des tannins que le temps polira plus encore. La finale n’est pas pressée d’aller voir ailleurs et laisse en bouche une amertume noble, signe d’une belle longévité potentielle. Bref un régal de jeune vin. Le verre vide, après un petit quart d’heure embaume le cuir et la pivoine.

 Alors 2011 chez Manou n’a rien de moyen, bien au contraire, et des « médocs » comme celui-ci je veux bien que la médecine m’en prescrive tous les jours.

 PS : Non, non, Clos Manou n’est pas la propriété d’une nageuse reconvertie, ni même d’un directeur de cirque d’origine tzigane. Cette propriété, qui fait un si beau vin, prospère entre les mains de Françoise et Stéphane Dief.

 Voilà c’est dit.

KALLISTRAT ET ROXALANE.

MARIE-JOELLE DE BROQUA. Le don de l'aigle - 60 x 60 cm - 2014

Marie-Joëlle de Broqua. Le don de l’aigle.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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L’aigle noir planait très haut dans les courants ascendants.

Un vent d’est, à perdre parfois la raison, soufflait sur la steppe Sarmate. A vouloir distinguer les limites de cette immense étendue, un homme y aurait pu aussi perdre la vue. Très loin à l’ouest, les Carpates étaient invisibles. Seul l’aigle là-haut dominait le monde. Presque immobile, les ailes largement écartées, il fixait un point minuscule, qui galopait dans les herbes en réverbérant la lumière du soleil blanc au zénith.

Au ras du sol, en ce Mai vigoureux, les herbes gorgées de suc fouettaient les pattes du petit cheval trapu qui fonçait droit devant lui. Les rongeurs effrayés zigzaguaient au ras du sol, la steppe était verte, d’un vert tonique, le vert de la vie renaissante, intense et juteux. Au-dessus le ciel était d’azur lisse, il retombait de tous côtés des horizons, comme s’il encerclait la steppe pour la protéger des temps à venir.

Kallistrat tenait l’équilibre sur son cheval à la force de ses cuisses musculeuses. En ces temps là, les hommes montaient au naturel, sans éperons. Le cataphracte filait comme un dieu amoureux, en faisant un bruit effrayant. Les broignes de bronze, épaisses, cousues à même le vêtement de cuir brut, s’entrechoquaient, tout comme celles qui cliquetaient sur la robe sombre de son cheval écumant. Sous son casque de fer, presque hermétiquement clos, trois fines fentes pour les yeux et la bouche, il suait à grosses gouttes. Le poids l’écrasait, mais sa monture ne semblait pas incommodée. A eux deux, harnachés comme ils l’étaient, ils pesaient bien soixante kilogrammes de plus qu’à l’ordinaire, quand la bête, libérée dé-caparaçonnée, arrachait les graminées croquantes à grands coups de museau de velours, quand l’homme, nu sous les fourrures épaisses de sa couche, fouraillait Roxalane sa guerrière, dans un combat qui les laissait tous deux hors d’haleine, le cœur au galop, le souffle court, et les reins fatigués.

Le Sarmate était un petit homme au corps d’os et de muscles sculpté par la rudesse, aux épaules larges, au torse épais, auquel s’attachaient deux bras gros comme des bûches, prolongés par des mains, puissantes à décoller une tête de barbare d’un seul revers. Son visage carré aux mâchoires proéminentes ne prêtait pas à sourire, d’autant que le regard de ses yeux en amandes, bleus comme la mer noire, glacés, inamicaux, brillaient d’une lueur inquiétante. Seuls ses cheveux blonds, longs et indisciplinés, adoucissaient un peu sa physionomie.

Le cavalier fendait la steppe en soufflant sous la charge, et la très longue lance qu’il pointait devant lui, était si lourde, qu’elle rendait sa course encore plus difficile. Alors, pour s’endurcir, en préparation des combats à venir, il chevauchait, pour maitriser sa cavalcade en insultant sa douleur. Quand il tira sèchement sur les longues rênes de cuir gras, l’étalon pila, puis se cabra, alors le poids du bronze, accentué par le choc et la position, devint insupportable. Kallistrat serra les dents à se les briser, ses reins, pourtant solides, plièrent un instant. Il serra les jambes encore plus, contracta à hurler ses muscles abdominaux, et laissa sa rage mordre le bronze, la steppe, le ciel, et les ennemis qu’il avait occis, comme ceux qu’il tuerait encore, jusqu’à que la terre entière soit Sarmate ! C’est à ce prix qu’il garda l’équilibre. Le coursier retomba lourdement, les dents du guerrier s’entrechoquèrent, son dos craqua, mais il ne chuta pas. Tête basse et corps meurtri, il haleta longuement. Le petit cheval, blanc d’écume, la tête enfouie dans les herbes tendres, broutait calmement.

Roxalane, à demi accroupie, roulait le cuir de tente. La tache n’était pas aisée, la peau épaisse, lourde et raide, résistait. Le temps était venu pour la tribu de nomade de changer de lieu, il fallait sans cesse bouger, selon les saisons, l’état des pâturages, et pour tromper les hordes ennemies. Les tribus Sarmates, en ces siècles négatifs d’avant la survenue du soi-disant messie, passaient le plus clair de leur temps à s’entretuer, à s’asservir, à se voler, femmes, enfants et bétails. La volonté brutale de domination dans tous les domaines était leur credo. La jeune femme tournait régulièrement la tête au-delà des herbes. Roxalane était grande, mince et forte à la fois elle avait la peau hâlée par l’air vif, des membres longs à la musculature fine, la taille marquée, des hanches souples, ses cheveux noirs, épais et rebelles, piqués sur le sommet de sa tête par un grand peigne d’os poli, dégageaient son visage. Sans toucher à la grâce des porcelaines romaines à venir, ses pommettes hautes, ses yeux olive, son nez droit et ses lèvres rouges joliment ourlées, donnaient une noblesse certaine à son visage. Seule la dureté de son regard dénotait. Elle maniait l’arc, l’épée courte et la lance, mieux que bien des hommes, et faisait jeu égal avec son compagnon. Kallistrat avait pris le mors aux dents depuis le lever du soleil, elle attendait son retour impatiemment, pour qu’il conduise la troupe au loin. Ces derniers jours elle avait vu roder quelques éclaireurs de l’engeance des Siraques, des guerriers aussi violents que le peuple des Lazyges dont Kallistrat était le chef. Un chef contesté, chez les Sarmates rien n’était jamais acquis! Comme chez les cerfs des forêts lointaines, les combats entre mâles dominants étaient habituels.

Roksaï, le rouquin à peau blanche, lui prit les hanches à deux mains, et se colla contre elle, mimant le coït, en ricanant. Il n’eut pas le temps d’en rire plus, le talon droit de la jeune femme, lancé à toutes forces, lui écrasa les génitoires. Ecarlate, la bouche grande ouverte, il tomba à genoux. Roxalane se redressa vivement, se retourna, et lui cracha au visage. Son poignard à lame d’os, noirci au feu, piqua vivement la gorge de l’homme, qui blêmit aussi vite qu’il avait rougi, et la lame lui fendit le visage, de la bouche jusque entre les yeux, séparant son nez en deux cartilages informes. Le rouquin s’étouffa à moitié, le sang refluait dans sa gorge. Roxalane lui tourna le dos.

Ce n’était pas la première fois que Roksaï, le rustre au poil fauve, tentait de la prendre. Sous l’os de son crâne épais, ses neurones de ragondin lui faisaient croire, qu’en réduisant la femelle il mettrait le mâle à genoux, car dans la tribu des Lazyges, cette fougueuse amazone était unanimement crainte et respectée. Dans les combats, cette cavalière émérite valait plus de trois solides guerriers, elle qui montait sans protections de bronze, était si prompte à diriger sa monture, qu’aucun trait ne l’avait jamais même effleurée. Elle décochait ses flèches à cadence plus rapide que n’importe quel archer, ses pointes précises affectionnaient les yeux des ennemis, et elle était la seule à pouvoir galoper, cuisses bloquées, la tête sous le ventre de sa cavale. Sans que cela n’eût jamais été dit, les femmes la reconnaissaient comme la plus vaillante d’entre elles, et l’auraient suivie au-delà des steppes, jusqu’à Lelus et Politus.

Kallistrat sauta de cheval, les broignes de bronze tintèrent comme les cloches brisées des églises, que ses descendants détruiraient bien des siècles plus tard. Avant de se délester, il soulagea son cheval. L’animal hennit de plaisir quand Kallistrat le bouchonna vigoureusement. D’une tape sonore sur la croupe il l’envoya décapiter les fleurs à l’extérieur du campement. Autant il était tendre, chaleureux et roucoulant sous les cuirs de la tente, autant au milieu de la tribu, il ignorait Roxalane, qui faisait de même.

La troupe à cheval conduisit les chariots de bois brut, aux chargements recouverts d’écorces, pendant des jours. Quand la mer fut à vue, ils s’installèrent. Le voyage avait été long, éprouvant, les fortes pluies printanières ne les avaient pas épargnés. Toute la tribu déchargea les chariots, déballa tentes et autres matériels, qui furent mis à sécher. L’aigle, qui planait toujours haut dans le ciel, vit le tapis vert de la steppe se couvrir de tâches multicolores, un patchwork gigantesque aux formes abstraites irrégulières. Il glatit à plusieurs reprises, les hommes levèrent la tête. Kallistrat leva le poing nu, l’oiseau piqua mais se posa en douceur. A coups de bec incisifs il tailla dans la chair du mulot qu’on lui offrait, puis la lumière qui sourdait de sa pupille, noire comme un jais poli, insondable, sertie dans le bijou jaune d’or de la sclérotique, sembla s’enfoncer dans l’outremer des yeux de Kallistrat. Ils restèrent longtemps immobiles, comme hypnotisés l’un par l’autre. On les aurait pu croire unis par quelque chose d’indicible. Enfin l’aigle secoua la tête, ouvrit le bec, le referma, et s’envola dans un bruit d’ailes froissées. Très vite il regagna ses hauteurs.

Roxalane se déshabilla, Kallistrat sourit, et se dépouilla lui aussi de ses vêtements souillés par le voyage. Ils coururent ensemble vers leurs montures. Par jeu, l’homme sauta en souplesse sur le dos de son cheval en posant ses deux mains sur la croupe, la jeune femme, par défi, fit de même. Tous deux partirent au galop vers la mer. Ils déboulèrent sur le sable vierge. Ne ralentissant pas, ils s’enfoncèrent dans le flot calme en soulevant de grandes gerbes d’eau et d’écume. Les cavales, excitées par la course, les désarçonnèrent en roulant sur le côté. Longtemps ils jouèrent comme des enfants violents, loin de l’autre, se giflèrent à poignées de sable mouillé, luttèrent sans se ménager, se renversèrent, s’amusèrent à s’enfoncer la tête sous l’eau jusqu’au bord de l’étouffement. Ils criaient comme des enragés, mais se couvaient tendrement du regard. Le soleil rasait l’horizon, rouge comme le Dieu du feu, la mer bruissait comme une femme offerte. Roxalane et Kallistrat s’étaient peu à peu rapprochés l’un de l’autre, leurs gestes s’adoucirent jusqu’à ce qu’ils finissent par s’étreindre. Ils glissèrent sur le sable blanc, s’accouplèrent tendrement. Ils restèrent enlacés un moment, leurs mains jouaient au-dessus de leurs visages, leurs bouches s’évitaient, se frôlaient, se mordillaient en balbutiant des voyelles liquides. L’amazone, ondulant doucement comme un roseau sous la brise, conduisit leur cavalcade.

Une face craquante de croutes ensanglantées les épiait, cachée au creux herbeux d’une basse dune, à quelques mètres d’eux. Roksaï attendit longtemps. Les deux amants finirent par se laisser tomber au sol. Alors le rouquin, poignard levé, fut sur eux.

Le cri de l’aigle fusa, à l’instant où le soleil effleurait l’eau qui tournait à l’encre. Avant que le coup ne tombe, Kallistrat avait saisi d’un mouvement, si vif que Roxalane fut surprise, la gorge de l’assaillant. Les cartilages craquèrent, puis les cervicales cédèrent sous les doigts de bronze du guerrier. Roxalane déjà lui enfonçait les siens dans les yeux. Le sang gicla sur leurs visages. En courant, riant et pleurant, ils se jetèrent à l’eau.

Au loin l’aigle noir se dissolvait dans les ténèbres.

Au milieu de la nuit, les Siraques attaquèrent le campement endormi à la belle étoile. Roxalane, arrachée aux bras de son époux, fut clouée au sol, le ventre déchiré par une lourde contus lancée par un guerrier à cheval. Kallistrat se battit comme un aigle royal, il tomba le dernier, le corps percé de flèches.

UN RUBIS A PARU.

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Croquée en plein vol par La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Une colombe blanche s’est posée au jardin

Sur ses ailes poudrées, sur son duvet si fin

Des vestiges de runes dessinées au fusain

Cou souple et fragile, pattes couleur d’étain.

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Elle sautille, gambille, picore dans l’herbe fraîche

La grâce d’une sainte, élégant tanagra

Son œil rond de jais le ciel à tête-bêche

Les corolles se penchent, les arbres la vouvoient.

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L’épervier s’est posé dans un fracas de plumes

De son regard cruel il a toisé la belle

L’oiselle immaculée innocente mais futée

A poussé quelques notes d’un chant pur et doré.

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Mais le rapace féroce, avide, fol et brutal

S’est jeté sur l’oiseau, l’a piqué au poitrail

Un rubis a paru, vermeille l’eau de sang

A coulé doucement sur le corsage tout blanc.

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Colombine blessée a cessé de chanter

Ses ailes ont frémi, elle s’est mise à trembler

Elle est tombée d’un bloc et les herbes ont pleuré.

De derrière la fenêtre me suis mis à hurler.

LES CHÈRES BOUCHES DES BOUCHÈRES…

Mâcon. Le pont la nuit.

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Ah les amuse-bouches qui mettent l’eau et les mots à la bouche, les bains de bouche qui jamais ne feront oublier les baisers soyeux des chères bouches des âges tendres si mûrs, des rencontres fulgurantes, des serments éternels murmurés le cœur en bandoulière, mais que chassent les vents mauvais des amours fortes au creux des portes cochères et des parkings déserts… La douleur térébrante qui cloue le papillon fragile au liège grumeleux de ses espoirs déçus, comme le sel sur la plaie vive, vous réveille un jour que vous n’attendiez pas. La chère bouche comme une bouchère cruelle vous lacère et vous débite en tranches vermillonnes. Ne restent que les mots morts, les regards mouchés comme autant de bougies rassies et les souvenirs odorants des draps froissés.

Décidément me direz vous, ça ne s’arrange pas!

Mais si, mais oui!! Car le vin frais qui roule dans ma bouche ne ment pas. Les chères bouches de Meursault se donnent sans détours comme un bain de fruits frais…

On pourrait consulter les grimoires, fouiller les archives, questionner les anciens, gloser à n’en plus finir sur l’origine du nom de ce climat. En bref, il semblerait que Bouchères vienne peut être de Borchères, Boucherottes, Bouchot…Buisson. Voilà qui tombe bien!!! C’est donc justice que le Domaine éponyme travaille ce premier cru, au nom porteur de tous les amours et tous les plaisirs, du sang lumineux de la terre, aussi.

Le vert bronze des feuilles d’Août marque l’or de la robe du vin, limpide comme le regard clair d’un enfant qui joue.

Ce 2006. Le nez s’y plonge, gravement et ne le regrette pas. La fleur de l’acacia l’attend et l’amande l’accompagne. Les fruits ensuite, la poire, la mangue légère, une touche subtile de raisins secs, mais surtout les écorces d’agrumes, confites qui dominent le bouquet. Tout en haut de l’inspiration, la réglisse, l’anis, le poivre blanc un peu et enfin.

Vient la rencontre avec la bouche après que le nez soit rassasié. L’offrande est conséquente, la matière est dense, concentrée, crémeuse un peu, tendue encore. C’est à pleine bouche qu’elle vous embrasse, qu’elle vous envahit. Puissance généreuse, équilibre de funambule, ronde et glissante comme un plaisir en boule. Les écorces confites encore, qu’enrobe un gras glissant dans un paroxysme doux et frais à la fois. Un vin à mi-chemin entre l’exubérance et la rigueur cistercienne, entre le Meursault des plaines grasses et l’épure ciselée des coteaux où affleurent les cailloux. C’est en longueur, à la finale que le vin le dit. Quand il se dépouille à n’en plus finir de sa chair pour livrer le cœur aride et coupant de sa substance ultime, finement salée, comme un citron maghrébin dans son bocal.