Littinéraires viniques » 2015 » mars

D’ESTOC ET DE TAILLE.

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Octobre 1097 est sur sa fin. Le soleil lui ne faiblit pas. Sous les armures les croisés souffrent et la sueur tourne au sang. Les hautes murailles d’Antioche résistent. Très vite les oiseaux se sont tus et le crissement du fer des armes sur la ferraille des armures a remplacé leurs chants.

Godefroy, Bohémond et Raymond, profondément divisés sur la tactique, chacun de leur côté, encerclent trois des quatre coins de la cité. Bohémond installe ses troupes face à la porte Saint Paul, Raymond au pied de celle du Chien, et Godefroy devant celle du Duc. La porte Saint Georges qui n’est pas bloquée permet toujours de ravitailler la ville. Le trente décembre la terre tremble, la cité tient toujours et le froid s’installe.

A l’écart du campement de Godefroy, un guerrier Franc, Thibault de Castel- Vièlh s’affairait à dépecer la carcasse d’un des sept cents chevaux que la famine, qui s’était aggravée, avait décimés. Le cadavre était encore frais et Thibault s’escrimait comme un bon, taillant à grands coups d’épée la chair coriace de la bête à demi découpée. Le sang d’encre qui coulait des veines tailladées du bestiau se mêlait à l’incarnat qui sourdait des artères sectionnées et le regard bleu du garçon – il n’avait que seize ans – brillait follement, contrastant avec les balafres rouges et brunes qui le recouvraient presque entièrement. Le jeune écuyer était au service de Godefroy de Bouillon dont la barbe drue et la stature massive – il était presque aussi large et épais que haut – l’impressionnaient au plus haut point. Le jeune homme lui était dévoué corps et âme et s’il lui avait fallu se jeter dans l’huile frémissante sur un simple regard de Godefroy, il l’aurait fait en riant, sans même fermer les yeux. Il suivait son seigneur en toutes occasions, se battait comme un furieux qui aimait à s’enivrer au sang chaud des échauffourées quotidiennes. Les odeurs âcres des feux salpêtrés qui tombaient des murailles en gerbes mortelles, mêlées à celles grasses, repoussantes et métalliques du sang qui maculait les armures, le mettaient dans un état de frénésie quasi mystique. Et plus d’une fois, au bord du gouffre noir qui l’appelait à voix sirupeuse, il avait cru ne pas retrouver ses esprits. Bien avant qu’Antioche soit prise, il serait adoubé, il en était sûr, et dans le regard bienveillant de son maître, il se voyait à genoux, tête baissée sous l’épée qui le dominait.

Le jour, effrayé par le carnage, tomba comme une malédiction. Thibault frissonna, ordonna à ses compagnons de charger les quartiers de viande sur un chariot bancal tiré par deux canassons efflanqués et transis qui respiraient péniblement. Les deux rossards épuisés soufflaient bruyamment des brouillards humides que le froid figeait instantanément. Leurs os à fleur de peau saillaient dangereusement, menaçant de crever le cuir, et leurs naseaux sifflaient atrocement. L’odeur de la viande saignante les affolait et les hommes eurent mille peines à les calmer. De longs frissons couraient sous le cuir des carnes comme si elles avaient su, leurs yeux fous roulaient en tous sens, et Thibault cru un moment qu’ils n’en viendraient pas à bout. Puis le convoi s’ébranla difficilement, les roues bloquaient, les cadavres et les caillasses qui jonchaient le sol ajoutés aux flaques de boue étaient autant d’obstacles. Les hommes poussaient de chaque côté de la charrette, Thibault, du haut de son destrier, regardait de tous côtés, tant il craignait l’attaque d’une de ces escouades qui sortaient régulièrement de la ville pour harceler les petits groupes de croisés errant en quête de ravitaillement. Mais ils regagnèrent le campement sans encombres se frayant difficilement un chemin dans le chaos ambiant. La nuit de plomb gelé écrasait tout. Dieu, oui Dieu les abandonnait-ils ? Cette idée folle effleura la conscience de Thibault qui la rejeta d’une rapide prière.

A deux pas de la porte Saint Georges, Wahiba ne dormait pas. Derrière le moucharabieh, elle regardait la rue pavée de grosses pierres carrées luisantes, le sable et la terre mêlés, gorgés d’eau, figés par le froid, les recouvraient d’une fine pellicule glissante. Des ombres masquées, aux turbans écroulés, s’agitaient et couraient en silence vers la porte libre, et les pas assourdis des chevaux chaussés de linges épais résonnaient comme des tambours aux peaux affaissées. Les hommes partaient en quête de nourriture en dehors de la ville. « Mektoub !». La maison était silencieuse, la famille dormait lui semblait-il. Elle enfila rapidement une djellaba ample, pareille à celles des hommes en partance, se coiffa d’un épais turban laineux , noircit de suie grasse son visage, et se coula dans l’escalier pour se fondre dans la file en désordre qui filait en maraude. Un homme massif aux yeux charbonneux la poussa sans douceur, elle lui répondit d’une voix rocailleuse aux intonations dures, et le guerrier ne se douta de rien. Les hommes parlaient entre eux à voix basse, Wahiba écoutait et marchait en silence, tête baissée sous la pluie fine, les épaules voûtées à la façon d’un chamelier tirant sa bête. Elle comprit que la troupe projetait de s’approcher au plus près du campement de Godefroy dans l’espoir d’y rapiner quelques victuailles entassées sous les abris.

Thibault souriait de toutes ses dents déchaussées, le manque de nourriture l’affaiblissait, mais les paroles amicales de son seigneur le ragaillardissaient. Godefroy lui disait sa satisfaction à voix forte, les quartiers de chevaux tombaient à point nommé, ils redonneraient du courage à la troupe affamée, et Thibault vacilla un peu sous les fortes bourrades de contentement du Bouillon. Dans sa joie brutale Godefroy lui confia le commandement de la garde de nuit, un grand honneur pour le jeune écuyer jusqu’alors confiné aux taches de bouche et d’intendance. Le jouvenceau se redressa, la main sur le coeur, prêt à pleurer de joie, et le souvenir de l’oiselle rondelette qui lui souriait à plein corsage au sortir de l’office du matin, là-bas, si loin, disparue entre les vallons de sa Bourgogne natale, lui mouilla les yeux le temps d’un battement de paupières. Il sortit de la tente, le torse bombé et la démarche plus assurée que jamais. D’une voix forte qui avait encore du mal à masquer ses aigus, il rassembla ses gens et les disposa tout autour du campement. Il fit éteindre les torches, les yeux des gardes perceraient mieux les ténèbres. Puis il entama sa ronde de nuit, passant de poste en poste. Épuisé par sa longue journée, il sut que sa veille serait longue, harassante, interminable, mais il serra la poignée de son épée plutôt que ses dents douloureuses, oublia le froid cinglant et se mit en éveil.

Derrière un repli de terrain, à peu de distance des croisés de Godefroy, la petite troupe avançait par à-coups, à pas aériens, de plus en plus prudemment pour s’arrêter derrière un amas de roches rouges, noires comme l’enfer en cette nuit de janvier. La lune, pleine ce soir là, avait déserté le ciel, le spectacle des humains stupides, cruels et entêtés, l’avait plongée dans un profond désespoir, tel, qu’elle en avait perdu l’envie d’éclairer le sol. Seules les étoiles brillaient encore dans le ciel de charbon, si lointaines qu’elles ne savaient rien des ordinaires horreurs humaines. Thibault venait de terminer son premier tour du camp, tout était calme, les sentinelles n’y voyaient pas à deux pas mais scrutaient front plissé les profondeurs térébrantes comme des aveugles obstinés. La petite troupe des Seldjoukides qui avait laissé les montures à l’abri des rochers sous la garde d’un guerrier, rampait maintenant vers le camp des chrétiens. L’odeur de la barbaque faisandée ne leur avait pas échappée. Wahiba suivait de près l’homme de tête, et sous ses vêtements durcis par le froid, la sueur coulait le long de son dos jusqu’au bas de ses reins, elle sentait la chaleur de sa peau contre le tissu glacé, ce contraste fort la faisait se cambrer, et contre son pubis écrasé sur le sol inégal couraient par saccades des vibrements surprenants qui allaient jusqu’à lui couper une seconde la respiration. Elle tremblait de peur et d’excitation à la fois et cela, étrangement, la mettait en liesse … La sueur qui s’était accumulée dans la petite vasque entre ses lombaires déborda, et coula entre ses fesses. Wahiba sursauta surprise par cette fraîcheur subite, mais attentive à ne pas perdre de vue les pieds de son prédécesseur, elle retint en se mordant les lèvres, le gémissement qui sourdait de son ventre à sa gorge. Crispant ses doigts gourds dans les anfractuosités du sol, elle continua d’avancer.

Thibault passait au ras des abris sous lesquels la viande avariée lâchait un jus immonde dont le froid peinait à atténuer l’odeur, quand l’homme le plus proche l’arrêta en pointant du doigt le mur de nuit opaque qui leur faisait face. A voix presque inaudible il lui dit avoir cru entendre un bruit ! Puis un autre encore ! Thibault dépêcha promptement une des sentinelles à la recherche de renforts. Wahiba avançait en rythme avec les hommes dans un ballet silencieux réglé par la faim et la peur quand son pied droit décrocha une poignée de petites pierres qui roulèrent derrière elle. La petite troupe se figea comme un seul corps et ne bougea plus. Les poignards à lames courbes sortirent lentement de leurs étuis, la sueur qui coulait des visages pétrifiés comme des masques de cuir, tombait en gouttes translucides sur le sol dur. Wahiba tenait serré à se blanchir le poing, un de ces stylets fins et pointus, au manche d’ivoire délicatement ouvragé, un de ces bijoux capable de vous trouer le coeur sans faire couler ne serait-ce qu’une seule goutte de sang. Une arme perfide, petite, presque invisible, qui se cachait souvent sous les atours féminins. Les soudards, aux soirs des villes conquises, se méfiaient des filles affolées, dans les alcôves dévastées comme au détour des ruelles. Et ceux qui grisés par la victoire venaient à l’oublier le payaient souvent de leur vie. Les renforts arrivaient bruyamment, Thibault les poussa dans l’obscurité mais ils ne firent pas cinq pas. Sans un bruit les poignards tranchèrent les tendons de tous les mollets qui passèrent à portée des lames, et les hurlements des hommes résonnèrent dans la nuit impénétrable. Dans le silence qui régnait leurs cris claquèrent pour se briser en notes rauques dans l’air glacial. La mort rodait autour des croisés, la carogne noire, la terrible faucheuse aux yeux de jais, cette infâme garce, ils la sentaient si proche qu’ils croyaient voir son manteau tissé de d’ombres lugubres danser dans la nuit ténébreuse.

La lune se leva quand nul ne l’attendait plus. Le sol était jonché de corps sans vie, croisés et seldjoukides entremêlés dans une dernière danse. Wahiba leva tête et dague. Au-dessus d’elle, un guerrier casqué qui lui sembla gigantesque, la regardait d’un air fou et ses yeux couleur de ciel de juillet, écarquillés par la surprise, la peur et la colère, la transpercèrent. Elle se releva d’un bond, son turban alourdi par la pluie s’écroula et ses longs cheveux bouclés tombèrent sur ses épaules. Son visage était pâle et ses yeux agrandis par l’effroi brillaient comme de précieuses hématites sous la lumière froide qui tombait du ciel. Thibault n’eut pas le temps de dire un mot, ni même d’esquisser un sourire, le stylet de Wahiba venait de se glisser entre les mailles de sa côte, il tomba d’un bloc. Sa bouche s’ouvrit en chuintant sur un fil de salive rouge, puis le sang pulsa et les humeurs jaillirent. Wahiba retira l’arme du corps du croisé dans un bruit de succion qui la fit trembler. A genoux devant le corps inerte elle se mit à pleurer sans savoir pourquoi. Elle s’enfuit en courant …

LES BELLES PLANTUREUSES.

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Les mappemondes de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les belles plantureuses amandes mappemondes

Elles vont partout sans peur les douces odalisques

Ballons ronds dans les airs volent les vagabondes

Et je suis Pharaon au pied de l’obélisque.

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J’irai défier les tigres, combattre les éléphants

Nulle hyène ne pourra même lécher leurs flancs

Je serai là tout près caché dans les roseaux

Les crocodiles domptés dédaigneront les os.

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J’ai beaucoup voyagé, comme un pur galactique

Des fées j’ai rencontrées même des extatiques

Mais la motte en pelote, dodue et délicate

Est une pure merveille à faire bander Hécate.

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Regardez les danser, leurs hanches balancelles

Si souples, elles ensorcellent, ondulent sous la lune

Au bûcher des plaisirs elles se gavent de brumes

Leurs cheveux étincellent moites sous leurs aisselles.

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Elles se braquent, elles grondent, les belles, les girondes

Quand patraque je flanche, elles haussent la cadence

Et je crie et je pleure et je pointe la lance

Doux Jésus sur ta croix, voilà que je succombe.

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J’enrage, doux mirage, noyé sous les orages

Tubéreuses sulfureuses, amours vertigineuses

Je me rends à vos armes, à vos larmes rêveuses

Aux secrets dévoilés, plus le temps d’être sage.

VENUS MUSQUÉE …

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La Venus revisitée de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Vos yeux me regardent,

Ardents, sauvages, tendres,

Et vous me dites des mots

De sang, crus et terribles.

Je me dresse et vous donne

Plus que vous ne voulez.

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Au bout de la danse,

Vous criez miaulez,

Et vous allongez

Pour prendre ma bouche,

Longuement.

Nos salives mêlées

Ont goût de rose.

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Vos mains cherchent,

Prennent et épandent,

Sur nos corps pâmés,

Mon offrande,

Et votre jus

De sel poivré.

Dans l’espace clos

De nos ébats

Volent les parfums sauvages

De nos chairs

Odorantes.

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Je vous offre ces mots imparfaits

Jetés d’un trait

Poivré.

Venus musquée.

ME REGARDE À MOURIR …

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Sous le regard de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Je me parlerai de toi de ta part,

Lave brûlante qui me glace les sangs.

 Sur les flancs décharnés des volcans éruptifs,

 La sève hurlante de mes feux mal éteints

 Corrodent ta peau de soie.

 Je vole, cavale géniale aux doigt ourlés de sang

Qui me griffent à hurler.

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 Les hautes solitudes des cœurs voilés

 Exaspèrent les parfums lents

De tes chairs grumelées

Qui poissent mes nuits blafardes

De leurs promesses absentes.

 Sur les orbes opalescentes de tes fruits inconnus,

 Au dos cambré,

Au souffle retenu,

Je ploie, l’échine tendue,

A me rompre les reins.

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 Le jade rutilant de ton regard cruel

Me crève les yeux

Quand tu me ressasses,

 Juteuse radasse.

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 L’oeil de tigre aux lueurs méphitiques,

 Hystérique,

Me regarde à mourir …

BACH, OLIVIER ET LA TUNIQUE…

Odilon Redon. Tête de Christ au serpent.

 

Le seize Septembre 1953, sortait aux États Unis le premier film en Cinémascope de l’histoire du Cinéma…

«La Tunique» d’Henry Koster, le Péplum aux deux oscars, révélait au cinéphages le rouge velours de la Tunique du Christ crucifié sur les hauteurs du Golgotha. Deux cent ans plus tôt, Bach composait «La Passion selon Saint Jean» dont le chœur d’entrée rougeoie de toutes les douleurs échues, actuelles et à venir de l’Humanité en folie. Dans un abandon d’une profonde humilité, «Le Fils fait Homme» brûle tous les pêchés du Monde, expiant, comble de l’amour, les noirceurs humaines en se sacrifiant sur la Croix après avoir retiré ses actifs de cette p**** de banque Irlandaise, que Pierre qui finira Saint, lui avait conseillée. Vingt sept ans après «La Tunique», Lennon John mourrait, assassiné par un de ces ordinaires abrutis idolâtres qui traînent leurs navrantes impersonnalités au pied des podiums scintillants. Depuis lors, l’«Imagine» de l’utopiste myope s’est délité, les rêves de paix, de fraternité et autres foutaises, déclenchent de très saines crises de fou-rires, dans les corbeilles fleuries des bourses débordantes de vanité. Les nouveaux maîtres du monde sont d’habiles proctologues, aux longs doigts huilés.

La jeune femme, à l’entrée du cinéma, lui sourit, d’un de ces sourires dont la puberté fatale prive les hommes. Le meilleur de la femme se conjugue au temps de l’enfance. Le petit se faufile, musaraigne agile, frôlant pieds et jambes, le nez sur le nombril des spectateurs qui sagement font la queue, en rangs bien alignés. Dès qu’il aperçoit la dame, sa fée dominicale, rassuré, il plisse du nez – il sait qu’elle aime ça – découvrant une double rangée de dents folles, plantées en foule, trop grandes pour sa bouche d’enfant. Collé aux jambes gainées de nylon, il en caresse machinalement la surface fine, tendre et rêche à la fois, tandis que l’autre main agrippée aux hanches rondes de l’ouvreuse, il attend – traversé par une émotion douce qu’il ne comprend pas encore – d’être poussé, d’une tape tendre dans le dos, au cœur des ténèbres délicieuses de la salle. Sa place habituelle est souvent libre, au milieu du premier rang. Comme une petite souris agile, il grimpe sur la tranche du siège et ne bouge plus, les bras croisés comme à l’école. La salle, pleine comme œuf, de Pâques à Trinité, caquète, gazouille, en croches aigües, rassurantes et cacophoniques. Les rires perlés des femmes roulent en triolets cristallins sur le chœur de basse continue, que tiennent sans faillir les feutres gris anthracite, qui coiffent alors les hommes endimanchés. La tête levée, l’enfant peine à embrasser toute la largeur immaculée de l’écran qui palpite, opalescent, comme l’œil du merlan mort que maman fait trembler au coin de la cuisinière, dans l’eau écumante d’une casserole frémissante. Le soir, au fond du lit qu’il marque à peine de son poids d’oiseau fragile, il ferme les yeux, attendant que l’arc-en-ciel des couleurs mouvantes de ses souvenirs de l’après midi, surgisse de la pulpe lumineuse et fragile qui blanchit le revers de ses paupières closes. Les peurs immondes, les monstres gluants disparaissent alors, d’un coup, dans l’obscurité épaisse de la chambre tiède. Errol Flynn, l’éternel flibustier, ferraille avec Tyrone Power le Zorro de tous les Zorro. De belles femmes éplorées dont les peaux translucides palpitent sur la nacre de l’écran, se lamentent en les regardant. Toutes ont la main sur la bouche et les yeux remplis de larmes épaisses qui coulent en vagues chaudes.

Sans s’en douter, il découvre la jubilation qui est au bonheur ce que la fellation est à l’amour. Là-bas, dans le lointain inaccessible et proche, une femme qui n’est pas encore née, insouciante, passe à côté de sa vie.

Le dimanche à l’église, dans sa culotte courte de velours, il se pique aux épines du martyrisé d’ivoire qui saigne, hiératique, sur sa croix de faux bois. Marie, la Mère Céleste en robe bleue, Bernadette sous sa cape de bure châtaigne, et toutes les Saintes avec elles, s’animent, pour se mêler derrière l’Autel au combat des Pirates et des Indiens.

Plus tard, bien tard, il découvrira, expérience funeste, la passion dont il mourra.

De la même étrange façon, aux premières notes de Bach, l’Autel, le Grand Souffrant et sa cohorte d’Élues, l’écran, Errol, Tyrone et ses sbires, toutes ses peurs mystiques, comme tous ses ravissements de pellicule, courent en sarabande fantasque sur l’écran vif de sa mémoire dès qu’il ferme les yeux pendant la messe.

Étrangement cela revient quand dans la transparence de son verre, il retrouve la pourpre de la Tunique, cette couleur Bourgogne du cinémascope de son enfance.

Pour ce Mas Jullien 2002, la tunique inonde la robe de sa pourpre, chaude, veloutée, lumineuse. Les seuls et uniques Languedoc de ce millésime, je les avais dégustés – hors le Mas – en compagnie d’une doublette infernale, au pied du Pic Saint Loup. Abominable souvenir vert. Hic et nunc, en revanche, le nez, déjà, et c’est beaucoup, part dans les tours, dès qu’il se penche. Des effluves en profusion, fondues, qui donnent une impression d’apogée du vin. Il est là, accompli, et se donne. Une première note, goudronnée, ouvre le bal odorant. Ensuite, la cerise mûre, le thym, le ciste, la réglisse, apparaissent généreusement. En élégance. La garrigue est magnifiée par le fruit. Un nez de velours! Que le Languedoc peut, quand il est conduit par Olivier Jullien, être beau, subtil, racé. Deux jours de carafe ne l’épuisent pas. Stable, c’est le mot, avec beaucoup de classe. Une impression lactée à l’attaque qui laisse place au cassis puis à la myrtille et sa pointe d’acidité. À la messe des sens, le corps du vin transparaît au travers d’une matière conséquente, construite sur une foultitude de petits tanins réglissés et crayeux. Le vin s’étale, s’installe, et nul ne s’en plaindrait. La finale est à la hauteur. Longue, elle s’épuise lentement, en douceur et fraîcheur.

Je me dis alors, que sur un grand millésime du Mas, Jésus me serait apparu, en culotte de velours bien sûr, et Bach aurait déchaîné sa passion, loin, là-bas, dans mon cœur d’enfant…

«Celui qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard, ni patience». René Char.

 

EITEMOMITISSAESTCONE.

RITON, LE P’TIT RATON.

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La De grave distroy.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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C’était un p’tit raton, les yeux comme des boutons,

Il aimait les rognons, les pommes et les trognons

Se gavait de crème fraîche, le soir dans les poubelles,

L’avait pas l’air d’un rat,il était bien trop gras,

On l’appelait Riton, ses potes c’étaient des chats,

Avec eux il jouait à s’trouer la rondelle,

A la manif pour tous, s’est planqué sous une pelle.

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Ronron le chat mignon qui s’prend pour un raton,

Tout maigre tout efflanqué à bouffer des dentiers,

Le soir il a très peur et il trouve pas son beurre,

Les matous du quartier lui foutent des raclées,

Un soir Riton l’a vu qui pleurait tout du long,

Alors il a foncé, toutes canines plantées,

Sur les poilus galeux, à les faire tous pleurer.

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Ils ont fait des enfants, le chat était une chatte,

Riton le raton à grands coups de reins malins,

Les moustaches en sueur, les yeux au ras des fleurs,

A la tache voué, à la tringle, à la batte,

Tant au soir qu’au matin à crier comme un chien,

A se crever les yeux dans un style aérien.

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Madame, monsieur, vous, au sortir des salons,

Faites donc attention en posant vos petons,

Sous les portes cochères se planquent les tigrons.

SOUS VOS PAS.

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Avec La De la terre devient fleurs.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Où allez vous comme ça à petits pas chinois

Vos hanches se disloquent on ne sait pas pourquoi

Sur le détroit d’Ormuz les oiseaux en bouquets

Planent en flammes lentes, l’azur transfiguré.

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Où courez vous comme ça quand grincent les violons

Perchées sur vos échasses vos flancs en vibrations

Canal du Mozambique les dunes en vol-au-vent

Alanguies et torrides sous le soleil flambant.

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Que tenez vous comme ça entre vos doigts de lait

Vous souriez aux anges vos cheveux sont défaits

Au large de Panama les plaines sont figées

Les arbres calcinés les Temples désertés.

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Où marchez vous comme ça à longs pas indolents

Votre corps est voilé de grands nuages ardents

Les chutes du Zambèze déversent leurs torrents.

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Où est passé le temps il est passé par là

Et les fleurs ont séché, écrasées sous vos pas

Et la pivoine pleure quand vous êtes là-bas.

LA SORCIÈRE AUX CORNUES.

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Le totem de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ton corps sage, ton corps nichons, ton corps billard,

Dans l’ombre, dans le corset des nuits de charbon,

A foison, corps vidé, coruscant, tout tremblant,

Même la lune s’est couchée, allongée dans les eaux

Qui caressent les déesses, les drôlesses, les papesses.

La diablesse blottie, et ses fesses d’ogresse,

Quand elle couine et rapine en caressant ma peau,

Comme les arbres en forêt se balancent. Et les glands

Des grands chênes parsèment le gazon.

Sur les cimes corrodées dérivent les busards.

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Puits de réglisse, gouffrée de zan, les amants

Crèvent les bulles majuscules, les opercules,

La pluie coule, rus en foules, tourneboulent,

Dagues brûlent, piquent et pleurent, le bonheur.

Suées grasses, rires complices. Les artistes,

Mousse de lys, hagards, émus, la valse triste

Déroule, et tonnent ses accords, douce houle.

Sous les soies, sous les draps, mains serrées des glaneurs,

Fleurs des champs, myosotis, buissons de farigoule,

Un monde se bouscule, vallées et monticules,

Dans le silence bleu scintillent les aimants.

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Les cordons se dénouent, elle du corps, ce corps fou,

Tombent les cordonnets, corps de lait, don du corps,

Offrandes fragiles, ce corps sage à l’outrage,

Rêves de tison, corps ogives, si rond ce corps

Au fond des corridors, réveille toi en nage,

Cornique tu parles, oiseau pâle de Corfou,

Le corps se tait sous la cornette corsetée,

Beau corps, sous le bec des corbeaux, le corps râle,

D’âge pleure, serre les cordages en correction,

Érection fatale, le corps rôde, coeur à létal.

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La sorcière aux cornues, à tirer au cordeau.

MA LOVE ME TOO …

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Les flamboyances de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ma louve ma Lou,

C’est si charmant, si doux,

Quand tu fais ta Love me too,

Et tu serres fort tes genoux,

Pour masquer ton buisson de houx.

—–

Je te regarde et suis tout fou.

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Allez, ma too, viens t-en voir,

Et boire, avide, à l’abreuvoir,

De mes yeux sableux. A te voir,

Les curés noirs, les encensoirs,

S’agitent comme des braquemarts.

—–

Je suis tombé sans te voir.

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Dis donc, gironde, ma ronde,

J’aime quand tu me grondes,

Blanche comme une vagabonde,

Il faudra bien que tu m’émondes

Ma fronde bandée, me refondes.

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Comme je te hais ma furibonde.

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Plus épicée qu’un cachou,

Derrière tes lunettes de hibou,

Oui mets toi donc à genoux,

Je deviens bleu comme un bantou,

Quand je me roule sur ton chou.

—–

Je t’emmène à Ouagadougou.

—–

Love me too, love me tender,

A l’aube de tous les millénaires,

Accrochés, juste fous, à nos aiguières,

Nous voguons aux confins des cimetières

Voiles éclatées, chairs sucrières.

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Et j’arrache tes jarretières.