Littinéraires viniques » LA DÉGUST EXPRESS DU SALE VIEUX CON RÂLEUR …

STILL ALIVE AFTER LA SAINT VIVANT…

Maxwell Armfield. Faustine.

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 Romanée Saint Vivant 1998.

Le nom du vin, déjà est un monde.

Dans le verre, un pur rubis pâle et lumineux.

C’est un voyage dans l’imaginaire auquel ce vin convie. Un voyage dans l’Androgynie des origines, au pays de la Romanée, le Roman «Roman» de Romane, au pays de Saint Vivant de Vergy, l’abbaye Médiévale en laquelle œuvraient sans doute de solides tonsurés – amateurs de chairs et de vins, ripailleurs et mystiques – traversés par les énergies puissantes de la terre et les intuitions subtiles de l’âme. Un vin, élevé par Drouhin, qui porte en son nom l’union contrastée de la matière et de l’esprit. L’espoir d’un équilibre, d’une quadrature, d’un chemin sur le fil de la lame…

Il est bon de se laisser aller à rêver avant de boire.

Le nez au dessus du verre m’emporte dans les brouillards translucides du petit matin. Le nez humide d’une biche gracile se pose sur ma joue… Des fruits en foules rouges. Le premier jus qui sourd du pressoir. Parfums de vergers et de vignes. Pinot mûr qui s’écrase dans les doigts. Fragrances fines. Parfums mouillés. Les détailler car il le faut bien… Airelle, groseille et framboise délicates déposent au nez une brume odorante et fragile, qui s’enroule comme une liane parfumée aux confins exaltés de mes rêves intimes. Cerise aussi, Bourgogne oblige… Le temps semble impuissant, l’automne n’atteindra pas ces arômes d’au delà de mes vicissitudes.

Le faune en moi chantonne, subjugué par les charmes de Romane.

Le jus glisse en bouche, lisse et rond comme la hanche innocente de l’enfant. Lentement il enfle et se déploie, libérant la caresse progressive d’une matière tendre et puissante. Comment imaginer tant de force et d’élégance combinées??? L’esprit est dans la matière, il la sublime, mais sans elle il ne saurait s’exprimer… La pâte de cassis perlée de sucre croquant, comme un éclair dans un ciel d’été, exalte la chair du vin. Le jus enfle et conquiert le palais. Les papilles titillées défaillent. Chopin s’unit à George dans un final tumultueux, longuement, tendrement.

C’est le temps du Tao, de l’équilibre à jamais signifié.

BRET BROTHERS MÂCON-CRUZILLE 2015.

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Le troisième larron de la trilogie Villages, le Cruzille de chez Macôn.
A noter au passage qu’à une consonne près, ce vin aurait pu faire le bonheur des banquets électoraux du banquier repenti. Voire même régaler ses pires adversaires qui ne crachent jamais sur ce, qu’au passage, ils peuvent prendre.
Or donc comme j’aime à dire, une robe de cuirasse de centurion, or laquée de bronze, d’une parfaite brillance, au coeur de laquelle palpite un coin de ce ciel gris second tour des présidentielles que je vois de ma fenêtre.
Pour les hardeurs ordinaires du vin, des chais et des éprouvettes, tout ce qui précède n’est que baratin inutile, élucubrations d’allumé du hanap, ce que je confesse volontiers.
Ceci humblement confessé, les yeux fermés, je hume le jus de l’enfant de la grume, un jus de vieille (entre 50 et 80 balais), pas tout à fait un demi hectare de vieilles lambrusques sur argilo-calcaires. Un jus qui lâche du fruit, puis du fruit, puis encore du fruit. J’en salive immédiatement un peu comme quand …
Dire aussi que la pêche mûre se pare d’épices qui lui font cortège odorant et l’exalte, et d’ailleurs rien ne vaut, en d’autres circonstances aussi, une belle pêche exaltée à souhait ….
Ceci dit bis, la pêche est jeunette et ne se donne qu’avec une retenue de bon aloi, comme il se doit pour une presque pucelle de bonne famille. Je gage qu’apès un an ou deux, ayant acquis quelque expérience, elle sera d’olfaction plus intense.
Mais quid du gosier ? Ce vin de jeunesse m’attaque franchement la papille et son acidité mûre me la met derechef (si j’ose dire) en érection. Une matière conséquente me remplit le gosier qui ne demande que ça. A rouler sur la langue, elle enfle et déverse à terme une pêche légèrement agrumée au zeste de citron, puis la pelure du pamplemousse se joint à l’orgueil de Menton, et juste ce qu’il faut d’amertume, gage d’un veillissement nécessaire, me reste au palais après que le vin gourmand a passé la glotte. Lui succèdent enfin, et bien après car la jeunette est longue à faiblir, un peu du sel de la terre et l’idée que le calcaire serait monté jusqu’à ma bouche.
Ceci dit ter, c’est déjà foutrement très bon !

CLOS DE SARCONE 2015.

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Un vin que l’on dit “confidentiel” !!

Oui encore une de ces expression à la mode de chez marketing approximatif à la con, employé à tort et à travers. Est confidentiel “ce qui a le caractère intime et personnel de la relation affective” ou ce qui est “privé, secret” etc …”
Tout simplement un petit domaine en fait, autour de 5 ha. S’il s’était agit de la région Bordelaise, alors là le marketing” j’te vends du vent” aurait parlé de “vin de garage” (ou comment inventer une expression prestigieuse avec un mot qui sent la tôle rouillée et l’huile de vidange !), autre baraguoin à la mode de chez snob, histoire de pouvoir vendre très cher des vins qui sont assez rarement à la hauteur des prix pratiqués. Mais comme dit l’autre, ça se vend … donc ferme ta gueule et bois de l’eau 😀
Or donc, quelques vignes autour de Poggiale, non loin de l’aéroport de Figari, sur le caillou fleuri égaré sur les flots bleus de la Méditerranée. En AOC Vin de Corse, because n’est pas dans l’aire couverte par l’appelation Figari.
Mais ils s’en foutent et on s’en fout !!


Une robe cardinalice, brillante comme un écu neuf, de grenat et de rubis mêlés; les jambes qui roulent sur la paroi du verre dessinent un aqueduc approximatif qui augure d’un vin suffisament gras pour bien glisser en bouche.
La cerise mûre à peau croquante domine au nez, mariée aux épices du sud, du genre “il fait chaud, promenons nous dans le maquiiiis !” d’où ressort le poivre noir, un bouquet complexe en fait que les décortiqueurs, les oenologues tourmentés et les sommeliers pétaradants, dépiauteront bien mieux que moi.
Les grappes arrachés aux sangliers amateurs de raisin sont mûres, en bouche puissance et élégance s’équilibrent et la fraîcheur des vents marins qui fouettent les vignes de Sciaccarellu, Niellucciu et Vermentinu se retrouvent au palais. C’est dire que la matière est là, qu’elle prend la place qui lui convient et qu’elle ne la cède qu’à regret. Après que fraicheur a tempéré la puissance du jus, les tannins, petits, perceptibles mais enrobés, jeunesse oblige, laissent longuement en bouche le voile que parfois le vent salé met à l’azur de l’Île …

CDP. DOMAINE Lucien BARROT et Fils 2005.

Carafé un quart d’heure avant de servir assez frais.

Ben c’est bon ça !!! Et pas cher du tout, ce qui renforce le plaisir. Grenache et syrah si j’en crois mon nez.

Une robe grenat touchée par l’orange d’Éluard. Oui je sais ça fait intello mais je vous emm … On peut aimer le vin et en parler avec poésie, ça n’altère pas le goût, enfin bien moins que le bouchon ou les écuries des gourous à la mode de chez mon …

Sous le nez monte la rose, bien éclose, une Ronsard (oui je sais ça fait intello, voir plus haut …) aux pétales gras, un peu sucrés. Sous les fleurs une belle cerise (oui je sais, un peu tôt pour la saison mais je vous …) noire bien mûre, celle qui tâche les doigts. Tout autour, en-dessus, en -dessous, des notes de garrigue sèche, de cuir, de réglisse, et pointent à peine des notes tertiaires (tant pis pour les primaires, je les emm…), sous bois, champignon, humus. Quelques notes terreuses aussi (oui je sais ça fait paysan qui cause, mais je vous emm …).

In the mouth (ça c’est pour les Anglophiles du vin, y’a plus qu’ça, des wine truc, des battle machin), la fraîcheur est immédiate (au nez déjà je m’en doutais). La matière est là, mais rien d’outrecuidant, ce qu’il faut, où il faut (oui je sais ça fait discours macho mais je vous emm …), encore jeune, traversée de tannins petits et enrobés, après que les fruits (la cerise, P! qu’elle est bonne!) ont envahi langue, muqueuse et palais. la fraîcheur reprend la main, les épices et la réglisse aussi qui relancent la machine …

Une bonne longueur, sans perception alcooleuse, comme trop souvent par là-bas. Bref, du beau travail sans esbroufe, un vin qui régale et qui rappelle au verre.

PS : non pas de PS, il n’y en a plus …

MOREY-COFFINET. LA ROMANÉE 2006.

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Michel Caron. La montagne jaune.

Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la clepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique quand un blanc s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait c’est la mort qui ricane. Le motus renvoie son Monde à l’inéluctabilité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.

 A ma vérité, le temps est blanc.

Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie et se perd en alertes vaines.

 A ma vérité, sang rouge vire au noir.

La Terre amoureuse est verte et pousse le bout de ses ramures tous azimuts. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout, et comble ses hôtes de ses fruits gratuits. Le fruit vert des âges tendres, rejoint parfois la verdeur de l’âge, paradoxe des extrêmes. Mais le vert est aussi de rage et de peur quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.

 A ma vérité, vert est pur amour rageur.

Alors je m’abreuve à la pompe bleue des énergies « Blues » de Muddy Waters. Foin de ces lamentations indécentes, à mettre à la poubelle noire des insipides. La musique chaude, lave, remue, et chasse les remugles, les vases lourdes. Noir ou blanc, synthèse des couleurs à ne pas mélanger, le bleu électrique requinque et chasse le vague-à-l’âme. Novembre souvent écrase, dilue, broie, pile les couleurs de l’été dans ses brumes collantes. Mais sur le bord de ma palette, le rayon pâle de l’astre fugace perce le coton épais du ciel veuf de son azur, pour poser un soleil, jaune comme un oeuf, au dessus des montagnes.

 A ma vérité le bleu est blues vaincu.

Chez Morey-Coffinet, c’est le Thibault qui fait le vin maintenant. Dans la fraîcheur de ses caves, belles comme cryptes romanes, j’étais, il y a des ans… Rangés comme moines en prière, les fûts se sont ouverts à la pipette, et ont versés dans mon verre les merveilles au repos de Chassagne-Montrachet. De beaux jus en élevage sur lies fines. Thibault est un modeste qui laisse parler le vin plutôt que de gloser. Dans le silence des caves, quand Bacchus fait son grégorien, le choc cristallin du tâte-vin sur les verres suffit à enmusiquer l’espace.

La robe de « La Romanée » 2006 1er Cru est jaune citron, soleil de février sur les collines de Menton. Seuls quelques légers reflets qu’un cousin vert des Antilles y aurait fondu moirent à la lumière.

Sonate de touches fleuries sous le nez, desquelles le chèvrefeuille s’extraie pour très vite bomber le pistil. Mais cela est fugace. Bientôt vient le temps des fruits, tout en “finesse exubérante”, la poire flirte avec l’ananas pour finir au coing. Un nez élégant qui signe un ChassagneMontrachet plutôt extraverti.

L’attaque est subtile, l’équilibre est son nom. Gras maîtrisé, puissance et vivacité se conjuguent parfaitement. C’est un vin à la matière riche, mûre et ronde; les fruits sus-cités réitèrent et s’adjoignent une once de zan qui exalte le tout. C’est d’la bonne came ça dis donc!!! Quelle bouche!!! Digne de la plus voluptueuse des bayadères….Et j’en ai connu d’ondulantes par temps de Bourgogne blanc… La finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Et bien c’est d’la bonne, c’est d’la longue, d’la bien roulée sous la langue, d’la qui s’installe, qui s’y plaît et qu’en redonne… du plaisir et du bonheur. Ça finit en se resserrant, comme j’aime… la réglisse et les épices, et la pierre qui pique un peu…

Mais j’affirmerai, toute joie bue, que ce vin éclatant est un bonheur pour le nez du chasseur de Chardonnay. Du fruit, blanc et de l’orange épicée, auxquels se mêlent la sécheresse olfactive de la pierre. En bouche, y’a du vin, une matière qui vous rend tout d’abord une petite visite qui semble modeste, humble et sans prétention excessive…Puis, si vous faites, un tant soit peu rouler le vin en bouche, alors là, waowwww, il prend un volume surprenant!!!

Bon je ne vais pas trop insister mais ça dure, ça s’étire, ça se tend en même temps, ça bande comme l’arc que je ne suis plus ! La finale qui ne vous laisse pas seul, même si vous l’êtes, est fruitée, réglissée, épicée et franchement – allez je le lâche – très et fort à propos, minérale. Bouche propre et lèvres salées comme un baiser d’amour.

ECHIENMOTINECONE.

DROIN CHABLIS GRAND CRU LES CLOS 2000.

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Imaginons que je sois le rédacteur fou d’un site de vins bien connu – et qui propose d’ailleurs souvent de jolies bouteilles à prix corrects – un prescripteur complètement allumé, shooté aux dithyrambes enfumés, à la culture marketing exacerbée, amoureux de superlatifs qui se veulent haut de gamme, que pourrais-je bien dire de ce vin déjà bien souvent encensé ?

Voyons voir.

 “Ce domaine mythique, cet Everest du vin, ce top de l’appellation, au sommet de la hiérarchie, incontournable nous livre (sic) une bouteille mémorable dont le jus hautement séducteur, véritable Don Juan de Chablis, à la fois fringant, évolué, riche, frais, affiche (oui le style ce n’est pas sa tasse de Chablis) une matière énorme, mais distinguée, qui vous inonde la bouche (oui le style, toujours le sens de la syntaxe élégante), une matière drapée d’une grande sensualité gourmande de corps. Ce vin est une star absolue, un sommet qualitatif qui passe la barre très haute (sic), un colosse tout simplement somptueux, un enchantement qui marque les esprits, drapé (bis) d’une grande sensualité de corps qui exalte toute la maestria (olé!) de son cépage, offrant à la fois du confort et de la finesse, un vin culte, issu d’un terroir singulier (sic encore), un jus monumental digne des plus grands temples égyptiens (Toutankhamon si tu me lis ?), qui se pose en dandy incontournable (une sorte de Brummel du vin ?), assurant de son élégance des accords au sommet (Ah la jolie syntaxe !), une cuvée tonitruante, imparable de finesse et d’énergie (one more couche de baratin insipide), un vin abouti, fait de passion (et de quelques raisins aussi), dont l’amateur se doit de posséder quelques caisses blotties sous le placard douillet de la cuisinière …” Ce pourrait être quelque chose comme ça par exemple.

Et moi et moi, sale vieux con râleur, que puis-je en dire de ce vin du tonnerre (c’est bien le moins pour un Chablis) de Zeus ?

Que le temps a brodé de vieil or sa robe ? Que sous mon nez, le bouquet est complexe, qu’il marie harmonieusement, effluves florales – pêle-mêle, citronnier du jardin agrémenté de légères touches jasminées – fragrances de citron mûr, confit, de miel et d’agrumes, d’un soupçon de truffe blanche, d’épices douces et de poivre blanc ? Que la noisette y a, elle aussi, laissé sa trace, fraîche malgré l’âge ? Qu’en bouche la matière est conséquente, riche, qu’elle enfle en prenant constamment du volume, qu’elle est grasse, ce qu’il faut, pour donner au vin une onctuosité délicate ? Que le vin s’éternise en bouche bien après que la pluie a cessé, qu’il laisse au palais la marque crayeuse et saline de ses origines ? Oui je le dis, et vous dis la souffrance qui m’envahit quand me vient à l’esprit que cette superbe bouteille, hélas, n’est pas un  jéroboam, ni même un magnum, et qu’il me faudra bientôt faire le deuil du plaisir qu’elle m’a procuré !

Dehors c’est Février, le ciel est Novembre, la ville semble recouverte d’acier liquide, le soleil est sur l’hémisphère sud, la rue ruisselle et la Charente déborde. Alors, je verse avec précaution dans mon verre vide les dernières gouttes de ce grand cru de chablis. Et j’attends que les amours reprennent.

PS : Merci monsieur Droin.

D’ISPAHAN À LA HAVANE, PAR CORDOUAN ET LA TRUFFE…

Mahmoud Farshchian. Roses d’Hispahan.

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 Quel nom! Eloi Dürrbach.

Eloi tout d’abord, le Saint du même nom était orfèvre et trésorier de Dagobert. Un homme donc, qui devrait savoir ciseler, compter et s’y connaître en pantalon…

Dürrbach. D’Eloi, René était le père. Peintre et sculpteur, il fut l’ami de Fernand Léger, Robert Delaunay, Pablo Picasso. Les étiquettes qui ornent Trévallon témoignent de sa présence, hors du temps compté de la matière. Tout pour faire un vigneron, non? Dont on attend rigueur, poésie, élégance.

Deux cépages, Cabernet Sauvignon et Syrah plantés dès 1972 sur les pentes arides et calcaires du versant nord des Alpilles. Un vin «inventé», anti conformiste qui rejoint dès sa naissance le sein hétéroclite des Vins de Pays.

Ce nom, Trévallon, m’était familier, comme il l’est de tous les amateurs. 1999. Familier certes, mais inconnu de mon palais. Une première rencontre. Un mystère qu’une première, l’émotion de la découverte, le frémissement de l’approche, le recul et l’hésitation, l’enthousiasme, la crainte et l’impatience. La reddition ou la déception.

La couleur aussi du «tonitruant», du Trévallon dont j’ai plaisir à lire les emportements, plus tendres qu’il n’y paraît. Décidément, je ne suis pas sou neuf devant ce vin qui l’est pour moi, et que j’attends, dans cette pénombre de la conscience, sauvage et sensible à la fois? Un voyage dans le verre, incertain, attirant. Oui, je sais bien que tout cela n’a rien à voir avec la dégustation pure et dure, mais existe-t-elle? Tant pis pour ceux qui la prônent, et qui me liront.

Dans le verre aux courbes féminines – on boit toujours dans une coupe qui les glorifient – le vin attend depuis une heure. Tamisée au travers du grenat liquide mêlé d’orange, la lumière pure de cet hiver Hollandais. Le relief de la vie s’y meut au ralenti. Comme un hymne à l’évolution lente, il n’est pas sans rappeler la fausse transparence des eaux tropicales. Une turbidité forte, qui évoque la chair dont on parle souvent.

Imaginez le mariage rare entre une perdrix dodue et un faisan nerveux, affolés par les bruits incongrus des chasseurs, au petit matin brumeux. Vous aurez là, précisément, l’idée du fumet puissant qui frappe mes narines. L’odeur de la curée, de la plume et du sang. C’est une journée qu’il faudra à ce vin, avant qu’il ne daigne se donner davantage!!! J’ai adoré ces premières effluves, si justes, si proches de l’essence même de la peur, qui doit tordre la biche ou le chevreuil coursés dans les bois. Ce mélange enivrant des adrénalines animales. L’effroi qui sidère les viscères, qui affole le cœur et les sudoripares.

Plus tard, au lendemain d’hier, comme un paradis fragile, les roses d’Ispahan surgissent du verre, graciles, délicates et fanées…Le cuir de Cordouan ajoute ses notes à peine grasses aux arômes puissants d’une belle truffe dans sa gangue de terre humide. La boite à tabac s’est ouverte elle aussi et délivre des parfums de Havane. Le tout se fond élégamment, et enrobe d’une sensualité toute en finesse, le cœur calcaire du vin. La rigueur est bien là. Le squelette soutient la chair. De la douceur aussi, qu’équilibre une touche d’amertume.

Il va bien falloir que la bouche accueille et prenne son bonheur…Le sucre et l’amertume, comme un sureau mâché, touchent la pointe de la langue. La sensation de fraîcheur est immédiate, puis les fruits (petits, moyens ou gros, je ne sais…) percent le liquide, et tapissent les papilles d’une chair parfumée. La matière enfle sans ostentation, l’équilibre est constant, comme le rythme d’un pur sang au galop maîtrisé. Cabernet et Syrah se respectent, et s’entendent comme cépages en foire. La finale n’est pas une fin, elle s’étire en lenteur et longueur, les tanins et la craie intimement unis.

Au fond du verre vide, la pivoine s’est invitée, et Ispahan s’étale.

Le pays de la grâce… J’y retournerai.

EQUIMOLÉTIVITECONE.

THOMAS PICO CHABLIS 1er cru BEAUREGARD 2014.

Thomas Pico par Tim Atkin

Thomas Pico par Tim Atkin.

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Sacrifié le flacon. A peine a-t-il posé son cul lourd devant ma porte. Honte à toi qui ne peux attendre, petit homme impatient. Sacrilège! Tu te comportes comme le dernier des brutaux dans ce monde du vin, tout de douceur et de fraternité vraie. Pense donc à tous ces modestes vignerons, qui œuvrent dans l’ombre de leur chais nickelés, pour t’offrir le meilleur de leur art désintéressé.

Bon, oui, tu as raison Jiminy Cricket. Tout à fait. Parfaitement raison. Mais quand même, tes grands écraseurs de raisins entre leurs gros doigts, ne se privent pourtant pas d’y aller à grandes louches ! Tous les ans les prix flambent. Allegro, crescendo, vivacissimo, fortississimo, con fuoco ! Allez coco, si t’en veux – c’est qu’y en a eu peu, ou alors l’a pas fait beau, ou encore c’est un vin d’artiste, un très grand, un incontournable et tutti quanti, pipeau, marketing et orchestres à cordes – ben faut casquer, sourire et remercier les “magiciens”, comme disent certains journalistes prescripteurs, ou tous ceux qui aimeraient l’être, la poignée de censeurs, qui se targuent de faire la pluie et le mildiou dans les rangs trop souvent ulcérés des vignes et des châteaux. Ceci dit Pico ne pique pas trop.

Penché au dessus du verre, je contemple. Je regarde Beauregard droit dans les yeux. Un lac calme d’or blanc fondu, immobile. Je regarde plus encore, et voici que sur l’écran pâle de ce vin tout juste accouché, des images apparaissent. Étranges scènes, quelque peu surprenantes, inhabituelles même. Se superposent à l’or, les eaux rouges d’un lac. Des eaux, non pas roses comme celles du lac éponyme, non, des eaux rouges, sombres par endroits, incarnates à d’autres, que bordent des reflets violets. Au centre du lac, entouré d’animaux de moindre importance, des admirateurs ébahis et autres courtisans énamourés qui baillent de concert, siège, trône, le roi du lac, le gros Hippo.

Hippo le gros est en colère. Hé oui, voici que parmi ses amis à plumes – qui d’ordinaire, posés sur son large cul, lui caressent la couenne, sa peau fragile, infestée de parasites – un oiseau fou, un insolent, un téméraire, un Buphagus de rien, simple plumitif, se met à le piquer et le repiquer, toujours et encore, jusqu’à lui mettre la carne au sang ! Faut dire que le gros Hippo, faut pas le contrarier le démocrate, ni même le taquiner, encore moins le contester.

Alors il a grand ouvert sa gueule. D’un seul coup de sa puissante mâchoire, il a broyé un croco de passage, histoire de bien faire comprendre à tous ces plumeux bavards, qu’ils pouvaient à loisir l’encenser ou le piqueter gentiment, mais rien de plus. Grand silence sur tous les lacs du petit grand monde des eaux cardinalis. Puis tout le monde de s’esbaudir, d’applaudir le gros Flying Hippo hurleur, qui donne la leçon, et menace de ses foudres le(s) volatile(s) au(x) bec(s) acide(s). Et le petit grand peuple d’approuver Hippo le grand, de louer son courage et l’incandescence, un brin vulgaire peut-être, de son discours flamboyant. S’attaquer aux œuvres du grand Maître de la pluie et du beau temps sur l’estuaire, quelle indécence !

Mais le mirage se dilue enfin. Dans mon verre la robe d’or, pâle comme un sourire naissant, retrouve son étoffe et rutile à nouveau. Les futilités parasites du grand petit monde des fatuités sans importance se dissolvent sous la montée des arômes. Beauregard 2014 est encore un nourrisson dans les langes. Il babille plus qu’il ne parle. L’enfantelet sent le miel doux, les fleurs blanches parsèment ses draps, les citrons, jaunes et mûrs, verts et odorants, les épices légères, et l’odeur de la craie sur le bord du tableau quand la classe est déserte, parfument son babil. Un nourrisson aux effluves prometteuses.

Et le jus si clair de Beauregard coule dans ma bouche, attaque suavement, puis se déploie comme un bébé tout rond. Ce vin est de chair mûre, de pulpe de pamplemousse et de citron, que resserrent leurs zestes. Une chair dodue, qui enfle au palais, s’ouvre et libère son cœur de fruits ensoleillés. Une chair ferme, finement miellée, déroule délicatement ses agrumes. Surgit enfin, relançant le jus crayeux, une lame tranchante ce qu’il faut, une acidité plus fraîche qu’agressive. Chablis sans conteste. Dans le fond du verre vide, quelques notes, aussi furtives qu’exotiques. Dans ma bouche désertée, le vin longuement se donne. Sur mes lèvres orphelines, il a laissé un peu de son citron salé. Un très beau bébé. Prometteur. Nul doute qu’il deviendra grand ce poupon de beaux raisins mûrs.

PS : Pour tout ce qui concerne le domaine, les pratiques culturales et le travail au chai, lire les très nombreux spécialistes de tout, et parfois de rien.

MOREY-COFFINET. CHASSAGNE-MONTRACHET BLANCHOTS-DESSUS 2011.

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Lire 2011.

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L’implacable douceur de Bach me berce.

Au dehors la pluie n’est pas en rythme, elle descend drue, une herse blanche qui vous tomberait dessus pour peu que, distrait ou amoureux des eaux du ciel, vous sortiez jouer et sauter dans les flaques en chantant sous la pluie. Mais cette dysharmonie me déplait. Alors Barber et son adagio à faire pleurer les âmes sensibles succède à Bach. La pluie peut se calmer, s’intensifier, passer à l’inondation, Barber s’en fout, il est hors des rythmes de la nature, c’est un cœur blessé qui se vide. Mais peu de cardiologues, de chirurgiens, voire de bouchers, faute de grives, me liront.

C’est à cet instant précis qu’une bouteille passe la porte de la cave, déboule à toute allure, freine et dérape, pour se retrouver dans mon bureau face à moi, la hanche mutine et le col provocant. Bien évidemment mon sang ne fait qu’un tour, m’inonde, je ne suis plus que turgescence papillaire. A l’idée de déflorer ce Blanchots-Dessus, je me retrouve sens dessus-dessous, déboussolé, désorienté, flatté même, à l’idée d’avoir été élu de la sorte par cette belle en cuisse sous verre. Sur le bitume au-dehors, la pluie martèle le sol en faisant de grosses bulles sales.

Alors je la déleste prestement de sa robe de verre fumé, et l’allonge confortablement dans le large cul spacieux d’une carafe accueillante. Là, elle prendra le temps de se détendre, de mesurer les conséquences de son acte, d’anticiper le plaisir qu’elle va prendre à donner. L’attente est jubilation.

2011 n’est pas un millésime “réputé”. Moi non plus, ça tombe bien. Entre demi-corps (le millésime) et le second couteau (mézigue) qui ne fréquente pas le gotha – tous ces gens de qualité avec lesquels on a, paraît-il, plaisir à partager de belles soirées, à discuter intelligemment de sujets importants, entre Précieux et Précieuses ridicules, autour de mets délicats et de belles bouteilles, le genre le soirées demi-mondaines qui me débectent – nous devrions nous entendre. Me voici donc, dessus ces Blanchots, à leur ôter leurs dessous, pour moi tout seul.

D’aucuns ont fui dès la troisième ligne de ce texte lue, d’autres peu après. Oui, mais il faut savoir attendre si l’on recherche le paroxysme, et ce billet n’est pas fait pour les lecteurs-dégustateurs-recracheurs précoces.

Le vin a reposé dans son berceau de verre et l’air l’a réanimé. Je gage – ce qui n’est pas sérieux pour un dégustateur impartial – que sous la robe d’or brillante, à peine bronzée d’ambre et de vert, d’exquis arômes se dégageront de cette appétissante chair nue.

Alors je ferme les yeux pour y plonger le nez. Le bois est encore présent, certes, mais sans être dominant, comme il peut l’être souvent sur les blancs de bourgogne, un peu faibles de corps, et “encercueillés” pour toujours. Le cap de l’élevage franchi, c’est une brassée fugace de fleurs blanches qui caressent l’appendice, auxquelles succèdent des notes de marc de raisin; c’est dire que le nez annonce déjà la puissance à venir en bouche. Enfin les fruits jaillissent du verre. Agrumes (citron mûr, pamplemousse), une pointe de kumquat aussi, fugace, que domine  généreusement la poire. Quelques notes d’infusions ensuite : tilleul, un peu, et surtout verveine/menthe. Puis c’est le petit matin du pâtissier qui survient avec ses effluves de brioche beurrée. Enfin les épices subtiles et le poivre blanc ferment la ronde.

L’attaque est suave et vive à la fois, et le vin donne de suite sa pleine puissance. Impressionnante présence de ce dessus, situé juste dessous le Montrachet. Oui, c’est un véritable envahissement que ma bouche subit, quand la matière du vin, onctueuse ce qu’il faut, n’en finit pas de se déployer. Le jus se “déplisse” littéralement, et sous chacun des voiles qui se déploient, les agrumes, les fruits jaunes, la poire, éclatent savou(amou)reusement. Le vin enfle à n’en plus finir.

Cela fait bien dix minutes que ce premier cru de Chassagne a passé la luette, pourtant il est toujours là, il s’attarde, interminablement, les épices douces, le poivre blanc, quelques beaux amers, une sensation “minérale” aussi, ainsi qu’une fraîcheur certaine, continuent de vivre, agaçant mes papilles. Agacement charmant, dont ma bouche ne se lasse pas … Et ma langue se régale du sel fin qui recouvre mes lèvres.

Je n’étais malheureusement pas en compagnie de convives exceptionnels, je n’ai pas eu le plaisir de partager, outre grands vins et jolis mets, leurs conversations, éclectiques et de haute tenue, autour de sujets importants en diable. mais cela ne m’a pas manqué.

Le vin, lui seul, m’a parlé, et m’a dit des secrets que je garde pour moi …

What do you want to do ?

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LAVILLE HAUT BRION 1951.

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Endormie pendant plus de soixante ans dans la cave obscure de la grand-mère de *********, cette belle assoupie se réveille entre mes bras. Dire que l’émotion me gagne est un bel euphémisme. Par pudeur, je ne vous dirai pas toutes les images, tous les sentiments qui m’ont envahi. Elles, ils, m’ont accompagné du premier regard à la dernière gorgée …

Et la voici cette bouteille de verre blanc, encrassée par la poussière déposée, que l’humidité a coagulée. Sous ses flancs Bordelais, ce premier cru de Pessac-Léognan au regard jaune prononcé, me regarde, hautain, hiératique, muet. Et c’est à moi, pauvre vermisseau égaré en ce début de vingt et unième siècle désolant, que revient l’honneur de lui faire la conversation.

Alors, avec délicatesse, j’entreprends de la décapsuler. Sous la lame précautionneuse de mon fidèle sommelier, je coupe sa collerette de métal ductile. Puis je la décolle et découvre une couche de dépôts noirs et collants qui masque le bouchon. Je nettoie religieusement la vieille bouche de verre de cette dame fragile, puis j’enfonce progressivement ma vrille de métal usée dans le liège humide et délicat qui protège encore cet élixir supposé. La surface du liquide est à deux centimètres de la base du bouchon. Une goutte de sueur tombe de mon front et trace une courte rigole sur l’épaule de l’espérée. Elle ne bronche pas. Le sommelier fait levier, lentement, très doucement le bouchon glisse. Jamais, je le confesse, je n’avais, à ce jour, dépucelé une douairière de cet âge … Au juste moment où j’extraie enfin la barrière liégeuse qui, depuis si longtemps, défendait son intimité, elle émet un discret chuintement de plaisir. En silence, moi aussi je soupire.

Mais il ne faut pas la brusquer, ni l’effrayer, alors je l’emmène un instant encore, reposer au frais, à l’abri de la lumière vive que le ciel, magnanime, enfin déverse, sur ce premier jour de vrai printemps. Une bonne heure, je la laisse déplisser ses atours. En l’attendant, je l’imagine, retrouvant sa jeunesse au contact de l’air frais, s’ébrouant, retrouvant sa beauté d’antan, la soie de sa peau et dans ses yeux qui s’entrouvrent, la vie qui renaît.

Dans le verre immaculé que j’ai soigneusement lavé et essuyé, elle s’étale. Sa robe de bronze patiné brille comme la cuirasse d’un centurion romain. Sur les parois de cristal, quelques larmes dessinent d’énigmatiques entrelacs. Je me penche, les yeux fermés, comme à l’habitude, concentré, recueilli. Superbe ce bouquet qui s’ouvre pour moi, de cire fine, de fruits éclatés sous le soleil ancien, de prune jaune, de miel fin, de jus d’abricot frais, de menthe écrasée, de fleur de genet, d’épices douces et de poivre blanc. Son mon nez en extase, le vin chante le « Gloria in excelsis Deo » de Vivaldi, d’une voix de jeune Diva dont les jeunes seins oblongs se soulèvent au fil du chant.

La belle ressuscitée a maintenant gagné ma bouche. Sa matière, grasse, onctueuse, aussi souple que la peau d’une amante comblée après la douche, enfle sur ma langue. Roule, me câline, et déverse sa crème de fruits jaunes et mûrs sur mes papilles conquises de douce lutte. La pêche et l’abricot, doux et frais, m’offrent leurs délices que les épices exhaussent. J’avale enfin ce nectar ancien au comble de sa jeunesse retrouvée, comme un miracle, une remontée du temps à rebours, que les humains jamais ne connaissent, prisonniers qu’ils sont du cours irréversible du temps.

Le vin s’en est allé réchauffer mon corps ravi. Dans ma bouche déserte, interminablement l’empreinte du vin demeure, qui se dépouille au ralenti de son fruit, comme une belle mutine qui se dévêt, pour me laisser enfin au palais, l’amertume subtile des noyaux de ses drupes. Son poivre blanc aussi.

Dans le fond du verre vide, les abeilles ont laissé un peu de leur cire. Dans le vieux flacon rigide, la jeune fille aux yeux dorés me sourit …