Littinéraires viniques » Christian Bétourné

COLIBRI JOLI …

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La De et ses plumes.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Amour velours de Colibri,

Oiseau joli,

Envolé à tire d’aile

Au lever du soleil,

Quand le froid est tombé,

Chape de glace rose,

Au petit matin.

Chagrin.

Va, vole,

Virevolte,

Butine, tartine

Toi de pollen,

De vents odorants,

D’oiseaux charmants,

Oublie ce gland,

Seul l’écureuil

Peut le croquer,

Et tu le sais …

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Comme un cobra,

Clé de sol dressée,

Tendue, pointée,

Vers le cul nu,

Des souvenirs

Échus, Déchus.

Triste menhir,

A défaillir

Tu ne pourras,

Le temps te ronge,

Le temps t’écrase

De tout son poids.

Au fond de la mine,

Plus de charbon,

De coke ou de houille,

Ne reste que la peau

De pauvres couilles

Flétries …

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Et le granit s’est délité,

Le colibri s’y est posé,

Si beau, si doux,

Et ses plumes électriques,

Ont allumé

Le vieux rocher.

Pauvre lutin,

Trop aigre-doux,

Ta vieille trique,

Flasque burin.

La brise froide,

Le vent glacé,

Va te tuer,

Et tes ruades,

N’y peuvent rien.

Le soleil tombe

Et tu succombes,

Le temps te plombe …

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Tu es si beau,

Toi bel oiseau,

Si fin, si vif,

Tu n’es pas fait,

Pour vivre en cage,

Trop de plumages,

Multicolores.

Autour de toi,

Ça brame à mort,

Et même les chants,

De Maldoror,

N’y feront rien.

Inutile de te voiler,

L’âme et le corps,

La pauvre plume

Pas très pointue,

Ne griffe plus …

 

LE OUISTITI.

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Le ouistiti de La De.

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Il a voté pour le régime de bananes,

Tout jaune, tout gros, tout odorant, dodu à craquer,

Il se fait une joie du festin à venir.

Là-haut entre les larges feuilles luisantes,

Qui ronronnent, dolentes, en haut du bananier,

Les bananes opulentes le regardent et sourient.

Ils les épluche du regard, tremble et balbutie,

Les avale, anticipe, sa glotte se trémousse.

Déjà sur son palais ça vanille bien gras,

Ses boyaux à la fête, déjà son ventre est plein.

Au pied du bananier, c’est une grande troupe,

On vocifère, comme un essaim de guêpes folles,

Les uns de fédérer les autres de diviser,

Le ouistiti a peur de ces singes énervés,

Il a quitté la scène, renoncé au banquet

Qu’il promettait de faire. Au fond de la forêt,

Il attend patiemment que le drame se dénoue.

Alors les clans hurleurs, à grands coups de crocs blancs,

S’étripent et se lacèrent. Les babouins aux dents jaunes,

Les bonobos paisibles, macaques et capucins,

Orangs-Outangs cruels et même les gibbons,

Se joignent à la lutte. La cervelle en compote.

Bientôt, les cadavres en tas noirs s’amoncèlent,

Les combattants faiblissent, les rescapés renoncent,

Les bananes flambantes, personne n’y a touché.

Les arbres sont muets, la faune s’est terrée.

Le ouistiti malin a grimpé en chantant, le régime lui tend

Ses fruits de pulpe tiède. Le petit prend son temps,

Entre ses doigts gourmands, délicats et charmants,

La chair, au goût de joie, qu’il déguste en riant.

LA CHATTE DE MON VOISIN…

 Mirjam Duizendstra (The Netherlands) – Friends

Sabatino lève la tête quand il monte l’escalier, à l’assaut, comme un vieil hussard flétri.

A se luxer les cervicales. «Hélicoïdal», ce mot lui vient à l’esprit, chaque fois qu’il pousse ses mollets maigres dans l’escalier. Ça l’envole, ça le met en lévitation, ça le charme, ça l’enchante, parfois même, ça lui donne une petite érection. Furtive, douce, intellectuelle… Marche après marche, il gravit son Golgotha, tous les jours, enfin, tous les soirs, en rentrant du boulot. Sa nuque raide le fait souffrir à chaque fois, mais tant pis, il lève quand même la caboche, stoïque comme un Épictète modeste, obsolète, ringard, hors course. Pas une Sophia à se mettre sous la dent, que dalle, le néant, la solitude, le soliloque, le sinistre vide couilles des soirs blêmes. Il bute régulièrement sur la troisième marche, fléchit sur ses quadriceps malingres, mais se redresse au prix d’un effort qui le mange. Sa nuque n’a pas ployé pour autant, hypnotisé qu’il est par l’axe de l’escalier, qui monte droit au sommet de l’immeuble, tandis que s’enroulent, en spirales parfaites, les cercles de métal aux airs penchés, striés d’escadrins, comme la flèche centrale d’un nautile fossile.

La perfection du colimaçon, l’enchante.

A sa façon, Sabatino est un céphalopode. Comme le nautile, il est solitaire, caparaçonné, il vit dans la chambre du haut, juste après que la dernière volée de marches lui ait mis le cœur dans la bouche, grande ouverte, respirant comme un aspirateur fou, la suée au front, et le dos trempé. La jambe tremblante, il agrippe la rambarde de ses doigts blancs et minces, et penché au dessus du vide, il repart à nouveau, tout là-bas, dans les Fidji, tandis qu’il halète, le regard fixé sur l’axe de cuivre patiné qui plonge dans le vide, piqué de ses arcs de bois parfaitement ordonnés. Souvent, à ce moment de sa journée, il pense à sauter par dessus le garde-fou, vers l’Australie…. Remis de son chemin de croix, Sabatino glisse la clé dans la serrure, d’un mouvement doux, presque retenu. Derrière la porte, assise comme un culbuto sur son large cul, Jeannine, sa compagne, l’attend. Il fait silence avant d’ouvrir, histoire d’entendre le doux ronronnement de la bête, ce chant familier, quotidien, qui finit d’apaiser son mauvais cœur de poulet de batterie, martyrisé par la montée des degrés. Le pêne grince, comme le souvenir mortel qui le taraude nuits et jours. Chaque fois qu’il pousse le vieux battant de bois de la porte qui mène à son enfer paisible, il la voit la Jeannine, telle qu’elle était. Ses cheveux courts, son sourire d’amour tendre, la ligne gracieuse de ses hanches douces, ses cheveux en queue de canard, soyeuse mais drue, derrière sa nuque gracile, qu’il aimait plus que tout à pénétrer d’un doigt léger, pendant qu’elle lui parlait, ce babil doux qu’il n’écoutait pas, tant il dégustait, se repaissait, se roulant dans la houle de bonheur qui le submergeait à chaque fois.

A ce moment de la journée, ses yeux de chair défaillent et son troisième œil, celui des amours mortes, perce la matière dense de la réalité obtuse. Il croit léviter et touche au sanctuaire précieux des heures anciennes. Elle est là, tapie dans le temps arrêté, hologramme vibrant, vivante, la sorcière qui lui a lui vidé l’âme à tout jamais. Dans les rides tourmentées qui lui enfoncent les yeux, au coin de son orbite flasque et rougie, une grosse perle de phlegme, fragile comme un pleur honteux, ne roule pas. Puis le mirage récurrent se brouille, la matière reprend ses droits, l’amour de sa vie disparaît. Face à lui Jeannine la dodue, enroulée dans son épais manteau roux, rayé d’ivoire natif, le regarde fixement. Elle sait, elle a toujours su. Son œil vert mort d’amour comprend et cligne, complice. Un seul miaulement, bref et doux, venu du fond de son pelage, comme un reproche compréhensif, l’accueille. La chatte sait son malheur. Magnanime, elle lui pardonne son égoïsme aveugle, qui la voit si peu. Chatte n’est pas jalouse, elle est boule et muscles tendus à la fois, elle passe de l’extrême tension, au relâchement instantané. En une fraction de seconde. Jeannine est pleinement vivante, changeante comme un ciel sous le vent, simplement. L’instant d’après, elle est chairs apaisées bourdonnantes.

Sabatino s’écroule toujours d’un coup, pas comme le mur de Berlin. Il se liquéfie, sans plus de forces, dans le sofa verdâtre, qui l’absorbe comme une pieuvre décomposée, et sur lequel, toutes les traces de sa vie gluante s’étalent multicolores, depuis qu’il a déchiré tous les calendriers. Sur une caisse de bois retournée, sa montre, au verre brisé, disparaît sous une crasse, grasse de poussière et de vin séché. Son désespoir, constamment, l’écrase. Il pèse, lourd, froid, côtes rompues et désirs disparus. Réservoir vide, moteur éteint, culasse grippée. Derrière son visage de cire tourmentée, l’hébétude lui serre les os, comme l’eau d’un lac gelé. Alors Jeannine s’approche et le regarde, les jarrets ployés, la tête perdue dans la fourrure, attentive et patiente. Telle Bastet la discrète Égyptienne, elle est joie et chaleur constante, hiératique, éperdue. Sabatino bat furtivement des paupières, c’est le signe. Elle bondit souplement sur sa poitrine qu’elle recouvre largement, pattes écartées, museau enfoui comme pour un baiser, dans l’échancrure de la chemise, souillée par trop de chagrins, arrosés à s’arracher la vie. Jeannine est un kalanchoé vivant. Comme une éponge de fourrure aimante, elle absorbe et transmute les souffrances qui rongent la vie de son amour humain, elle est l’acide bienfaisant qui le délivre, le temps que le temps s’arrête, un peu. Il dort, entre parenthèses, muscles dénoués, apaisés. Son haleine puante agite les moustaches de Jeannine, comme un pet putride qui se serait trompé de chemin. La nuit absorbe la ville. Par la fenêtre, les battements électriques d’une enseigne qui bégaie en grésillant, strient le visage ivoirin de l’homme sidéré. La lame bleue, froide et têtue, arrache à ses yeux éblouis qui ne se ferment plus, une douleur irradiante qu’aucune larme ne vient plus calmer.

Puis la minette, rassasiée de nuages noirs, s’en va plus loin, libre, la queue ondulante, laissant sur la poitrine de Sabatino sa trace invisible. Le froid monte et submerge bientôt ce dernier îlot de tiédeur nourrissante. Alors viennent les raideurs craquantes et les saignements impromptus du corps en détresse. La mollesse le gagne, l’engourdit de ses charmes vénéneux, son corps affaibli se crispe, le forçant à se réfugier dans l’inexpugnable donjon de ses souvenirs immuables. Sabatino n’est plus qu’un corps mourant, au creux duquel, dans les profondeurs satinées d’au delà des apparences, brille encore, lumière infime, la mèche opiniâtre, rebelle et fragile, d’un espoir insensé.

Oui, il s’accroche de toute sa volonté restante, au mépris de la vie qui le fuit en rigoles écarlates, à la croyance impossible, au retour possible de l’amour de sa vie. Derrière la basane ivoirine de sa peau racornie, il respire, à petites goulées prudentes, immergé dans son âme recroquevillée, au fond, au fin fond de sa conscience intacte. La Charogne entropique le guette, prête à bondir, qui suppute un renoncement imminent. Mais il la connaît cette Garce goulue, cette Parque patiente, cette Camarde retorse; et son sourire, aux crocs jaunis par les viandes tuméfiées, qu’elle se complait à écraser, lentement, en bulles grasses, pour en faire jaillir les humeurs putrides dont elle aime à se gorger. Intérieurement (in petto, one more) Sabatino sourit. L’antidote, le jus de vie qui repoussera encore un peu, cette garce des ténèbres à l’affut, est prêt! Il est là, brillant du rouge incarnat des vignes, qui palpite à son côté. Le diamant pur du verre miraculeusement immaculé, contraste avec la sordidité ambiante. Une lumière bilieuse perce à peine la paroi souillée de l’unique ampoule, qui pend du plafond, comme un chancre à point. Par les fentes des fenêtres disjointes, un filet du blizzard glacial qui souffle en ce début décembre, joue avec la cloque phosphorescente qui balance au bout de son fil tordu, comme un pendu en loques à Montfaucon. Le halo conique de lumière cireuse dessine dans la robe du vin des arabesques délicates, qui mêlent aux ondulantes lueurs carmines, des grenats sombres, profonds comme le regard furieux d’une panthère en chausse-trape.

Un jour ancien, tout proche pourtant, il rencontrait J.P Charlot, impressionnant sumo vigneron, dans sa cave de Volnay. Lui, petit patachon vif-argent et l’imposant double-pattes, s’entendirent comme larrons, entre les bouteilles généreusement ouvertes. Jeannine, bouche bée, les écoutait ferrailler habilement, verbe haut et regards complices. Sur sa joue, tandis qu’il s’agitait, il sentait la chaleur douce de son regard noisette-pistache grillée. Tout cela surgit, entre deux secondes, du verre qui tremble convulsivement, au bout de sa senestre froncée. La vigueur et l’envie lui reviennent un peu, il se redresse, regarde le disque parfait du vin ridé par sa faiblesse, et ferme les yeux. L’effluence de pureté le frappe, ce fumet sans odeur qu’il a toujours recherché, et rarement rencontré dans les verres, est là. Oui, ce «parfum» inexistant, cette idée abstraite mais vivante, qui, de son aile si subtile, ordonne les fragrances à venir, les rassemble sans les mélanger, les fond «démocratiquement» dans un parfait équilibre olfactif, EST LÀ! Sous sa baguette invisible, montent en légions, touches de cerise au kirsch, arômes de fruits rouges en compote, senteurs de réglisse en bâton, fumets de poivres frais concassés. Petits bonheurs, furtifs, d’une rare intensité pourtant, comme si la vie lui ranimait l’esprit et lui rapetassait le cœur.

Au coin opposé de la pièce, Jeannine, en boule, extatique, sphinx rasséréné, ranime son basson profond.

Sabatino prend son temps, savoure ce moment – précieux comme le sourire si tendre dont elle l’enveloppait – qui anesthésie son inextinguible peine. Le sourire, qui étire ses lèvres, gomme les outrages de son visage ravagé, que le meilleur scalpel ne pourrait ragréer. Derrière ses paupières closes, brille l’éclat d’une joie. Dans le petit matin d’un été chaud d’antan, il glisse sa menotte dans la main chaude de son père… Enfin, ses lèvres accueillent le buvant du verre, qui tinte sur ses dents, tant sa main trémule. Une gorgée de ces jeunes «Épenots» roule, fraîche comme fruits de printemps, dévale la pente râpeuse de sa langue sêèhe, bute sur le fond de sa gorge et revient, comme un reflux gourmand, s’étaler et oindre son palais. La matière du Pommard 2008 s’ouvre et lâche ses fruits rouges en tresse, son cuir frais et sa jeunesse, puis enfle et lui emplit la bouche de tendresse liquide, comme si les forces telluriques, inondaient son corps flasque d’énergies bienfaisantes. Proches de Beaune, les Épenots sont enjôleurs… L’adolescence du vin, généreuse, l’emberlificote dans sa pureté élégante, sa tension, et sa force encore contenue.

À l’avalée, le vin glisse, soyeux, sur ses imperceptibles tannins lisses, et renvoie Sabatino à son Karma.

Le vin fait jouvence. Souvenir fugace, l’enfançon qu’il fut, pousse le bout d’un sourire…

Mais le verre vide, glisse, échappe à ses doigts morts, et se brise en miettes de diamants, sur le sol froid, tapissé d’immondices. La Faucheuse, au fond de la Géhenne, patiente, roucoule avec Dieu

ECAVEMONETICACODASNE.

SOUS LA LUNE ARC-EN-MIEL

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Avec le regard Arc-en-miel de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Nuit blanche cœur noir et reflets gris,

Le froid a mordu la nuit dans le blanc de mon lit,

L’aube est au désespoir et le soleil aussi.

Aux horizons aveugles les chemins infinis.

Les couleurs ont fondu, comme si la vie meurtrie,

Par la fenêtre close, overdose, évanouie.

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La mémoire, ronde folle et les feuilles des arbres,

Disparues, oubliées, je mords ma langue au marbre.

Fracas d’étoiles brisées, le ballet, billes drues,

La pluie pique le sol, gicle gigue éperdue,

Belle fugue de Bach que nul n’entend plus,

Puis la Folia gémit, me ravit et se cabre.

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Sur la toile froissée, des cohortes de suie,

La pénombre est épaisse, longues nuées flétries

Rêvent de grandes batailles, de conquérir le ciel.

La lumière empêchée sous la lune arc-en-miel,

A peine le tonnerre, les éclairs ont jailli,

Ils ont fendu les bois et le fiel de mon lit.

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Se taire à perdre haleine, se heurter aux murs noirs,

Pupilles lacérées aux éclats des miroirs.

Hurler des chants funèbres, ne pouvoir ni vouloir,

Errer dans les dédales obscurs, n’y rien plus voir,

Et les jambes broyées jusqu’au ras des mâchoires.

Ouvrir les yeux d’un coup, paupières aux grattoirs.

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Voiles des songes et cris sauvages, torches brisées,

Des cauchemars étranges, mes nuits de soie glacée.

DÉFIÉ SOIT QUI MAL Y PENSE.

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Alexandre Cabanel. Nu à demi bâché.

FRONSAC, un nom qui claque, des vins tanniques, que le temps, mais pas toujours, civilise. FONTENIL, le Château, sur sols lourds et frais, argilo-calcaires ou molasses du Fronsadais, c’est 9,40 hectares de vignes, vénérables pour la plupart. C’est dire que les années pluvieuses, les argiles peinent à digérer les eaux.

Or donc, les propriétaires de ces lieux, Dany et Michel Rolland, regrettent, le temps passant, l’expérience venant, la connaissance de leur terroir s’affinant qu’après de beaux étés, parfois la pluie – certaines années – que la terre retient, affecte la parfaite maturité des raisins. Ingénieux, voire « débrouillards », ils bâchent, de plastique, histoire de voir, 1,60 hectares de merlot, en fin de cycle.

Et ceci fut fait entre du 8 août au 25 septembre 1999, date des vendanges. Les jus magnifiés de ces raisins plus sucrés, concentrés, aux tannins mûrs, furent incorporés au vin du Château Fontenil. En 2000, l’expérience se poursuit, la vigne a été de nouveau bâchée. Du 23 août au 25 septembre.

Mais foutre de moine cacochyme, les foudres de la tradition se déchaînent alors et boum, badaboum, voici, voila que le millésime 2000 est déclassé par l’INAO en Vin de Table ! Résolus à poursuivre leur expérience, tout comme à Ronceveaux, les Rolland persistent, signent et défient l’Institut, mais au contraire de leur légendaire homonyme, les Chevaliers du vin ne périssent pas en haut du col …

Et voilà pour la grande petit histoire de rien.

Jusqu’en 2004 les vignes furent donc bâchées quand le temps l’exigeait. Et l’expérience prit fin en 2005, mais les vins demeurent classés en Vin de table de France. Le DÉFI de FONTENIL, tête de cuvée du château, était né. Et rien ne le ferait, bâché ou pas, dévier de sa route.

Bon c’est pas tout ça, la petite histoire, mais les vins rebelles sont-ils bons, ont-ils goût de bâche, de bêche, de bêcheuse ?

C’était un jour, il faisait soir, une main aux attaches fines, élégamment manucurée, dépose entre mes bras qui n’en demandaient pas tant deux bouteilles. Lourdes, vraiment lourdes. Des eaux bénites, les larmes de Bernadette ? Non point, mais deux grosses bouteilles remplies de vins noirs. Forcément c’était un soir. Et le soir tous les chats sont noirs. Encensoirs, génitoires, tout ce qui est noir est mystique, mystérieux, voire voluptueux, à faire dresser les poils noirs sur la peau qui fut blanche de mes vieux bras. Un don du ciel que ces bouteilles, un ange de passage ? Je ne sais plus, j’ai, entre autres faiblesses, la mémoire qui flanche.

Le temps a passé, les bouteilles, au frais de la cave, ont prit le temps de se reposer. Sous le verre sombre les vins ont continué leur vie secrète et leur lente maturation. Et voici venu, après avoir patienté ( la patience une vertu qui se perd …), le temps de les désincarcérer, de les aérer judicieusement, d’y plonger le nez, les naseaux bien écartés, avant de les mettre en bouche.

Le Défi de Fontenil 2000 : Jolie robe sombre d’un grenat profond qu’éclaire à peine un liseré vieux rose. Le millésime se donne généreusement, des effluves gourmandes de fruits noirs, de purée de mûres et de cerises, s’échappent en nappes successives. Et mon appendice nasal s’en régale. Autour et derrière les fragrances du jardin apparaissent des épices douces, de la régisse et quelques notes fumées, puis florales, qui m’envoient, mais je n’en suis pas certain (?), flâner du côté de Toulouse …

La matière conséquente du vin s’étale en bouche, abondamment, une texture de velours à faire frémir un Cardinal. Au cœur de cette chair goûteuse qui fait la boule comme un chat, les tannins enrobés ne sont pas au bout de leur âge, et la fraîcheur du vin les accompagne en relançant le jus jusqu’à l’avalée. La finale est longue et laisse au palais une résille de tannins dont la fermeté relative prendra le temps que le temps voudra pour se polir plus encore. Un vin de quinze ans qui est encore loin d’être un vin de vieillard. Et pas un vin de bâche, assurément !

Le Défi de Fontenil 2005 : Cinq ans plus tard, cadeau de Dame Nature, un très beau millésime si je me souviens bien. Le Défi, en robe noire brillante, à décolleté sanguin, tourne dans le verre comme un derviche profane. Dans la lignée de son aîné des parfums de fruits noirs au cœur desquels la cerise domine. Et des épices, abondantes, et de la réglisse aussi. La matière est à la hauteur du millésime, riche, charnue, voluptueuse. C’est une odalisque opulente qui danse dans la bouche. Qui s’en plaindrait ? Quand elle se dévêt, ses rondeurs jaillissent et remplissent l’avaloir d’une chair pulpeuse à souhait … Après que le jus a basculé derrière la glotte, il laisse derrière lui, tout aussi enrobés que la belle orientale, un tapis de tannins en foule, encore dans la toute jeunesse. La finale est persistante, fraîche ce qu’il faut, éclatante comme la dernière salve d’un feu d’artifice estival. Un vin de dix ans mais pas un jus d’enfant de cœur pour autant !

Les vins de Fronsac ont la réputation d’être des vins très, parfois trop, tanniques. Et cela est vrai dans la majorité des cas. Mais certains, et Le Défi en est, travaillés par d’habiles dompteurs aux mains fermes mais douces, échappent à la rusticité ordinaire, gardent leur fougue, mais gagnent en race et en élégance.

Allez en paix, et n’oubliez pas : Pour prendre une « bâche » qui vous déclasse illico de l’appellation FRONSAC pour vous reléguer en VIN DE FRANCE, c’est simple, couvrez d’une bâche protectrice le sol entre vos rangs de vignes en fin de cycle. Mais si le vin est bon, voire excellent, il s’envolera quand même aux quatre arcs du monde …

PS : Les vins de Fontenil, pas des vins de mollasses !!!

ADHUGHMAS et DJÉDJIGA.

Extrait d' une sŽrie de portraits, Timia, Niger, 2001.

Photographie de J. L. Gonterre.

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Le soleil à son plein zénith était si chaud, que le sable pleurait, que le porphyre suintait, que le basalte craquait.

Les pans de la vaste tente de peaux cousues bruissaient sous le vent, qui soufflait tout là-haut sur l’Atakor du Hoggar. Le soir, à l’instant ou le soleil, plus rouge que les grenades des oasis lointaines, disparaissait, lentement dévoré par les mâchoires des chacals affamés, le froid tombait comme une guillotine sur le cou d’un oiseau. Et le gel terrible de la nuit de pure obsidienne constellée d’étoiles, si nombreuses qu’elles contestaient les puissances nocturnes, succédait à l’éclatante lumière brûlante de la journée.

Alors Djédjiga rabattait les peaux et les fixait au sol. La tente était doublée de toiles épaisses, protectrices, de grandes lattes de bois, assemblées et serrées, tenaient lieu de mur bas, dans lequel une ouverture ménagée faisait office d’entrée, close la nuit par l’auvent de cuir replié qui assurait une parfaite étanchéité. Elle s’était assise en tailleur près du foyer, s’affairait à cuire des galettes de taguella – le pain targui. La chorba, la soupe épaisse de légumes et de viande de chèvre, mijotait depuis le matin. La lumière du feu central et des bougies de suif grossier disposées au pied des cloisons de bois, se reflétait sur la toile du toit comme sur les tapis laineux qui recouvraient le sol, ces lueurs rouges repoussaient l’ombre aux limites de l’espace de vie. Au-delà de la poutre d’acacia qui partageait la tente en deux, la partie consacrée au repos de la famille et des invités, protégée par une paroi de tissus épais, était plongée dans l’obscurité totale. La jeune targuia aimait cette lumière tremblante, chaude et rassurante.

Elle avait épousé Afalku, le fils de son oncle voici peu. Elle l’avait choisi parmi les autres prétendants déclarés de la tribu, personne n’avait discuté. Monté sur son méhari blanc, Afalku, au visage de rapace, était parti à la tête d’une caravane lourdement chargée jusqu’au Tassili, loin au Nord Est. Cela faisait des semaines. Tous deux étaient des Imajaghans de haute extraction, des âmes nobles et libres, leur tribu d’origine se trouvait au sommet de la hiérarchie Touarègue.

La jeune femme psalmodiait un chant ancien en pétrissant la pâte, alternant notes graves et longues, ornementées d’aiguës brèves, un chant qui célébrait les vertus de Hin Hanan, “celle qui se déplace”, la Mère des origines, la Fondatrice de la Légende. Ses mains aux longs doigts agiles s’enfonçaient dans la chair molle qui fleurait bon la farine, elle l’écrasait entre ses paumes, la pâte, entre ses doigts fuselés, coulait en longs filaments qui se tordaient. Puis elle frottait ses mains l’une contre l’autre, dégageait ses doigts des reliefs de pommade collante qu’elle aspergeait de farine sèche, observait méticuleusement ses paumées noires de henné, avant de les replonger dans la soie de blé immaculée, pour reprendre son pétrissage. Et cela jusqu’à ce que la consistance de la taguella la satisfasse pleinement. Toute à sa tache voluptueuse, elle bourdonnait son cantabile, s’arrêtant parfois pour soupirer de plaisir. Elle écrasait ensuite sur une pierre plate les boules de pâte, pour en faire des galettes rondes, puis les posait au bord du feu pour qu’elles blondissent lentement. Une odeur de pain cuit, de grillé, d’épices chaudes, de légumes et de viande fondante, flottait dans l’air, des bulles, qui crevaient à la surface de la soupe en faisant de petits bruit gras, s’échappaient des parfums chauds de coriandre et de cumin qui relevaient tous les autres.

Djédjiga se rinça les mains dans une bassine. Trois gouttes d’eau lui suffirent. Elle se leva, et, les mains sur les hanches qu’elle avait évasées, se cambra pour se désengourdir. Ce jour-là elle était vêtue d’un melhfa rouge d’Andrinople, un grand voile qui s’enroulait autour de son corps élancé en masquant ses formes. Ses longs cheveux très noirs étaient drapés dans un foulard couleur ocre ambré, un tissu léger, presque arachnéen, qui semblait danser au moindre mouvement. Ses yeux noirs, légèrement allongés, soulignés par un trait de khôl fin, brillaient sous leurs cils épais et recourbés, contrastant avec sa peau claire. Elle avait le nez aquilin, des narines étroites, des lèvres charnues couleur de sang séché. L’ivoire blanc de ses dents régulières, qui filtrait entre ses lèvres entrouvertes, éclairait sa physionomie. Djédjiga, mince et grande, se tenait droite, les épaules dégagées, la poitrine fière, la tête qu’elle portait haute lui donnait un air racé, presque intimidant, d’autant que son regard droit ne cillait pas.

La tempête ne faiblissait pas, le vent de sable violent giflait hommes et animaux. Les targuis baissaient la tête, ils avançaient courbés, le chèche remonté, serré au ras de leurs yeux qui clignotaient, pour échapper aux morsures des grains de silice, gifles acides, qui les maquillaient de blanc comme les prostituées de Tamanrasset. De grosses larmes sableuses coulaient sous leurs turbans, s’en allaient mourir de soif sous les larges plis des gandouras qui claquaient séchement comme des bannières. Afalku surveillait comme il le pouvait les dromadaires en file indienne. Les hommes avaient mit pied à terre, mais les bêtes au port hiératique affichaient leur morgue habituelle, continuant de suivre la piste comme si de rien n’était. Tout à l’arrière de la caravane, au cul du dernier dromadaire, Adhughmas peinait à suivre. Autant Afalku dégageait une impression de puissance, d’élégance, de force maîtrisée, sa haute taille, sa silhouette harmonieusement proportionnée, sa démarche souple et son pas élastique avaient séduit bien des targuias, effrayé bien des guerriers parmi les plus valeureux, autant Adhughmas, son allure sans grâce, son corps souffreteux, son air fuyant, ses épaules étroites et ses joues creuses, donnaient une impression de servilité fausse, tant il exagérait son attitude. Mais face au chergui, il est vrai qu’il n’avait pas à se forcer, à simuler, il était bien trop léger pour faire face.

Le désert but le soleil. Ils s’arrêtèrent à l’abri d’un éboulis de rochers couleur cacao grillé, de grosses pierres rondes, érodées par les âges, les vents, fracturées par les combats incessants entre le soleil de feu et la lune de glace. Les dromadaires formaient un cercle. Les hommes, adossés aux flancs chauds des bêtes, préparèrent les trois thés traditionnels et se restaurèrent. Le ciel lacté d’étoiles brillantes, la lune à demi pleine, éclairaient le campement autant qu’un petit matin. Ils burent le thé chaud accompagné de taguellas et de dattes onctueuses. Au deuxième thé, le thé fort, celui de l’amour, l’un des targuis se mit à gringotter une complainte lancinante. L’homme, d’une voix grave, le regard vague, s’accompagnait à l’Imzad, un instrument monocorde dont les notes répétitives scandaient la mélopée. Cela faisait deux mois qu’ils avaient quitté leurs campements, alors ce chant, mélancolique et obsédant, accentuait encore leur tristesse. Mais demain, ils retrouveraient enfin leurs familles.

Afalku, les yeux mi-clos, semblait perdu dans ses pensées. Certes, il avait hâte de retrouver Djédjiga, sa peau douce, ses lèvres tendres et les secrets de ses vallées ombreuses. Le visage de sa jeune épouse, comme les braises rouges du feu mourant, palpitait sous ses paupières, pourtant une inquiétude qu’il ne s’expliquait pas le submergeait par instant. Quand l’un de ses chameliers, prit d’une fièvre aussi foudroyante qu’inexplicable, était mort en l’espace d’une nuit, alors que la caravane venait d’arriver à Djanet, ville principale du Tassili des Adjers, terme de leur voyage aller, il avait bien fallu que Afalku le remplace. Ce n’est qu’au bout de trois jours de palabres serrés, tandis que les chameliers préparaient le chargement du retour, qu’un targui, un Kel Ajjer d’une tribu d’Imrad, accepta son marché. Adhughmas et ses manières de vassal obséquieux, d’emblée, ne lui plurent pas, mais il avait besoin de lui pour le retour. Depuis lors Afalku, inquiet, le surveillait. Il tourna légèrement la tête, ses yeux rencontrèrent le regard de l’homme installé, un peu en retrait, du cercle des chameliers. Il n’eut pas le temps d’y lire quoi que ce soit, Adhughmas avait aussitôt baissé la tête sur son thé. Puis tous les hommes, dont les corps se balançaient en mesure, accompagnèrent à voix basse le musicien. Dans le silence sidéral du désert, leur chant traversait les espaces. Blotti au creux de l’amas de pierre, un fennec aux yeux de pierres précieuses, invisible, les observait. Envoûté par le chant mélodieux des hommes, il posa son museau pointu entre ses pattes et ferma les yeux. Une étoile, plus étincelante que les autres clignota le temps d’un battement de cils.

Le lendemain, à la mi-journée, ils touchèrent au but, hommes et dromadaires s’égayèrent vers leurs tentes proches. Les lois de l’hospitalité sont incontournables chez les Touaregs, Afalku invita Adhughmas sous sa khayma et le logea dans une cellule du fond, séparée de la sienne par deux autres chambres de toile. Djédjiga eut un imperceptible mouvement de recul quand l’homme lui fut présenté, mais elle ne montra rien, son visage afficha un demi sourire, elle se comporta comme l’Imajaghan qu’elle était, le traitant avec la distance courtoise qu’il convenait d’adopter, en face d’un targui de noblesse inférieure. Le soir les dromadaires, soulagés de leurs charges de semoule, de sel, de tissus, de sucre et de thé, avait regagné le troupeau. Afalku et Djédjiga partagèrent le repas avec leur invité en échangeant des politesses de circonstance.

Adhughmas ne dormait pas, les soupirs assourdis de ses hôtes, le chuintement de leurs étreintes, le bruit des tissus froissés, lui mettaient les nerfs à vif et les chairs au martyr. La beauté hautaine de cette femme splendide l’avait subjugué au premier regard, l’indifférence qu’elle manifestait à son égard exacerbait le désir qui lui mangeait les reins, dès le soir venu, dès qu’il se glissait dans sa chambre de toile. Cela dura des nuits, le jour brûlant il ne disait mot, vaquait toute la journée, traînait à ne rien faire dans la montagne, attendant, avec une impatience qui allait grandissante, la mort inexorable du soleil. Alors le froid tombait d’un coup. Le repas expédié, sous sa couverture de laine odorante, il était aux aguets, se repaissant de ses imaginations voluptueuses.

Un mois avait passé. Dans quelques jours la caravane repartirait pour un nouveau voyage, Adhughmas regagnerait définitivement sa solitude du Tassili. Cette nuit là, la lune ne s’était pas montrée, l’obscurité était totale sous la tente. On pouvait distinguer, mais à peine, la très faible lueur d’une bougie grasse dans la chambre des époux. Du moins Adhughmas percevait-il au travers des toiles une vague lueur grisâtre. A la pensée du départ proche, il fut pris d’une tristesse profonde, qui se transforma, les heures passant, en une colère sourde qui finit par le submerger. Alors il rampa dans l’obscurité, traversa les chambres inoccupées, se figea derrière la dernière toile qui le séparait du couple. Les moindres frôlements étaient perceptibles, il imaginait leurs mains caressantes, il entendait leurs chuchotements, leurs gloussements complices, il sentait leur parfum, le bruit mouillé de leurs baisers, les râles sourds venus du fond des ventres, qu’ils retenaient comme ils pouvaient. Adhughmas déplaça légèrement un coin du tissu, et ce qu’il vit le rendit fou.

Djédjiga, assise sur le ventre de Afalku, ondulait lentement, ses seins lourds, opulents et tremblants, brillaient comme deux lunes pleines sous la lumière vacillante de la bougie. Les deux amants se tenaient par les mains en se souriant. Le torse en sueur de Aflaku était tendu, ses reins cambrés faisaient ressortir les muscles saillants de son ventre plat, il soulevait sans effort la cavalière dont les reins accélérèrent d’un coup la cadence. Ils se mirent ensemble au galop en fermant les yeux.

Le poignard jaillit au moment où l’homme jouissait, le sang de la gorge tranchée éclaboussa le ventre de la jeune femme. Afalku avait ouvert les yeux, il mourut sans revoir le visage de sa femme. Djédjiga ne bougeait plus, le poignard de Adhughmas lui piquait la gorge, de sa main libre il se mit à lui malaxer durement les seins en bavant à moitié. Son regard de dément la décida. De rage, elle saisit le poignet de l’homme, le maudit en hurlant sa douleur, puis, tirant de toutes ses forces, elle se trancha la carotide sur la lame. Le sang gicla sur le visage épouvanté du targui.

Des siècles ont passé. Parfois dans la nuit du désert, on peut entendre gémir les fennecs, quand un hurlement atroce, venu de nulle part, porté par un vent maudit, laisse sa trace sombre sur le sable clair.

BRET BROTHERS MÂCON-CRUZILLE 2015.

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Le troisième larron de la trilogie Villages, le Cruzille de chez Macôn.
A noter au passage qu’à une consonne près, ce vin aurait pu faire le bonheur des banquets électoraux du banquier repenti. Voire même régaler ses pires adversaires qui ne crachent jamais sur ce, qu’au passage, ils peuvent prendre.
Or donc comme j’aime à dire, une robe de cuirasse de centurion, or laquée de bronze, d’une parfaite brillance, au coeur de laquelle palpite un coin de ce ciel gris second tour des présidentielles que je vois de ma fenêtre.
Pour les hardeurs ordinaires du vin, des chais et des éprouvettes, tout ce qui précède n’est que baratin inutile, élucubrations d’allumé du hanap, ce que je confesse volontiers.
Ceci humblement confessé, les yeux fermés, je hume le jus de l’enfant de la grume, un jus de vieille (entre 50 et 80 balais), pas tout à fait un demi hectare de vieilles lambrusques sur argilo-calcaires. Un jus qui lâche du fruit, puis du fruit, puis encore du fruit. J’en salive immédiatement un peu comme quand …
Dire aussi que la pêche mûre se pare d’épices qui lui font cortège odorant et l’exalte, et d’ailleurs rien ne vaut, en d’autres circonstances aussi, une belle pêche exaltée à souhait ….
Ceci dit bis, la pêche est jeunette et ne se donne qu’avec une retenue de bon aloi, comme il se doit pour une presque pucelle de bonne famille. Je gage qu’apès un an ou deux, ayant acquis quelque expérience, elle sera d’olfaction plus intense.
Mais quid du gosier ? Ce vin de jeunesse m’attaque franchement la papille et son acidité mûre me la met derechef (si j’ose dire) en érection. Une matière conséquente me remplit le gosier qui ne demande que ça. A rouler sur la langue, elle enfle et déverse à terme une pêche légèrement agrumée au zeste de citron, puis la pelure du pamplemousse se joint à l’orgueil de Menton, et juste ce qu’il faut d’amertume, gage d’un veillissement nécessaire, me reste au palais après que le vin gourmand a passé la glotte. Lui succèdent enfin, et bien après car la jeunette est longue à faiblir, un peu du sel de la terre et l’idée que le calcaire serait monté jusqu’à ma bouche.
Ceci dit ter, c’est déjà foutrement très bon !

CLOS DE SARCONE 2015.

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Un vin que l’on dit “confidentiel” !!

Oui encore une de ces expression à la mode de chez marketing approximatif à la con, employé à tort et à travers. Est confidentiel “ce qui a le caractère intime et personnel de la relation affective” ou ce qui est “privé, secret” etc …”
Tout simplement un petit domaine en fait, autour de 5 ha. S’il s’était agit de la région Bordelaise, alors là le marketing” j’te vends du vent” aurait parlé de “vin de garage” (ou comment inventer une expression prestigieuse avec un mot qui sent la tôle rouillée et l’huile de vidange !), autre baraguoin à la mode de chez snob, histoire de pouvoir vendre très cher des vins qui sont assez rarement à la hauteur des prix pratiqués. Mais comme dit l’autre, ça se vend … donc ferme ta gueule et bois de l’eau 😀
Or donc, quelques vignes autour de Poggiale, non loin de l’aéroport de Figari, sur le caillou fleuri égaré sur les flots bleus de la Méditerranée. En AOC Vin de Corse, because n’est pas dans l’aire couverte par l’appelation Figari.
Mais ils s’en foutent et on s’en fout !!


Une robe cardinalice, brillante comme un écu neuf, de grenat et de rubis mêlés; les jambes qui roulent sur la paroi du verre dessinent un aqueduc approximatif qui augure d’un vin suffisament gras pour bien glisser en bouche.
La cerise mûre à peau croquante domine au nez, mariée aux épices du sud, du genre “il fait chaud, promenons nous dans le maquiiiis !” d’où ressort le poivre noir, un bouquet complexe en fait que les décortiqueurs, les oenologues tourmentés et les sommeliers pétaradants, dépiauteront bien mieux que moi.
Les grappes arrachés aux sangliers amateurs de raisin sont mûres, en bouche puissance et élégance s’équilibrent et la fraîcheur des vents marins qui fouettent les vignes de Sciaccarellu, Niellucciu et Vermentinu se retrouvent au palais. C’est dire que la matière est là, qu’elle prend la place qui lui convient et qu’elle ne la cède qu’à regret. Après que fraicheur a tempéré la puissance du jus, les tannins, petits, perceptibles mais enrobés, jeunesse oblige, laissent longuement en bouche le voile que parfois le vent salé met à l’azur de l’Île …

UN COLIBRI.

 

Le vol du Diable par La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Plus rapide qu’un trait, il file dans l’azur,

Le soleil abricot, sur ses plumes électriques,

Moire ses ailes bleues de lueurs maléfiques,

Cet oiseau minuscule au regard noir et dur,

Son habit d’arlequin cache un esprit malin,

Un démon infernal habillé de satin.

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Il pique dans les fleurs son très long bec pointu,

Et vide les berceaux de leur pollen charnu,

Leurs corolles s’étiolent et s’affaissent flapies,

Vidées de leurs âmes par l’affreux colibri.

Comme un diable énervé il apparaît soudain,

Et les roses frissonnent aux massifs des jardins.

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Les coccinelles jaunes en rougissent de peur,

Même les hannetons aux corps de bakélite,

Comme les sauterelles, sortent de leur torpeur,

Les insectes se cachent quand survient le tueur

Les papillons se terrent, leurs ailes se replient.

L’insigne volatile inspire la terreur.

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Le petit roi des airs se rengorge, fait le fier,

L’arrogant cynanthus est le dieu des enfers,

Rien ne l’arrête plus, de sa gorge rubis

Sort un chant ridicule, un pauvre gazouillis,

Il fonce aux quatre coins pour finir prisonnier,

Du grand piège parfait tendu par l’araignée.

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Dans le coin de sa toile, affutant ses longs crocs,

L’épeire au ventre blanc va sucer le moineau.

AVIVA, MICKAEL, LA LUNE ET LE DRAGON …

Brueghel. Griet la folle.

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Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.

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Éclaircie dans le ciel obscur d’une nuit épaisse …

Le ciel de pulpe, humide des pluies du jour, s’entrouvre un instant sur la lune d’hiver, pâlotte à achever un mourant. La lumière blême de l’astre redonne relief, épaisseur, semblant de vie à cette nuit étale, linéaire et humide. Un œil au ciel s’est ouvert … Le Dragon veille. Silencieux. Le coton gris des nuées de passage voile par instant son regard cru. Le feu méphitique de la terre, prisonnier des ténèbres, s’est envolé et plane dans la nuit brune, invisible au grand jour de nos yeux aveugles. Fidèle à son étymologie, δέρκομαι surveille et observe de son regard perçant les aveugles immodestes qui courent et s’agitent, bavardent et butinent, sur le sol ravagé des continents incontinents, insouciants et bravaches …

Sur les pavés luisants Aviva claudique …

Elle chemine péniblement, sa jambe meurtrie est douloureuse et l’orbite lunaire du Dragon l’effraie. La route est longue, elle n’en voit pas le bout. Les nuages déchirés par le vent n’en finissent pas de jouer avec la lune. L’œil se voile, elle s’apaise; dès qu’il réapparaît, elle le sent, aigu, qui la perce, comme l’aiguille la chair. Alors elle prie l’Archange invisible, encore et encore. Spasmodiquement ses lèvres balbutient ses craintes, supplient le ciel muet de la protéger de ce globe maléfique qui l’obsède. Ces changements de rythme l’essoufflent, la font haleter. Ses poumons que le tabac ronge chuintent comme soufflet de forge. Seule sa cheville brûlante lui rappelle qu’il lui faut malgré tout se hâter. Elle ignore ce qu’elle cherche, elle ne sait où elle va, mais tête basse et cœur battant elle fonce dans cette nuit de charbon.

Le silence est de ouate moite autour d’elle. Il ne pleut pas, mais l’air saturé détord ses boucles brunes, lâche ses eaux froides au contact de son cou qui peine à les réchauffer. Là haut, tout là-haut, la Tarasque continue de feuler sa lave incandescente que seule Aviva perçoit …

Elle ne sait pas que la Bête se contrefout d’elle, comme des larves absurdes calfeutrées dans leurs cocons ridicules, ces homoncules égotiques qui regardent le ciel du haut de leur pathétique vanité, qui s’entre-déchirent pour de médiocres avantages, qui laissent crever leur frères et banquètent comme des gorets. Au contraire, le Dragon aime ça et insidieusement, l’encourage même ! C’est ainsi, en faveur des dissensions ordinaires et constantes, qu’il s’est coulé hors des entrailles de la terre pour gagner les cieux du pouvoir, attendant patiemment, pour étendre ses ailes sur le monde, contraindre ces êtres méprisables à s’agenouiller devant lui sans même qu’ils le sachent. Les consumer du feu de l’avidité, leur tordre les tripes des aigreurs de la rapacité, pour mieux les dépouiller. Le temps de l’hallali est proche. Bien au secret des nuages, il apparaît la nuit, dans l’ombre des nébuleuses, au fil des vents déchirants.

Assis, le cul serré sur son tas d’or grossissant, en perpétuel orgasme.

Au même endroit, mais dans une indicible vibration, l’Archange ne dit mot, ne bronche pas, immobile. Certes, Mickaël se jouerait, d’un seul regard flamboyant de la bestiole sur-gonflée de fatuité, mais il préfère laisser les hommes se dépêtrer et brader leur liberté pour quelques chimères. Le temps pour lui n’existe pas. Les prières d’Aviva, les plaintes des affamés, des suppliciés, tous les bruits des désordres du monde, l’habitent. Du vacarme assourdissant il ne retient pour l’heure que les prières de la femmelette. Il connaît le grand poids du Karma qui l’écrase et mesure parfaitement son courage, sa hargne et ses limites. Comme tant d’autres il l’a suivie, épaulée, depuis les origines quand elle n’était encore qu’une parcelle fragile tirée du grand TOUT et lancée, au sein d’un essaim de ses sœurs, dans l’aventure des vies successives. Elle a, depuis, fait du chemin sur le chemin, tombant et se relevant mille fois. Sombrant dans la lie, chevauchant la grâce, traversant les plaines grises des vies sans goût, elle est proche du but, de la délivrance ultime, de la sortie du Samsāra. Comme toutes les âmes de haute spiritualité atteinte, elle a surchargé ses dernières vies pour épuiser son Karma. Le dragon la guette, attend qu’elle s’épuise, fléchisse, pour mieux l’achever, la dévorer et débarrasser la terre d’un grain de sa lumière.

Alors l’Archange des Équilibres, Mickaël, s’est à peine penché. Du bout de son aile vive, multicolore et invisible aux regards voilés par la dictature de l’avoir, il l’a frôlée. Au très bas des mondes vibratoires, dans la matière si lourde à porter, Aviva a senti ses forces revenir, son esprit s’ébrouer, son corps se raffermir, sa cheville se redresser. Elle a prié, et plus, portée par sa foi simple. Du fond de sa conscience émoussée, à l’insu de son ego, son âme s’est illuminée. Elle s’est mise à briller, à briller plus encore, à irradier jusqu’au confins des terres alentours, la lumière invisible qui gouverne les mondes, soulageant au passage des millions de douleurs … pour un temps. L’œil du démon s’est agrandit, la lune s’est faite gibbeuse, les brumes se sont délitées comme sucre dans l’eau, les étoiles pures ont jailli pour habiller les cieux de diamants palpitants, la terre a vibré comme peau sous caresse aimante. De derrière l’horizon, comme une balle, de l’eau noire de la nuit, le soleil a giclé. Ses rayons, oiseaux de bonheur, ont fondu sur la terre. Les pinceaux d’un impressionniste prodigieux ont rallumé les couleurs. Vert, bleu, jaune, rouge, pastels et nuances ont écaillé les paysages de leurs touches de vie. Mangé par le jour, ainsi que paille par le feu, le Démon s’est fondu dans les limbes. Pour un temps. Continuant son œuvre lente, au secret.

L’égrégore puissant poursuit lentement son expansion sur le monde.

Aviva a refermé sa porte, s’est dépouillée de ses vêtements trempés. L’aube laisse place au soleil opalescent de cet hiver étrangement tiède, qui voit pourtant les glaces de l’effroi sidérer les Nations agenouillées devant les puissances envahissantes de la Phynance implacable. Aviva frissonne, ses dents de porcelaine claquent, à peine plus blanches que son visage ivoirin, exsangue autour de ses narines pincées. Enroulée dans une boule de laine, après un verre de lait chaud, elle s’endort. L’Archange la contemple et sourit. Jamais, même aux temps les plus reculés, on a vu Archange triste … Chaque sourire sur un visage humain est ainsi irruption furtive de la félicité aux royaumes des hommes. Les heures filent au cadran de l’horloge tandis qu’au fond du cocon rose de son alanguissement Aviva repose. La faim et la soif la réveillent quand la nuit de sépia est installée et que pointe le jais brillant des ténèbres. Par la fenêtre close, derrière les rideaux de lin translucide, la pleine lune écarquille son œil cyclopéen ourlé de nuages amers filants comme cavales sauvages sous noroît mauvais. Devant elle, un grand verre, hanap fragile, brille sous les attaques lumineuses et concentriques d’une lampe de bureau. Ça diffracte sévère au travers des rondeurs épanouies du cristal pour finir en un point éclatant, albescence plus aveuglante que galaxie naissante.

Jesper a posé sur les épaules d’Aviva une chaude couverture de laine brute. Le vieil homme tendre au visage marqué par les douceurs besaigres de la vie la couve de ses vibrations douces et rassurantes. Elle n’a pas eu besoin de lui dire sa peur, sa course erratique sous l’œil menaçant, ni même l’effleurement rassurant de l’Ange. Il a su d’emblée. Sans même qu’elle lui dise, il a perçu les affres traversées. D’une voix de basse sourde il l’enveloppe et l’apaise. Lui susurre que le vin versé dans le verre est un don des Dieux depuis l’aube des temps, que le liquide clair qui déroule ses ondes glissantes le long des parois de ce cristal fragile est élixir de vie, porteur de la lumière éthérée de la terre et des cieux réunis. A demi éclairée, la bouteille repose maintenant sur son large cul de verre épais, comme une image de la stabilité qui traverse parfois, brièvement l’histoire des civilisations, des peuples et des créatures fragiles. Aviva se réchauffe corps et âme; elle pose sa main fine sur le flanc épais, sarcophage sombre de ce Meursault « Goutte d’Or » 2007 du Domaine Buisson-Battault qu’elle découvre de la pulpe des doigts, lentement. La surface transparente, lisse comme peau d’enfant la rassérène. Son regard se penche sur le disque d’or pâle comme soleil d’hiver sur lac gelé, que moirent à peine de subtils reflets verts tendres. Elle ferme les yeux pour mieux s’ouvrir aux parfums printaniers qui montent vers elle. Sous ses paupières closes, chèvrefeuilles en fleurs et jasmins en boutons s’échappent du jardin, en volutes odorantes qu’elle reçoit à bout de nez. Plus avant dans l’inspiration lui parviennent les fragrances fraîches et mêlées des citrons jaunes mariées aux parfums des pamplemousses juteux et mûrs. Dans les branches de son jardin imaginaire mésanges et chardonnerets pépient à tout va … en paix. Lèvres à peine entrouvertes elle recueille une gorgée de vin pur. L’attaque en bouche est franche, immédiatement marquée par la fraîcheur, millésime oblige; puis le vin fait sa boule, enfle et se déploie au palais, lâchant sa pulpe d’agrumes et la chair onctueuse d’une belle pêche blanche. Les fruits, en purée fine, tapissent langue et palais de leur matière de demi corps qu’enroule un gras léger. Aviva, jusqu’au cœur de ses os qu’envahit la chaleur du vin, se retrouve, légère, ravie et requinquée. A regret elle avale les fruits et goûte le nectar, jusqu’au bout de son poivre blanc qu’agrémente la perception de notes crayeuses, subtiles, salines et finement réglissées.

Les terres calcaires du coteau Murisaltien,

Se rappellent à ses souvenirs anciens …

Dans l’œil de Jesper, l’Archange disparaît …