Littinéraires viniques » FUCKIN’ PROSERPINE.

ET C’EST ALORS QUE XERESSE …

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Albert Lynch. Portrait.

Chapitre 12.

Mathilde se chargea de tout. Le dimanche suivant, au bas des marches de l’église, elle fit savoir au garçon, par un billet écrit à la plume, joliment tourné à l’encre violette sur un papier d’écolier à carreaux, subrepticement glissé au passage, que Xéresse consentait à se rendre dans le petit bois, le jeudi suivant, en début d’après midi, pour y cueillir des fleurs, et converser un peu, avec le post-scriptum suivant : « Tenue correcte exigée ». Le Gonzague lut ça d’un œil hagard, n’y comprit pas grand chose mais sourit néanmoins d’un air entendu. C’était son air spécial qu’il n’adressait qu’à lui même, pour se persuader, qu’en toutes circonstances, il maîtrisait les êtres et le monde. Sans même se rendre compte qu’il se mentait. Il était de cette race que rien n’effraie, de ceux qui partent à l’assaut, toujours heureux de ne pas savoir ce qu’ils sont. Inoxydable, imputrescible, inébranlable et sûr de lui. La petite caille lui tomberait toute cuite dans le bec.

Le même soir la grande expliqua à la petite que le si beau se mourait d’amour pour elle. Elle battit des mains comme une enfant à Guignol et s’envola bien haut. Depuis le temps qu’elle l’attendait son prince charmant, celui qui la libérerait de ses peurs récurrentes, qui la remplirait de son amour, elle se noyait déjà dans ses émeraudes, se blottissait entre ses bras rassurants qui la protégeraient des rudesses du monde, et mettrait son corps au tendre supplice de ses mains douces. Elle l’entendait déjà lui murmurer des sucres candi, lui jurer à voix basse qu’il la chérirait toujours, et plus encore, ses lèvres charnues effleuraient son cou, son souffle parfumé électrisait sa peau, et son ventre brûlant se collait au sien. Abandonnée contre la poitrine de Mathilde qui lui titillait le delta du Nil, elle entrevoyait les portes du paradis sur terre. Elle se sentait déjà remplie, à jamais pleinement vivante, débarrassée de ce manque douloureux qui lui gâchait toutes les heures de sa jeune vie. Elle se promit de lui donner tout ce qu’il voudrait. A l’instant où elle se livrait en pensée, derrière ses paupières closes apparurent les émeraudes, qui tournèrent à la citrine, vivement, puis disparurent. Un frisson roula sous sa peau, qu’elle chassa d’un mouvement des épaules, un haussement, comme une renonciation.

Ce jeudi là, il faisait beau depuis plusieurs jours, et le sous-bois bien sec brillait doucement sous le soleil, entre zénith et coucher, le sol brodé de jonquilles aux périanthes gonflés de vie appelait à toutes les sarabandes, les gnomes et les elfes, invisibles aux yeux des mortels aveugles, sur le tapis moelleux, s’en donnaient à corps joie. Gonzague, vêtu de frais, pommadé comme un œuf mayonnaise, debout au milieu de la clairière que le soleil baissant commençait à caresser de ses rayons biaisés, faisait le héron depuis un moment déjà, passant d’une jambe l’autre. Sa longue silhouette étroite et ses trépignements répétés ne gênaient pas le petit peuple du bois, qui riait en silence en s’aimant sans vergogne, sûr qu’il était de n’être pas là. Derrière un des gros chênes de bordure, Mathilde venait de s’installer, comme au spectacle. Elle poussa la petite d’un geste doux et Xéresse apparut en lisère, dans sa robe de coutil bleu qui lui raidissait la dégaine, trop raide, l’étoffe lui mangeait les contours et gommait ses formes. Au bout de quelques pas un peu hésitants, le bellâtre l’aperçut enfin et sourit gauchement. Le petite le regardait béate, intimidée, son regard d’agnelle au sacrifice s’agrandissait sur ses iris noisette qui paraissaient plus grosses que des coques de noix, sa peau rosissait un peu et ses joues de pomme d’api lui faisait visage rayonnant, elle avait les deux mains crispées sur les plis de sa robe, le soleil jouait au bûcher dans ses cheveux, ses boucles lâches soulevées par la brise de printemps. Sous sa poitrine ronde, son cœur battait les tambours de la garde, sur l’organsin de sa peau de petits picots picotants roulaient en holas, qui envahissaient son corps sous la houle montante. Gonzague daigna faire un pas, et tendit les mains. Osseuses les pattes, aux doigts longs, maigres, un peu crochus, agrippèrent, plutôt qu’elles n’accueillirent, les menottes de la tendronne. Qui furent surprises par ce contact rugueux, mais dociles, elles s’abandonnèrent pourtant. Il lui prit sauvagement la taille, se baissant un peu, à contre jour on eût pu croire qu’un épouvantail l’enlaçait.

Maladroitement, il mit un genou à terre, l’entraînant, elle tomba presque et se fit mal au genou sur une pierre, ce choc la surprit mais elle ne laissa rien paraître. La main du garçon lui crocha durement la taille, il la serra d’un coup, lui coupant le souffle, mais elle aima. Les os secs la raidirent un peu, lui coupant la taille, il mit cela sur le compte de la pudeur, et serra plus fort jusqu’à ce qu’il sente sa poitrine s’écraser sur la sienne. Elle était pneumatique à souhait, une légère tension gonfla son pantalon étroit, qu’elle sentit aussitôt. Xéresse était partagé entre le désir de se remplir et une légère répulsion que la dureté des gestes déclenchait. Alors elle ferma les yeux, attendant que le miracle s’accomplisse, benoîte et conquise déjà. Mathilde au sourire cruel, la joue écrasée contre l’écorce du chêne, n’en perdait pas une miette. Gonzague écrasa sa bouche maladroitement contre celle de la poupée supposée, ses dents crissèrent qui la firent reculer. Le contact de ces lèvres molles, immobiles et sans vie ne lui plut pas, elle avait souvent imaginé le premier baiser de son prince, ce devait être quelque chose de tendre, doux, sensuel, soyeux, ondulant, humide et délicieux. Alors elle se mit à l’ouvrage, se relâcha complètement, laissa sa chair parler pour elle. Ses lèvres se mirent à suçoter lentement la bouche du garçon, d’instinct elle promena la sienne en souplesse par petits rebonds légers, gourmands et fureteurs sur les lèvres de bois, les incitant à lui répondre, pendant que sa langue le léchait furtivement d’une commissure à l’autre. Le séducteur sursauta, vexé de perdre la main, mais le délice ressenti, qui le dépassait totalement, l’emmenant bien au-delà de son pauvre registre de crachoteux, annihila sa volonté de petit maître. Dompté, le triste maraudeur des campagnes se laissa butiner.

Xéresse prenait son temps, dévorait le museau du coquelet par petits morceaux comme elle le faisait avec sa tartine du matin, qu’elle aimait à sentir fondre par minuscules bouchées sous la langue. Elle lui tenait la tête maintenant, ses deux petites mains couvraient à peine les joues du garçon, et les chatouillis des rouflaquettes clairsemées sur le bout de ses doigts la troublaient délicieusement. Le pauvret se retrouvait penché en arrière, ses cannes de serin tordues sous lui, la petite au dessus, pesant de tout son poids de chaton sur son torse osseux lui sciait les tendons. Il en aurait pleuré mais n’osait, ni se plaindre, ni bouger, de peur d’avoir l’air de fuir. Cela dura, dura tant et tant qu’il ne sentait même plus ses propres lèvres, encore plus figées, malgré les baisers de Xéresse de plus en plus profonds et dévorants. Il se redressa d’un coup, il n’en pouvait plus, ce qui renversa la petite sur le tapis herbeux qui, certes amortit sa chute, mais lui coupa le souffle et lui brouilla l’esprit. Quand elle souleva les paupières, les cheveux en bataille de la silhouette noire penchée sur elle lui recouvraient le visage, il lui sembla que le garçon n’avait plus d’yeux. Sous sa robe relevée, des doigts gauches, cherchaient, s’agitaient, tiraient sur sa culotte de coton élimé qu’ils avaient saisi à deux doigts, au cœur de sa chair, à la confluence de ses cuisses écartées, pétrifiées, stupéfaites. Quand il tira d’un coup sec, le tissu fragile craqua à la couture et la culotte s’ouvrit comme un sac de blé. La jeunette trembla, une onde de peur la traversa et lui griffa le cœur, elle referma les jambes, écrasant la main de l’intrus contre ses pétales délicats. Cela énerva Gonzague au plus haut point qui se débrouillait d’une main nerveuse pour desserrer sa ceinture, il n’y arrivait pas et grommelait tête basse, ses genoux écartés bloquèrent les jambes de la drôlesse qui ne s’était jamais défendue. La tête lui tournait, le soleil à contre-jour auréolait le chef du garçon au visage de charbon, elle cherchait ses quinquets verdelets pour qu’ils la rassurent, mais elle ne les trouvait pas, elle ne voyait qu’une forme noire aux longs membres aigus qui se démenait, tressautait, comme une marionnette aux fils coupés. Les arbres se balançaient bizarrement, se tordaient sur eux mêmes, les sons déformés stridulaient sous son crâne. L’autre grand pendu ne s’en souciait guère, il releva plus encore la robe, s’abattit sur elle d’un bloc, fourragea dans son pantalon, elle le sentait confusément qui cherchait, se trompait, ne trouvait pas. Puis au bout d’un moment, il donna un coup de rein sec, une petite piqûre la fit à peine sursauter, elle avait beau se concentrer, il lui semblait ne rien ressentir. Le petit asticot s’agita à peine, il ne dépassa pas le vestibule, puis il sursauta deux fois. Et ce fut tout. Sauf une petite tiédeur qui coula, mais si peu. Gonzague se releva, se rajusta très vite et lui jeta en partant : « alors, on se revoit quand ? », puis il partit, un grand sourire satisfait éclairait son regard.

Mathilde sortit du bois, déçue elle ne souriait pas, elle entraîna la petite qui s’était relevée. Le soir même, Xéresse, assise dans son lit, le regard vague, l’angoisse aux lèvres et le cœur vide, recousait avec application sa culotte. Non elle n’était pas triste, elle croyait simplement que l’amour, c’était comme ça, de grands baisers onctueux, puis une petite chaleur fugace. Elle aimait bien les bécots, c’était encore meilleur que manger. Quelque chose au fond de son cœur, de son ventre, de sa tête, elle ne savait pas, lui disait sans un mot, des choses qu’elle ne comprenait pas mais qu’elle n’aimait pas. Dans la chambre d’à côté, Gracieux, les esgourdes grandes ouvertes, fut déçu de ne rien entendre ce soir là. Il plongea sous la couverture, saisit l’objet de ses compulsions ordinaires, et se mit au boulot comme un brave petit soldat de la quéquette en feu.

GONZAGUE ET LE VAGUE-A-L’ÂME…

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Dante-Gabriel Rossetti. Self-portrait.

 

 CHAPITRE 11.

A l’écart sur la place, loin du parvis, il avait bien pris garde de ne point être vu. Fils d’un petit maître du village, un menuisier qui avait accumulé, il ne fréquentait que peu les autres garçons de son âge. Ce qu’il fallait, pas plus, histoire de ne pas attiser les langues de putes qui l’auraient crucifié, traité de fier, en auraient fait un insupportable arrogant, et l’auraient définitivement cloué au pilori des infréquentables. GONZAGUE était habile, intelligent aussi, un peu, mais surtout malin, qui sentait les choses et les êtres plus qu’il ne les comprenait, un roublard, un madré au cœur froid mais au sourire délicieux entre deux lèvres pleines et deux fossettes qui lui relevaient les pommettes. Plutôt grand, le poil noir, la peau mate, toujours tiré à trois épingles, la quatrième eût été de trop dans un aussi petit village. Quelque chose de souple dans son allure aussi ainsi qu’une petite gaucherie étudiée mais délicate, qui donnait à ses gestes un charme indéniable qu’accentuait sa complexion fine et sa carrure étroite, ce qui n’empêchait qu’il fût bien tourné et plutôt agréable à regarder. Mais ce qui emportait le cœur des donzelles à poils divers, les rêveuses à géométries variables et les cœurs liquéfiés en général, c’était le céladon pur de ses yeux allongés, enfoncés dans leurs orbites et bien abrités sous de longs cils de jais qui battaient au moindre jupon faseyant.

Cela faisait quelques temps qu’il avait repéré les deux tendrons. Chaque dimanche aux abords de l’église, il les étudiait de loin, pesant ceci, soupesant cela, tachant de se décider, de sentir laquelle élire. Son instinct était sûr, en bon prédateur frileux il évitait la difficulté, et allait au plus simple. L’idée d’avoir à passer de longs jours à battre des paupières, des heures à essayer de dire des choses sincères qu’il ne ressentait pas, ah non pitié; s’épuiser à tricoter des mots qui ne venaient pas, à maquiller son visage de lumières factices et de sourires travaillés, à lancer des regards, langoureux comme les pâtes coulantes des fromages du coin, il n’y tenait pas, non pas qu’il fût impatient, mais il avait la petite lucidité qu’il fallait pour s’avouer qu’il était bien incapable de telles prouesses. Il pouvait bien grimacer cinq minutes, balbutier quelques borborygmes vaguement romantiques qu’il lui aura fallu longuement écrire et apprendre par cœur, pour espérer réussir à les dégoiser, en les disant mal, à l’à peu près bon moment, juste avant de les prendre fermement par la taille, un peu fort pour qu’elles tressaillent, et puis basta, il leur prenait la bouche, et en avant la cavalcade ! Ah oui, il passait aussi la main sous la cuisse gauche de la donzelle, la serrant bien fort, et la lui relevant jusqu’à la taille, alors, par un effet qu’il ne comprenait pas, elle s’abandonnait d’un coup, renversait son visage et lui offrait sa poitrine. Ah ça il l’avait bien compris, il le faisait aussi vite que possible, pour raccourcir les salamalecs. Après c’était facile, il les allongeait où il pouvait, les débarrassait de leurs oripettes, leurs fanfreluches, et les piquait d’un cou sec, où il savait, enfin croyait-il, car le plus souvent il devait s’y prendre à plusieurs reprises pour trouver sa tanière. C’est qu’il était un peu nerveux, il serrait les dents, à faire crisser l’émail, pour donner son meilleur, baissant l’encolure comme un yearling fougueux, et il s’agitait comme un bon, aussi fort que possible malgré ses reins fragiles. Les yeux fermés et la chaleur au front, il fallait qu’il pense à autre chose pour tenir aussi longtemps que supportable. Mais à galoper il s’engluait vite dans les lagunes, sans jamais pour autant en pouvoir faire le tour – c’est qu’il était monté très fin – et ses reins maigrelets s’épuisaient vite en petits crachouillis trop tôt venus. Ses victimes aux expériences plus limitées que les contours du canton, ne s’en offusquaient pas, les lapins étaient nombreux par ces contrées, bien au contraire elle souriaient, les pauvresses inassouvies, à se perdre dans les grands lagons verts de ses yeux embués par l’effort, et les petites tiédeurs qui leurs prenaient le haut des cuisses suffisaient à leur bonheur. Et c’est ainsi que Gonzague trompait son monde, et les mâles, jaloux de ses exploits supposés, le regardaient drôlement.

Mathilde l’impressionna d’emblée, mais dès qu’il croisa son regard il sut qu’il valait mieux ne pas s’y frotter, au risque de se dégonfler très vite comme une baudruche à la foire. C’est ainsi qu’il se mit à regarder, à tourner autour de Xéresse, à lui faire son sourire spécial, celui qui ne rit pas des yeux, le fameux rictus, vanille citron vert, qui lui avait valu tant de succès rapides dans les meules alentours. Et le vert glacial de ce regard vide, au dessus de ce sourire factice sur ces lèvres ourlées, transperça la petite aussi facilement qu’une griffe du beurre frais. La première fois qu’il la croisa et lui fit sa mimique, Xéresse s’en remplit comme d’une bouffée d’air printanier, elle sentit ses chairs gonfler, son angoisse ordinaire se dissipa un instant, elle se retourna même, les yeux encore plus ronds qu’à l’habitude, pour le regarder s’éloigner, son dos qu’il avait souffreteux et un peu tordu, lui parut un grand bel arbre au large feuillage épanoui. Elle n’en dit rien à personne, même pas à la grande qui avait tout vu. Le dimanche d’après, au bas des marches de l’église, pendant que la famille échangeait quelques banalités avec le voisinage, il s’approcha des deux filles, ignora la grande, et susurra un bonjour tout chaud, tout en dents blanches à la petite, se baissa légèrement vers elle, lui donna un billet froissé pas plus gros qu’un petit pois, en plantant son regard d’herbe fraîche en plein dans ses yeux. Xéresse oublia de respirer, rougit comme un coquelicot des champs et fit une bouche bien ronde, aspirant un grand coup, puis soupira comme si elle rendait l’âme. Mathilde lui lança deux mots, peut-être trois, qui firent l’effet d’un hérisson reçu en pleine face. Le gommeux n’insista pas. Le mot lilliput finit au fond de la poche de Mathilde. Jusqu’au soir à la bougie de la chambre, quand toutes lumières éteintes, pelotonnées l’une contre l’autre sous le patchwork, la grande déplissa soigneusement le minuscule carré de papier. Elles lurent en silence « Tu é si joli ». L’une pouffa, regardant la petite qui ne savait que faire, attendant que sa grande lui dise. Elles complotèrent longuement, l’oreille de l’une attentive aux murmures de l’autre. Mathilde décida qu’il fallait donner rendez-vous au garçon dans les bois, elle se cacherait derrière un gros chêne, pas loin, pour veiller au grain. Xéresse éberluée, les yeux comme des soucoupes crème de marron, hocha la tête sans dire un mot puis regagna sa couche. Mathilde examina soigneusement le billet en lumière rasante, s’approcha à presque le toucher des yeux, et réussit à lire, à demi effacés, et perpendiculaires à la déclaration enflammée, « Té bel », elle en conclut que ce garçon, outre de n’être qu’une demi lumière, était aussi pingre ….

LES ANGES, LE DIMANCHE A LA MESSE…

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CHAPITRE 10.

Le temps passait, les enfants grandissaient, les filles resplendissaient, les ravages de l’âge supposé ingrat finissaient. Mathilde et Xéresse toujours inséparables, rayonnaient, l’une atteignait ses dix huit ans, l’autre ses dix sept printemps. Oui printemps était le mot et nul autre ne leur seyait mieux, elles traversaient le temps court, fragile et émouvant, celui de leur première beauté, cette grâce éphémère et aérienne qui faisait se retourner le dimanche sur le chemin de l’église, tous les hommes et les garçons des environs. Xéresse suivait Mathilde, la grande au port de princesse touchait à peine le sol, délicate, joliment dessinée, elle avait le visage régulier, la peau veloutée, un teint de rose, des lèvres rouges finement ourlées, et ses cils noirs et recourbés faisaient ressortir le noir profond de ses grands yeux brillants. Sa taille fine, et ses hanches d’un bel ovale parfait, mettaient en majesté ses longues jambes aux muscles allongés, juste saillants. Elle chaloupait à peine, au dessus de ses reins cambrés, ses petits fruits ronds regardaient le ciel complice qui lui souriait. Mais ce qui attirait plus que tout les petits rapaces affamés, c’était la lumière trouble de son regard qui attirait et inquiétait à la fois, et les garçons qui faisaient les beaux en s’approchant d’elle, perdaient un peu de leurs certitudes quand ils croisaient son regard. Souvent ça les stoppait net, ils restaient immobiles et tandis qu’elle continuait son chemin, ils se retrouvaient plantés là, incapables de poursuivre, accrochés à leurs sourires aussi stupides que figés. Mathilde était de celles qui choisissent et décident.

Parfois à côté d’elle, mais le plus souvent derrière, Xéresse resplendissait comme un fruit rond et juteux, juste cueilli au jardin par un petit matin de juin. Ses billes rondes grandes ouvertes avalaient tout ce qu’elle regardait, ses yeux de noisettine dorée laissaient en toutes circonstances sourdre une angoisse discrète, que trahissaient à peine ses sourcils légèrement froncés. Xéresse était belle comme une brioche sortie du four, son teint de crème onctueuse, son visage ovale aux joues rebondies, sa petite bouche ronde, juteuse comme une cerise sang de pigeon bien mûre, sa poitrine plantureuse qui semblait défier les implacables lois de la gravité, sa taille si fine qu’on aurait pu l’entourer d’une seule main, ses hanches généreuses, et ses fesses fermes et cambrées plantées sur deux jolies jambes potelées qui marchaient à petits pas souples, ses chevilles fines, enfin, aux mollets croquignolets, en faisaient une proie tentante pour les hyènes ordinaires dont les babines se retroussaient à son passage quand elle leur souriait ingénument. Souvent Mathilde se retournait vivement et les calmait d’un regard. Xéresse adorait le trajet dominical vers l’église, elle se gavait du désir lourd de tous ces mâles en surchauffe, et roucoulait tout du long en battant des mains.

Puis elles entraient dans l’église. Xéresse s’asseyait toujours à la droite de Mathilde qui avait Gracieux, toujours fébrile à sa gauche, lui même était à la droite de son père, près duquel se trouvait Josette perdue dans ses pensées entre les pattes puissantes de son teuton. Elle offrait aux ouailles qui l’entouraient un sourire, aussi figé que son regard était perdu et vibrant entre les cuisses blanchâtres du valet de ferme. Immuablement. Gracieux louchait à se tordre les yeux sur la grande, et la chaleur douce que ce corps juvénile dégageait, le mettait autant en rage qu’en troubles délices. Mathilde le dédaignait de toute la morgue dont elle était capable et se régalait du trouble du boutonneux, qu’elle accentuait en fronçant régulièrement son joli nez, affichant un air de dégoût qui ne durait que le temps qu’il s’en aperçut. Humilié comme jamais, le benêt devenait plus rouge qu’une fraise de juin. Pourtant, au fond de son marasme, il trouvait moyen de rêver à des tortures extrêmes qu’il se voyait infliger à la démone qui lui ravageait l’âme. Alors Mathilde le gratifiait du plus cruel de ses sourires en se passant la langue sur ses lèvres qui gonflaient, tandis qu’elle mordillait sa bouche charmante et humide. Le soleil qui perçait la nef à cette heure religieuse pendant que les chants des bonnes âmes résonnaient, rebondissant sur la haute voûte de l’édifice, entourait à contre jour la chevelure noire de Mathilde d’un halo surnaturel, exhaussant sa beauté toute fraîche, et brûlant d’un feu tremblant ses lèvres frémissantes. Sa carnation ivoirine brillait doucement, comme les flammes des bougies sur l’autel.

Xéresse somnolait doucement. Parfois son cou faiblissait, et sa tête de roussette oscillait un instant avant de se poser sur l’épaule de la grande. Elle aimait ces moments là, entre la lumière opale du jour et le chant des rosières, dans un état de conscience ralentie, ses angoisses faiblissaient jusqu’à disparaître. Elle rêvassait, alanguie, la respiration régulière de Mathilde soulevait son front, achevant de la plonger dans un autre monde. Tout se mélangeait sous ses paupières à demi fermées, la grande croix du dessus de l’autel fondait, le bois coulait comme du chocolat fondu, le grand corps blanc du Sauveur ruisselait, le sang sacré rutilait au soleil, des anges roses voletaient tout autour du choeur en chantant les louanges de Dieu, les odeurs d’encens l’enivraient, la voix de l’officiant psalmodiait des mots inconnus vides de sens, mais qui la transportaient, si doucement, qu’elle en défaillait presque, à en sentir une chaleur au creux de ses reins. Alors elle enfonçait la main au fond de la poche percée de sa robe de tissu râpeux, et ses doigts discrètement se mettaient à l’ouvrage. Aucune idée de sacrilège ne l’effleurait, bien au contraire, elle avait la foi simple de ceux que la religion ne culpabilise pas. Miracle entre les miracles, Dieu, bienveillant, l’accompagnait dans son voyage mystique et charnel, à l’instant ou « Ite missa est » retentissait sous la nef silencieuse, il lui semblait que son être, décuplé, accédait à la béatitude.

Au sortir de la messe, Mathilde posait un instant sur les parvis, elle attendait que la foule des ouailles caquetante descende les marches, elle dominait la masse informe de toute sa grâce, le regard perdu à l’horizon, belle et apparemment détachée, mais elle ne manquait pas de guetter du coin de l’oeil les regards furtifs et concupiscents des hommes qui la déshabillaient à la dérobée. Xéresse, elle, encore toute chavirée, sentait ses angoisses revenir. Gracieux ne pensait qu’à vite rentrer pour s’isoler dans sa chambre et se soulager des tensions accumulées. Josette avait hâte de retourner à la ferme voisine, retrouver les reins d’airain de son fendeur de bûches, Martin, inquiet sans trop savoir pourquoi, ruminait en silence, et épiait sa femme du coin de sa paupière chassieuse …

Ainsi allaient, entre les laudes et l’angélus, les dimanches dévots de la famille Pêcheur.

COUPE LA LAME, TAILLE L’ÂME …

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Dante-Gabriel Rossetti. Bocca baciata.

 

 CHAPITRE 9.

 Josette rentra sous la pluie, elle affichait son visage habituel, fermé, renfrogné même, à peu près aussi expressif qu’une dalle funéraire, lisse comme un marbre poli, grisâtre, sourcils froncés, préoccupée par les tâches à venir. Mais à l’autre bout de son corps, dans l’ombre de ses jupes, son ventre battait toujours, comme une pulsation profonde et continue, son entre cuisses humide et ses chairs fragiles la reliaient toujours à son guerrier brutal. Entre ses lèvres serrées et tuméfiées, elle gardait un peu de cette liqueur chaude et âcre qui l’avait inondée après qu’elle l’eût emportée au firmament des plaisirs insupportables. Elle brûlait de glisser sa main sous sa jupe, mais Martin désœuvré traînait dans la maison, crispant à intervalles réguliers ses grosses mains calleuses. Comme un rapace en maraude. De temps à autre, il jetait à Josette un regard sournois. Les cercles réguliers qu’il décrivait décroissaient insensiblement, et ses regards furtifs se faisaient plus fréquents. Josette eut peur, d’un coup, très peur, elle le connaissait le Martin, et cette façon qu’il avait de se rapprocher d’elle pour la prendre d’un coup comme un lapin au clapier, quand il s’ennuyait. Faut croire que ça lui éclaircissait la tête, que ça consumait son angoisse. Josette préparait la soupe du soir, du bout de son couteau pointu, elle fendait les poireaux puis les étêtait d’un coup de poignet. Leurs chevelures, lourdes de terre séchée, tombaient sur la table en petits tas, comme des scalps de sorcières albinos décapitées. Elle en était, après avoir gratté des carottes, à déshabiller de grosses patates charnues dont les épluchures parfaites, coupées au ras de la chair, égayaient comme des guirlandes tristes le tas de pelures, quand Martin qui s’était glissé dans son dos, d’une main ferme, la coucha sur la table, tandis que de l’autre il soulevait brutalement ses jupes. Surprise par la rapidité de l’attaque, Josette sentit son cœur se geler, elle serra les fesses sur les vestiges à demi séchés de ses amours récentes, l’odeur aigrelette de Kurt lui revint aux narines qu’elle avait écrasées sur les déchets, la rage lui vint d’un coup, cette émotion étrangère la troubla un instant, la submergea, propulsant sa main armée dans son dos, la lame entailla le poignet de Martin qui poussa un grognement de bête blessée, pour se reculer aussitôt, trébucher et se retrouver le cul par dessus tête, à moitié assommé par le mur. Elle ne l’avait qu’égratigné de la pointe du couteau, mais le geste incontrôlé les avait surpris tous les deux. Martin ne comprenait pas la réaction de sa femme, il avait l’œil rond fixé sur l’écorchure qui zébrait son poignet, ses lèvres bougeaient en silence, et Josette, appuyée à la table, plus blanche que la chair nacrée des poireaux, respirait comme une vache vêlante. Martin se releva, tête baissée, regard fuyant, il sortit de la cuisine en traînant ses godillots. Sans un mot. Et Josette comprit qu’il n’y reviendrait plus.

Le bruit soudain qui déflagrait de la cuisine fit sursauter Xéresse. La surprise et la frayeur lui coupèrent le souffle, ses yeux se révulsèrent. Un court instant elle fut ailleurs, son ouvrage n’eut pas le temps de lui échapper des mains, elle était revenue. Personne ne s’était aperçu de cette étrange absence qui la prenait à la moindre émotion un peu forte, la peur, comme le plaisir, l’emportait à chaque fois, comme une vague figée par le temps arrêté. C’était si bref, qu’il aurait fallu ne pas la quitter du regard pour s’en apercevoir. Mathilde, bien sûr, le savait depuis toujours, mais faisait mine de rien. Elle avait mis cela sur le compte de sa faiblesse d’esprit, cette sorte de mollesse de caractère qui lui avait permit d’en faire sa chose. Elle guettait le regard de Xéresse s’il lui prenait l’envie de la faire défaillir sous ses caresses précises. Quand l’œil de sa chose tournait à l’ivoire d’une boule de billard, puis revenait aux noisettes dorées de ses iris rondes, Mathilde sentait, sous les épaisseurs de ses habits, poindre une rosée de plaisir à l’instant précis où Xéresse soupirait d’aise. Souvent sans un mot, mais le regard brillant et la lèvre gonflée, la chose lui prenait la main et attendait quelle s’affaire sous sa jupe ou sa blouse. Elle revenait toujours de ces voyages intimes, souriante, on aurait pu croire que ces jeux lui redonnaient vie, et pendant quelques heures, la chose sortait de l’ombre de Mathilde et semblait exister. Alors, ces temps-là, elle pouvait s’intéresser un peu au monde. Mais elle s’épuisait très vite et retombait dans une sorte d’apathie dépendante. Xéresse était de cette étrange et rare race de vampires qui se nourrissent, non pas de sang vermeil, mais de caresses, de frissons et de voluptés à répétition. Elle ne craignait pas les lueurs de l’aube, ni la morsure délétère du soleil, mais elle dépérissait quand son ventre dormait. Cette faille douloureuse, toute sa vie il la lui faudrait remplir, sous peine d’être condamnée à se traîner comme une morte vivante. Pourtant derrière les vitres sales de son regard terne, elle peignait le monde aux couleurs grises de l’angoisse forte qui l’étreignait constamment, la privant d’énergie, et cela la rendait incapable de toute initiative personnelle, pauvre wagon abandonné par sa locomotive sur une voie sans issue. Mais ces yeux tristes, vides, éteints comme deux bougies soufflées, avalaient tous les êtres qui la croisaient, du dernier bonimenteur de village à la vache perdue au fond du champ. Xéresse n’allait jamais les mains vides, il lui fallait toujours un chiot, un chaton dans les bras, qu’elle caressait mécaniquement, sans jamais se lasser, jusqu’à épuiser la pauvre bête devenue sa chose. Au bout de quelques jours, la bestiole, inexplicablement épuisée, mourrait, et cela la mettait dans un chagrin aussi bruyant qu’inextinguible, ses affres décuplaient, qui la terrorisaient au point que les doigts de Mathilde, habile fileuse, glissaient le soir sous sa chemise et œuvraient à tisser ardemment son ouvrage. Quand elle n’était plus que frisettes emmêlées, bouton épanoui, tétons enflés et plaisirs liquéfiants, elle tremblait à claquer des dents, ses yeux faisaient lune pleine, et tout rentrait dans l’ordre. Ces nuits là, Mathilde se régalait à lui rougir la peau fragile des cuisses à longs pinçons tordus pénétrants. Et Xéresse repartait à l’assaut de son semblant de vie.

Dans la chambre d’à côté au mur de papier, suant dans son lit creux, tout au fond de la dépression de son matelas à demi effondré, Gracieux, rouge comme une crête de coq, écoutait sans mot dire les gémissements montants des filles au labeur. Il aurait bien voulu se glisser sous leurs draps et regarder de tout près, à distance de langue, les onctuosités qui leurs graissaient les doigts, l’idée de les leur lécher lui traversait bien l’esprit, mais il serrait le paupières à tuer l’image, et se pinçait la peau du lombric autour du gland, qu’il n’osait pas extirper de sa capuche, mais ses agitations courtes et convulsives finirent vite par lui crémer la paume de la main. Alors il s’essuya en priant Dieu de regarder ailleurs, et recommença frénétiquement jusqu’à ce que l’épuisement et la source tarie l’emportent au juste sommeil des boutonneux déliquescents. Et là tout devint possible, l’impensable fut permis, le Diable dormait dans sa boite, Jésus dans son suaire, et Dieu, débordé de travail, l’oubliait un moment.

Dans un sous bois luxuriant, par un printemps éternel, au milieu des fleurs et des lierres grimpants, beau comme Adonis, couvert de roses et de myrte, entouré de femmes lascives aux buissons ardents, aux seins épanouis, aux cuisses douces et aux ventres bombés, aux regards fulgurants, aux lèvres de cerises juteuses, qui lui tendent des bouquets d’anémones multicolores et des brassées grasses de jonquilles parfumées, mollement allongé sur des corps pneumatiques de déesses douces, habillé d’une charmille de mains câlines, Gracieux, affublé d’un braquemart énorme, enfourche à qui mieux mieux des vierges implorantes dont les langues agiles furètent dans les moindres replis de son corps musculeux. Au loin, très loin, par l’entrebâillement des portes gigantesques d’une demeure immense, lui parviennent les chants assourdis d’autres vierges implorantes en attente. Pas de monsieur le curé à l’horizon, Gracieux est heureux, insatiable, il s’active, plus encore que le disgracieux Priape aux vergers. Le lendemain au réveil, plus flapi qu’au coucher, il ne se souvenait de rien et redevenait l’âne ordinaire de la maison. Mathilde le montra du doigt au déjeuner en riant bruyamment, deux secondes plus tard, Xéresse s’esclaffa à son tour.

COMME UNE BUCHE SOUS LA HACHE …

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Holbein. Self-Portrait.

CHAPITRE 8.

Josette avait jupe et jupon au-dessus de la tête, respirant à petites sucées courtes, elle attendait. Le temps semblait s’être arrêté, sa conscience, toute entière, suintait et imprégnait largement les bords fendus, à peine écartés de sa culotte de coton épais, les eaux parfumées de son désir affleuraient lentement, pour baver en minces filets clairs le long de ses chairs hérissées de picots duveteux. La porte de la grange bougea sous le vent, la lumière qui filtrait entre les planches embrasa son ventre détrempé, à l’instant où Kurt, d’un coup de rein brutal, l’embrochait au rebord de la charrette, la clouant comme une chouette. Elle le sentit, jusqu’au fond de son ventre, qui la déchirait presque, elle s’ouvrit plus encore pour l’accueillir tout entier, pour que sa présence turgide la comble, puis dents serrées et lèvres cousues, elle hulula longuement. Son cri, à demi assourdi par le vent qui gémissait entre les lattes de bois et les grincements tourmentés de la toiture, rebondit sur la poitrine velue de l’homme qui lui écrasait le visage. L’odeur forte de ce poitrail frisé finit de l’emporter bien au-delà de la lubricité, elle respirait à plein poumons, criant des mots sans suite, des mots de sang, des mots métalliques, des sons inarticulés plein de grumeaux et de voyelles mâchées. Dans son dos, le plat de la charrette lui brisait les reins, elle crut que les coups de boutoir du teuton allaient la couper en deux, comme il le faisait à coups de hache sifflants, avec les énormes bûches qu’il débitait dans la cour. Alors elle posa les mains sur le plat de la carriole qui la martyrisait, donna de toutes ses forces un coup de rein dans le ventre de l’homme, si puissamment qu’il recula un peu, tandis qu’il s’enfonçait en elle au delà du possible. Josette jouissait, se repaissait, s’esclaffait comme une hyène, sans discontinuer, plus ouverte que les bouches édentées des rosières à la messe, des étincelles multicolores crépitaient sous ses paupières crispées, elle suait abondamment, hoquetait, crachait à étouffer, la toison crépue de Kurt la chatouillait jusque dans sa bouche, ses hanches cognaient, synchrones aux siennes, elle ne savait plus qui elle était, elle pleurait et riait, la tête lui tournait, ça n’en finissait plus, c’était les flonflons de la fête foraine, la terreur délicieuse du grand huit, la barbe à papa qui fondait entre ses lèvres, son ventre n’était plus que bouillie consentante, elle devenait folle, s’ouvrait plus encore pour l’avaler tout entier à ne plus jamais le perdre …

Kurt se retira aussi violemment qu’il l’avait possédée. Surprise Josette rouvrit les yeux pour entrapercevoir, écarlate, le visage de l’homme, qui disparut aussitôt. Elle n’eut même pas le temps d’un soupir, les deux mains qui lui broyaient la taille la firent tourner sur elle même comme une toupie, elle se retrouva le nez contre le plancher du chariot. Elle sourit. Le choc lui érafla la joue quand elle fut durement empalée, le plaisir fut immédiat, elle gémit et se cambra autant qu’elle pouvait, contre les deux quartiers de sa lune opulente Kurt tapait de tout son poids, ses lombaires musclés par les lourds travaux poussaient autant que ses lourds soupirs. Sur son dos à la rupture, elle sentait la sueur de l’homme, en gouttes chaudes, grasses et musquées qui s’écrasaient. A mesure qu’il la rudoyait, sous ses paupières aveugles, l’image d’un pilon monstrueux, d’une emboutisseuse, qui frappait à coups redoublés des tôles rougies, à peine sorties des feux de l’enfer dans l’antre ombreux d’un Vulcain déchaîné, lui corrodait la rétine. Mais plus encore que les coups de massue qui lui brisaient les reins, au-delà des spasmes répétés qui lui mettaient les chairs en bouillie, les odeurs de ventraille tiède, de lièvre faisandé, de crasse capiteuse et de sang chaud, lui remuaient les tripes. Au bord de l’évanouissement, elle vomit longuement avec délice, tout en jouissant continûment. Le plaisir rebondissait sans cesse, de plus en plus fort, presque insupportable. Ses os fondaient, sa conscience déclinait, se dissolvait, elle crut mourir.

Kurt poussa une dernière fois, de toutes ses forces, se recula, inondant ses fesses qu’il écartait à craquer. Elle sentit sa semence bouillante couler entre ses cuisses jusqu’au sol, se retourna en glissant sur la paille gluante pour se retrouver face à cet homme qui ne la regardait pas, affairé qu’il était à s’essuyer à la flanelle de son jupon, elle baissa les yeux, surprise, sur l’endogé de petite taille qui pendait mollement, comme une nouille trop cuite entre les gros jambons blancs tavelés de son amant féroce. Une vague de tendresse la submergea, ses yeux se mouillèrent, son cœur battait fort, elle sourit niaisement et tendit la main, mais déjà le teuton la poussait vers la porte sans même l’avoir un instant regardée. Le lourd battant claqua dans son dos. Le vent avait forci, elle eut froid. Soudainement.

Alors Josette s’en fut en traversant le bois. Le ciel bas, grumelé de nuages gris, se mit à pleurer une pluie froide. Elle courait à petits pas pressés, les fesses serrées, essayant dérisoirement de retenir un peu de ce qui l’avait poissée, mais elle sentait que malgré ses efforts qui ralentissaient sa course, ça lui échappait. Et ça coulait entre sa peau et ses bas épais, et ça la faisait pleurer de ne pas savoir retenir ce cadeau d’amour. Alors au couvert des arbres, elle s’arrêta, trempée dedans, mouillée dehors, le nez plongé entre sa poitrine et sa chemise, à chercher l’odeur prégnante de l’homme, ce fumet encore chaud, qui mit un sourire de fleur fanée sur ses lèvres bleuies par le froid, sous les rus d’eau froide que le ciel généreux déversait sur elle. Le ciel pleurait parce que Josette n’y arrivait pas, et elle se disait qu’elle aurait peut-être bien pleuré si la pluie n’avait pas été si froide ce jour-là. Et que ce maudit vent l’avait mise dehors trop tôt, Kurt devait avoir eu froid d’un coup, il n’avait pas voulu qu’elle prenne mal et l’avait poussée d’un geste – il baragouinait à peine le Français – pour lui signifier, comme il le pouvait, d’aller vite se mettre au chaud. Oui, c’était bien lui ça cette tendresse bourrue. Ces pensées la rassurèrent, elle reprit son chemin le cœur un peu moins lourd et le ventre comblé.

LES TANTÔTS DE JOSETTE …

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Frans Halz.

 

 CHAPITRE 7.

Derrière le petit bois, il y avait la ferme. On pouvait y arriver très vite en traversant la pâture puis la barrière végétale de grand bois et de futaie. Au centre de la petite clairière qui cachait au monde avoisinant les jeux interdits des filles, se dressait, priapique, aux racines épaisses qui tordaient un instant le substrat végétal, pour s’enfoncer au profond du sol, un vieux chêne au tronc si épais, qu’il eût bien fallu, quatre à six paires de bras pour en faire le tour. Les grosses veines ligneuses, recouvertes de mousses fleuries et de minuscules colonies de champignons de bois, ménageaient entre elles, de petits nids douillets, au creux desquels les filles aimaient à se blottir, tressées de fleurs, d’herbes ou de mousses selon la saison. Quand elles s’y étaient nichées, collées l’une à l’autre, on ne les y voyait plus. Au fond de la clairière, après un breuil touffu de bosquets et d’essences diverses, au travers d’un chemin étroit tracé par les enfants, on arrivait au pied d’une barrière à demi écroulée, derrière laquelle, après une centaine de mètres à découvert, on débouchait dans la cour de la ferme. Jamais Josette n’empruntait ce raccourci, elle préférait prendre le dur de la route qui rallongeait d’un bon kilomètre, c’était si long que personne n’avait l’idée, évidente et stupide, de s’y aventurer. Et ça l’arrangeait bien.

Josette s’en allait au village une fois la semaine, tantôt. Elle allait en course disait-elle, acheter la grosse miche de la semaine, un pain de savon parfois, mais ni babioles, colifichets ou fantaisies. Elle bâclait les achats, courait comme une chèvre, tête baissée et front plissé, parlait à peine, et trépignait quand par malheur, quelque commère bavassait trop longtemps avec la boulangère. Puis elle reprenait la route et marchait à suer. Arrivée à la hauteur de la ferme, elle examinait les alentours à la dérobée avant de bifurquer dans le chemin qui menait à la petite borde. Sur le court chemin de terre, elle respirait bruyamment, arrivait en eau dans la cour, et s’arrêtait net, espérant. C’était au petit malheur la malchance. Hélas le plus souvent Jacotte, dans sa cuisine, voyait surgir d’un seul coup sa voisine, souffle court, les ourlets de sa jupe grossière salis ou mouillés, alors elle sortait en vitesse, bondissait gauchement, toute souriante, les chicots en bataille, le cheveux plat en désordre, plus gris que paille, le visage buriné et couperosé à la fois, de ses mains abîmées par les travaux des champs, elle agrippait, à faire mal, entre ses doigts crevassés, le bras de sa plus proche voisine. Les deux femmes conversaient un peu dans la cour, parfois Josette se laissait entraîner jusque dans la cuisine, elle ne pouvait faire autrement, souriait à peine mais ne parlait presque pas, se contentant d’avoir l’air d’écouter les jacassements de Jacotte, qui faisait de prodigieux efforts pour peindre de rosâtre sa triste vie terne de fermière perdue sans enfants, sous un mari taciturne et très laid. Josette hochait régulièrement la tête, comme un chien mécanique à l’arrière d’une voiture, s’esquivait assez vite, le travail l’attendait elle aussi. Les bras chargés de légumes, de quelques œufs, d’un broc de lait frais, où, plus rarement, quand elle faisait l’effort de s’attarder un peu plus, d’une belle tranche de beurre du jour, encore perlée de gouttelettes d’eau fraîche salée que les enfants s’évertueraient en vain à écraser sous le couteau, elle s’en allait, se retournant une dernière fois avant de prendre le chemin.

Pour Josette, ces jours-là c’était fiasco. A chaque fois, elle espérait fiévreusement que Jacotte serait aux champs, à oeuvrer, les reins cassés, les pieds enfoncés dans l’argile gluante, à creuser, arracher, sarcler, biner, à s’anesthésier le corps, le cœur et les espoirs. Ces jours-là, figée au milieu de la cour, elle priait à toute vitesse pour ne pas la voir surgir, jupes relevées et sourire aux lèvres. Ces jours-là seulement, son cœur battait à grands marteaux dans son ventre, elle frémissait déjà, son regard fixait la porte de la grange, espérant que Kurt paraisse, en majesté, sa longue chevelure blonde emmêlée, à demi collée par la sueur sur son visage anguleux barré d’une grosse moustache fauve tâchée de tabac, au dessus d’un sourire lippu à lèvres rouges, aux larges dents jaunes, poitrail velu, à demi dénudé sous une grossière chemise à carreaux rouges et noirs, battoirs énormes pendus le long des hanches, bras moussus, roussis, musculeux et durs, immobiles, large pantalon de toile grossière, informe, flottant autour de ses jambes bien écartées, soudées au sol, petits yeux gris sidérurgie, vides d’expression, l’air toujours un peu étonné, tombant sur elle. Jacotte le voyait immense alors qu’il était de taille moyenne, large, trapu, épais sous tous les angles. Von Bingen de son nom, soudard de vocation, était un de ces déserteurs fuyant la guerre à l’avoir trop faite, qui s’était enfin posé, au hasard de sa fuite, après avoir subsisté des mois, vivant de chasses et de rapines, à travers bois. Tombé dans cette ferme un soir de grand froid, épuisé, affamé, à bout de forces. Les fermiers l’avait caché, le temps que la guerre se lasse. Ces gens étaient bons, de cette bonté simple de ceux qui connaissent la misère et la faim. Depuis, le teuton faisait partie de la famille. Pas tout à fait, mais presque presque. Le petit colosse était tombé du ciel noir à point nommé, le travail à la ferme ne manquait pas, les paysans avaient fait d’une bonté deux coups. Tôt le matin, jusqu’à très tard le soir, il abattait un travail Tudesque, ne rechignant jamais, taiseux, dur au mal, fort comme un Suève, il dormait au fond de la grange sommairement aménagée, au milieu des bottes de paille, sur un bat-flanc odorant de foin épais, sous une mince couverture de laine, hiver comme été. Dans la cour, dès l’aube, il faisait sa toilette à la fontaine, nu comme un innocent, la peau rougie par le froid et la pierre ponce savonneuse, avec la même ardeur qu’il mettait à fendre les bûches et défoncer les champs. Matin, midi et soir, il était copieusement nourri à la table commune, les coudes sur la table, les épaules baissées et la trogne frôlant le fricot, il dévorait à la cuillère, la nourriture épaisse et fumante qui débordait de son assiette. Cette vie rude et simple satisfaisait pleinement les ambitions qu’il n’avait pas.

Or donc la souris des champs et l’aigle Alaman se regardèrent un moment sans sourire, graves comme des Burgraves, concentrés comme des lutteurs avant l’assaut qui savent l’importance du moment. Kurt fit un pas en arrière et ouvrit l’un des battants de la porte. La sourijocette démarra sur les chapeaux de ses sabots de bois grossier qui chuintèrent sur le sol mouillé, elle faillit déchausser deux fois, trébucha, fléchissant du jarret, dut lâcher sa jupe pour reprendre de justesse son équilibre, se rétablit en rabotant le sol, eut peur de paraître ridicule, mais le visage du Suève ne broncha pas d’un pli, il tendit à peine la main. La grange était éclairée par deux fenêtres hautes sur chacun des grands murs, et quelques rais tombaient d’un oculus grossier au-dessus de la grande porte. C’est dire que la lumière, chiche en ce jours gris, éclairait à peine la resserre, un peu de jour filtrait aussi entre les planches mal jointes du porche. Au bout de sa course, Josette dérapa sur la paille sèche, volta, et se retrouva coincée entre les deux bras de bois patiné d’une charrette, face à l’homme qui venait de barrer bruyamment la porte. La lourde barre de bois sec tinta contre les crochets de suspension. Seule sa respiration courte répondit, un peu rauque, dans le silence humide qui s’était installé. L’homme, tout près d’elle à la coller, ne bougeait pas et restait silencieux. D’un geste timide et gauche, elle fit mine de remonter sa jupe. Alors Kurt, se baissant à peine, la lui releva brutalement, entraînant son jupon de flanelle. Josette, bouleversée par l’émotion, avait inconsciemment levé les bras, ses seins déjà tombants supportaient mal le coton grossier du surcot qui les abritait encore, sensibles, ils la brûlaient, de longs frissons la parcouraient, des aisselles jusqu’au bas de ses fruits pesants, ses tétins agacés, plantés sur de larges aréoles sombres se redressaient, intumescents et fragiles, attendant les doigts lourds qui les pinceraient au sang. Le regard fixe aux paupières rouges de Kurt s’arrêta un court instant sur la large culotte à ceinture boutonnée qui grisait, parcourue de reflets blancs, trémulant sous la lumière hachée qui sourdait de la porte doucement agitée par une brise soudaine. La lumière qui tombait des hauteurs accentuait les courbes, les reliefs, les ombres, tournaient velours, et les clartés laiteuses fouettaient les couleurs et les humeurs, arrondissant encore la silhouette épaisse de Josette. Elle haletait doucement, attendant qu’il veuille bien. Elle ferma les yeux. Derrière ses yeux, clos pour refouler le diable, elle pensa fortement au paradis. L’odeur lourde et musquée de Kurt lui piqua les narines, elle sentit fondre ses chairs en fusion …

MARTIN PAUVRE PÊCHEUR …

Jean Fouquet

Jean Fouquet. Portrait.

 

CHAPITRE 6.

Martin Pêcheur était du genre taiseux, il parlait avec ses yeux, il fallait du temps avant qu’un son ne sorte de sa bouche, mais il n’était pas avare de gestes précis et expressifs pour autant. Comme un muet capable de parler … d’une certaine façon. Le plus souvent il souriait, même au plus fort de ses rares cachinnations, ses yeux, eux, restaient invariablement figés et durs, comme un piano désaccordé à la parfaite dentition d’ébène et d’ivoire, au coffre solide mais au son légèrement décalé, ce qui lui donnait un air particulier, entre étrange et inquiétant. C’était un être affectueux cependant, attentif à son trio de mouflets, qui ne l’étaient plus tout à fait, mais il ne s’en rendait pas compte, et prenait volontiers les filles sur ses genoux. Xéresse, innocente et sensuelle, ne s’en souciait pas, tout ce qui était vaguement trouble lui plaisait, mais Mathilde elle, s’en régalait, et se tortillait mine de rien, se frottant, se déhanchant, l’embrassant dans le cou, pour rire. D’un rire particulier, le grincement d’une tourterelle allemande qui aurait avalé des consonnes, des « q » et des « k » principalement, un rire en courtes rafales, métallique et chantilly à la fois. D’ordinaire, elle ne riait pas, se contentant de décliner à l’infini toute la gamme des sourires possibles, de l’infâme rictus vulgaire, au sourire plus extatique encore que celui de l’ange au tympan de la Cathédrale de Reims. Elle réservait ses gloussements aux câlins que lui prodiguait Martin. De plus en plus souvent.

Depuis quelque temps déjà, Martin devait quitter la cuisine quand les filles faisaient leur grande toilette du samedi. Gracieux lui, dès le petit déjeuner, bâclé à toute vitesse ce jour-là, lui qui aimait tant à dessiner des formes vagues sur les parois de son bol gras de lait et de miettes collées, se carapatait sans un mot, l’oeil humide et les épaules voûtées, la main droite enfoncée à fond la poche, à se tordre la pine. Oui « la pine », un nouveau mot ajouté à son court vocabulaire, entendu dans la cour de l’école, son lieu favori d’apprentissage, aéré, sans tables ni chaises, qu’il préférait nettement à l’espace confiné et plein de pièges de la salle de classe. Josette repoussait les hommes derrière la porte de la cuisine et s’affairait sur les filles, durement comme à son habitude. Fallait qu’elle récure, Josette, les sols, les murs comme comme les peaux tendues, que ça brille, que ça rutile. Et ça suintait sans qu’elle le sache, quand elle briquait à reluire, les soies douces, les retroussis sensibles, les ourlets délicats, les mamelons naissants et autres goussets fumants des pucelles. Un jour que la porte était restée entrebâillée, Martin en passant d’une pièce à l’autre, surprit le spectacle des fesses de Xéresse, rondes et dodues, brillantes de savon mousseux, qui tressautaient sous la poigne ferme de sa femme. Il recula dans l’ombre, mais Mathilde ,qui prenait à l’instant la place de Xéresse ruisselante d’eau chaude, chatoyante comme un amour neuf, l’avait entraperçu du coin des cils. Elle fut troublée et gênée un instant, faillit demander que l’on ferme mieux le battant de la porte, puis souriant finement, se laissa briquer en prenant bien soin de se cambrer, de gigoter, de présenter sa face nord, son amphore, qu’elle tendait aux doigts fureteurs de Josette, mais en tournant le torse pour que ses tétins se voient un peu, par instants, en laissant à l’imagination du voyeur le soin de tourner autour de l’hologramme. Le samedi à confesse, Martin se gardait bien d’en parler, se contentant d’avouer d’une voix contrite, combien il aimait tant prendre sa Josette, d’un bon coup de rein violent, qui se baissait pour remonter ses chaussettes, quand elle frottait, suante, le pavé gris de la cuisine. Monsieur le curé le tançait un peu, le regard trouble et la chasuble tremblante, et vantait, lui l’orthodoxe, les plaisirs simples et classiques du missionnaire, une fois par jour.

Certes Martin était un brave bougre, ouvrier du bâtiment, il trimait dur pour trois sous, et redoutait par dessus tout les « intempéries » qui lui faisaient des mois peau de chagrin. A la différence de bien des tâcherons de ses connaissances, il ne picolait pas pour oublier l’à peu près misère de son quotidien, un verre de vin par repas, quand il y en avait. Il avait peu de goûts, et pas de distractions, quand la maison ne réclamait pas ses menues compétences de bricoleur grossier, il aimait à lire et à relire la bible, c’est dire comme il lui arrivait souvent de traîner sa carcasse, au cœur de l’hiver, quand il pleuvait des mers entières et qu’il regardait, l’oeil sanguin, son pré plat, jusqu’à la lisière des arbres noirs et luisants de froid. Quand le travail manquait, quand l’oisiveté lui serrait le cœur et lui mettait en tête comme un dégoût qu’il ne comprenait pas, alors il guettait Josette, histoire de lui en mettre un bon coup, un de ces coups qui vous secouent la moelle et vous lavent la cervelle. Quoi qu’elle fut occupée à faire, Josette ne disait jamais non, elle avait l’amour résigné, l’amour du devoir, l’amour de la pratiquante, l’amour qui obéissait, l’amour enseigné par l’air du temps et celui de la religion. Selon les humeurs de Martin, elle lâchait son tricot, posait sa cuillère, quittait sa lessive, posait la brosse ou la serpillière, laissait le fricot en plan, sans jamais rechigner, attendant que son bouc ait fini son affaire. Elle ne se plaignit jamais qu’il ne fût qu’un lapin, cela l’arrangeait bien, elle pouvait reprendre sa tâche, un court instant interrompue. Ah oui, elle poussait un petit cri quand il se vidait, elle avait remarqué qu’il aimait bien, ça lui mettait un peu de vie au front, et l’ébauche d’un demi sourire aux lèvres. Elle se méfiait quand même parfois, surtout quand elle frottait la dalle, valait mieux qu’elle s’arrange pour rester dos au mur, sinon, il lui soulevait les frusques et choisissait le cul, elle n’aimait pas ça, tendue, dure comme elle était, ça lui faisait mal, mais elle n’en laissait rien paraître. Et poussait quand même son petit cri, quand il s’essuyait le tringlot dans sa jupe. Faut dire aussi que Josette avait bien compris qu’il aimait ce coin là, le trou à crotte comme disait Gracieux, alors de temps à autre, elle faisait semblant de ne pas l’avoir vu venir, grimaçait et serrait les dents à grincer, se laissait faire, sans bien arriver à se cambrer un peu, c’est qu’à force d’être courbée sur le turbin, elle devenait toute raide.

Martin ne l’avait jamais vue nue, ça semblait ne pas l’inquiéter, et Josette préférait, elle n’avait pas de temps à perdre à la copulation. A se faire aléser le rectum, encore moins. Enfin, à choisir, pas avec lui. C’est qu’avec ses allures de souillon affairée du soir au matin, elle avait bien ses quelques pauvres petits secrets la Josette …

ET L’ARNO COULA …

getimage

Dante-Gabriel Rossetti.

 

CHAPITRE 5.

Gracieux regagna sa chambre, le souffle court, le ventre brûlant, les jambes plus dures que les bois du bois, le diable riait sous cape et le tenait, terrorisé, entre ses griffes. Sa chambre n’était que la gueule puante, béante, du démon aux ténèbres de laquelle il s’était innocemment réfugié comme un oisillon halluciné, il avait si peur, tout recroquevillé au pied de son lit, qu’il baissait la tête et appuyait de toutes ses forces ses mains sur ses yeux. Mais le diable, ce malin, s’était glissé sous ses paupières et riait à sabots fendus …

Le soir au souper, Xéresse avait les joues rouges et le regard vague, l’oeil encore à demi éteint d’une noyée juste sortie des eaux. Josette versait le café dans les bols, y ajoutait à peine une lichette de lait frais, et tranchait d’un poignet sûr le gros pain qui faisait la semaine. Ce soir c’était fête au logis, elle avait posé sur les tartines épaisses une fine tranche translucide d’un fromage que la bravasse de la ferme d’à côté lui cédait à bas prix. Gracieux, penché sur son bol, évitant les regards, l’avait englouti d’une bouchée, Xéresse, tout à son bien être, les yeux à demi révulsés, n’avait encore touché à rien, Mathilde, elle, était bien là, qui épiait tout le monde à l’abri de ses longs cils, elle savourait la chair crémeuse de la tomme, à petites bouchées économiques, la suçant longuement, bouche grasse, elle se maquillait les lèvres, attendant que le Gracieux hypnotisé lève les yeux de son bol vide, bouche ouverte et poings serrés. Elle le tenait, l’asservissait, comme ça, sans même avoir besoin d’ourdir, d’instinct. Ses terribles manières clouait le garçon à ses lèvres. Gracieux, plongé dans son bol, protégé par sa tignasse rouge, comme une autruche martienne, avait disparu, il avait quitté le présent insupportable du repas. Mathilde observait le seul lambeau de peau encore visible malgré ses efforts, entre sa flambée de cheveux hirsutes et sa chemise, un mince ruban, devenu écarlate sous l’emprise de la colère, de la peur, ajoutés à quelque émotion indicible, mais si puissante, qu’elle le tenait ployé, broyé, entre ses mâchoires implacables. Entre ses jambes aux genoux serrés, une tâche humide, l’oeil de son désir, s’étalait sur l’étoffe épaisse de son pantalon. Sur les parois intérieures de son bol de faïence craquelée, le garçon pleurait sa honte. Et ce diable qui ricanait et le mordait sous le tissu …

Un froid bleu rendait le ciel mordant depuis quelques jours, les filles ne quittaient pas le bois, Xéresse, peu couverte tous ces temps, en était tombée fiévreuse, tousseuse et cracheuse, ses grands yeux ronds brillaient d’une fièvre brûlante qu’elle endurait sans une plainte, comme une fatalité. Josette aimait ses gosses, d’ordinaire peu encline à la douceur, elle élevait les enfants plutôt à la dure, mais ce jour là elle avait forcé la petite qui n’avait pas résisté – elle ne résistait jamais – à garder le lit. Elle resta plusieurs jours allongée à suer entre semi veille et sommeil léger. Pour atteindre la ferme voisine, il fallait longer le petit bois, Josette, trop affairée, avait ordonné à Gracieux et à Mathilde d’aller y chercher deux lourds brocs de lait frais. Gracieux avait bien tenté d’échapper à la compagnie de la grande fille, mais sa mère, d’une bourrade, l’avait redressé. En lisière du bois, Mathilde prit la main du béjaune, d’un coup de hanche elle l’entraîna sous le couvert, jusqu’au champ, ce jour là défleuri, de ses jeux habituels. Elle se mit à genoux, le tira vers elle, il tomba. Malgré le froid, elle dégrafa sa blouse, devant les yeux affolés du garçon ses deux petits fruits blancs apparurent, sa peau rosit un peu à l’air frais pinçant, puis elle força la main raidie de Gracieux à l’approcher plus encore, jusqu’à ce qu’il finisse par effleurer, le temps d’une seconde furtive, la rustine gonflée de son sein droit. Le petit téton renflé gonfla un peu plus, et se piqueta de minuscules taches couleur d’églantine, elle ferma les yeux ostensiblement, en respirant exagérément. Au contact, pourtant si furtif de cette chair tendre, Gracieux se referma comme l’huître au sec, en rendant son eau. Mathilde rouvrit les yeux qu’elle gardât baissés, son index droit se ficha durement sur l’auréole qui maculait le pantalon clair, Gracieux prit en plein visage le regard de la drôlesse qui relevait la tête d’un bloc. Il poussa un cri étranglé, se redressa d’un coup de rein et fila au travers des arbres, comme un lapin au bruit d’un fusil. Il hurlait, s’étranglait à demi tout en détalant, avec, fiché dans son crâne par un clou de bronze, les iris jaunes de Mathilde, fendues, moqueuses, humiliantes, féroces, qui lui dévoraient la tête. Le diable, loin derrière lui, riait comme une folle.

Le soir, elle ne dit rien à Xéresse abrutie de fièvre, elle se contenta de la bercer, en chantonnant une mélopée douce qu’elle inventait au fur et à mesure. La petite s’endormait, pendant qu’elle l’enjôlait la paume fraîche de la grande lui caressait légèrement le front, ça l’apaisait. Mathilde souriait doucement, sa peau frémissait au souvenir de la main du garçon, maladroite et ingrate pourtant. Alors elle se repassa la scène de l’après midi, s’inventa un bel homme jeune, à son goût. L’adolescent agenouillé devant elle la dépassait d’une demi tête, il avait les épaules larges sous un pourpoint rouge qui découvrait des bras à la musculature fine et bien dessinée, son cou d’ivoire supportait un beau visage d’ange du quattrocento, au sourire à peine ébauché, au nez fin, au dessus duquel souriaient niaisement en la regardant, deux yeux céladons, sur son front droit tombaient en mèches moutonnantes, d’émouvants cheveux noirs qui reflétaient une lumière sanguine, moirée de reflets mauves, glorifiant sa toison épaisse d’une aura cérulescente, si douce qu’elle en perdait le souffle. Le soleil déclinant, dans son souvenir inventé, déflagrait, et ruisselait dans son cœur extasié comme un miel sucré. Elle laissa sa main descendre sous le patchwork pour se caresser. L’Arno d’argento coulait entre ses doigts …

LES PETITS JEUX DU DIABLE AU FOND DU BOIS …

A Vision of Fiammetta

Dante-Gabriel Rossetti. A vision of Fiammetta.

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CHAPITRE 4.

La maison de la famille Pêcheur donnait sur une grande prairie, close par un petit bois touffu au cœur duquel pointait un bouquet de grands arbres, aux troncs si serrés, qu’on pouvait aisément s’y cacher. Au centre de cette cathédrale feuillue, que le soleil de midi perçait un peu, le sol, tapissé d’herbes folles, de fleurs, de tapis moelleux et moussus, servait de refuge aux filles. Elles y passaient des heures à cueillir des bouquets d’efflorescences qu’elles transformaient en parures multicolores. Xéresse, agenouillée dans l’herbe, ne bougeait pas, faisait la chose, Mathilde, comme à l’habitude, dirigeait les jeux. Elle avait décidé d’être Morgane la fée, et Xéresse serait Clochette. Le temps passait sans qu’elles s’en aperçoivent, fleur après fleur l’enfantelette se transformait en bouquet vivant. Mathilde avait un goût sûr et une inclination naturelle pour l’arc-en-ciel des couleurs, elle piquetait la petite d’altheas, d’oeillets des Chartreux, d’antirrhinums, de renoncules, de campanules, de digitales, de gueules de loup, d’ancolies et autres jacinthes ou centaurées, jusqu’à ce qu’elle flamboie sous la lumière dorée du soleil couchant qui, perçant la futaie, donnait à la scène champêtre des allures proprement magiques. L’âme immortelle de Merlin planait sur la frondaison. Mathilde finissait son œuvre en tressant des couronnes d’herbes séchées mêlées aux feuilles mortes, dont les dégradés rouille vibraient sous les rayons tremblants de l’astre rougeoyant. Alors elle psalmodiait de fausses incantations, s’agenouillait devant la statue vivante irradiée et tremblante, se dénudait jusqu’à la taille, la roussette la caressait doucement, la touffe de chiendent aux épis rudes lui piquait la peau jusqu’à l’agacer, et les petits bouts roses de ses mamelons fragiles se raidissaient un peu. Xéresse se plaignait assez vite d’avoir mal au bras, mais Mathilde, d’un œil inflexible, lui enjoignait de poursuivre. Et la petite chouinait, pleurnichait, puis finissait par gémir quand la main de la grande, adroite et fureteuse, qui s’était glissée sous sa jupette, lui mettait les cuisses en eau. A cet instant précis Xéresse se cambrait de plaisir, à ce moment là seulement, elle se sentait exister pleinement dans le regard des êtres et du monde.

Gracieux fuyait les filles, il n’y pensait que le soir. Son asticot s’était fait lombric et commençait à l’agacer, il lui arrivait même de couler la nuit ce qui le mettait en grande inquiétude. Il réparait discrètement les dégâts au mouchoir trempé dans l’eau, il frottait comme un beau diable, non diable non, plutôt comme un furieux, jusqu’à râper le drap, alors qu’un peu d’eau fraîche eût bien suffi à laver sa couche ! Ah oui la peur du diable et les sermons du curé au cathé, comme en chaire, lui mettaient une telle peur au ventre, qu’à cette seule pensée, son lombric rentrait sous terre. Pourtant quand elle s’isolaient dans le petit bois derrière chez lui, le garçon mourrait d’envie d’y aller voir, Xéresse était à cent lieues, mais Mathilde s’en doutait, et le matin comme à tous les coins de la journée, elle faisait tout, voire même plus, pour alimenter sa curiosité, lui mettre cœur à la chamade et lombric à l’émotion. Il lui arrivait de se planter devant lui et de le regarder, sourcils froncés et regard perçant – au fond duquel elle laissait quand même passer un filet d’huile d’olive douce – pendant au moins trente secondes. Gracieux, ne bougeait pas, flageolait, baissait les yeux, puis restait pétrifié comme une souris devant un cobra. Elle aimait aussi le frôler au détour d’un couloir, ou en plein milieu d’une pièce, quand il y avait pourtant bien de la place pour dix personnes, elle aimait le voir tomber en panique, mais plus que tout elle se régalait les sens quand l’odeur aigrelette du garçon lui montait au nez. Histoire d’en profiter plus longtemps, elle marchait sur lui jusqu’à le coincer au fond la pièce, à ne plus pouvoir bouger, s’approchait au plus près et se penchait sur son cou, à sentir sa chaleur et se gaver de vinaigre sale, pendant que tout à la terreur qui le sidérait, affolé par cette peau qui le frôlait, il fermait les yeux et priait vaguement. Elle poussa même l’audace une fois jusqu’à enfoncer le bout d’un doigt entre les lèvres du garçon, qui toussa de surprise, avalant de travers, et s’enfuit en courant, la bousculant au passage. Xéresse qui n’était jamais bien loin, riait nerveusement, trépignait sur place et se tordait les doigts. Mathilde aimait les odeurs fortes, aussi elle préférait coincer Gracieux en fin de semaine, quand son fumet de petit mâle, longuement faisandé, avait mariné un gros temps, jours et nuits, dans ses habits comme sous les draps. Alors là c’était purs délices ! C’était, dans sa vie de jeunette privée de presque toutes les douceurs de la bouche, son bonbon, sa friandise, son chocolat. Gracieux, atterré et ravi à la fois, se réfugiait dans sa chambre, la tête en feu et le diable au corps.

Une après-midi qu’il n’y tenait plus, il mit le diable au fond de sa poche avec ses prières par dessus, laissa les filles s’enfoncer dans leur repaire moussu, et se glissa tout suant dans le petit bois. Le ciel était limpide, des lames de lumière aveuglantes jouaient avec les feuilles agitées par un vent léger, et ces lames incandescentes semblaient mettre le feu aux arbres comme à ses joues. Il brûlait de partout. De honte, d’émotions étrangement nouvelles, et de peur, en flots mêlées. Mathilde s’était assise au pied d’un gros chêne, ses bras entouraient le torse fleuri de Xéresse, allongée sur son giron. Le soleil cru et mouvant jouait sur leurs corps, elles ressemblaient à deux chatonnes ocellées de chrysocale en fusion. Gracieux en oubliait de respirer, et la tête lui tournait, la scène devenait floue, changeante, ombres et lumières dessinaient des formes en mouvement, des anges aux ailes vibrantes et des diables menaçants tournaient comme des spirales furieuses, les branches des arbres tordillonnaient comme des bras torturés. Au bord de l’étouffement, il ferma et rouvrit les yeux à plusieurs reprises, finit par inspirer un grand coup en s’essuyant le visage à grandes brassées d’herbes grasses qui lui griffèrent la peau. La main de Mathilde s’était glissée sous la blouse de sa chose, et le mouvement lent de ses doigts délicats mettait aux lèvres charnues de Xéresse un sourire béat. Gracieux céda devant tant de grâce ambiguë, rampa à reculons, s’arrachant les genoux jusqu’en lisière de bois, se releva, et prit ses jambes à son cou. Une incoercible terreur le poussait, il tomba plusieurs fois, se releva, se retenant de hurler, le diable lui mordait les fesses.

LES PETITS ÉMOIS DE GRACIEUX …

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Seiji Shoki. Garçon.

CHAPITRE 3.

La chambre de Gracieux jouxtait celle des filles, le mur qui les séparait était si mince qu’il n’isolait que peu, si peu qu’on aurait pu croire que les deux chambres ne faisaient qu’une, tant les bruits, à peine atténués, passaient de l’une à l’autre sans même être déformés. La tanière du garçon était spartiate, à l’image de son imagination déficiente. Murs blancs grossièrement chaulés, lit étroit affaissé en son centre, tellement que le corps du blanchot qui dormait en boule d’os au fond du trou, ne froissait même pas le couvre lit grisâtre qui le recouvrait. En veille comme au repos, Gracieux ne semblait pas être là. Une armoire, aussi bancale que le bureau de bois brut au plateau désert, complétait le décor. Pourtant, derrière son visage aussi tavelé qu’inexpressif, sous les touffes hérissées de la chevelure flamboyante qui illuminait chichement son faciès quelconque, vibraient quelques inquiétudes, le mystère de ces corps différents qui dormaient de l’autre côté du mur l’intriguait. Un peu.

Depuis l’arrivée des drôlesses, sans trop savoir pourquoi, il regardait fixement l’asticot déplumé qui pendait entre ses jambes. Il n’y avait jamais vraiment touché, sauf pour se vider la vessie. Pourtant, quand il accompagnait ses parents à la messe, souvent, alors que les voix aiguës des rosières résonnaient sous les voûtes et redescendaient en pluie acide sur les ouailles en prière, une étrange chaleur le gagnait, douce d’abord, qui lui réchauffait les membres, puis courait sous sa peau, ses rares poils se dressaient, son ventre finissait par brûler, tellement qu’il prenait peur, alors il se raccrochait au déroulement de l’office et tentait maladroitement de s’associer à ses parents qui marmonnaient en latin, un latin qu’ils ne comprenaient pas mais récitaient par cœur. Depuis l’arrivée des drôlesses, sous l’os obtus de son crâne épais, un point d’interrogation luisait faiblement. Parfois, à force de concentration, il visualisait avec peine, un triangle de peau blanche très flou, neutre, qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Très vite son obsession devint si forte qu’il n’osât plus les regarder en face. Le matin, au petit déjeuner frugal, il s’affalait sur la table de la cuisine, le nez plongé dans son bol de pain rassis et de lait dilué à l’eau claire, les filles grignotaient leur brouet fade, ne le regardant pas, gloussant et s’agitant sur leurs chaises. Les épaules délicates de Mathilde et les bras dodus de Xéresse le fascinaient, qu’il épiait discrètement sous ses cils courts, jaunâtres comme ceux d’un grand brûlé. Les filles voyaient bien l’embarras du garçonnet, malicieusement Mathilde l’entretenait, s’attachant à l’engluer dans sa toile, en minaudant à peine, en lui jetant de furtifs et mystérieux regards, en rejetant d’un geste gracioso ses longs cheveux noirs, en laissant parfois le rond de son épaule dépasser de sa chemise de nuit, trop grande pour elle, qui balayait le sol quand elle arrivait dans la cuisine et ne laissait rien deviner, hors l’encolure qui baillait un peu sur sa gorge, en glissant sur l’une ou l’autre de ses épaules. Xéresse faisait bouche ronde et docile, imitant les mines de Mathilde, elle aurait bien voulu en rajouter un peu, avec gestes de son cru, mais elle n’y parvenait pas. Elle prenait des airs complices, mais quand la grande ne l’avisait pas, elle se chagrinait discrètement, Gracieux, éberlué par les afféteries de Mathilde, ne la voyait même pas.

Le soir, disparu au puits de son lit boiteux, le sommeil tardait, et parfois le fuyait, quand la chaleur montait, et lui mettait les larmes au yeux tant il avait peur de ce qui lui arrivait. Un soir qu’il avait bien onze ans, quand les filles atteignaient déjà les treize et douze ans, il sentit sous ses doigts honteux les premiers frisottis rousseaux pointer au bas de son ventre. Il n’osait y toucher, il craignait le diable fourchu caché sous les draps, qui le mettrait à mal s’il osait s’y aventurer, il se voyait déjà, ventre rôti, mal à pleurer, honteux sous le regard de sa mère, le prochain samedi de la grande toilette quand elle le décrassait rudement à l’eau tiède du tub, près du fourneau dans la cuisine, tremblant à l’idée que les filles, toujours à courir comme des folle jacassantes, pouvaient surgir d’un coup, ce qui ferait à coup sûr rire la Josette. Elle voyait le bien partout la bigote, elle frottait le spaghetti de Gracieux comme s’il s’était agi d’un chandelier d’étain à récurer, le puceau serrait les genoux pour lui échapper mais elle ne lâchait pas le moineau qu’elle décalottait à coups secs, histoire de le décalaminer jusqu’au presque sang. Elle ne s’émouvait pas, elle ne semblait pas voir le petit toupet carotte de printemps qui poussait, semaine après semaine, au juste dessus du kiki du petit. L’avorton serrait les genoux, mais il avait les cuisses si maigrelettes qu’elle pouvait aisément y passer tout le bras. Elle s’attardait longuement sur la chose et lui récurait les génitoires grosses comme des œufs de caille fripés, auxquelles elle s’agrippait à les lui décoller.

Les deux fillettes avaient bien changé, elles aussi, et bien plus vite, plus en profondeur que le garçon. Elles affichaient des oranges navels, qui pointaient leurs ombilics bossus sous leurs larges blouses de coutil grossier. A vrai dire, Xéresse portait déjà des pomelos charnus, quand Mathilde avançait deux abricots bergeron, la silhouette fine, cambrée, de la sylphide, y gagnait et renforçait l’ambiguïté cultivée qui éclairait son regard noir. Mathilde était la plus grande, Gracieux ne lui arrivait qu’à mi-tête, Xéresse, elle, lui rasait le menton. La soir, toutes lumières éteintes, Elle se rejoignaient dans le lit de la grande, la petite s’adossait, recroquevillée, à la poitrine de son aînée, qui l’entourait de ses bras, lui caressant doucement les tétons du bout léger de ses longs doigts. Xéresse ne bougeait pas, faisait sa bouche de bébé rose, suçait le coin odorant du drap en tortillant une mèche de ses cheveux baillet, respirant bruyamment. De temps à autre, puis de plus en plus souvent, Mathilde laissait sa main descendre sur le ventre de Xéresse, au ras de la toison drue qu’elle frôlait lentement en s’endormant. Ça n’allait pas plus loin.