Littinéraires viniques » JOSETTE

LES ANGES, LE DIMANCHE A LA MESSE…

a41e5674

CHAPITRE 10.

Le temps passait, les enfants grandissaient, les filles resplendissaient, les ravages de l’âge supposé ingrat finissaient. Mathilde et Xéresse toujours inséparables, rayonnaient, l’une atteignait ses dix huit ans, l’autre ses dix sept printemps. Oui printemps était le mot et nul autre ne leur seyait mieux, elles traversaient le temps court, fragile et émouvant, celui de leur première beauté, cette grâce éphémère et aérienne qui faisait se retourner le dimanche sur le chemin de l’église, tous les hommes et les garçons des environs. Xéresse suivait Mathilde, la grande au port de princesse touchait à peine le sol, délicate, joliment dessinée, elle avait le visage régulier, la peau veloutée, un teint de rose, des lèvres rouges finement ourlées, et ses cils noirs et recourbés faisaient ressortir le noir profond de ses grands yeux brillants. Sa taille fine, et ses hanches d’un bel ovale parfait, mettaient en majesté ses longues jambes aux muscles allongés, juste saillants. Elle chaloupait à peine, au dessus de ses reins cambrés, ses petits fruits ronds regardaient le ciel complice qui lui souriait. Mais ce qui attirait plus que tout les petits rapaces affamés, c’était la lumière trouble de son regard qui attirait et inquiétait à la fois, et les garçons qui faisaient les beaux en s’approchant d’elle, perdaient un peu de leurs certitudes quand ils croisaient son regard. Souvent ça les stoppait net, ils restaient immobiles et tandis qu’elle continuait son chemin, ils se retrouvaient plantés là, incapables de poursuivre, accrochés à leurs sourires aussi stupides que figés. Mathilde était de celles qui choisissent et décident.

Parfois à côté d’elle, mais le plus souvent derrière, Xéresse resplendissait comme un fruit rond et juteux, juste cueilli au jardin par un petit matin de juin. Ses billes rondes grandes ouvertes avalaient tout ce qu’elle regardait, ses yeux de noisettine dorée laissaient en toutes circonstances sourdre une angoisse discrète, que trahissaient à peine ses sourcils légèrement froncés. Xéresse était belle comme une brioche sortie du four, son teint de crème onctueuse, son visage ovale aux joues rebondies, sa petite bouche ronde, juteuse comme une cerise sang de pigeon bien mûre, sa poitrine plantureuse qui semblait défier les implacables lois de la gravité, sa taille si fine qu’on aurait pu l’entourer d’une seule main, ses hanches généreuses, et ses fesses fermes et cambrées plantées sur deux jolies jambes potelées qui marchaient à petits pas souples, ses chevilles fines, enfin, aux mollets croquignolets, en faisaient une proie tentante pour les hyènes ordinaires dont les babines se retroussaient à son passage quand elle leur souriait ingénument. Souvent Mathilde se retournait vivement et les calmait d’un regard. Xéresse adorait le trajet dominical vers l’église, elle se gavait du désir lourd de tous ces mâles en surchauffe, et roucoulait tout du long en battant des mains.

Puis elles entraient dans l’église. Xéresse s’asseyait toujours à la droite de Mathilde qui avait Gracieux, toujours fébrile à sa gauche, lui même était à la droite de son père, près duquel se trouvait Josette perdue dans ses pensées entre les pattes puissantes de son teuton. Elle offrait aux ouailles qui l’entouraient un sourire, aussi figé que son regard était perdu et vibrant entre les cuisses blanchâtres du valet de ferme. Immuablement. Gracieux louchait à se tordre les yeux sur la grande, et la chaleur douce que ce corps juvénile dégageait, le mettait autant en rage qu’en troubles délices. Mathilde le dédaignait de toute la morgue dont elle était capable et se régalait du trouble du boutonneux, qu’elle accentuait en fronçant régulièrement son joli nez, affichant un air de dégoût qui ne durait que le temps qu’il s’en aperçut. Humilié comme jamais, le benêt devenait plus rouge qu’une fraise de juin. Pourtant, au fond de son marasme, il trouvait moyen de rêver à des tortures extrêmes qu’il se voyait infliger à la démone qui lui ravageait l’âme. Alors Mathilde le gratifiait du plus cruel de ses sourires en se passant la langue sur ses lèvres qui gonflaient, tandis qu’elle mordillait sa bouche charmante et humide. Le soleil qui perçait la nef à cette heure religieuse pendant que les chants des bonnes âmes résonnaient, rebondissant sur la haute voûte de l’édifice, entourait à contre jour la chevelure noire de Mathilde d’un halo surnaturel, exhaussant sa beauté toute fraîche, et brûlant d’un feu tremblant ses lèvres frémissantes. Sa carnation ivoirine brillait doucement, comme les flammes des bougies sur l’autel.

Xéresse somnolait doucement. Parfois son cou faiblissait, et sa tête de roussette oscillait un instant avant de se poser sur l’épaule de la grande. Elle aimait ces moments là, entre la lumière opale du jour et le chant des rosières, dans un état de conscience ralentie, ses angoisses faiblissaient jusqu’à disparaître. Elle rêvassait, alanguie, la respiration régulière de Mathilde soulevait son front, achevant de la plonger dans un autre monde. Tout se mélangeait sous ses paupières à demi fermées, la grande croix du dessus de l’autel fondait, le bois coulait comme du chocolat fondu, le grand corps blanc du Sauveur ruisselait, le sang sacré rutilait au soleil, des anges roses voletaient tout autour du choeur en chantant les louanges de Dieu, les odeurs d’encens l’enivraient, la voix de l’officiant psalmodiait des mots inconnus vides de sens, mais qui la transportaient, si doucement, qu’elle en défaillait presque, à en sentir une chaleur au creux de ses reins. Alors elle enfonçait la main au fond de la poche percée de sa robe de tissu râpeux, et ses doigts discrètement se mettaient à l’ouvrage. Aucune idée de sacrilège ne l’effleurait, bien au contraire, elle avait la foi simple de ceux que la religion ne culpabilise pas. Miracle entre les miracles, Dieu, bienveillant, l’accompagnait dans son voyage mystique et charnel, à l’instant ou « Ite missa est » retentissait sous la nef silencieuse, il lui semblait que son être, décuplé, accédait à la béatitude.

Au sortir de la messe, Mathilde posait un instant sur les parvis, elle attendait que la foule des ouailles caquetante descende les marches, elle dominait la masse informe de toute sa grâce, le regard perdu à l’horizon, belle et apparemment détachée, mais elle ne manquait pas de guetter du coin de l’oeil les regards furtifs et concupiscents des hommes qui la déshabillaient à la dérobée. Xéresse, elle, encore toute chavirée, sentait ses angoisses revenir. Gracieux ne pensait qu’à vite rentrer pour s’isoler dans sa chambre et se soulager des tensions accumulées. Josette avait hâte de retourner à la ferme voisine, retrouver les reins d’airain de son fendeur de bûches, Martin, inquiet sans trop savoir pourquoi, ruminait en silence, et épiait sa femme du coin de sa paupière chassieuse …

Ainsi allaient, entre les laudes et l’angélus, les dimanches dévots de la famille Pêcheur.

COUPE LA LAME, TAILLE L’ÂME …

copy_dante_gabriel_rossetti_2_bocca_baciata

Dante-Gabriel Rossetti. Bocca baciata.

 

 CHAPITRE 9.

 Josette rentra sous la pluie, elle affichait son visage habituel, fermé, renfrogné même, à peu près aussi expressif qu’une dalle funéraire, lisse comme un marbre poli, grisâtre, sourcils froncés, préoccupée par les tâches à venir. Mais à l’autre bout de son corps, dans l’ombre de ses jupes, son ventre battait toujours, comme une pulsation profonde et continue, son entre cuisses humide et ses chairs fragiles la reliaient toujours à son guerrier brutal. Entre ses lèvres serrées et tuméfiées, elle gardait un peu de cette liqueur chaude et âcre qui l’avait inondée après qu’elle l’eût emportée au firmament des plaisirs insupportables. Elle brûlait de glisser sa main sous sa jupe, mais Martin désœuvré traînait dans la maison, crispant à intervalles réguliers ses grosses mains calleuses. Comme un rapace en maraude. De temps à autre, il jetait à Josette un regard sournois. Les cercles réguliers qu’il décrivait décroissaient insensiblement, et ses regards furtifs se faisaient plus fréquents. Josette eut peur, d’un coup, très peur, elle le connaissait le Martin, et cette façon qu’il avait de se rapprocher d’elle pour la prendre d’un coup comme un lapin au clapier, quand il s’ennuyait. Faut croire que ça lui éclaircissait la tête, que ça consumait son angoisse. Josette préparait la soupe du soir, du bout de son couteau pointu, elle fendait les poireaux puis les étêtait d’un coup de poignet. Leurs chevelures, lourdes de terre séchée, tombaient sur la table en petits tas, comme des scalps de sorcières albinos décapitées. Elle en était, après avoir gratté des carottes, à déshabiller de grosses patates charnues dont les épluchures parfaites, coupées au ras de la chair, égayaient comme des guirlandes tristes le tas de pelures, quand Martin qui s’était glissé dans son dos, d’une main ferme, la coucha sur la table, tandis que de l’autre il soulevait brutalement ses jupes. Surprise par la rapidité de l’attaque, Josette sentit son cœur se geler, elle serra les fesses sur les vestiges à demi séchés de ses amours récentes, l’odeur aigrelette de Kurt lui revint aux narines qu’elle avait écrasées sur les déchets, la rage lui vint d’un coup, cette émotion étrangère la troubla un instant, la submergea, propulsant sa main armée dans son dos, la lame entailla le poignet de Martin qui poussa un grognement de bête blessée, pour se reculer aussitôt, trébucher et se retrouver le cul par dessus tête, à moitié assommé par le mur. Elle ne l’avait qu’égratigné de la pointe du couteau, mais le geste incontrôlé les avait surpris tous les deux. Martin ne comprenait pas la réaction de sa femme, il avait l’œil rond fixé sur l’écorchure qui zébrait son poignet, ses lèvres bougeaient en silence, et Josette, appuyée à la table, plus blanche que la chair nacrée des poireaux, respirait comme une vache vêlante. Martin se releva, tête baissée, regard fuyant, il sortit de la cuisine en traînant ses godillots. Sans un mot. Et Josette comprit qu’il n’y reviendrait plus.

Le bruit soudain qui déflagrait de la cuisine fit sursauter Xéresse. La surprise et la frayeur lui coupèrent le souffle, ses yeux se révulsèrent. Un court instant elle fut ailleurs, son ouvrage n’eut pas le temps de lui échapper des mains, elle était revenue. Personne ne s’était aperçu de cette étrange absence qui la prenait à la moindre émotion un peu forte, la peur, comme le plaisir, l’emportait à chaque fois, comme une vague figée par le temps arrêté. C’était si bref, qu’il aurait fallu ne pas la quitter du regard pour s’en apercevoir. Mathilde, bien sûr, le savait depuis toujours, mais faisait mine de rien. Elle avait mis cela sur le compte de sa faiblesse d’esprit, cette sorte de mollesse de caractère qui lui avait permit d’en faire sa chose. Elle guettait le regard de Xéresse s’il lui prenait l’envie de la faire défaillir sous ses caresses précises. Quand l’œil de sa chose tournait à l’ivoire d’une boule de billard, puis revenait aux noisettes dorées de ses iris rondes, Mathilde sentait, sous les épaisseurs de ses habits, poindre une rosée de plaisir à l’instant précis où Xéresse soupirait d’aise. Souvent sans un mot, mais le regard brillant et la lèvre gonflée, la chose lui prenait la main et attendait quelle s’affaire sous sa jupe ou sa blouse. Elle revenait toujours de ces voyages intimes, souriante, on aurait pu croire que ces jeux lui redonnaient vie, et pendant quelques heures, la chose sortait de l’ombre de Mathilde et semblait exister. Alors, ces temps-là, elle pouvait s’intéresser un peu au monde. Mais elle s’épuisait très vite et retombait dans une sorte d’apathie dépendante. Xéresse était de cette étrange et rare race de vampires qui se nourrissent, non pas de sang vermeil, mais de caresses, de frissons et de voluptés à répétition. Elle ne craignait pas les lueurs de l’aube, ni la morsure délétère du soleil, mais elle dépérissait quand son ventre dormait. Cette faille douloureuse, toute sa vie il la lui faudrait remplir, sous peine d’être condamnée à se traîner comme une morte vivante. Pourtant derrière les vitres sales de son regard terne, elle peignait le monde aux couleurs grises de l’angoisse forte qui l’étreignait constamment, la privant d’énergie, et cela la rendait incapable de toute initiative personnelle, pauvre wagon abandonné par sa locomotive sur une voie sans issue. Mais ces yeux tristes, vides, éteints comme deux bougies soufflées, avalaient tous les êtres qui la croisaient, du dernier bonimenteur de village à la vache perdue au fond du champ. Xéresse n’allait jamais les mains vides, il lui fallait toujours un chiot, un chaton dans les bras, qu’elle caressait mécaniquement, sans jamais se lasser, jusqu’à épuiser la pauvre bête devenue sa chose. Au bout de quelques jours, la bestiole, inexplicablement épuisée, mourrait, et cela la mettait dans un chagrin aussi bruyant qu’inextinguible, ses affres décuplaient, qui la terrorisaient au point que les doigts de Mathilde, habile fileuse, glissaient le soir sous sa chemise et œuvraient à tisser ardemment son ouvrage. Quand elle n’était plus que frisettes emmêlées, bouton épanoui, tétons enflés et plaisirs liquéfiants, elle tremblait à claquer des dents, ses yeux faisaient lune pleine, et tout rentrait dans l’ordre. Ces nuits là, Mathilde se régalait à lui rougir la peau fragile des cuisses à longs pinçons tordus pénétrants. Et Xéresse repartait à l’assaut de son semblant de vie.

Dans la chambre d’à côté au mur de papier, suant dans son lit creux, tout au fond de la dépression de son matelas à demi effondré, Gracieux, rouge comme une crête de coq, écoutait sans mot dire les gémissements montants des filles au labeur. Il aurait bien voulu se glisser sous leurs draps et regarder de tout près, à distance de langue, les onctuosités qui leurs graissaient les doigts, l’idée de les leur lécher lui traversait bien l’esprit, mais il serrait le paupières à tuer l’image, et se pinçait la peau du lombric autour du gland, qu’il n’osait pas extirper de sa capuche, mais ses agitations courtes et convulsives finirent vite par lui crémer la paume de la main. Alors il s’essuya en priant Dieu de regarder ailleurs, et recommença frénétiquement jusqu’à ce que l’épuisement et la source tarie l’emportent au juste sommeil des boutonneux déliquescents. Et là tout devint possible, l’impensable fut permis, le Diable dormait dans sa boite, Jésus dans son suaire, et Dieu, débordé de travail, l’oubliait un moment.

Dans un sous bois luxuriant, par un printemps éternel, au milieu des fleurs et des lierres grimpants, beau comme Adonis, couvert de roses et de myrte, entouré de femmes lascives aux buissons ardents, aux seins épanouis, aux cuisses douces et aux ventres bombés, aux regards fulgurants, aux lèvres de cerises juteuses, qui lui tendent des bouquets d’anémones multicolores et des brassées grasses de jonquilles parfumées, mollement allongé sur des corps pneumatiques de déesses douces, habillé d’une charmille de mains câlines, Gracieux, affublé d’un braquemart énorme, enfourche à qui mieux mieux des vierges implorantes dont les langues agiles furètent dans les moindres replis de son corps musculeux. Au loin, très loin, par l’entrebâillement des portes gigantesques d’une demeure immense, lui parviennent les chants assourdis d’autres vierges implorantes en attente. Pas de monsieur le curé à l’horizon, Gracieux est heureux, insatiable, il s’active, plus encore que le disgracieux Priape aux vergers. Le lendemain au réveil, plus flapi qu’au coucher, il ne se souvenait de rien et redevenait l’âne ordinaire de la maison. Mathilde le montra du doigt au déjeuner en riant bruyamment, deux secondes plus tard, Xéresse s’esclaffa à son tour.

COMME UNE BUCHE SOUS LA HACHE …

holbein-self-portrait-1542

Holbein. Self-Portrait.

CHAPITRE 8.

Josette avait jupe et jupon au-dessus de la tête, respirant à petites sucées courtes, elle attendait. Le temps semblait s’être arrêté, sa conscience, toute entière, suintait et imprégnait largement les bords fendus, à peine écartés de sa culotte de coton épais, les eaux parfumées de son désir affleuraient lentement, pour baver en minces filets clairs le long de ses chairs hérissées de picots duveteux. La porte de la grange bougea sous le vent, la lumière qui filtrait entre les planches embrasa son ventre détrempé, à l’instant où Kurt, d’un coup de rein brutal, l’embrochait au rebord de la charrette, la clouant comme une chouette. Elle le sentit, jusqu’au fond de son ventre, qui la déchirait presque, elle s’ouvrit plus encore pour l’accueillir tout entier, pour que sa présence turgide la comble, puis dents serrées et lèvres cousues, elle hulula longuement. Son cri, à demi assourdi par le vent qui gémissait entre les lattes de bois et les grincements tourmentés de la toiture, rebondit sur la poitrine velue de l’homme qui lui écrasait le visage. L’odeur forte de ce poitrail frisé finit de l’emporter bien au-delà de la lubricité, elle respirait à plein poumons, criant des mots sans suite, des mots de sang, des mots métalliques, des sons inarticulés plein de grumeaux et de voyelles mâchées. Dans son dos, le plat de la charrette lui brisait les reins, elle crut que les coups de boutoir du teuton allaient la couper en deux, comme il le faisait à coups de hache sifflants, avec les énormes bûches qu’il débitait dans la cour. Alors elle posa les mains sur le plat de la carriole qui la martyrisait, donna de toutes ses forces un coup de rein dans le ventre de l’homme, si puissamment qu’il recula un peu, tandis qu’il s’enfonçait en elle au delà du possible. Josette jouissait, se repaissait, s’esclaffait comme une hyène, sans discontinuer, plus ouverte que les bouches édentées des rosières à la messe, des étincelles multicolores crépitaient sous ses paupières crispées, elle suait abondamment, hoquetait, crachait à étouffer, la toison crépue de Kurt la chatouillait jusque dans sa bouche, ses hanches cognaient, synchrones aux siennes, elle ne savait plus qui elle était, elle pleurait et riait, la tête lui tournait, ça n’en finissait plus, c’était les flonflons de la fête foraine, la terreur délicieuse du grand huit, la barbe à papa qui fondait entre ses lèvres, son ventre n’était plus que bouillie consentante, elle devenait folle, s’ouvrait plus encore pour l’avaler tout entier à ne plus jamais le perdre …

Kurt se retira aussi violemment qu’il l’avait possédée. Surprise Josette rouvrit les yeux pour entrapercevoir, écarlate, le visage de l’homme, qui disparut aussitôt. Elle n’eut même pas le temps d’un soupir, les deux mains qui lui broyaient la taille la firent tourner sur elle même comme une toupie, elle se retrouva le nez contre le plancher du chariot. Elle sourit. Le choc lui érafla la joue quand elle fut durement empalée, le plaisir fut immédiat, elle gémit et se cambra autant qu’elle pouvait, contre les deux quartiers de sa lune opulente Kurt tapait de tout son poids, ses lombaires musclés par les lourds travaux poussaient autant que ses lourds soupirs. Sur son dos à la rupture, elle sentait la sueur de l’homme, en gouttes chaudes, grasses et musquées qui s’écrasaient. A mesure qu’il la rudoyait, sous ses paupières aveugles, l’image d’un pilon monstrueux, d’une emboutisseuse, qui frappait à coups redoublés des tôles rougies, à peine sorties des feux de l’enfer dans l’antre ombreux d’un Vulcain déchaîné, lui corrodait la rétine. Mais plus encore que les coups de massue qui lui brisaient les reins, au-delà des spasmes répétés qui lui mettaient les chairs en bouillie, les odeurs de ventraille tiède, de lièvre faisandé, de crasse capiteuse et de sang chaud, lui remuaient les tripes. Au bord de l’évanouissement, elle vomit longuement avec délice, tout en jouissant continûment. Le plaisir rebondissait sans cesse, de plus en plus fort, presque insupportable. Ses os fondaient, sa conscience déclinait, se dissolvait, elle crut mourir.

Kurt poussa une dernière fois, de toutes ses forces, se recula, inondant ses fesses qu’il écartait à craquer. Elle sentit sa semence bouillante couler entre ses cuisses jusqu’au sol, se retourna en glissant sur la paille gluante pour se retrouver face à cet homme qui ne la regardait pas, affairé qu’il était à s’essuyer à la flanelle de son jupon, elle baissa les yeux, surprise, sur l’endogé de petite taille qui pendait mollement, comme une nouille trop cuite entre les gros jambons blancs tavelés de son amant féroce. Une vague de tendresse la submergea, ses yeux se mouillèrent, son cœur battait fort, elle sourit niaisement et tendit la main, mais déjà le teuton la poussait vers la porte sans même l’avoir un instant regardée. Le lourd battant claqua dans son dos. Le vent avait forci, elle eut froid. Soudainement.

Alors Josette s’en fut en traversant le bois. Le ciel bas, grumelé de nuages gris, se mit à pleurer une pluie froide. Elle courait à petits pas pressés, les fesses serrées, essayant dérisoirement de retenir un peu de ce qui l’avait poissée, mais elle sentait que malgré ses efforts qui ralentissaient sa course, ça lui échappait. Et ça coulait entre sa peau et ses bas épais, et ça la faisait pleurer de ne pas savoir retenir ce cadeau d’amour. Alors au couvert des arbres, elle s’arrêta, trempée dedans, mouillée dehors, le nez plongé entre sa poitrine et sa chemise, à chercher l’odeur prégnante de l’homme, ce fumet encore chaud, qui mit un sourire de fleur fanée sur ses lèvres bleuies par le froid, sous les rus d’eau froide que le ciel généreux déversait sur elle. Le ciel pleurait parce que Josette n’y arrivait pas, et elle se disait qu’elle aurait peut-être bien pleuré si la pluie n’avait pas été si froide ce jour-là. Et que ce maudit vent l’avait mise dehors trop tôt, Kurt devait avoir eu froid d’un coup, il n’avait pas voulu qu’elle prenne mal et l’avait poussée d’un geste – il baragouinait à peine le Français – pour lui signifier, comme il le pouvait, d’aller vite se mettre au chaud. Oui, c’était bien lui ça cette tendresse bourrue. Ces pensées la rassurèrent, elle reprit son chemin le cœur un peu moins lourd et le ventre comblé.

MARTIN PAUVRE PÊCHEUR …

Jean Fouquet

Jean Fouquet. Portrait.

 

CHAPITRE 6.

Martin Pêcheur était du genre taiseux, il parlait avec ses yeux, il fallait du temps avant qu’un son ne sorte de sa bouche, mais il n’était pas avare de gestes précis et expressifs pour autant. Comme un muet capable de parler … d’une certaine façon. Le plus souvent il souriait, même au plus fort de ses rares cachinnations, ses yeux, eux, restaient invariablement figés et durs, comme un piano désaccordé à la parfaite dentition d’ébène et d’ivoire, au coffre solide mais au son légèrement décalé, ce qui lui donnait un air particulier, entre étrange et inquiétant. C’était un être affectueux cependant, attentif à son trio de mouflets, qui ne l’étaient plus tout à fait, mais il ne s’en rendait pas compte, et prenait volontiers les filles sur ses genoux. Xéresse, innocente et sensuelle, ne s’en souciait pas, tout ce qui était vaguement trouble lui plaisait, mais Mathilde elle, s’en régalait, et se tortillait mine de rien, se frottant, se déhanchant, l’embrassant dans le cou, pour rire. D’un rire particulier, le grincement d’une tourterelle allemande qui aurait avalé des consonnes, des « q » et des « k » principalement, un rire en courtes rafales, métallique et chantilly à la fois. D’ordinaire, elle ne riait pas, se contentant de décliner à l’infini toute la gamme des sourires possibles, de l’infâme rictus vulgaire, au sourire plus extatique encore que celui de l’ange au tympan de la Cathédrale de Reims. Elle réservait ses gloussements aux câlins que lui prodiguait Martin. De plus en plus souvent.

Depuis quelque temps déjà, Martin devait quitter la cuisine quand les filles faisaient leur grande toilette du samedi. Gracieux lui, dès le petit déjeuner, bâclé à toute vitesse ce jour-là, lui qui aimait tant à dessiner des formes vagues sur les parois de son bol gras de lait et de miettes collées, se carapatait sans un mot, l’oeil humide et les épaules voûtées, la main droite enfoncée à fond la poche, à se tordre la pine. Oui « la pine », un nouveau mot ajouté à son court vocabulaire, entendu dans la cour de l’école, son lieu favori d’apprentissage, aéré, sans tables ni chaises, qu’il préférait nettement à l’espace confiné et plein de pièges de la salle de classe. Josette repoussait les hommes derrière la porte de la cuisine et s’affairait sur les filles, durement comme à son habitude. Fallait qu’elle récure, Josette, les sols, les murs comme comme les peaux tendues, que ça brille, que ça rutile. Et ça suintait sans qu’elle le sache, quand elle briquait à reluire, les soies douces, les retroussis sensibles, les ourlets délicats, les mamelons naissants et autres goussets fumants des pucelles. Un jour que la porte était restée entrebâillée, Martin en passant d’une pièce à l’autre, surprit le spectacle des fesses de Xéresse, rondes et dodues, brillantes de savon mousseux, qui tressautaient sous la poigne ferme de sa femme. Il recula dans l’ombre, mais Mathilde ,qui prenait à l’instant la place de Xéresse ruisselante d’eau chaude, chatoyante comme un amour neuf, l’avait entraperçu du coin des cils. Elle fut troublée et gênée un instant, faillit demander que l’on ferme mieux le battant de la porte, puis souriant finement, se laissa briquer en prenant bien soin de se cambrer, de gigoter, de présenter sa face nord, son amphore, qu’elle tendait aux doigts fureteurs de Josette, mais en tournant le torse pour que ses tétins se voient un peu, par instants, en laissant à l’imagination du voyeur le soin de tourner autour de l’hologramme. Le samedi à confesse, Martin se gardait bien d’en parler, se contentant d’avouer d’une voix contrite, combien il aimait tant prendre sa Josette, d’un bon coup de rein violent, qui se baissait pour remonter ses chaussettes, quand elle frottait, suante, le pavé gris de la cuisine. Monsieur le curé le tançait un peu, le regard trouble et la chasuble tremblante, et vantait, lui l’orthodoxe, les plaisirs simples et classiques du missionnaire, une fois par jour.

Certes Martin était un brave bougre, ouvrier du bâtiment, il trimait dur pour trois sous, et redoutait par dessus tout les « intempéries » qui lui faisaient des mois peau de chagrin. A la différence de bien des tâcherons de ses connaissances, il ne picolait pas pour oublier l’à peu près misère de son quotidien, un verre de vin par repas, quand il y en avait. Il avait peu de goûts, et pas de distractions, quand la maison ne réclamait pas ses menues compétences de bricoleur grossier, il aimait à lire et à relire la bible, c’est dire comme il lui arrivait souvent de traîner sa carcasse, au cœur de l’hiver, quand il pleuvait des mers entières et qu’il regardait, l’oeil sanguin, son pré plat, jusqu’à la lisière des arbres noirs et luisants de froid. Quand le travail manquait, quand l’oisiveté lui serrait le cœur et lui mettait en tête comme un dégoût qu’il ne comprenait pas, alors il guettait Josette, histoire de lui en mettre un bon coup, un de ces coups qui vous secouent la moelle et vous lavent la cervelle. Quoi qu’elle fut occupée à faire, Josette ne disait jamais non, elle avait l’amour résigné, l’amour du devoir, l’amour de la pratiquante, l’amour qui obéissait, l’amour enseigné par l’air du temps et celui de la religion. Selon les humeurs de Martin, elle lâchait son tricot, posait sa cuillère, quittait sa lessive, posait la brosse ou la serpillière, laissait le fricot en plan, sans jamais rechigner, attendant que son bouc ait fini son affaire. Elle ne se plaignit jamais qu’il ne fût qu’un lapin, cela l’arrangeait bien, elle pouvait reprendre sa tâche, un court instant interrompue. Ah oui, elle poussait un petit cri quand il se vidait, elle avait remarqué qu’il aimait bien, ça lui mettait un peu de vie au front, et l’ébauche d’un demi sourire aux lèvres. Elle se méfiait quand même parfois, surtout quand elle frottait la dalle, valait mieux qu’elle s’arrange pour rester dos au mur, sinon, il lui soulevait les frusques et choisissait le cul, elle n’aimait pas ça, tendue, dure comme elle était, ça lui faisait mal, mais elle n’en laissait rien paraître. Et poussait quand même son petit cri, quand il s’essuyait le tringlot dans sa jupe. Faut dire aussi que Josette avait bien compris qu’il aimait ce coin là, le trou à crotte comme disait Gracieux, alors de temps à autre, elle faisait semblant de ne pas l’avoir vu venir, grimaçait et serrait les dents à grincer, se laissait faire, sans bien arriver à se cambrer un peu, c’est qu’à force d’être courbée sur le turbin, elle devenait toute raide.

Martin ne l’avait jamais vue nue, ça semblait ne pas l’inquiéter, et Josette préférait, elle n’avait pas de temps à perdre à la copulation. A se faire aléser le rectum, encore moins. Enfin, à choisir, pas avec lui. C’est qu’avec ses allures de souillon affairée du soir au matin, elle avait bien ses quelques pauvres petits secrets la Josette …

ET L’ARNO COULA …

getimage

Dante-Gabriel Rossetti.

 

CHAPITRE 5.

Gracieux regagna sa chambre, le souffle court, le ventre brûlant, les jambes plus dures que les bois du bois, le diable riait sous cape et le tenait, terrorisé, entre ses griffes. Sa chambre n’était que la gueule puante, béante, du démon aux ténèbres de laquelle il s’était innocemment réfugié comme un oisillon halluciné, il avait si peur, tout recroquevillé au pied de son lit, qu’il baissait la tête et appuyait de toutes ses forces ses mains sur ses yeux. Mais le diable, ce malin, s’était glissé sous ses paupières et riait à sabots fendus …

Le soir au souper, Xéresse avait les joues rouges et le regard vague, l’oeil encore à demi éteint d’une noyée juste sortie des eaux. Josette versait le café dans les bols, y ajoutait à peine une lichette de lait frais, et tranchait d’un poignet sûr le gros pain qui faisait la semaine. Ce soir c’était fête au logis, elle avait posé sur les tartines épaisses une fine tranche translucide d’un fromage que la bravasse de la ferme d’à côté lui cédait à bas prix. Gracieux, penché sur son bol, évitant les regards, l’avait englouti d’une bouchée, Xéresse, tout à son bien être, les yeux à demi révulsés, n’avait encore touché à rien, Mathilde, elle, était bien là, qui épiait tout le monde à l’abri de ses longs cils, elle savourait la chair crémeuse de la tomme, à petites bouchées économiques, la suçant longuement, bouche grasse, elle se maquillait les lèvres, attendant que le Gracieux hypnotisé lève les yeux de son bol vide, bouche ouverte et poings serrés. Elle le tenait, l’asservissait, comme ça, sans même avoir besoin d’ourdir, d’instinct. Ses terribles manières clouait le garçon à ses lèvres. Gracieux, plongé dans son bol, protégé par sa tignasse rouge, comme une autruche martienne, avait disparu, il avait quitté le présent insupportable du repas. Mathilde observait le seul lambeau de peau encore visible malgré ses efforts, entre sa flambée de cheveux hirsutes et sa chemise, un mince ruban, devenu écarlate sous l’emprise de la colère, de la peur, ajoutés à quelque émotion indicible, mais si puissante, qu’elle le tenait ployé, broyé, entre ses mâchoires implacables. Entre ses jambes aux genoux serrés, une tâche humide, l’oeil de son désir, s’étalait sur l’étoffe épaisse de son pantalon. Sur les parois intérieures de son bol de faïence craquelée, le garçon pleurait sa honte. Et ce diable qui ricanait et le mordait sous le tissu …

Un froid bleu rendait le ciel mordant depuis quelques jours, les filles ne quittaient pas le bois, Xéresse, peu couverte tous ces temps, en était tombée fiévreuse, tousseuse et cracheuse, ses grands yeux ronds brillaient d’une fièvre brûlante qu’elle endurait sans une plainte, comme une fatalité. Josette aimait ses gosses, d’ordinaire peu encline à la douceur, elle élevait les enfants plutôt à la dure, mais ce jour là elle avait forcé la petite qui n’avait pas résisté – elle ne résistait jamais – à garder le lit. Elle resta plusieurs jours allongée à suer entre semi veille et sommeil léger. Pour atteindre la ferme voisine, il fallait longer le petit bois, Josette, trop affairée, avait ordonné à Gracieux et à Mathilde d’aller y chercher deux lourds brocs de lait frais. Gracieux avait bien tenté d’échapper à la compagnie de la grande fille, mais sa mère, d’une bourrade, l’avait redressé. En lisière du bois, Mathilde prit la main du béjaune, d’un coup de hanche elle l’entraîna sous le couvert, jusqu’au champ, ce jour là défleuri, de ses jeux habituels. Elle se mit à genoux, le tira vers elle, il tomba. Malgré le froid, elle dégrafa sa blouse, devant les yeux affolés du garçon ses deux petits fruits blancs apparurent, sa peau rosit un peu à l’air frais pinçant, puis elle força la main raidie de Gracieux à l’approcher plus encore, jusqu’à ce qu’il finisse par effleurer, le temps d’une seconde furtive, la rustine gonflée de son sein droit. Le petit téton renflé gonfla un peu plus, et se piqueta de minuscules taches couleur d’églantine, elle ferma les yeux ostensiblement, en respirant exagérément. Au contact, pourtant si furtif de cette chair tendre, Gracieux se referma comme l’huître au sec, en rendant son eau. Mathilde rouvrit les yeux qu’elle gardât baissés, son index droit se ficha durement sur l’auréole qui maculait le pantalon clair, Gracieux prit en plein visage le regard de la drôlesse qui relevait la tête d’un bloc. Il poussa un cri étranglé, se redressa d’un coup de rein et fila au travers des arbres, comme un lapin au bruit d’un fusil. Il hurlait, s’étranglait à demi tout en détalant, avec, fiché dans son crâne par un clou de bronze, les iris jaunes de Mathilde, fendues, moqueuses, humiliantes, féroces, qui lui dévoraient la tête. Le diable, loin derrière lui, riait comme une folle.

Le soir, elle ne dit rien à Xéresse abrutie de fièvre, elle se contenta de la bercer, en chantonnant une mélopée douce qu’elle inventait au fur et à mesure. La petite s’endormait, pendant qu’elle l’enjôlait la paume fraîche de la grande lui caressait légèrement le front, ça l’apaisait. Mathilde souriait doucement, sa peau frémissait au souvenir de la main du garçon, maladroite et ingrate pourtant. Alors elle se repassa la scène de l’après midi, s’inventa un bel homme jeune, à son goût. L’adolescent agenouillé devant elle la dépassait d’une demi tête, il avait les épaules larges sous un pourpoint rouge qui découvrait des bras à la musculature fine et bien dessinée, son cou d’ivoire supportait un beau visage d’ange du quattrocento, au sourire à peine ébauché, au nez fin, au dessus duquel souriaient niaisement en la regardant, deux yeux céladons, sur son front droit tombaient en mèches moutonnantes, d’émouvants cheveux noirs qui reflétaient une lumière sanguine, moirée de reflets mauves, glorifiant sa toison épaisse d’une aura cérulescente, si douce qu’elle en perdait le souffle. Le soleil déclinant, dans son souvenir inventé, déflagrait, et ruisselait dans son cœur extasié comme un miel sucré. Elle laissa sa main descendre sous le patchwork pour se caresser. L’Arno d’argento coulait entre ses doigts …

LES PETITS ÉMOIS DE GRACIEUX …

Sekine_Shoji_-_Boy_-_Google_Art_Project

Seiji Shoki. Garçon.

CHAPITRE 3.

La chambre de Gracieux jouxtait celle des filles, le mur qui les séparait était si mince qu’il n’isolait que peu, si peu qu’on aurait pu croire que les deux chambres ne faisaient qu’une, tant les bruits, à peine atténués, passaient de l’une à l’autre sans même être déformés. La tanière du garçon était spartiate, à l’image de son imagination déficiente. Murs blancs grossièrement chaulés, lit étroit affaissé en son centre, tellement que le corps du blanchot qui dormait en boule d’os au fond du trou, ne froissait même pas le couvre lit grisâtre qui le recouvrait. En veille comme au repos, Gracieux ne semblait pas être là. Une armoire, aussi bancale que le bureau de bois brut au plateau désert, complétait le décor. Pourtant, derrière son visage aussi tavelé qu’inexpressif, sous les touffes hérissées de la chevelure flamboyante qui illuminait chichement son faciès quelconque, vibraient quelques inquiétudes, le mystère de ces corps différents qui dormaient de l’autre côté du mur l’intriguait. Un peu.

Depuis l’arrivée des drôlesses, sans trop savoir pourquoi, il regardait fixement l’asticot déplumé qui pendait entre ses jambes. Il n’y avait jamais vraiment touché, sauf pour se vider la vessie. Pourtant, quand il accompagnait ses parents à la messe, souvent, alors que les voix aiguës des rosières résonnaient sous les voûtes et redescendaient en pluie acide sur les ouailles en prière, une étrange chaleur le gagnait, douce d’abord, qui lui réchauffait les membres, puis courait sous sa peau, ses rares poils se dressaient, son ventre finissait par brûler, tellement qu’il prenait peur, alors il se raccrochait au déroulement de l’office et tentait maladroitement de s’associer à ses parents qui marmonnaient en latin, un latin qu’ils ne comprenaient pas mais récitaient par cœur. Depuis l’arrivée des drôlesses, sous l’os obtus de son crâne épais, un point d’interrogation luisait faiblement. Parfois, à force de concentration, il visualisait avec peine, un triangle de peau blanche très flou, neutre, qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Très vite son obsession devint si forte qu’il n’osât plus les regarder en face. Le matin, au petit déjeuner frugal, il s’affalait sur la table de la cuisine, le nez plongé dans son bol de pain rassis et de lait dilué à l’eau claire, les filles grignotaient leur brouet fade, ne le regardant pas, gloussant et s’agitant sur leurs chaises. Les épaules délicates de Mathilde et les bras dodus de Xéresse le fascinaient, qu’il épiait discrètement sous ses cils courts, jaunâtres comme ceux d’un grand brûlé. Les filles voyaient bien l’embarras du garçonnet, malicieusement Mathilde l’entretenait, s’attachant à l’engluer dans sa toile, en minaudant à peine, en lui jetant de furtifs et mystérieux regards, en rejetant d’un geste gracioso ses longs cheveux noirs, en laissant parfois le rond de son épaule dépasser de sa chemise de nuit, trop grande pour elle, qui balayait le sol quand elle arrivait dans la cuisine et ne laissait rien deviner, hors l’encolure qui baillait un peu sur sa gorge, en glissant sur l’une ou l’autre de ses épaules. Xéresse faisait bouche ronde et docile, imitant les mines de Mathilde, elle aurait bien voulu en rajouter un peu, avec gestes de son cru, mais elle n’y parvenait pas. Elle prenait des airs complices, mais quand la grande ne l’avisait pas, elle se chagrinait discrètement, Gracieux, éberlué par les afféteries de Mathilde, ne la voyait même pas.

Le soir, disparu au puits de son lit boiteux, le sommeil tardait, et parfois le fuyait, quand la chaleur montait, et lui mettait les larmes au yeux tant il avait peur de ce qui lui arrivait. Un soir qu’il avait bien onze ans, quand les filles atteignaient déjà les treize et douze ans, il sentit sous ses doigts honteux les premiers frisottis rousseaux pointer au bas de son ventre. Il n’osait y toucher, il craignait le diable fourchu caché sous les draps, qui le mettrait à mal s’il osait s’y aventurer, il se voyait déjà, ventre rôti, mal à pleurer, honteux sous le regard de sa mère, le prochain samedi de la grande toilette quand elle le décrassait rudement à l’eau tiède du tub, près du fourneau dans la cuisine, tremblant à l’idée que les filles, toujours à courir comme des folle jacassantes, pouvaient surgir d’un coup, ce qui ferait à coup sûr rire la Josette. Elle voyait le bien partout la bigote, elle frottait le spaghetti de Gracieux comme s’il s’était agi d’un chandelier d’étain à récurer, le puceau serrait les genoux pour lui échapper mais elle ne lâchait pas le moineau qu’elle décalottait à coups secs, histoire de le décalaminer jusqu’au presque sang. Elle ne s’émouvait pas, elle ne semblait pas voir le petit toupet carotte de printemps qui poussait, semaine après semaine, au juste dessus du kiki du petit. L’avorton serrait les genoux, mais il avait les cuisses si maigrelettes qu’elle pouvait aisément y passer tout le bras. Elle s’attardait longuement sur la chose et lui récurait les génitoires grosses comme des œufs de caille fripés, auxquelles elle s’agrippait à les lui décoller.

Les deux fillettes avaient bien changé, elles aussi, et bien plus vite, plus en profondeur que le garçon. Elles affichaient des oranges navels, qui pointaient leurs ombilics bossus sous leurs larges blouses de coutil grossier. A vrai dire, Xéresse portait déjà des pomelos charnus, quand Mathilde avançait deux abricots bergeron, la silhouette fine, cambrée, de la sylphide, y gagnait et renforçait l’ambiguïté cultivée qui éclairait son regard noir. Mathilde était la plus grande, Gracieux ne lui arrivait qu’à mi-tête, Xéresse, elle, lui rasait le menton. La soir, toutes lumières éteintes, Elle se rejoignaient dans le lit de la grande, la petite s’adossait, recroquevillée, à la poitrine de son aînée, qui l’entourait de ses bras, lui caressant doucement les tétons du bout léger de ses longs doigts. Xéresse ne bougeait pas, faisait sa bouche de bébé rose, suçait le coin odorant du drap en tortillant une mèche de ses cheveux baillet, respirant bruyamment. De temps à autre, puis de plus en plus souvent, Mathilde laissait sa main descendre sur le ventre de Xéresse, au ras de la toison drue qu’elle frôlait lentement en s’endormant. Ça n’allait pas plus loin.

LA DÉESSE IMPROBABLE.

portrait-of-aflaia-coronio-1870

Portrait de Aflaia Coronio.

CHAPITRE  2.

La mère de Proserpine avait comme étrange prénom Xéresse, ce qui lui valut tout au long cours de sa vie bon nombre de questions, auxquelles elle ne sut jamais répondre. Enfant trouvée un soir de pluie sur les parvis d’une ancienne église transformée en bar interlope, elle se retrouva derechef dans le giron très sec de l’Assistance Publique. Quelque rond de cuir, à la mémoire incertaine et grand amateur de mythologie, lui trouva ce prénom impossible. Ce matin là Jules Lerouble avait la mémoire trouble, sa nuit avait été blanchie à coups d’alcool de patate de contrebande, passablement frelaté, qui lui avait épluché la tête jusqu’à l’os. Alors ce matin là, après avoir vainement cherché à retrouver le nom de cette putain de foutue déesse romaine, Jules écrivit « Xéresse » à la plume sergent-major sur le registre d’état civil de la mairie de Lille.

Elle passa son âge très tendre dans une maison de la DDASS en compagnie d’autres enfants délaissés, puis fut mise en famille d’accueil vers ses cinq ans. Là elle rencontra une autre enfantelette perdue Mathilde Delamoule, une brunette élancée au cou de cygne, une noblesse naturelle aux yeux noirs et brillants comme deux olives. Xéresse lui voua instantanément une admiration sans borne. Elle, qui n’était que rondeurs et arabesques charnues, ne se lassait pas de contempler, admirative et silencieuse, ce pur visage de camée et les longs cheveux épais, noirs et élégamment bouclés, qui cascadaient sur les belles épaules de tanagra ivoirin de sa compagne. Les deux fillettes ne se quittaient pas, l’angélique dominait de la taille et du caractère la gracieuse énamourée, qui se pliait, avec une joie matinée de reconnaissance, à tous ses caprices. Josette et Martin Pêcheur étaient de braves gens sans façon, assidus aux offices de l’église voisine, qui affectionnaient les deux fillettes, pour autant que l’on puisse aimer deux recueillies qui mettaient quand même, via les émoluments versés par l’état, un peu de gras dans les hosties de la famille. Ils avaient un fils d’un an plus âgé, un petit rouquin filiforme, doux et passif, prénommé Gracieux, et ce prénom, pour le moins original, ne faisait qu’ajouter à la disgrâce naturelle du garçon. Mais Gracieux n’en souffrait pas, c’était un être simple au regard vert éteint, voilé d’une sorte de tristesse absente. Il avait de longs pieds au bout de chevilles graciles, des genoux plus épais que ses cuisses, surmontés de fesses convexes sur un bassin étroit, d’un torse court à la poitrine souffreteuse, rehaussé d’un cou exagérément long sur lequel reposait un visage maigre et pâle couronné d’une broussaille d’épis enflammés. Rien jamais ne le fit sortir de ses gonds, pas même les pires tortures qu’il endura sous la coupe conjointe des deux filles. Gracieux, bien plus tard fit une carrière de bourreur de saucisses dans une charcuterie industrielle du voisinage. Il mourut assez jeune, en oubliant de respirer, un soir qu’il était encore plus chargé que ses saucisses.

Mathilde et Xéresse ne se lâchaient donc pas, ou plutôt Xéresse courait sans cesse, à la remorque, derrière les longues enjambées élégantes de Mathilde. Autant la première était dégingandée, svelte et racée, autant la seconde était petite, rose et rondelette, et sa tignasse rousse, épaisse, mouvante, un peu bouclée, ondulait au moindre souffle. Elle avait une bouille très bille, couleur de lait cru, agrémentée de deux pommettes roses, deux yeux noisettes piquetés de tâches dorées, des yeux de pierres précieuses brillantes qui lui donnaient, tant ils étaient immensément sphériques, l’air d’une petite grenouille étonnée, aussi ravie que souriante. Elles grandirent l’une collée à l’autre, l’autre édictant, décidant, ordonnant, mais toujours si délicatement, que ses désirs semblaient venir de l’une. Mathilde était une finaude qui menait Xéresse du bout d’une cravache invisible, flexible, qui caressait, puis piquait à peine, juste ce qu’il fallait pour passer du trot au galop. Xéresse avait un caractère confiant, un regard naïf aussi, qui prenait les pires humiliations comme des marques d’amour. Mathilde l’avait très tôt compris et ne se privait pas d’en profiter. Elle était plus vicieuse et curieuse d’expériences cruelles qu’un éclat de verre acéré sur un carrelage blanc, son imagination sans bornes la conduisait à considérer les chairs fragiles de celle qui l’adulait, comme un champ consentant, qui jamais ne se plaignait, jamais ne rechignait à se laisser explorer, tripoter, maltraiter parfois. Xéresse fut sa chose, non pas qu’elle la considérât seulement comme un objet docile, car elle avait de la tendresse, une tendresse quelque peu amusée, pour cette petite boule de vie, mais parce qu’elle aimait par dessus tout, en toutes circonstances, être adorée inconditionnellement.

Or donc, par les sévices et délices que Mathilde lui imposa, Xéresse confondit dès l’aube de sa vie, sentiments, douleurs et plaisirs, et crut dur comme chair, qu’à accepter sans broncher les désirs des autres, même les plus étranges, elle existerait peut être un jour et deviendrait capable de choisir, détachée et libre.

Les deux filles partageaient la même chambre, petite mais suffisante et leurs deux lits parallèles se touchaient presque, seule la couleur des couvre-lits les différenciaient. Mathilde avait choisi le patchwork crocheté par les mains peu habiles de Josette, fait de plus de trous que de carrés de laine. C’était un pastel dans les tons sombres, qui décroissait, de la terre d’ombre au miel d’acacia, en passant par la terre de Sienne, la toison d’ours, la sépia et le chocolat au lait. Le côté à la fois chaleureux des bruns pâles, qui contrastait avec l’impression plus animale des nuances foncées évoquant les sous bois en décomposition, lui plut instantanément. Selon l’humeur du moment elle serait miel tendre ou grizzly griffu. Xéresse hérita, sans avoir eu son mot à dire, de la vieille couverture rosâtre épuisée par les lavages, ce qui ne la dérangea nullement. Une armoire de vieux bois sans grâce et deux chaise complétaient l’ameublement. Elles y passeraient des années, jusqu’à leur majorité …