Littinéraires viniques » Christian Bétourné

GONZAGUE ET LE VAGUE-A-L’ÂME…

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Dante-Gabriel Rossetti. Self-portrait.

 

 CHAPITRE 11.

A l’écart sur la place, loin du parvis, il avait bien pris garde de ne point être vu. Fils d’un petit maître du village, un menuisier qui avait accumulé, il ne fréquentait que peu les autres garçons de son âge. Ce qu’il fallait, pas plus, histoire de ne pas attiser les langues de putes qui l’auraient crucifié, traité de fier, en auraient fait un insupportable arrogant, et l’auraient définitivement cloué au pilori des infréquentables. GONZAGUE était habile, intelligent aussi, un peu, mais surtout malin, qui sentait les choses et les êtres plus qu’il ne les comprenait, un roublard, un madré au cœur froid mais au sourire délicieux entre deux lèvres pleines et deux fossettes qui lui relevaient les pommettes. Plutôt grand, le poil noir, la peau mate, toujours tiré à trois épingles, la quatrième eût été de trop dans un aussi petit village. Quelque chose de souple dans son allure aussi ainsi qu’une petite gaucherie étudiée mais délicate, qui donnait à ses gestes un charme indéniable qu’accentuait sa complexion fine et sa carrure étroite, ce qui n’empêchait qu’il fût bien tourné et plutôt agréable à regarder. Mais ce qui emportait le cœur des donzelles à poils divers, les rêveuses à géométries variables et les cœurs liquéfiés en général, c’était le céladon pur de ses yeux allongés, enfoncés dans leurs orbites et bien abrités sous de longs cils de jais qui battaient au moindre jupon faseyant.

Cela faisait quelques temps qu’il avait repéré les deux tendrons. Chaque dimanche aux abords de l’église, il les étudiait de loin, pesant ceci, soupesant cela, tachant de se décider, de sentir laquelle élire. Son instinct était sûr, en bon prédateur frileux il évitait la difficulté, et allait au plus simple. L’idée d’avoir à passer de longs jours à battre des paupières, des heures à essayer de dire des choses sincères qu’il ne ressentait pas, ah non pitié; s’épuiser à tricoter des mots qui ne venaient pas, à maquiller son visage de lumières factices et de sourires travaillés, à lancer des regards, langoureux comme les pâtes coulantes des fromages du coin, il n’y tenait pas, non pas qu’il fût impatient, mais il avait la petite lucidité qu’il fallait pour s’avouer qu’il était bien incapable de telles prouesses. Il pouvait bien grimacer cinq minutes, balbutier quelques borborygmes vaguement romantiques qu’il lui aura fallu longuement écrire et apprendre par cœur, pour espérer réussir à les dégoiser, en les disant mal, à l’à peu près bon moment, juste avant de les prendre fermement par la taille, un peu fort pour qu’elles tressaillent, et puis basta, il leur prenait la bouche, et en avant la cavalcade ! Ah oui, il passait aussi la main sous la cuisse gauche de la donzelle, la serrant bien fort, et la lui relevant jusqu’à la taille, alors, par un effet qu’il ne comprenait pas, elle s’abandonnait d’un coup, renversait son visage et lui offrait sa poitrine. Ah ça il l’avait bien compris, il le faisait aussi vite que possible, pour raccourcir les salamalecs. Après c’était facile, il les allongeait où il pouvait, les débarrassait de leurs oripettes, leurs fanfreluches, et les piquait d’un cou sec, où il savait, enfin croyait-il, car le plus souvent il devait s’y prendre à plusieurs reprises pour trouver sa tanière. C’est qu’il était un peu nerveux, il serrait les dents, à faire crisser l’émail, pour donner son meilleur, baissant l’encolure comme un yearling fougueux, et il s’agitait comme un bon, aussi fort que possible malgré ses reins fragiles. Les yeux fermés et la chaleur au front, il fallait qu’il pense à autre chose pour tenir aussi longtemps que supportable. Mais à galoper il s’engluait vite dans les lagunes, sans jamais pour autant en pouvoir faire le tour – c’est qu’il était monté très fin – et ses reins maigrelets s’épuisaient vite en petits crachouillis trop tôt venus. Ses victimes aux expériences plus limitées que les contours du canton, ne s’en offusquaient pas, les lapins étaient nombreux par ces contrées, bien au contraire elle souriaient, les pauvresses inassouvies, à se perdre dans les grands lagons verts de ses yeux embués par l’effort, et les petites tiédeurs qui leurs prenaient le haut des cuisses suffisaient à leur bonheur. Et c’est ainsi que Gonzague trompait son monde, et les mâles, jaloux de ses exploits supposés, le regardaient drôlement.

Mathilde l’impressionna d’emblée, mais dès qu’il croisa son regard il sut qu’il valait mieux ne pas s’y frotter, au risque de se dégonfler très vite comme une baudruche à la foire. C’est ainsi qu’il se mit à regarder, à tourner autour de Xéresse, à lui faire son sourire spécial, celui qui ne rit pas des yeux, le fameux rictus, vanille citron vert, qui lui avait valu tant de succès rapides dans les meules alentours. Et le vert glacial de ce regard vide, au dessus de ce sourire factice sur ces lèvres ourlées, transperça la petite aussi facilement qu’une griffe du beurre frais. La première fois qu’il la croisa et lui fit sa mimique, Xéresse s’en remplit comme d’une bouffée d’air printanier, elle sentit ses chairs gonfler, son angoisse ordinaire se dissipa un instant, elle se retourna même, les yeux encore plus ronds qu’à l’habitude, pour le regarder s’éloigner, son dos qu’il avait souffreteux et un peu tordu, lui parut un grand bel arbre au large feuillage épanoui. Elle n’en dit rien à personne, même pas à la grande qui avait tout vu. Le dimanche d’après, au bas des marches de l’église, pendant que la famille échangeait quelques banalités avec le voisinage, il s’approcha des deux filles, ignora la grande, et susurra un bonjour tout chaud, tout en dents blanches à la petite, se baissa légèrement vers elle, lui donna un billet froissé pas plus gros qu’un petit pois, en plantant son regard d’herbe fraîche en plein dans ses yeux. Xéresse oublia de respirer, rougit comme un coquelicot des champs et fit une bouche bien ronde, aspirant un grand coup, puis soupira comme si elle rendait l’âme. Mathilde lui lança deux mots, peut-être trois, qui firent l’effet d’un hérisson reçu en pleine face. Le gommeux n’insista pas. Le mot lilliput finit au fond de la poche de Mathilde. Jusqu’au soir à la bougie de la chambre, quand toutes lumières éteintes, pelotonnées l’une contre l’autre sous le patchwork, la grande déplissa soigneusement le minuscule carré de papier. Elles lurent en silence « Tu é si joli ». L’une pouffa, regardant la petite qui ne savait que faire, attendant que sa grande lui dise. Elles complotèrent longuement, l’oreille de l’une attentive aux murmures de l’autre. Mathilde décida qu’il fallait donner rendez-vous au garçon dans les bois, elle se cacherait derrière un gros chêne, pas loin, pour veiller au grain. Xéresse éberluée, les yeux comme des soucoupes crème de marron, hocha la tête sans dire un mot puis regagna sa couche. Mathilde examina soigneusement le billet en lumière rasante, s’approcha à presque le toucher des yeux, et réussit à lire, à demi effacés, et perpendiculaires à la déclaration enflammée, « Té bel », elle en conclut que ce garçon, outre de n’être qu’une demi lumière, était aussi pingre ….

LIQUEUR DIVINE …

1546319_10201307703640099_2144826033_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

 

La flasque est vide hélas! Et j’ai bu tous les litres,

Boire! là-bas boire! Je sens que des bateaux sont ivres …

D’être parmi les breuvages inconnus et les cieux !

Rien, ni les vieux flacons rebouchés par les gueux

Ne retiendra ta bouche qui dans ce nectar se trempe

Ô nuits ! ni ma langue déserte, elle qui lampe

Dans le verre vide que la liqueur défend

Et ni la jeune femme sacrifiant son penchant.

Je boirai ! Steamer balançant ta mixture,

Lève le hanap pour une exotique biture !

Une muflée, désolée par les cruels ciboires,

Croit encore à l’ivresse suprême des abreuvoirs !

Et, peut-être, les plats, invitant aux naufrages

Sont-ils de ceux qu’une goutte répand sur les carrelages

Perdus, sans foi, sans foies, ni dociles bistros…

Mais, ô ma fine, entends le chant des poivrots !

LES ANGES, LE DIMANCHE A LA MESSE…

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CHAPITRE 10.

Le temps passait, les enfants grandissaient, les filles resplendissaient, les ravages de l’âge supposé ingrat finissaient. Mathilde et Xéresse toujours inséparables, rayonnaient, l’une atteignait ses dix huit ans, l’autre ses dix sept printemps. Oui printemps était le mot et nul autre ne leur seyait mieux, elles traversaient le temps court, fragile et émouvant, celui de leur première beauté, cette grâce éphémère et aérienne qui faisait se retourner le dimanche sur le chemin de l’église, tous les hommes et les garçons des environs. Xéresse suivait Mathilde, la grande au port de princesse touchait à peine le sol, délicate, joliment dessinée, elle avait le visage régulier, la peau veloutée, un teint de rose, des lèvres rouges finement ourlées, et ses cils noirs et recourbés faisaient ressortir le noir profond de ses grands yeux brillants. Sa taille fine, et ses hanches d’un bel ovale parfait, mettaient en majesté ses longues jambes aux muscles allongés, juste saillants. Elle chaloupait à peine, au dessus de ses reins cambrés, ses petits fruits ronds regardaient le ciel complice qui lui souriait. Mais ce qui attirait plus que tout les petits rapaces affamés, c’était la lumière trouble de son regard qui attirait et inquiétait à la fois, et les garçons qui faisaient les beaux en s’approchant d’elle, perdaient un peu de leurs certitudes quand ils croisaient son regard. Souvent ça les stoppait net, ils restaient immobiles et tandis qu’elle continuait son chemin, ils se retrouvaient plantés là, incapables de poursuivre, accrochés à leurs sourires aussi stupides que figés. Mathilde était de celles qui choisissent et décident.

Parfois à côté d’elle, mais le plus souvent derrière, Xéresse resplendissait comme un fruit rond et juteux, juste cueilli au jardin par un petit matin de juin. Ses billes rondes grandes ouvertes avalaient tout ce qu’elle regardait, ses yeux de noisettine dorée laissaient en toutes circonstances sourdre une angoisse discrète, que trahissaient à peine ses sourcils légèrement froncés. Xéresse était belle comme une brioche sortie du four, son teint de crème onctueuse, son visage ovale aux joues rebondies, sa petite bouche ronde, juteuse comme une cerise sang de pigeon bien mûre, sa poitrine plantureuse qui semblait défier les implacables lois de la gravité, sa taille si fine qu’on aurait pu l’entourer d’une seule main, ses hanches généreuses, et ses fesses fermes et cambrées plantées sur deux jolies jambes potelées qui marchaient à petits pas souples, ses chevilles fines, enfin, aux mollets croquignolets, en faisaient une proie tentante pour les hyènes ordinaires dont les babines se retroussaient à son passage quand elle leur souriait ingénument. Souvent Mathilde se retournait vivement et les calmait d’un regard. Xéresse adorait le trajet dominical vers l’église, elle se gavait du désir lourd de tous ces mâles en surchauffe, et roucoulait tout du long en battant des mains.

Puis elles entraient dans l’église. Xéresse s’asseyait toujours à la droite de Mathilde qui avait Gracieux, toujours fébrile à sa gauche, lui même était à la droite de son père, près duquel se trouvait Josette perdue dans ses pensées entre les pattes puissantes de son teuton. Elle offrait aux ouailles qui l’entouraient un sourire, aussi figé que son regard était perdu et vibrant entre les cuisses blanchâtres du valet de ferme. Immuablement. Gracieux louchait à se tordre les yeux sur la grande, et la chaleur douce que ce corps juvénile dégageait, le mettait autant en rage qu’en troubles délices. Mathilde le dédaignait de toute la morgue dont elle était capable et se régalait du trouble du boutonneux, qu’elle accentuait en fronçant régulièrement son joli nez, affichant un air de dégoût qui ne durait que le temps qu’il s’en aperçut. Humilié comme jamais, le benêt devenait plus rouge qu’une fraise de juin. Pourtant, au fond de son marasme, il trouvait moyen de rêver à des tortures extrêmes qu’il se voyait infliger à la démone qui lui ravageait l’âme. Alors Mathilde le gratifiait du plus cruel de ses sourires en se passant la langue sur ses lèvres qui gonflaient, tandis qu’elle mordillait sa bouche charmante et humide. Le soleil qui perçait la nef à cette heure religieuse pendant que les chants des bonnes âmes résonnaient, rebondissant sur la haute voûte de l’édifice, entourait à contre jour la chevelure noire de Mathilde d’un halo surnaturel, exhaussant sa beauté toute fraîche, et brûlant d’un feu tremblant ses lèvres frémissantes. Sa carnation ivoirine brillait doucement, comme les flammes des bougies sur l’autel.

Xéresse somnolait doucement. Parfois son cou faiblissait, et sa tête de roussette oscillait un instant avant de se poser sur l’épaule de la grande. Elle aimait ces moments là, entre la lumière opale du jour et le chant des rosières, dans un état de conscience ralentie, ses angoisses faiblissaient jusqu’à disparaître. Elle rêvassait, alanguie, la respiration régulière de Mathilde soulevait son front, achevant de la plonger dans un autre monde. Tout se mélangeait sous ses paupières à demi fermées, la grande croix du dessus de l’autel fondait, le bois coulait comme du chocolat fondu, le grand corps blanc du Sauveur ruisselait, le sang sacré rutilait au soleil, des anges roses voletaient tout autour du choeur en chantant les louanges de Dieu, les odeurs d’encens l’enivraient, la voix de l’officiant psalmodiait des mots inconnus vides de sens, mais qui la transportaient, si doucement, qu’elle en défaillait presque, à en sentir une chaleur au creux de ses reins. Alors elle enfonçait la main au fond de la poche percée de sa robe de tissu râpeux, et ses doigts discrètement se mettaient à l’ouvrage. Aucune idée de sacrilège ne l’effleurait, bien au contraire, elle avait la foi simple de ceux que la religion ne culpabilise pas. Miracle entre les miracles, Dieu, bienveillant, l’accompagnait dans son voyage mystique et charnel, à l’instant ou « Ite missa est » retentissait sous la nef silencieuse, il lui semblait que son être, décuplé, accédait à la béatitude.

Au sortir de la messe, Mathilde posait un instant sur les parvis, elle attendait que la foule des ouailles caquetante descende les marches, elle dominait la masse informe de toute sa grâce, le regard perdu à l’horizon, belle et apparemment détachée, mais elle ne manquait pas de guetter du coin de l’oeil les regards furtifs et concupiscents des hommes qui la déshabillaient à la dérobée. Xéresse, elle, encore toute chavirée, sentait ses angoisses revenir. Gracieux ne pensait qu’à vite rentrer pour s’isoler dans sa chambre et se soulager des tensions accumulées. Josette avait hâte de retourner à la ferme voisine, retrouver les reins d’airain de son fendeur de bûches, Martin, inquiet sans trop savoir pourquoi, ruminait en silence, et épiait sa femme du coin de sa paupière chassieuse …

Ainsi allaient, entre les laudes et l’angélus, les dimanches dévots de la famille Pêcheur.

DANS TON CANON FUMANT …

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Je te ferai l’amour,

En grand tapinois,

En rappeur langue de bois,

En gland soie de velours,

Lunettes de hibou fou,

Crinière au vent, petit pioupiou,

En croquant mes pralines,

Tu feras ta câline.

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Je te dirai bonjour,

En baissant l’abat-jour,

En criant comme un sourd,

En pleurant, triste d’amour,

Dans tes lacs aux eaux bleues,

Le soleil rieur, crévindieu,

Caressera, brillant, joyeux,

Les cils de mon cœur baveux.

 ———-

Je te dirai mousmette

Toi ma tendre belette,

Ma douce, ma cajolette,

De fermer tes mirettes,

De laisser tes courges,

Tes dents pointues, tes yeux rouges,

A fréquenter les bouges,

A qui aime les gouges.

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Je te ferai longues tresses,

Toi ma glu, ma folle maîtresse,

Ma profonde, ma ronde, ma drôlesse,

Nous laisserons, rieurs, nos détresses,

Dans ton canon fumant, ma bourre

Fera grandes étincelles d’amour,

T’enivrera de soupirs si lourds,

Comme deux chevaux au labour.

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Là-bas dans le ciel opalescent,

Plane toujours le goéland,

Ses ailes immenses,

Battent au vent,

Patiemment.

COUPE LA LAME, TAILLE L’ÂME …

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Dante-Gabriel Rossetti. Bocca baciata.

 

 CHAPITRE 9.

 Josette rentra sous la pluie, elle affichait son visage habituel, fermé, renfrogné même, à peu près aussi expressif qu’une dalle funéraire, lisse comme un marbre poli, grisâtre, sourcils froncés, préoccupée par les tâches à venir. Mais à l’autre bout de son corps, dans l’ombre de ses jupes, son ventre battait toujours, comme une pulsation profonde et continue, son entre cuisses humide et ses chairs fragiles la reliaient toujours à son guerrier brutal. Entre ses lèvres serrées et tuméfiées, elle gardait un peu de cette liqueur chaude et âcre qui l’avait inondée après qu’elle l’eût emportée au firmament des plaisirs insupportables. Elle brûlait de glisser sa main sous sa jupe, mais Martin désœuvré traînait dans la maison, crispant à intervalles réguliers ses grosses mains calleuses. Comme un rapace en maraude. De temps à autre, il jetait à Josette un regard sournois. Les cercles réguliers qu’il décrivait décroissaient insensiblement, et ses regards furtifs se faisaient plus fréquents. Josette eut peur, d’un coup, très peur, elle le connaissait le Martin, et cette façon qu’il avait de se rapprocher d’elle pour la prendre d’un coup comme un lapin au clapier, quand il s’ennuyait. Faut croire que ça lui éclaircissait la tête, que ça consumait son angoisse. Josette préparait la soupe du soir, du bout de son couteau pointu, elle fendait les poireaux puis les étêtait d’un coup de poignet. Leurs chevelures, lourdes de terre séchée, tombaient sur la table en petits tas, comme des scalps de sorcières albinos décapitées. Elle en était, après avoir gratté des carottes, à déshabiller de grosses patates charnues dont les épluchures parfaites, coupées au ras de la chair, égayaient comme des guirlandes tristes le tas de pelures, quand Martin qui s’était glissé dans son dos, d’une main ferme, la coucha sur la table, tandis que de l’autre il soulevait brutalement ses jupes. Surprise par la rapidité de l’attaque, Josette sentit son cœur se geler, elle serra les fesses sur les vestiges à demi séchés de ses amours récentes, l’odeur aigrelette de Kurt lui revint aux narines qu’elle avait écrasées sur les déchets, la rage lui vint d’un coup, cette émotion étrangère la troubla un instant, la submergea, propulsant sa main armée dans son dos, la lame entailla le poignet de Martin qui poussa un grognement de bête blessée, pour se reculer aussitôt, trébucher et se retrouver le cul par dessus tête, à moitié assommé par le mur. Elle ne l’avait qu’égratigné de la pointe du couteau, mais le geste incontrôlé les avait surpris tous les deux. Martin ne comprenait pas la réaction de sa femme, il avait l’œil rond fixé sur l’écorchure qui zébrait son poignet, ses lèvres bougeaient en silence, et Josette, appuyée à la table, plus blanche que la chair nacrée des poireaux, respirait comme une vache vêlante. Martin se releva, tête baissée, regard fuyant, il sortit de la cuisine en traînant ses godillots. Sans un mot. Et Josette comprit qu’il n’y reviendrait plus.

Le bruit soudain qui déflagrait de la cuisine fit sursauter Xéresse. La surprise et la frayeur lui coupèrent le souffle, ses yeux se révulsèrent. Un court instant elle fut ailleurs, son ouvrage n’eut pas le temps de lui échapper des mains, elle était revenue. Personne ne s’était aperçu de cette étrange absence qui la prenait à la moindre émotion un peu forte, la peur, comme le plaisir, l’emportait à chaque fois, comme une vague figée par le temps arrêté. C’était si bref, qu’il aurait fallu ne pas la quitter du regard pour s’en apercevoir. Mathilde, bien sûr, le savait depuis toujours, mais faisait mine de rien. Elle avait mis cela sur le compte de sa faiblesse d’esprit, cette sorte de mollesse de caractère qui lui avait permit d’en faire sa chose. Elle guettait le regard de Xéresse s’il lui prenait l’envie de la faire défaillir sous ses caresses précises. Quand l’œil de sa chose tournait à l’ivoire d’une boule de billard, puis revenait aux noisettes dorées de ses iris rondes, Mathilde sentait, sous les épaisseurs de ses habits, poindre une rosée de plaisir à l’instant précis où Xéresse soupirait d’aise. Souvent sans un mot, mais le regard brillant et la lèvre gonflée, la chose lui prenait la main et attendait quelle s’affaire sous sa jupe ou sa blouse. Elle revenait toujours de ces voyages intimes, souriante, on aurait pu croire que ces jeux lui redonnaient vie, et pendant quelques heures, la chose sortait de l’ombre de Mathilde et semblait exister. Alors, ces temps-là, elle pouvait s’intéresser un peu au monde. Mais elle s’épuisait très vite et retombait dans une sorte d’apathie dépendante. Xéresse était de cette étrange et rare race de vampires qui se nourrissent, non pas de sang vermeil, mais de caresses, de frissons et de voluptés à répétition. Elle ne craignait pas les lueurs de l’aube, ni la morsure délétère du soleil, mais elle dépérissait quand son ventre dormait. Cette faille douloureuse, toute sa vie il la lui faudrait remplir, sous peine d’être condamnée à se traîner comme une morte vivante. Pourtant derrière les vitres sales de son regard terne, elle peignait le monde aux couleurs grises de l’angoisse forte qui l’étreignait constamment, la privant d’énergie, et cela la rendait incapable de toute initiative personnelle, pauvre wagon abandonné par sa locomotive sur une voie sans issue. Mais ces yeux tristes, vides, éteints comme deux bougies soufflées, avalaient tous les êtres qui la croisaient, du dernier bonimenteur de village à la vache perdue au fond du champ. Xéresse n’allait jamais les mains vides, il lui fallait toujours un chiot, un chaton dans les bras, qu’elle caressait mécaniquement, sans jamais se lasser, jusqu’à épuiser la pauvre bête devenue sa chose. Au bout de quelques jours, la bestiole, inexplicablement épuisée, mourrait, et cela la mettait dans un chagrin aussi bruyant qu’inextinguible, ses affres décuplaient, qui la terrorisaient au point que les doigts de Mathilde, habile fileuse, glissaient le soir sous sa chemise et œuvraient à tisser ardemment son ouvrage. Quand elle n’était plus que frisettes emmêlées, bouton épanoui, tétons enflés et plaisirs liquéfiants, elle tremblait à claquer des dents, ses yeux faisaient lune pleine, et tout rentrait dans l’ordre. Ces nuits là, Mathilde se régalait à lui rougir la peau fragile des cuisses à longs pinçons tordus pénétrants. Et Xéresse repartait à l’assaut de son semblant de vie.

Dans la chambre d’à côté au mur de papier, suant dans son lit creux, tout au fond de la dépression de son matelas à demi effondré, Gracieux, rouge comme une crête de coq, écoutait sans mot dire les gémissements montants des filles au labeur. Il aurait bien voulu se glisser sous leurs draps et regarder de tout près, à distance de langue, les onctuosités qui leurs graissaient les doigts, l’idée de les leur lécher lui traversait bien l’esprit, mais il serrait le paupières à tuer l’image, et se pinçait la peau du lombric autour du gland, qu’il n’osait pas extirper de sa capuche, mais ses agitations courtes et convulsives finirent vite par lui crémer la paume de la main. Alors il s’essuya en priant Dieu de regarder ailleurs, et recommença frénétiquement jusqu’à ce que l’épuisement et la source tarie l’emportent au juste sommeil des boutonneux déliquescents. Et là tout devint possible, l’impensable fut permis, le Diable dormait dans sa boite, Jésus dans son suaire, et Dieu, débordé de travail, l’oubliait un moment.

Dans un sous bois luxuriant, par un printemps éternel, au milieu des fleurs et des lierres grimpants, beau comme Adonis, couvert de roses et de myrte, entouré de femmes lascives aux buissons ardents, aux seins épanouis, aux cuisses douces et aux ventres bombés, aux regards fulgurants, aux lèvres de cerises juteuses, qui lui tendent des bouquets d’anémones multicolores et des brassées grasses de jonquilles parfumées, mollement allongé sur des corps pneumatiques de déesses douces, habillé d’une charmille de mains câlines, Gracieux, affublé d’un braquemart énorme, enfourche à qui mieux mieux des vierges implorantes dont les langues agiles furètent dans les moindres replis de son corps musculeux. Au loin, très loin, par l’entrebâillement des portes gigantesques d’une demeure immense, lui parviennent les chants assourdis d’autres vierges implorantes en attente. Pas de monsieur le curé à l’horizon, Gracieux est heureux, insatiable, il s’active, plus encore que le disgracieux Priape aux vergers. Le lendemain au réveil, plus flapi qu’au coucher, il ne se souvenait de rien et redevenait l’âne ordinaire de la maison. Mathilde le montra du doigt au déjeuner en riant bruyamment, deux secondes plus tard, Xéresse s’esclaffa à son tour.

FRANCIS BOULARD, MON PÈRE NOËL A MOI …

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Le vent souffle qui transforme les pluies en rafales cinglantes, la ville est morte, essoufflée elle aussi, les rues vides ne sortent pas vraiment de leur torpeur glacée, et les fourmis humaines que la tempête a épargnées, s’affairent autour de leurs fourneaux ronflants, de leurs volailles ruisselantes, tandis que d’autres, tapis à l’ombre que le jour grisâtre peine à dissiper, attendent, dans l’humidité, que la fée électricité veuille bien illuminer un peu leurs sapins attristés. Ainsi va la vie des hommes dans l’hexagone …

Sur son site, Francis dit le Boulard, le nez plongé dans un verre, oui dans un verre – et non pas dans une coupette à la con pour mémés branchées soirée Country Dance endiablée, ni dans une flûte pour anorexique mondaine extatique, sourire figé, froufroutante, au Wine Tasting incontournable (encore que pour les cons le tour est vite fait), accoudée au bar d’une péniche ventrue, amarrée ad vitam au bord reluisant d’un quai Parisien – souriant, aussi finement que les bulles légères qui lui chatouillent les naseaux qu’il a largement épatés. Immuablement heureux. Lui, fier convive aux larges pattes gauches (les deux), qui partageait encore, il y a peu, un repas d’amitié simple, dans un restaurant Cognaçais, qui nous laissa, amygdales flottantes, à balbutier nos joies simples, avant de nous quitter, rassasiés de Bourgognes et de rires complices, lui, ce vigneron modeste, je le salue en ce jour de Noël 2017 qui me voit le célébrer, alors que je débouche, recueilli comme un enfant de la DDASS, une bouteille ventrue, pleine des jus des Rachais, du millésime 2007. Un pur Chardonnay.

Il aura fallu une bonne matinée, pour que ce jus, délesté d’un fond de verre ce matin, se donne pleinement. Au frais de la cave, l’air a desserré les chairs fermes du vin, et le voici qui bulle doucement dans mon verre callipyge à long pied. Le sale vieux con râleur est au silence quand j’approche, penche l’appendice, sur le disque flavescent moiré d’ambre et de vieil or, lac brillant piqueté de bulles légères qui éclatent en grésillant à peine. Oh, pas un nez de champagne pour putes maquillées, non, mais une impression première d’équilibre, de fondu, d’élégance, une discrétion de bon ton, une fraîcheur minérale, à l’oxydation habilement contrôlée. Puis des fragrances de fruits secs miellés, de patisseries, de noyau, de zestes d’agrumes, de jus de citron mûr, franches et rectilignes, que civilisent ensuite des parfums de pêche blanche juteuse. Comme un voyage olfactif sur les terres d’un Port Royal qui aurait, grâce à Dieu sans doute, oublié d’être intégriste.

Mais il faut bien qu’arrive la mise à mort, pur ravissement de mes papilles, que je sens déjà turgides à souhait. L’attaque est franche elle aussi, comme le bonhomme, douce pourtant, comme lui aussi, juste ce qu’il faut, car le raisin est mûr. Le jus se déploie, sphérique un instant, avant que les fruits, épicés de poivre blanc, cèdent sous une poussée fraîche, toute de flèches aiguës qui allongent ce vin jusqu’à ce que la pierre arrive, qui tapissent la bouche de tannins, certes absents, mais diablement crayeux pourtant. Putain ! Oui il faut oser l’écrire, putain que c’est bon !!! Le jus a basculé, a passé les rives du Styx et s’en est allé longuement réchauffer mon corps, qui soupire d’aise. Toute ma bouche est chaude, ce qui reste du vin s’attarde interminablement, racé, pur et gourmand. Comme à l’habitude, pour les vins, qu’ils soient rouges, blancs, tranquilles, ou de bulles traversés, le calcaire qui les a portés, laisse aux lèvres de ceux qui les aiment ainsi, un sel très fin. Comme un sourire, léger comme un regret …

Saint Thierry priez pour nous. Et toi Boulard le rond, mon Père Noël à moi, je te salue, au passage de ton vin …

CHUT …

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Ta Lou louange au visage angélique

Suave vestale, Louve vandale

Tarentule des bords de la rouge Vistule

Vierge vigne Angevine,

Ta Lou orage songe.

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 Songe aux phalanges de corail et d’onyx cerclées,

Léchant le lait de velours et de rose bulgare de sa peau …

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 Lou se lisse et se hérisse sous le cristal liquide de mer-mirage qui la regarde …

Lilou s’envole, sillage enjôleur, elle vacille …

Tarentelle, valse, elle roucoule, elle coule …

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 Duvet d’aubépine et brume tourmaline,

Voile d’amarante, couche d’acanthe,

Elle se tamise …

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Lou mandoline aux pupilles de santoline,

Vamper, Coqueter, Craqueler,

Lou circonvule à l’orée du bois d’ambre et d’amande …

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 Tige de laque pourpre,

Vertige opaque,

Callipyge aux olifants qui claquent,

Encensoir balbutiant l’espoir …

 —–

 Ta Lou s’endort.

Fragile …

IL PLEUT DES FLEURS …

1508549_10201138419488101_2098730714_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Parapluie, parapleurs

Il pleut des fleurs,

Des lys givrés,

En gerbes serrées,

Jusqu’à tes pieds.

—–

Des campanules

Se bousculent,

Un nénuphar,

Pas si flambard,

Pauvre vieillard.

—–

Le soleil meurt,

Il a si peur,

A perdu l’heure

Des orpailleurs,

Quel grand malheur.

—–

 Tu viens gratter,

Porte fermée,

La fleur coupée,

Pétales broyés,

Ton rire perlé.

—–

Poètes mes frères,

Trompettes mortifères,

Vos rimes en jarretières,

Cœurs nucléaires,

Et pattes en l’air.

—–

Il se fait tard,

Tous les canards,

Et les fêtards,

Sont au plumard,

Roulent les corbillards.

—–

Alors je crie,

Des loufoqueries,

Pauvres plaidoiries,

Et je rancis,

Au bain-marie.

—–

Ecornifleur,

Bois sans pleurs,

Coupe les fleurs,

Vide les cœurs,

L’écrivailleur.

—–

Flèche fichée,

Entre mes yeux,

Ecarquillés,

Je suis au feu,

Dévadoré …

COMME UNE BUCHE SOUS LA HACHE …

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Holbein. Self-Portrait.

CHAPITRE 8.

Josette avait jupe et jupon au-dessus de la tête, respirant à petites sucées courtes, elle attendait. Le temps semblait s’être arrêté, sa conscience, toute entière, suintait et imprégnait largement les bords fendus, à peine écartés de sa culotte de coton épais, les eaux parfumées de son désir affleuraient lentement, pour baver en minces filets clairs le long de ses chairs hérissées de picots duveteux. La porte de la grange bougea sous le vent, la lumière qui filtrait entre les planches embrasa son ventre détrempé, à l’instant où Kurt, d’un coup de rein brutal, l’embrochait au rebord de la charrette, la clouant comme une chouette. Elle le sentit, jusqu’au fond de son ventre, qui la déchirait presque, elle s’ouvrit plus encore pour l’accueillir tout entier, pour que sa présence turgide la comble, puis dents serrées et lèvres cousues, elle hulula longuement. Son cri, à demi assourdi par le vent qui gémissait entre les lattes de bois et les grincements tourmentés de la toiture, rebondit sur la poitrine velue de l’homme qui lui écrasait le visage. L’odeur forte de ce poitrail frisé finit de l’emporter bien au-delà de la lubricité, elle respirait à plein poumons, criant des mots sans suite, des mots de sang, des mots métalliques, des sons inarticulés plein de grumeaux et de voyelles mâchées. Dans son dos, le plat de la charrette lui brisait les reins, elle crut que les coups de boutoir du teuton allaient la couper en deux, comme il le faisait à coups de hache sifflants, avec les énormes bûches qu’il débitait dans la cour. Alors elle posa les mains sur le plat de la carriole qui la martyrisait, donna de toutes ses forces un coup de rein dans le ventre de l’homme, si puissamment qu’il recula un peu, tandis qu’il s’enfonçait en elle au delà du possible. Josette jouissait, se repaissait, s’esclaffait comme une hyène, sans discontinuer, plus ouverte que les bouches édentées des rosières à la messe, des étincelles multicolores crépitaient sous ses paupières crispées, elle suait abondamment, hoquetait, crachait à étouffer, la toison crépue de Kurt la chatouillait jusque dans sa bouche, ses hanches cognaient, synchrones aux siennes, elle ne savait plus qui elle était, elle pleurait et riait, la tête lui tournait, ça n’en finissait plus, c’était les flonflons de la fête foraine, la terreur délicieuse du grand huit, la barbe à papa qui fondait entre ses lèvres, son ventre n’était plus que bouillie consentante, elle devenait folle, s’ouvrait plus encore pour l’avaler tout entier à ne plus jamais le perdre …

Kurt se retira aussi violemment qu’il l’avait possédée. Surprise Josette rouvrit les yeux pour entrapercevoir, écarlate, le visage de l’homme, qui disparut aussitôt. Elle n’eut même pas le temps d’un soupir, les deux mains qui lui broyaient la taille la firent tourner sur elle même comme une toupie, elle se retrouva le nez contre le plancher du chariot. Elle sourit. Le choc lui érafla la joue quand elle fut durement empalée, le plaisir fut immédiat, elle gémit et se cambra autant qu’elle pouvait, contre les deux quartiers de sa lune opulente Kurt tapait de tout son poids, ses lombaires musclés par les lourds travaux poussaient autant que ses lourds soupirs. Sur son dos à la rupture, elle sentait la sueur de l’homme, en gouttes chaudes, grasses et musquées qui s’écrasaient. A mesure qu’il la rudoyait, sous ses paupières aveugles, l’image d’un pilon monstrueux, d’une emboutisseuse, qui frappait à coups redoublés des tôles rougies, à peine sorties des feux de l’enfer dans l’antre ombreux d’un Vulcain déchaîné, lui corrodait la rétine. Mais plus encore que les coups de massue qui lui brisaient les reins, au-delà des spasmes répétés qui lui mettaient les chairs en bouillie, les odeurs de ventraille tiède, de lièvre faisandé, de crasse capiteuse et de sang chaud, lui remuaient les tripes. Au bord de l’évanouissement, elle vomit longuement avec délice, tout en jouissant continûment. Le plaisir rebondissait sans cesse, de plus en plus fort, presque insupportable. Ses os fondaient, sa conscience déclinait, se dissolvait, elle crut mourir.

Kurt poussa une dernière fois, de toutes ses forces, se recula, inondant ses fesses qu’il écartait à craquer. Elle sentit sa semence bouillante couler entre ses cuisses jusqu’au sol, se retourna en glissant sur la paille gluante pour se retrouver face à cet homme qui ne la regardait pas, affairé qu’il était à s’essuyer à la flanelle de son jupon, elle baissa les yeux, surprise, sur l’endogé de petite taille qui pendait mollement, comme une nouille trop cuite entre les gros jambons blancs tavelés de son amant féroce. Une vague de tendresse la submergea, ses yeux se mouillèrent, son cœur battait fort, elle sourit niaisement et tendit la main, mais déjà le teuton la poussait vers la porte sans même l’avoir un instant regardée. Le lourd battant claqua dans son dos. Le vent avait forci, elle eut froid. Soudainement.

Alors Josette s’en fut en traversant le bois. Le ciel bas, grumelé de nuages gris, se mit à pleurer une pluie froide. Elle courait à petits pas pressés, les fesses serrées, essayant dérisoirement de retenir un peu de ce qui l’avait poissée, mais elle sentait que malgré ses efforts qui ralentissaient sa course, ça lui échappait. Et ça coulait entre sa peau et ses bas épais, et ça la faisait pleurer de ne pas savoir retenir ce cadeau d’amour. Alors au couvert des arbres, elle s’arrêta, trempée dedans, mouillée dehors, le nez plongé entre sa poitrine et sa chemise, à chercher l’odeur prégnante de l’homme, ce fumet encore chaud, qui mit un sourire de fleur fanée sur ses lèvres bleuies par le froid, sous les rus d’eau froide que le ciel généreux déversait sur elle. Le ciel pleurait parce que Josette n’y arrivait pas, et elle se disait qu’elle aurait peut-être bien pleuré si la pluie n’avait pas été si froide ce jour-là. Et que ce maudit vent l’avait mise dehors trop tôt, Kurt devait avoir eu froid d’un coup, il n’avait pas voulu qu’elle prenne mal et l’avait poussée d’un geste – il baragouinait à peine le Français – pour lui signifier, comme il le pouvait, d’aller vite se mettre au chaud. Oui, c’était bien lui ça cette tendresse bourrue. Ces pensées la rassurèrent, elle reprit son chemin le cœur un peu moins lourd et le ventre comblé.

SEULES SONT LES NEIGES …

1488747_10201066772096961_228963239_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

La folie de La De.

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L’amour n’est pas Noël,

Non, vraiment pas,

Les amours sont plurielles,

Brille le soleil de ta prunelle,

Toi, l’ombre de mon glas

Regarde au loin les Dardanelles,

Noir, l’oiseau plane au delta,

Dans le jardin, la balancelle,

A oublié jusqu’à tes bras.

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Non, pas d’amour toujours,

Et crèvent les bulles,

La mer sous la tempête,

Passent les nuits, sombre velours,

Sur les eaux folles, la tourterelle,

Zigzague, ivre d’airelles,

Oeil crevé, triste aquarelle ,

Elle flagelle, tourne et virgule,

Nul ne sait, où elle se posera.

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 Qui ne voit pas le goéland,

Déployé, face au vent,

Plumes vibrantes, bec acéré,

Attend, sans même pleurer,

Corps effilé et cœur charmant,

Qui chatoie comme un diamant,

Fragile oiselle, à l’instant s’est posée,

Ailes moirées, regard brisé,

Et la vie meurt, cahin-caha.

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 Pimprenelle

Surréelle,

Jouvencelle,

Abigaël,

Tendre tourterelle,

Fragiles ailes,

Immatérielles,

Plumes de libellules,

Tu vibres, si belle.

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 J’irai peler le soleil,

Quand au couchant les abeilles,

Dans les champs, sur les treilles,

Bourdonneront à mes oreilles.

 ———-

 Seules sont les neiges, éternelles …