Littinéraires viniques » Christian Bétourné

MOREY-COFFINET. CHASSAGNE-MONTRACHET BLANCHOTS-DESSUS 2011.

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Lire 2011.

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L’implacable douceur de Bach me berce.

Au dehors la pluie n’est pas en rythme, elle descend drue, une herse blanche qui vous tomberait dessus pour peu que, distrait ou amoureux des eaux du ciel, vous sortiez jouer et sauter dans les flaques en chantant sous la pluie. Mais cette dysharmonie me déplait. Alors Barber et son adagio à faire pleurer les âmes sensibles succède à Bach. La pluie peut se calmer, s’intensifier, passer à l’inondation, Barber s’en fout, il est hors des rythmes de la nature, c’est un cœur blessé qui se vide. Mais peu de cardiologues, de chirurgiens, voire de bouchers, faute de grives, me liront.

C’est à cet instant précis qu’une bouteille passe la porte de la cave, déboule à toute allure, freine et dérape, pour se retrouver dans mon bureau face à moi, la hanche mutine et le col provocant. Bien évidemment mon sang ne fait qu’un tour, m’inonde, je ne suis plus que turgescence papillaire. A l’idée de déflorer ce Blanchots-Dessus, je me retrouve sens dessus-dessous, déboussolé, désorienté, flatté même, à l’idée d’avoir été élu de la sorte par cette belle en cuisse sous verre. Sur le bitume au-dehors, la pluie martèle le sol en faisant de grosses bulles sales.

Alors je la déleste prestement de sa robe de verre fumé, et l’allonge confortablement dans le large cul spacieux d’une carafe accueillante. Là, elle prendra le temps de se détendre, de mesurer les conséquences de son acte, d’anticiper le plaisir qu’elle va prendre à donner. L’attente est jubilation.

2011 n’est pas un millésime “réputé”. Moi non plus, ça tombe bien. Entre demi-corps (le millésime) et le second couteau (mézigue) qui ne fréquente pas le gotha – tous ces gens de qualité avec lesquels on a, paraît-il, plaisir à partager de belles soirées, à discuter intelligemment de sujets importants, entre Précieux et Précieuses ridicules, autour de mets délicats et de belles bouteilles, le genre le soirées demi-mondaines qui me débectent – nous devrions nous entendre. Me voici donc, dessus ces Blanchots, à leur ôter leurs dessous, pour moi tout seul.

D’aucuns ont fui dès la troisième ligne de ce texte lue, d’autres peu après. Oui, mais il faut savoir attendre si l’on recherche le paroxysme, et ce billet n’est pas fait pour les lecteurs-dégustateurs-recracheurs précoces.

Le vin a reposé dans son berceau de verre et l’air l’a réanimé. Je gage – ce qui n’est pas sérieux pour un dégustateur impartial – que sous la robe d’or brillante, à peine bronzée d’ambre et de vert, d’exquis arômes se dégageront de cette appétissante chair nue.

Alors je ferme les yeux pour y plonger le nez. Le bois est encore présent, certes, mais sans être dominant, comme il peut l’être souvent sur les blancs de bourgogne, un peu faibles de corps, et “encercueillés” pour toujours. Le cap de l’élevage franchi, c’est une brassée fugace de fleurs blanches qui caressent l’appendice, auxquelles succèdent des notes de marc de raisin; c’est dire que le nez annonce déjà la puissance à venir en bouche. Enfin les fruits jaillissent du verre. Agrumes (citron mûr, pamplemousse), une pointe de kumquat aussi, fugace, que domine  généreusement la poire. Quelques notes d’infusions ensuite : tilleul, un peu, et surtout verveine/menthe. Puis c’est le petit matin du pâtissier qui survient avec ses effluves de brioche beurrée. Enfin les épices subtiles et le poivre blanc ferment la ronde.

L’attaque est suave et vive à la fois, et le vin donne de suite sa pleine puissance. Impressionnante présence de ce dessus, situé juste dessous le Montrachet. Oui, c’est un véritable envahissement que ma bouche subit, quand la matière du vin, onctueuse ce qu’il faut, n’en finit pas de se déployer. Le jus se “déplisse” littéralement, et sous chacun des voiles qui se déploient, les agrumes, les fruits jaunes, la poire, éclatent savou(amou)reusement. Le vin enfle à n’en plus finir.

Cela fait bien dix minutes que ce premier cru de Chassagne a passé la luette, pourtant il est toujours là, il s’attarde, interminablement, les épices douces, le poivre blanc, quelques beaux amers, une sensation “minérale” aussi, ainsi qu’une fraîcheur certaine, continuent de vivre, agaçant mes papilles. Agacement charmant, dont ma bouche ne se lasse pas … Et ma langue se régale du sel fin qui recouvre mes lèvres.

Je n’étais malheureusement pas en compagnie de convives exceptionnels, je n’ai pas eu le plaisir de partager, outre grands vins et jolis mets, leurs conversations, éclectiques et de haute tenue, autour de sujets importants en diable. mais cela ne m’a pas manqué.

Le vin, lui seul, m’a parlé, et m’a dit des secrets que je garde pour moi …

What do you want to do ?

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LAVILLE HAUT BRION 1951.

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Endormie pendant plus de soixante ans dans la cave obscure de la grand-mère de *********, cette belle assoupie se réveille entre mes bras. Dire que l’émotion me gagne est un bel euphémisme. Par pudeur, je ne vous dirai pas toutes les images, tous les sentiments qui m’ont envahi. Elles, ils, m’ont accompagné du premier regard à la dernière gorgée …

Et la voici cette bouteille de verre blanc, encrassée par la poussière déposée, que l’humidité a coagulée. Sous ses flancs Bordelais, ce premier cru de Pessac-Léognan au regard jaune prononcé, me regarde, hautain, hiératique, muet. Et c’est à moi, pauvre vermisseau égaré en ce début de vingt et unième siècle désolant, que revient l’honneur de lui faire la conversation.

Alors, avec délicatesse, j’entreprends de la décapsuler. Sous la lame précautionneuse de mon fidèle sommelier, je coupe sa collerette de métal ductile. Puis je la décolle et découvre une couche de dépôts noirs et collants qui masque le bouchon. Je nettoie religieusement la vieille bouche de verre de cette dame fragile, puis j’enfonce progressivement ma vrille de métal usée dans le liège humide et délicat qui protège encore cet élixir supposé. La surface du liquide est à deux centimètres de la base du bouchon. Une goutte de sueur tombe de mon front et trace une courte rigole sur l’épaule de l’espérée. Elle ne bronche pas. Le sommelier fait levier, lentement, très doucement le bouchon glisse. Jamais, je le confesse, je n’avais, à ce jour, dépucelé une douairière de cet âge … Au juste moment où j’extraie enfin la barrière liégeuse qui, depuis si longtemps, défendait son intimité, elle émet un discret chuintement de plaisir. En silence, moi aussi je soupire.

Mais il ne faut pas la brusquer, ni l’effrayer, alors je l’emmène un instant encore, reposer au frais, à l’abri de la lumière vive que le ciel, magnanime, enfin déverse, sur ce premier jour de vrai printemps. Une bonne heure, je la laisse déplisser ses atours. En l’attendant, je l’imagine, retrouvant sa jeunesse au contact de l’air frais, s’ébrouant, retrouvant sa beauté d’antan, la soie de sa peau et dans ses yeux qui s’entrouvrent, la vie qui renaît.

Dans le verre immaculé que j’ai soigneusement lavé et essuyé, elle s’étale. Sa robe de bronze patiné brille comme la cuirasse d’un centurion romain. Sur les parois de cristal, quelques larmes dessinent d’énigmatiques entrelacs. Je me penche, les yeux fermés, comme à l’habitude, concentré, recueilli. Superbe ce bouquet qui s’ouvre pour moi, de cire fine, de fruits éclatés sous le soleil ancien, de prune jaune, de miel fin, de jus d’abricot frais, de menthe écrasée, de fleur de genet, d’épices douces et de poivre blanc. Son mon nez en extase, le vin chante le « Gloria in excelsis Deo » de Vivaldi, d’une voix de jeune Diva dont les jeunes seins oblongs se soulèvent au fil du chant.

La belle ressuscitée a maintenant gagné ma bouche. Sa matière, grasse, onctueuse, aussi souple que la peau d’une amante comblée après la douche, enfle sur ma langue. Roule, me câline, et déverse sa crème de fruits jaunes et mûrs sur mes papilles conquises de douce lutte. La pêche et l’abricot, doux et frais, m’offrent leurs délices que les épices exhaussent. J’avale enfin ce nectar ancien au comble de sa jeunesse retrouvée, comme un miracle, une remontée du temps à rebours, que les humains jamais ne connaissent, prisonniers qu’ils sont du cours irréversible du temps.

Le vin s’en est allé réchauffer mon corps ravi. Dans ma bouche déserte, interminablement l’empreinte du vin demeure, qui se dépouille au ralenti de son fruit, comme une belle mutine qui se dévêt, pour me laisser enfin au palais, l’amertume subtile des noyaux de ses drupes. Son poivre blanc aussi.

Dans le fond du verre vide, les abeilles ont laissé un peu de leur cire. Dans le vieux flacon rigide, la jeune fille aux yeux dorés me sourit …

SOUS LES TAGS AUSTÈRES.

Basquiat. Untitled.

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 A ce jour, je ne connaissais de ce Domaine réputé, que le Riesling Muenchberg VT 1990, sur la perfection duquel je ne reviendrai pas ici.

Depuis lors, ça a bouillonné longuement sous mon cortex, tout au fond du puits des âges, dans le reptilien, à l’insu de moi-même. Puis un jour, un lendemain d’hier, et une veille de demain comme les autres, un peu comme un gratteur de la Française des Jeux, que la joie de payer des impôts supplémentaires met en érection, depuis que les charmes de maman le laissent indifférent, irrépressiblement, j’ai commis ce qu’on l’on appellerait chez les psys d’obédience consumériste, un «achat d’impulsion», voire de con-pulsion…

C’est ainsi, qu’un carton des vins d’Ostertag a débarqué chez moi, un beau matin de Printemps. «Beau matin de…» c’est un cliché. En vérité, c’était un p…de matin de m…pisseux à souhait, un de ces matins, qui est à la carte postale printanière, ce que le Président est à la syntaxe. Du lourd, de l’énorme, comme on se plaît à dire, à tous les coins de bistrots à la mode de chez eux.

Fin de l’intro.

Voilà que ça re-drache depuis quelques jours. Les nappes phréatiques sont à la fête, elles se gavent. Les «caramuchamboles», qui z’ici ne sont pas de Bourgogne, sont de sortie. Ils ont jeté leurs K-Ways. Toutes cornes dehors, ils broutent herbes et feuilles, grasses et humides. On les entend chanter le jour, les joies mouillées du printemps. Leurs traces, comme autant de lames flasques, zèbrent les ténèbres de mes nuits sans lune, de virgules argentées. Le soir, je poursuis mon voyage immobile au pays d’Ostertag et me faufile, effrayé, entre les branches noires des vignes torturées, qui écorchent ses étiquettes, comme autant de tags désespérés. Derrières les ceps noirs, sidérés comme des statues en douleur, sous les cicatrices obscures, dont les cris figés griffent les étiquettes vertes ou bleues, les eaux cristallines de ces vins aigus, invariablement, m’enchantent. Ils sont en harmonie avec les eaux, que les cieux déversent. Seules leurs robes, jaunes et pâles des étés finissants, me parlent des soleils à venir, embusqués sous les nuages d’Avril.

«Les sanglots longs des violons

de l’automne,

Blessent mon cœur d’une langueur

monotone.

Tout suffocant et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens des jours anciens

Et je pleure,

Et je m’en vais au vent mauvais

Qui m’emporte,

Deçà, delà, pareil à la feuille morte.»

Ailleurs, très loin, sous les rayons brûlant du printemps ensoleillé, aux confins du désert, la belle endormie s’éveille. Dans sa gorge asséchée coule la menthe chaude du petit matin. Elle s’étire lentement, et s’offre aux charmes épicés du jour nouveau… Tous l’attendent, l’espèrent, peu la verront. Dans ses yeux, clignotent encore, les lueurs étamées de la nuit. Son image lointaine se dilue, dansante, dans les mirages de la place Djemaa el Efna.

De la pluie des uns naissent les soleils des autres.

Fin de l’intro 2.

Pinot blanc Barriques 2007 :

Fermentation et élevage en petites barriques de chêne de 228 litres. Un vin à la robe jaune pâlot, brillante. Au nez, beurre frais, fruit blanc, citron, fraîcheur. En bouche, l’attaque est grasse, puis vive, très vite. La matière, bien ronde, est entièrement dédié à la pêche blanche et au citron, marqué par l’amertume de son zeste. L’acidité découpe littéralement la matière et met en relief ses composants. Le gras qui enrobe le tout, en assure l’unité et l’équilibre. La finale, plus que correcte, dégage le vin de ses «apparences», et révèle son essence épicée et minérale. Sur une terrine aux deux saumons, noyée dans les herbes, le vin s’est échappé de la bouteille!!!

Riesling Vignoble d’E 2007 :

La robe or pâle est brillante et lumineuse. Au nez, ça fleure blanc (aubépine), fruits jaunes, amande, citron très mûr. La bouche est ample intense, soyeuse, la matière est fondante et douce. On y retrouve les fruits mûrs, pêche et exotiques. Une touche de SR, que l’acidité équilibre à merveille. Un vin très pur, très bon, qui coule à grands flots de la bouteille au verre.

Riesling Fronholz 2007 :

Que d’la cuve. Il paraît qu’en Alsace, Fronholz fut vin de pierre, et ce bien avant que la mode ne soit au minéral à tout-vat!!!

Qu’aurais-je bien pu dire à l’aveugle de ce vin, que je ne connaissais pas???

A condition de n’avoir pas les yeux bandés – certains intégristes le font – j’aurais décrit la robe et brodé sur le jaune, pâle comme une incertitude d’adolescent. J’y aurais vu une belle limpidité et des reflets vert-argent. Facile..

A condition de n’avoir pas le nez bouché par des cotons mentholés – certains fondamentalistes le font – j’aurais tiré et retiré sur l’appendice, consciencieusement, et n’aurais point trouvé de ces parfums terpénés, qui vous emmènent en ces contrées sauvages, des derricks desquelles, jaillissent des geysers de riesling, à résoudre les plus terribles crises pétrolières. Non point. En revanche, je n’aurais pas hésité à vous parler de pureté et de fraîcheur olfactive, de finesse, d’amande fraîche, d’agrumes confits, de jus de citron et même de mangue rôtie. Humm!!

A condition de n’avoir pas la langue cousue au palais, et les gencives rétrécies au lance-flamme – certains jusqu’au-boutistes l’osent – j’aurais délicatement porté le verre aux lèvres. La matière, ronde et immobile sur le creux de la langue, j’aurais attendu un instant, qu’elle me dise ses secrets. Là, dans l’intimité de notre conversation, j’aurais senti sa caresse, à peine grasse. Ensuite la boule aurait éclaté, sous la poussée brûlante et poivrée, presque pimentée, d’une acidité intransigeante, qui aurait, de sa lame effilée, taillé à grands coups, la pêche blanche et la mangue chaude. Sentez les fruits juteux à la chair tendre et fragile, exploser sous les assauts de la lame et les SR aussi!!! La bataille est brève, furieuse, et vous laisse en bouche, ce que l’on a coutume d’appeler chez les initiés, qui savent de quoi ils causent, l’équilibre. Résigné, j’aurais avalé cette belle élégance, qui se serait attardée, mutine, aux quatre coins de ma bouche, la caressant et la quittant, comme à regret, lentement, tel un reflux ralenti. Au creux de mon estomac, le vin aurait laissé sa trace. Cette fameuse pierre, celle qui aiguise la lame, aurait laissé la brisée, longuement en moi, de sa présence chaude. Avec les dents qui craquent, comme au sortir de chez le dentiste.

A condition de n’avoir pas été inspiré par le Dieu Bacchus – certaines sectes le sont – je n’aurais pas trouvé la clé du mystère. J’aurais eu l’air con mais pas plus que vous tous…. Mais je vous aurais dit combien j’aurais – enfin, j’ai – aimé, ce style…et ce vin.

Riesling Muenchberg Grand Cru 2007 :

Rêveries d’avant boire. Le chant des mots.

Un vin de scène?? Puisque ses vignes croissent, et prospèrent, sur un magnifique coteau de grès rose en amphithéâtre, situé plein Sud dans une vallée au pied des Vosges, sur la commune de Nothalten? Pourvu que ça ne sur-joue pas…

Un vin de moines montagnards?? De la rudesse, de l’austérité, de la spiritualité, de la pureté, de la tension, de l’élan vers le haut? Ces moines blancs aux scapulaires noirs, Cisterciens donc, en l’abbaye de Baumgarten, pas vraiment des rigolos… L’ordre promeut en effet, ascétisme, rigueur liturgique, et érige, dans une certaine mesure, le travail comme une valeur cardinale; ainsi que le prouve son patrimoine technique, artistique et architectural. Dès le XIIéme siècle, ils couvrent de vignes, l’amphithéâtre au sol de poudingues, sortes de conglomérats volcano-détritiques de tufs et de cendres. Certainement pas un vin de moinillon replet?? Un vin de la plus «stricte observance» sans doute?

L’épreuve de l’œil. La robe est belle, pure, d’or pâle aux reflets brillants. Le vin colle aux parois de verre, avant de redescendre à regret, en larmes grasses et serrées. A contre-jour, comme une esquisse à la va-vite, du Pont du Gard.

L’épreuve du nez. Une impression générale de profondeur et de richesse. Complexe aussi. Quelques notes fleuries que je ne parviens pas à nommer, comme un effluve d’élixir de pétrole ensuite, de l’ultra raffiné, puis un mélange subtil d’agrumes et de fruits jaunes, de prune, additionné d’une touche de miel. Ni austérité, ni rigueur extrême, ni minéralité débordante. Pas vraiment Cistercien! Mais un bel équilibre olfactif.

L’épreuve de la bouche. L’attaque est douce, moelleuse sur la confiture d’abricot. Insensiblement, le noyau de fruits jaunes, fond en bouche. Le vin devient intense, sans perdre de sa rondeur. Du cœur des fruits, sourd une très belle acidité, rehaussée d’épices chaudes et de poivre blanc. Le vin, est d’une précision certaine, il file droit, dynamique, strict mais généreux. La finale s’étire longuement, le vin se tend, se dépouille et découvre tout à la fin sa trame minérale, son «austérité», élégante et racée en quelque sorte…

Le vigneron, ses vignes qu’il biodynamise, les sols, les souvenirs des moines qui planent et veillent sur leurs terres, je ne sais, je les ai imaginés, accompagnés, tout au long de ce voyage sous verre. Toutes ces bouteilles ont une vibration particulière, qui me dit qu’en Alsace, il faut absolument que sucre et acidité s’épousent…

Les quelques jours passés dans les creux effilés de leurs cols m’ont appris, si besoin était, que rigueur est sœur d’exubérance.

Et plus encore que j’aimerais bien croiser André.

ESIMOTÔTTIDITCITEAUXCOBUNE.

ROCK QUI ROLL AND RÂLE-MOPS…

Depuis mille neuf cent cinquante et des béquilles, plus aucune génération n’a eu le talent d’inventer un courant musical digne de supplanter cette musique qui roule, avec autant de rage-amour-talent-furie-larmes-sang, les fulgurantes, les enivrantes, les désolantes, les abominables, les stupéfiantes, les saintes, autant que les diaboliques, errances humaines sur cette boule – bleue de peur de l’homme – qui tourne comme une obstinée, dans cette putain de galaxie perdue dans l’Univers. Je ne sais si l’œil de Dieu, en ce temps d’un autre siècle, était sur eux, mais de son doigt qui a touché Adam, il a subjugué Buddy Holly et lui a susurré «Peggy Sue»!!! De la même façon, sûr qu’il était dans le pelvis d’Elvis, quand il éjaculait «See see rider», car Jéhovah a créé la verge pour qu’elle fulmine, donne et dévore la joie!

Que le braquemart dérouille divinement, quand on lui gratte célestement les cordes…

 Tout ça pour dire que le miracle ne s’est plus reproduit depuis lors. Des resucées, des mièvreries, de l’Electro fadasse, de la House lénifiante, de la musique en purée lyophilisée, du Rap de rebelles à bretelles, plus putes du système que véritablement novateurs, gourmettes, fourrures customisées et bagouzes de haut goût. Pour toute création musicale, trois notes frustes, un rythme primaire qui fait son binaire basique, et plus que tout, haine de pacotille, femmes humiliées, ravalées, viandes crues qui se dandinent et s’exhibent, comme dindes promises à la broche. Quand «Johnny be Good» tourne au Johnny be gode… Et cette avidité affichée pour l’Avoir, le toujours plus, protéiforme. Ah misère glauquasse, mort des idéaux, cimetière des éléphants fragiles, généreux et fantasques!

Les générations se sont empilées. Grands pères, fils, filles et petits enfants, assiègent encore, en grappes soudées, les vieux concerts des ancêtres parcheminés, qui griffent de leurs doigts arthrosés, les cordes rutilantes de leurs guitares «vintage». Sans doute ne tronchent-ils plus, à médiators rabattus, les groupies hystériques et palpitantes, au pied de leurs autels païens, mais leurs riffs intacts, leurs soli métalliques ou soyeux, leurs rythmes telluriques, renversent toujours autant, les jeunes corps trempés, qui ondulent en cadence sous leurs briquets hurlants de larmes, au souvenir navré des enfants nouveaux qui ne sont jamais nés. Le Néo siècle n’est plus à la fureur de vivre, de fulgurer comme phosphore corrodant. Les petits archanges modernes sniffent leurs rails étriqués en baillant d’ennui, et se pâment, frileusement engoncés dans leurs certitudes rosâtres, plus libérales que généreusement incandescentes. Sous leurs écouteurs, dégoulinants des mayonnaises douceâtres que déversent les nouvelles stars des ondes étroites, ils s’isolent et communient, fascinés par leurs nombrils, seuls derrière les écrans tristes de leurs oripeaux gris standardisés, hors de prix. Lobotomisés de tous les pays, unissez vous pour vous acheter sur Internet des neurones en solde. Pas étonnant qu’on ne joue plus du Live Speed Destroy! Faut avoir de la fibre, du matos sous la calebasse, l’envie de voler, et de l’amour en réserve, pour que ça parte en feu d’artifice. Les Dieux pardonnent aux follets qui osent s’écarter des cohues melliflues.

Jagger is not over!!!

 Le temps a passé, dans ma vie comme dans mon verre, trop vite. Les mots coulent, du bout ma de plume à bout, exacerbés par la musique de ces Séraphins pas tout à fait déchus. Très tard mais jamais trop, la soif de vivre me reprend, brutale, violente, exigeante, impérieuse.

Pause et douceur de la musique du vin.

 Du fond de l’enfer passager dont je m’extrais à grand peine, je regarde le verre patient, beau comme une danseuse de Flamenco aux mains de colombe sacrifiée. Sombre, ivre de vins ténébreux, le Toréro va peut-être mourir? C’est à un vin du Roussillon que je demande la joie ce soir. Une de ces bouteilles judicieusement oubliées qui m’extirpera de cette Apocalypse insignifiante. Sur l’étiquette, sobre d’avant les modes – coïncidence ou conséquence, je ne sais plus – est écrit : Domaine Sol Payre «ATER Noir» 2001.

Sans atermoiements, une robe très «Ater», plus noire que l’atroce, plus obscure que la plus hermétique des chambres. «Niger» sous le rayon plongeant de la lampe certes, mais résolument mate en lumière ambiante. Définitivement «tenebricosus». Une âme que rien ni personne n’éclaircira jamais plus. Même le temps n’y a rien pu. Elle le traverse comme un jus d’âtre qui jamais ne trahira personne. Aucune trace «Rufus» ne l’altère. Elle est robe immuablement fuligineuse. De celles qui inquiètent la Mater, réjouissent le Pater et assurent l’universalité de leurs désirs d’en être. Loin d’être à terre, elle reste insondable, charbonnée comme le plus pur jais d’une étoile maudite.

Tu m’étonnes que peu lisent ce genre de conneries absconses, surtout pas les minettes roses… Elles y perdent leurs deux doigts de marketing fleuri et leurs babils charmants!

Ouvert et attendu un jour. Bien m’en a pris. C’est une profusion d’arômes qui me ravit. La violette ouvre le bal des maudits, suivent des notes empyreumatiques et de fruits rouges. Un nez qui chante l’Alléluia du Roussillon quand il est bon!!! Le temps, s’il a épargné la robe profonde, n’a pas oublié d’emmener le vin vers l’automne. C’est le temps de la bascule vers la terre grasse, l’humus et le champignon. S’ajoutent à la danse des notes de vieux cuir et de garrigue fatiguée par le soleil. Tout cela, fondu comme un motet de Tallis, chante à l’unisson le grand air du vin abouti.

La matière est puissante mais le toucher de bouche est de velours. Le vin gronde puis se déploie, gourmand. Les fruits noirs, les pruneaux cuits fondants, donnent de la rondeur. Chocolat et café dansent une Salsa poivrée. La finale est longue, l’alcool, transmuté par l’âge, laisse longtemps au palais des souvenirs perdus, la trace prégnante d’un vieux Porto.

Puisse ma plume, cracher, éructer, hoqueter encore un temps, les mots de rage dévorante et de sang frais, que m’inspire la vieille musique intemporelle des enfants fous des années soixante dix!

* Font chier ces # cons à la mode!

Et pour finir en beauté, un morceau d’une prometteuse petite, très bien accompagnée. Du pur, du dur, sans fioritures, sans concession, qui pulse à la vie plus qu’à la mor

EVOLMOCATINICOQUENE.

LE RÊVE DE LOTHAIRE.

romanesco

Fractal vegetable – Par Rum Bucolic Ape sur flickr – licence CC BY-ND 2.0.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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D’un geste, aussi sec que précis, Lothaire poussa la porte et entra dans la boulangerie bondée. Noël approchait et cela se sentait. A la différence des jours ordinaires, l’atmosphère y était plus détendue. Les clients souriaient, certains se parlaient, d’autres plaisantaient avec la boulangère. Cette femme replète, souriante, affable, prenait son temps, répondant à l’une, plaisantant avec l’autre. La boutique se remplissait mais personne ne récriminait, les gens attendaient, se sentaient bien, il faisait chaud, l’air embaumait la farine fraîche, la crème pâtissière et les viennoiseries au sortir du four. Le boulanger arriva. Vêtu d’un short sans âge, d’un marcel fatigué, les bras et le nez blanchis par le froment, il portait d’une poigne solide une grande panière pleine de baguettes chaudes. Et l’odeur du pain frais, à la croûte craquante, du pain cuit à point, un mélange de farine, de levure, de noisette grillée, se répandit dans l’air, submergeant l’odeur des corps propres du dimanche matin, les fragrances lourdes des déodorants et des parfums capiteux.

Dans la bonne humeur générale, Lothaire, visage fermé, le corps un peu crispé, semblait aussi à l’aise qu’un glaçon dans une bassine d’eau chaude. Autour de lui, instinctivement, les clients s’écartaient légèrement, de sorte qu’il était le seul à bénéficier d’un espace conséquent. Le boulanger, dont les pommettes rouges perçaient le visage enfariné à la façon d’un clown blanc débonnaire, lança un bonjour sonore à la cantonade. Une vague de réponses chaleureuses lui répondit et les visages s’éclairèrent un peu plus encore. Seul le glaçon ne réagit pas. Autour de lui, un peu gênés, on grimaça mais personne ne dit mot.

Lothaire était entré dans l’âge des douleurs installées, sa main droite tremblait fort quand il la libérait, Parkinson gagnait du terrain. Son septième lustre était derrière lui depuis cinq ans, sa silhouette avait perdu de sa droiture, la pesanteur devenait plus forte que son caractère, la vie le courbait. Derrière les apparences physiques, son caractère inflexible demeurait et s’accentuait même, son peu d’appétence au spontané, alliée à son goût excessif pour les règles et règlements, allaient en s’aggravant. De l’inflexible il passait à l’acariâtre. Avec son collier grisonnant un peu plus dru au menton, il avait tout d’un directeur d’école du temps passé, des années blouses grises, quand la règle cinglante faisait saigner les doigts.

Il posa un euro sur le comptoir et d’une voix forte, mince et coupante, sans un bonjour, le regard dans un ailleurs sinistre, il lança sans plus de s’il vous plaît : “Une tradition !”.  La boulangère le salua ostensiblement, le servit puis épela presque son merci. La boulangerie se taisait. Lothaire se tailla un passage vers la sortie sans regarder quiconque, sans un au-revoir il ouvrit la porte d’un geste brusque et sortit violemment. Le caquetage reprit derrière la vitrine embuée. Quelques personnes chuchotèrent des propos désobligeants.

La pièce était dans la pénombre en plein jour. Certes, le ciel couleur de suie n’arrangeait rien mais la teinte marron brûlé des murs, contre lesquels s’adossaient de lourds meubles Henri II, mangeait la lumière fusse t’elle de plein soleil, si bien qu’il faisait jour d’hiver même en été. Sur un coin du bureau de chêne noir aux pieds torsadés reposait une bouteille d’un whisky de marque au trois-quarts vide, ainsi qu’une soucoupe de glaçons noyés dans leur eau.

Lothaire, lui, se noyait lentement dans le verre posé sur l’accoudoir de son fauteuil de cuir fatigué par des années de fesses lourdes, elles aussi exténuées, écrasées, distendues par le temps passé sur cette peau tannée, sans doute celle d’un buffle noir d’Afrique foudroyé par une balle de gros calibre.

Son passé lui tenait lieu d’avenir. Lothaire n’attendait, n’espérait plus rien de la vie. Comme si la vie n’avait que ça à foutre ! S’en venir aux pieds du septuagénaire, lui présenter ses hommages respectueux et lui recharger la boite à désir, en déroulant devant ses yeux méfiants et dédaigneux l’infini des possibles !!! Le décoré des palmes académiques avait une telle opinion de lui-même – il était pétri de tant de certitudes qu’aucune évidence n’aurait pu contrarier qu’il trônait, chroniquement insatisfait, s’étonnant que le monde et sa proche banlieue ne se prosternent pas devant ses pantoufles éculées.

Il avait bien eu un chat, il l’avait appelé “Moncha”, un tricolore coupé, un bestiau devenu borgne à la suite d’un différent orageux avec un matou de gouttière, un soir – la seule fois d’ailleurs – qu’il avait osé s’aventurer hors du logis. Ce chat était la copie conforme de son maître absolu, son miroir, auquel il renvoyait sa parfaite image, reflet que bien sûr, l’académique palmé ne voyait pas, empêtré qu’il était dans le nœud de mensonges qu’il prenait pour sa vérité. Moncha vécu dix ans, chichement nourri des reliefs de repas que Lothaire daignait lui céder. C’est dire qu’il ne prit pas de poids, sa fourrure un peu rêche flottait sur son squelette aux os saillants. Jamais il ne reçut la moindre caresse, ni ne fut autorisé à ronronner sur les genoux pointus de son maître. Chacun sait qu’un chat qui ne ronronne pas est un chat malheureux. Mais Lothaire s’en fichait, l’animal n’était pour lui qu’une chose animée, la seule qui bougeait autour de lui. Cette simple présence vivante lui suffisait.

Un soir, un peu plus abruti qu’à l’ordinaire par l’alcool dont il avait mécaniquement abusé, il tomba, passablement imbibé, entre ses draps et s’endormit d’un sommeil aussi  lourd et tourbé que son whisky. La bouteille vide, posée de guingois sur un tas de papiers entassés au fil des jours, finit par glisser et déflagra sur le carrelage douteux. Elle explosa en mille éclats comme autant de diamants scintillants. Dans la pièce plongée dans le noir, chichement éclairée par la lumière blafarde d’un réverbère proche, on aurait pu croire que le ciel et ses étoiles venaient de s’abattre sur le sol. Lothaire ronflait comme une Buick des années soixante, le nez écrasé contre le coin de la table de chevet, son souffle chargé faisait trembler le napperon de dentelle de Calais sur lequel était posé un  réveil Jazz, la grande aiguille, décrochée par le temps, gisait, un peu tordue,23 derrière le verre épais.

Un énorme chou Romanesco se dressait devant lui, un Everest végétal d’une parfaite élégance. Un légume d’un vert fluorescent, à la structure approximativement fractale, dominant Lothaire de toute sa masse, et dont les hauteurs disparaissaient dans le coton de nuages blancs qui le couronnaient. Le soleil rasant accentuait la beauté inquiétante du spectacle, les ombres ponctuaient les flancs réguliers de cette étonnante montagne, vivante de combes profondes qui semblaient abriter d’invisibles monstres. Le souffle coupé, Lothaire tremblait de joie et de peur mêlées devant cette étrange Babel, dont les rotondités multipliées à l’identique s’élevaient en spirales régulières vers l’invisible sommet. Quelque chose d’indicible le poussait impérativement à gravir la montagne verte. Il se sentait étonnamment jeune et agile, lui qui n’était plus qu’un vieillard souffreteux, au souffle court, aux articulations arthrosées et aux chairs ramollies.

Il escalada les premiers petits tétons allègrement, tout en chantonnant d’une voix de fausset les premières notes de “Sambre et Meuse”, non pas qu’il eût l’esprit guerrier, non, simplement parce qu’il aimait le côté immédiat et entraînant des chants militaires en général. Au premier virage il se retrouva face à face avec “Moncha”, tout jeune, tout fringant, avec ses deux yeux retrouvés. Assis sur le cul l’animal semblait l’attendre. En voyant apparaître Lothaire, il se leva, s’étira en bâillant pour venir ronronner entre ses jambes, puis il fit demi-tour, attendant que son ancien maître le suive. Lothaire n’en revenait pas, lui, l’ancien redoutable directeur d’école passablement détesté qui avait terrorisé des générations d’écoliers à coups de règle sur la pulpe des doigts, se voyait, le cœur joyeux, escaladant un gigantesque massif verdelet avec pour seul guide de haute montagne, un chat tout juste pubère ! Ils grimpèrent ainsi, l’homme derrière le chat pendant des heures. Pas essoufflé pour un sou Lothaire jeta un regard vers la plaine, la tête lui tourna, le paysage tout en bas ressemblait à Lilliput, il fut surpris, alors il leva la tête, les nuages s’étaient rapprochés, il se rendit compte qu’il avait faim. C’est à ce moment précis qu’ils tombèrent nez à nez avec un énorme puceron d’au moins vingt kilos. Moncha lui sauta sur le dos – un vrai tigre ce Moncha –  d’un coup de dent il saigna la bête qui s’écroula en couinant, tandis qu’un flot de sang céladon giclait du cou tranché. Moncha mordit allègrement dans la chair fraîche, détacha un large steak qu’il déposa aux pieds de son maître. Lothaire trouva la viande crue délicieuse, verte à souhait, elle lui laissa en bouche un goût de chou bio très agréable. Assis au bord de la paroi, ils reprirent des forces.

Le soleil était au zénith, malgré l’altitude la température agréable leur réchauffa le corps. Le chat allongé près de Lothaire ronronnait – très fort pour un chat pensa Lothaire – qui s’aperçut que le matou avait pris de la taille et du poids, il ressemblait à un petit fauve et valait bien quatre chats ordinaires maintenant. Son regard aussi avait changé, par instant, à contrejour surtout, une lueur cruelle traversait la citrine de ses yeux, de ses grosses pattes jaillissaient spasmodiquement des griffes noires longues comme de petits poignards. Lothaire caressa la tête de l’animal. ! Il aurait pu y poser les deux mains, même trois, sans pour autant la recouvrir ! Mais cela ne l’inquiéta pas, Moncha avait fermé les yeux, son ronronnement, certes un peu rauque, un peu sonore, était celui d’un bon chat heureux. Tous deux s’assoupirent le ventre plein sous le doux soleil de cette étrange nuit.

Et Lothaire fit un rêve. Assis près d’un bureau de chêne noir dans une pièce tapissée de marronnasse, il se voyait sirotant un whisky en pleine nuit. Dans un panier à chat s’entassaient un monceau de bouteilles vides et de sécrétions félines momifiées. Lothaire chercha l’animal du regard, fit quelques bruits de bouche pour l’attirer, rien ne se passa, il appela, Moncha, Monchaaaa, toujours rien, pas l’ombre d’un chat dans la maison. A la fin de la bouteille, passablement remonté, il décida de châtier le matou insolent qui osait lui résister. Titubant, la cuisse molle et la démarche zigzagante, il se heurta aux murs, rebondit d’une paroi à l’autre, jusqu’à ce qu’il s’écroule comme une viande morte sur un lit étroit – par chance il s’affala dans la longueur, en travers il se serait retrouvé les dents brisées sur le carrelage ! – au milieu d’une pièce en désordre qui lui sembla familière. Il ronflait comme une chambre à air crevée bien avant que sa tête ne roule sur l’édredon kaki.

Le jour s’était couché quand ils se réveillèrent, le ciel était bleu d’encre, le soleil avait fermé son œil blond, mais il restait parfaitement visible au plein centre du ciel. Ni lune, ni étoiles, ce que Lothaire ne remarqua pas d’emblée. Moncha allongé contre la paroi verte dépassait d’une tête son maître assis près de lui, sa toison tricolore ne l’était presque plus, le fauve avait mangé les autres couleurs, des rayures noires étaient apparues sur ses flancs. Lothaire ne s’en étonna pas plus que ça, il se leva, appela Moncha Montigre. Point ! Ils se remirent en route.

Ils serpentèrent des jours, des nuits aussi parfois, dévorant de temps à autre un puceron. Les insectes qu’ils rencontraient apparaissaient toujours quand la faim les gagnait. Comme par enchantement. Et ils étaient de plus en plus gros. Ils en vinrent à devoir en dévorer deux, Montigre mangeait pour quatre, sa tête affleurait le haut de la poitrine de son maître, il devait bien faire une petite centaine de kilos. Outre son pelage fauve rayé de noir, il avait pris du poil, de la moustache, de la barbichette, de longs fils de fer blancs pointaient de chaque côté de sa grosse gueule aux puissantes mâchoires. D’un coup de patte fulgurant, il abattait les pucerons qui devenaient eux aussi monstrueux. D’énormes blattes blanches aux chairs quasi liquides faisaient parfois leurs délices, leurs cuirasses craquantes avaient un délicieux goût de chocolat ! Une seule fois, mais cela faisait des jours qu’ils gravissaient le Romanesco, ils se retrouvèrent face à face avec une limace bleue, grosse comme une génisse qui sortait d’un creux sombre, ou d’une caverne peut-être, entre deux monticules de taille moyenne. Montigre la trucida prestement. Le chat avait encore grossi, il était devenu si fort que son coup de patte désinvolte renversa la limace aussi facilement que Moncha le faisait du bouchon avec lequel il jouait dans son jeune âge, du temps où il était encore vivant. Ses griffes éventrèrent le stylommatophore, libérant un flot de bébés rouges en gestation. De vraies friandises dont ils se régalèrent avec des mines de chatoune après qu’ils eurent – Montigre surtout – déchiqueté la molasse indigo à grands coups de mâchoires avides. Le sang bleu inonda la chemise crasseuse de Lothaire, ce qui lui conféra une certaine noblesse à laquelle il ne s’attendait pas. Dès lors Montigre, devenu vaguement menaçant à son encontre depuis quelques jours, se radoucit, baissa la tête, vint se frotter contre son maître comme il le faisait dans la vraie vie et pendant les premiers jours de leur trekking.  Montigre était devenu si gros que Lothaire en tomba à la renverse, ce qui le fâcha, il cria très fort en menaçant de l’index l’animal qui s’aplatit au sol comme un chaton docile. Lothaire poussa in petto un ouf de soulagement, car il avait bien senti monter la tension, surtout quand la faim les prenait. Il l’avait échappé belle.

Alors il rit nerveusement. L’écho de son rire, réverbéré par la montagne végétale, résonna comme le buccin des armées romaines au sommet des alpes. Montigre se roula dans la glu bleue en ronronnant tout aussi fort que la forge de Vulcain.

Plus le temps passait, plus Lothaire se mélangeait les consciences, rêve, réalité, nuits-jours, jours-nuits, il ne savait plus bien distinguer le vrai-faux du faux-vrai. Et le vrai du faux encore moins. Quant à l’irréalité de ce soleil qui ne se couchait jamais mais qui se fermait comme un œil en plein milieu du ciel, alors là ??!! Il se posait aussi le problème de sa propre identité ! Qui était-il en vérité, où allait-il, cherchait-il quelque chose, se cherchait-il, était-il vivant, mort ? Tout cela faisait dans son esprit fatigué une bouillasse informe, un magma psychologico-dépressif qui aurait fait le bonheur d’un psychanalyste urbain. Et ce Moncha devenu super tigre, dont il avait cru, plus les jours passaient, qu’il deviendrait sa proie, ce Montigre devenu doux comme un chaton à cause du sang bleu de sa chemise. Valait mieux oublier. Trop compliqué pour lui, fatigué comme il l’était, et continuer à gravir ce foutu légume vert sans s’encombrer de questions pseudo-philosophiques. Quand le “pourquoi gravir ce putain de chou vert, nom de Dieu ?” lui titilla le cervelet, il s’ébroua en grommelant et reprit un embryon visqueux, un mort-né, rouge comme une fraise des bois, que Montigre, nuque basse, poussait vers lui délicatement. Ces choses gluantes étaient délicieuses, de vrais bonbons chargés d’énergie, ça le requinquait drôlement, au point qu’il se demanda si les bestioles n’étaient pas bourrées d’une came inconnue, une de ces drogues qui infestent les rêves. Et les cauchemars plus encore ! Mais ces idées là, comme les autres, il les envoya se faire penser ailleurs !

Le ciel immobile demeurait immensément vide. L’oeil du soleil s’ouvrait et se fermait régulièrement, il se tenait au centre et ne bougeait jamais. Aucun chant d’oiseau, ni arbres, arbustes, pas même de ces végétations minimales que l’on trouve en haute altitude. Lothaire par moment était pris à la gorge, l’angoisse le paralysait presque, dans ces moments là il titubait péniblement derrière Montigre, il aurait bien donné deux limaces grasses et trois pucerons dodus, pour entendre quelques secondes gazouiller une ou deux mésanges et voir, très haut dans le ciel bleu saphir, planer trois aigles, au pire deux vautours. Ils voyageaient au pays de l’immuable muet, Lothaire vivait par moment un véritable enfer. Pourtant ils avançaient, Montigre chaloupait en souplesse, Lothaire se traînait de plus en plus, l’air se raréfiait, il respirait difficilement et s’arrêtait de plus en plus souvent. Montigre le réchauffait de son mieux, il grelottait dans sa chemise bleue que le chat reniflait régulièrement pendant qu’il entourait son maître en s’enroulant autour de lui. Niché au creux de l’animal, entre les pattes avant et arrière, Lothaire disparaissait, la chaleur âcre de Montigre le revigorait un temps. Tous les soirs, abruti de fatigue, inquiet et amaigri, il s’assoupissait sous la couette vivante, bien au chaud contre le cœur de l’animal dont les battements, sourds, lents, réguliers, l’envoyait illico rejoindre cet affreux rêve récurrent dans lequel, invariablement, il s’enivrait et s’endormait comme un sac de plomb dans cette saloperie de sinistre chambre, la sienne, la vraie, à moins que ? Rêver de dormir d’un sommeil sans rêve, quoi de plus stupide se disait-il tout en ronflant dans son songe, tandis qu’il respirait le musc puissant du Montigre de son cauchemar.

Au soir d’une journée harassante, au cours de laquelle, sous l’œil livide du soleil décoloré ils avaient enfin atteint les premiers lambeaux de nuages, à la seconde près où le quinquet stupide accroché au ciel fermait son unique paupière, un scarabée doré, véritable mastodonte de chitine crissante déboucha d’un virage. Il était si massif qu’à chacun de ses pas sa carapace arrachait d’énormes lambeaux de chou, il décapait la paroi, faute de quoi il serait tombé dans le vide comme un blindé déséquilibré par son poids. Montigre bondit, pour la première fois le combat fut aussi rude qu’incertain. Les griffes du chat glissaient en faisant un bruit horrible, la cuirasse de l’insecte géant résistait, les crocs pointus, eux aussi dérapaient, n’arrivaient pas à trouver la faille pour s’enfoncer dans l’armure. Khépri le scarabée se secouait pour projeter son agresseur dans le vide, le chat glissait, se rétablissait difficilement, rugissait de colère et glapissait de peur à la fois. Puis il se mit à faire des bonds terribles sur le dos de la cétoine en furie, il sautait de plus en plus haut, retombant de tout son poids, la carapace craquait mais tenait bon. Alors Montigre fit un saut prodigieux, il monta si haut que Lothaire pensa qu’il était retombé dans le précipice. Le scarabée baissa la tête et Montigre, pattes écartées et griffes sorties, s’écrasa sur la jointure fragile au ras du thorax. Le coléoptère eut beau déployer ses élytres pour dégager ses ailes membraneuses, il était trop tard. Décapité, foudroyé, il s’affala sur le côté pour ne plus bouger. Montigre épuisé par le combat se coucha, ses côtes battaient, sa respiration sifflait, son épouvantable haleine empuantissait la scène et les alentours. Lothaire avait suivi le combat, sidéré à en oublier de respirer, la tête lui tournait, il était rouge comme un embryon de limace bleue, quand il se rendit compte qu’il était en train de mourir. Lentement, le ciel verdissait, Romanesco jaunissait, la Cétoine bleuissait bizarrement, Montigre tournait à la souris grise. Juste avant de sombrer, par reflexe, il ouvrit grand la bouche, l’air s’engouffra dans ses poumons en faisant un bruit de cornemuse. Il tomba sur le cul et crut voir le chat sourire.

Ce soir là après sept jours d’escalade, ils firent gogaille, bombance, ce fut une vraie ribote ! Ils commencèrent par le cou, se régalant des chairs drues de l’insecte, cheminant mâchoires grandes ouvertes dans le corps du scarabée, se gavant à dégobiller, avalant sans presque mâcher, jusqu’à atteindre le cœur encore palpitant de leur proie pour boire goulûment le sang chaud et opalescent qui jaillissait comme une fontaine dorée. Paradoxalement, le jus bouillant chargé de vie et d’énergie les rafraîchit. Arrivés au fond de la carapace close qu’ils venaient de vider, ils s’affalèrent, poisseux et satisfaits. En guise de dessert, ils vidèrent les pattes, de l’intérieur, aspirant avec délices les derniers fragments de chair tendre. Leur goût âcre et réglissé leur tint au palais, plus longuement que le plus exquis des nectars de Bourgogne. Après qu’ils eurent vomi un peu du trop plein ingurgité, ils s’allongèrent côte à côte au fond de l’épaisse grotte de chitine et s’endormirent d’un sommeil lourd, comme deux gloutons rassasiés dans la chaleur douce du cataphracte mort.

Au petit matin, le ventre douloureux, la bouche pâteuse, Lothaire s’extirpa du corps de l’insecte en rampant. Au centre du ciel de charbon mat l’œil était encore fermé, une lumière grisâtre tenait lieu de nuit, laissant à peine deviner l’insondable abîme dont il ne voyait pas le fond. La montagne-chou était noyée dans un épais brouillard qui courait en langues fumeuses sur ses flancs proches du sommet, l’air figé était glacial mais il ne le sentait pas le froid. Quelque chose en lui devait avoir changé, il se sentait différent, mais cela était confus, il ne comprenait pas, son corps lui semblait celui d’un autre.

L’œil s’ouvrit d’un seul coup, son or réverbéré et amplifié par la carapace flavescente du grand scarabée, illumina les lieux, éblouissant Lothaire qui dut se protéger du revers de la main. C’est alors qu’il vit “cette” main, sa “nouvelle” main, elle avait bien doublé ! Puis il remarqua sa chemise bleue, elle avait éclaté et pendait en lambeaux sur son torse musclé tapissé des mêmes longs poils noirs qui recouvraient ses mains. Son pantalon en loque lui arrivait aux genoux. Quand il se passa la main dans les cheveux, il crut caresser une touffe de fils de fer et se piqua les doigts. Sur son index perla une goutte de sang violet. Une tornade intérieure l’emporta, il leva les bras vers le ciel et se mit à hurler d’une voix surpuissante “Je suis l’implacable, le cruel, l’immonnnnnde ! Je suis Lothaire l’Archange maudit, le régénéré, le fils du grand œil livide, l’enfant de la montagne d’émeraude, le ressuscité des Enfers du bas, j’ai vaincu les pucerons géants, j’ai dévoré la grande limace bleue et sa portée incarnate, j’ai terrassé l’invincible Cétoine, je suis le maître des monnnndes, l’empereur du futuuuur, le mutannnnt, le définitiiiif !”. Rugissant à plein poumons, Montigre, à son côté ne lui arrivait pas même aux genoux. Sous la puissance de son cri les nuages rétrécirent comme peau de chagrin, se rétractèrent, s’effilochèrent, s’invaginèrent, Romanesco apparut dans toute sa majesté.

Lothaire n’en crut pas ses yeux, le massif n’avait pas de sommet, il était parfaitement plat, désert comme une immense plaine circulaire sur laquelle on eut pu bâtir plusieurs Babylone.

Madame Simone reposa son couteau et le gros chou Romanesco qu’elle venait d’étêter d’un coup de poignet précis. Elle entrouvrit la porte de la chambre, le vieil ivrogne allongé à moitié nu sur la largeur du lit dormait comme un sonneur, en grommelant des mots embrouillés qu’elle ne comprit pas. Elle referma la porte en murmurant des choses peu aimables et s’en retourna à sa cuisine.

Lothaire, au bord de cette mer, blanche comme glace figée, ne bougeait plus, ne comprenait pas, tout cet immaculé avait quelque chose d’effrayant. Montigre, avait disparu. Tout était calme, silencieux, le sol vacilla sous lui, il se rétablissait de justesse au bord du gouffre, quand le ciel, ou du moins sa moitié crut-il, s’affaissa d’un coup. Le soleil reflété par la surface de ce demi-monde s’écroulant l’aveugla, la montagne fut coupée en deux au  ras de ses pieds, puis tout explosa en morceaux. Lothaire tomba dans le vide. Indéfiniment, en hurlant de terreur.

Simone reposa son grand couteau, éparpilla les tronçons de chou dans un faitout, puis éteignit  l’ampoule nue qui pendait au plafond de la cuisine. Dans la chambre d’à-côté elle entendit crier le vieux.

LA LUMIÈRE S’EST PERDUE

Sergey Fesenko. Noir pailleté d’ambre et d’or.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Le climat est à l’enfer et les loches paressent

Elles rodent affamées autour des coraux morts.

Le soleil dilaté mange l’hiver fragile

Les îles affligées sous l’azur implacable

S’étalent et se fanent, leurs cimes enneigées

Dans la mémoire éteinte des hommes oublieux

Dansent lentement. Doux souvenirs ombreux.

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La nuit on entend rire le cœur des pendules

La chouette s’est tue et le hibou s’endort

Aux confins des étoiles le vent des solitudes

A cessé de souffler, entre les mondes morts

La lumière s’est perdue.

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Où irons-nous pêcher si les amours pâlissent ?

Dans les ondes putrides

Où nage la sylphide

Dont le grand œil purule ?

 

 

 

LA VIE EST REVENUE.

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Le dragon de l’Île de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Jamais je n’aurais dû, assis sur cette berge,

Écouter ce dragon aux écailles d’argent,

Il pleurait tout son soul sa vouivre aux yeux de braise,

De ses grands yeux rubis coulaient des larmes d’or.

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Il me dit que la nuit quand le soleil s’endort,

La lune en habit blanc cache au creux de son sein,

Sa belle évanouie emportée par la mort,

Ses émeraudes pâles, sa poitrine d’airain.

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Triste, je regardais se perdre les eaux vertes,

Sous le vieux pont de pierre, le dragon épuisé

Soufflait comme un martyr. Par la fenêtre ouverte,

Les branches du grand saule, au vent se balançaient.

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Puis le soir est tombé, les étoiles pleuraient,

Je me suis à nouveau assis au bord de l’eau,

Grenouilles et crapauds, l’un sur l’autre enlacés,

Chantaient des airs aigus, cambrés comme des arceaux.

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Je me suis relevé, le dragon efflanqué,

A l’haleine fétide, avait brulé ma peau,

Je l’ai pris dans mes bras, l’ai porté sur mon dos

Nous nous sommes envolés jusqu’en haut du clocher.

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Quand la nuit s’est enfuie, les cloches ont sonné,

La terre s’est ouverte, la vie est revenue.

LES LOUPS AUX YEUX FARDÉS.

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La De fait sa louve.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Le long du pelage des loups aux yeux fardés,

Le vent court qui glace le sang noir des humains.

J’irai lécher leurs dents, caresser leur pelage,

J’irai les embrasser longtemps à plein museau,

J’irai baver ma bile sur leurs proies exsangues,

Ils me regarderont, leurs regards seront fous,

Nous écouterons ensemble mugir les tempêtes,

Le noroît gémira à éclater les troncs.

Nous gémirons de peur, j’arracherai mes doigts

Nous gratterons nos dos aux arbres hérissés,

Les grand lacs gèleront, les cygnes en mourront.

Ils me diront sais-tu, je ne répondrai pas,

Et quand nous aurons faim, nous saignerons la lune,

Nous serons bien, ailleurs, perdus dans le grand nord,

A déchiffrer le temps au lichen des arbres.

Mais quand les ours noirs affûteront leurs griffes,

Ivres, en grommelant ils chargeront en bande,

Alors les loups et moi nous ne ferons plus qu’un,

Nous les dépècerons, nos crocs seront si longs,

Si rouges de leurs vies que nous boiront leurs âmes.

Nous ferons des enfants et ils auront leurs gemmes,

Et les pierres précieuses qu’ils sèment sous leurs pas,

Ils seront tous si beaux que tu en pleureras,

Ils apprendront à lire aux racines des bois,

Ils mangeront leurs pères, et maudiront leurs mères,

Dans le lit des rivières ils pêcheront leurs rêves,

Hurleront des cantiques sauvages et pleins d’effroi.

Regarde les courir ces pauvres innocents,

Avec leurs mains si pleines, la folie verte au ventre,

Leurs cils bruns plus longs que quatre cent éons,

Un cerf à la lisière mort de les avoir vus,

A bramé bien plus fort que tous les soirs de rut.

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Ô toi qui sais, toi qui vis, toi qui pries, si fort,

Dis moi encore, oui, avant que ma vie ne défaille

Qu’au long des steppes folles, je connaîtrai les loups.

SOUS LA TERRE CERCUEIL.

L’avoir été de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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L’ancien âge est un âge dont nul ne sait jamais,

Ce qu’il est, a été, ou bien ce qu’il sera,

C’est un mythe rassurant, un refuge niais,

La caverne d’Ali, le royaume des babas.

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L’ancien temps est un temps où les vieux étaient frais,

Mais le présent des vieux est un bouquet fané,

Du bout de leur pinceau, ils prennent les couleurs,

Dans la mémoire obscure des souvenirs en fleurs.

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Le passé disparu, passé décomposé,

Il croupit tout au fond des jarres empilées

Sous les strates épaisses et les murs écroulés

 Sous la terre cercueil des mensonges exhumés.

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Les grains de sable blanc continuent de couler

Dans le sablier d’or perdu dans les allées,

A l’ombre des vieux chênes où j’allais reposer

Les filles impermanentes rient à gorge emperlées.

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Les yeux blancs du  ciel fauve, de jour comme de nuit,

Reviennent à jamais dire aux hommes implorants,

Que le jour flamboyant, que le noir de la nuit,

Sont plus clairs, bien plus clairs, que les yeux des amants.

LA DERNIÈRE GORGÉE DE VOSNE APRÈS MA MORT…

Edvard Munch. Autoportrait à la cigarette.

M’enfin …

Le printemps, ce temps des énergies fleuries de la terre en joie, n’est pas pour demain. Et le ciel grisouillant, qui laisse sourdre régulièrement ce crachin glacial de ses nuées létales, l’atteste. La nuit, à moitié blanche, a passé. Saloperie de crève qui s’en va et qui revient, faite de petits riens et de quintes cuivrées, pas floches du tout … A contrario, dans l’azur limpide des valeurs rétamées, étalées, Shakira, nous dit-on, sera bientôt faite Chevalier des Arts et Lettres. Des Arts Siliconés et des Lettres Botoxées. Chevalière des enflures en quelque sorte ! Après la lourde Stone et le piquant Charden, mis à l’Honneur, récemment, par la Légion, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles aux cimes des vanités conquérantes. Sur la côte Italienne, le lourd paquebot des Croisières (dés)organisées, à trop vouloir s’exhiber aux yeux des peuples des rivages protégés, s’éventre, comme une bedaine gonflée de victuailles accumulées, sous le scalpel des rochers affleurants. Fidèle aux mœurs courageuses du temps, le capitaine a quitté le navire bien avant ses passagers. Que lui reprocher, quand la Finance impavide, au nom du veau d’or, étend sa toile sur le monde, assassine les peuples, tient les politiques à la gorge, place ses hommes de paille à la tête des états, et bâillonne les Nations …

Dans le jardin, les étourneaux avides, chassent les mésanges bleues, épouvantent les chardonnerets gracieux et se bourrent la panse de lombrics aveugles, qui pointent le bout de leur prostomium entre les herbes gorgées d’eau, anciennement lustrales. Pigeons et tourterelles, eux mêmes, n’osent approcher. Les fauvettes affamées, branchées alentours, frissonnent sous leurs plumages hérissés. Aux branches tordues, comme pendus agonisants, du pommier noir et nu, des boules de graisses lanternent, qui leur sont destinées. Du pain sec égrugé, des graines pilées aussi. Tout est sous contrôle des rapaces aux ailes tachetées, pas un accès qui ne soit interdit aux moineaux fébriles. Ça délocalise à mort et ça se gave à tout va …

Fractales.

Au bout de sa galerie, dans un petit bruit mou, Fion le lombric, aspirateur aveugle, bute sur une paroi de bois dur. Dans le parallélépipède de chêne clos, le choc résonne lugubrement. Le corps sans vie, bordé de soie grège ourlée de dentelles kitsch, ne frémit pas. Dans les chairs putréfiées, les asticots au turbin qui gigotaient à tout va, se figent un instant, hilares. Encore un végétarien de passage, se disent-ils, en rigolant de leurs voix aiguës, crachant de ci de là quelques purulences goûteuses, gorgées d’humeurs putrides. Fion le purificateur ne rétorque pas, le temps, son allié, mangera le bois, lui ouvrira le chemin, bien après que les vers insolents et leur charogne auront disparu. De l’autre côté de la boite, Glibou la taupe, lancée à toute allure qui creuse sa galerie à grands coups de griffes, s’écrase, comme une balle molle, sur le flanc de bois dur. La bougresse, grossière comme un convers chaste, lance un chapelet de jurons gras, terrifiant les esches qui se figent une seconde dans les graisses coulantes. Tiens, v’là la grosse qui s’écrase la tronche de l’autre côté des planches, hurlent-ils en bavant. Enfer et putréfaction, puisse t-elle s’exploser le pif et se casser les arpions la bouffie pelue, braillent-ils en chœur ! On ne le sait guère, mais les petits équarrisseurs ne manquent ni d’humour pesant, ni de mordant, ils ont la répartie facile et le verbe cruel. Dans l’obscurité humide des sols tendres, les nettoyeurs opalescents, minuscules et fragiles, ne craignent personne, et leur faconde dévastatrice en éloigne plus d’un. Pourtant, au bout de leur ouvrage, ils finissent par éclater sous la dent d’une musaraigne de passage, ou empalés, pantelants, à l’hameçon d’un pêcheur.

Ainsi va la vie de l’asticot vorace,

Croquera bien qui sera croqué …

Sur le panka noir hivernal, la lune, pleine et blanche comme un œil à moitié dévoré, mange le ciel, et porte les ombres des cyprès sur les tombes muettes du camposanto. Leurs croix de pierre, rongées par un lichen verdâtre, implorent les cieux, sans espoir, comme des mains blessées. Au secret des regards humains, dans les basses vibrations, succubes et incubes, boufres et furies, tournent et errent, à la recherche des âmes perdues, accrochées à leurs sépulcres de pierre, comme des huîtres à marée basse. Quelque milliers de hertz plus haut, en compagnie d’ectoplasmes de même classe, l’âme d’ACHILLE plane, insensible aux miasmes inférieurs en maraude, et peine à poursuivre son ascension. C’est que la transition est une dure épreuve. Le détachement est lent, progressif, douloureux. Achille, de son regard privé de vue, scrute le cercueil qui renferme sa dépouille incarnadine dévastée, ce véhicule fidèle qui l’a servi, supporté ses faiblesses, ses écarts, tout au long de sa vie sarcoplasmique. Et le voici maintenant, atone, gisant, flasque, dégorgeant ses humeurs faisandées, aux ventres avides des esches frétillantes. La carogne le tient toujours à cœur, il peine à la quitter. Il a beau savoir qu’il lui faut s’en défaire pour mieux la retrouver une prochaine vie, il la regrette et se lamente encore. En silence. Les vortex lumineux ont beau le frôler, le traverser, l’illuminer, leurs motets sublimes psalmodiés, le ravir et le nourrir de pures images apothéotiques, misérable, tout encore habité de sentiments humains, il résiste. Des brassées d’images le traversent, l’inondent, le bouleversent.

Alors, une dernière fois il s’accroche à un souvenir et retourne en pensée tout en bas …

Tremblante et partiellement délitée, l’évocation de cet écrin de verre opaque, plein de ce sang vermeil qu’il aimait tant à boire, peine à se matérialiser une fois encore, à ses yeux disparus … C’était un triste soir d’hiver, sinistre, venteux, glacial. Sur le cuir patiné de son bureau de vieux bois usé, trônait un verre à long pied surmonté d’un large cul de cristal fragile, aux formes pures et élégantes. Le rayon étroit de la lampe posée à ses côtés, se diluait en d’infimes subtilités, concentrées dans l’épaisseur du verre, jusqu’à l’éblouir. Prémices aveuglantes du plaisir à venir. Lentement, le jus roula en lacis gras, épousa la courbe du verre, qu’il remplit à moitié. Le bas du coteau de Vosne Romanée lui souriait en ce printemps 1996, images fugaces de quelques jours heureux. Sous les feuilles des vignes riches des sucs épais de la terre, au paroxysme de la sève montante qui lui agaçait aussi les reins, les gros raisins verts et durs n’étaient pas loin d’entrer en véraison. « Aux Réas », climat du Domaine Bertrand Machart de Gramont, au terme des vingt cinq années échues, se reflète, ce soir d’avant, sur le lac incarnat, transparent et brillant, qui étale sa surface ronde au centre du verre. Immobile, sous la lumière coruscante, il joue comme un peintre des nuances franches du grenat lumineux et des ondes rosées frangées d’orange foncé, qui roulent dans ses plis. Achille tressaille, quand au premier nez, le fumet puissant du gibier corrompu le renvoie à sa dépouille. Mais cela ne dure pas. La rose fanée déplie ses pétales labiles, le cassis frais la suit, puis le cuir gras d’une vieille selle se mêle aux fragrances légères d’un sous bois humide. L’âme retombée, vacille et se pâme comme au temps anciens de ses plaisirs profanes, sa voix à jamais perdue murmure les mots des amours oubliées. La fraîcheur du jus tendre surprend Achille, comme si tous les vins de sa vie de viande morte se rappelaient à lui ; le vin délicat lui remplit la mémoire de sa bouche absente, puis se met à enfler. La modeste gorgée devient rivière de fruits rouges qui roule au palais et lui caresse la langue des épices douces qui sourdent de son centre. Lentement le vin roule dans sa gorge. Sa dernière avalée, si longue, à ne jamais la quitter, s’éternise (sic). Mais sa mémoire s’épuise. Les puissances du haut l’aspirent violemment. Il s’accroche encore un instant, le temps que se dissipe la réglisse et que viennent lui dire adieu les tannins, fins comme capeline, qui lui parlent, à la coda, des calcaires sous marnes argileuses …

Qu’il a tant aimés …

Dans un imperceptible bruissement, il a disparu.

En bas, sous la dalle, les asticots redoublent de voracité !

 

EMORATIMOLIECONE.