Littinéraires viniques

COUCHÉ SUR LA MER MORTE

L’Arflinquiaprèmé de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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A l’ombre des lumières, l’azur sourd de ses yeux,

Lapis épanoui dans la mine enfoui,

Sur la lande fleurie, les épines en fruits,

Sous les frémissements sa peau est en bataille,

Par les monts, les vallons, les forêts et les failles,

Quand les sabres fourbus d’avoir ouvert les cieux,

Sous les eaux, les sanglots qui abreuvent son lit

Abattent les mirages qui tremblent dans la nuit.

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Couché sur l’écran noir, j’aligne des mots blancs.

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Les montagnes perdues dans le fond des abysses,

Quand le chevalier mort galope, rue, entre en lice,

L’hydre, la salamandre, le poison dans le feu,

Les collines noircies ont éteint l’incendie,

Longues langues d’or en flamme sur le ciel bleu de nuit,

Les heures, ongles brisés, déliquescents aveux,

Ruptures explosives, volcans et laves lisses,

Au cœur du muscle rouge gisent les immondices.

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Couché sur l’écran bleu, courent les mots du vent.

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Sous l’os épais des crânes, circonvoluent aussi

Les guirlandes de phrases accouchées mortes nées,

Oubliées sur les landes des  nuages perclus,

Les rats aux museaux fins les rongent à l’infini.

L’encre, la bile noire, sang séché racorni,

Engluée, putréfiée à la pointe effilée,

Drames épouvantables, clairs horizons perdus,

La plume de mes doigts à la pulpe rosie.

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Couché sur la mer morte, à me crever les yeux.

LES DÉESSES SONT LASSES.

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Les quatre vies de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Agrippine féline, tes doigts de perles fines,

Ton sourire de satin, tes yeux de tourmaline,

La tournure de tes reins, ta cambrure zibeline,

Ta façade, ta vitrine, ta démarche vipérine.

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Aglaé triste fée, à ta main agrippée

La lance déployée sous tes doigts à hurler,

Ton sourire d’airain, ton regard extasié,

Ton dos de poivre chaud, tes rondeurs dévoyées.

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Athénée au palace, à se draper la face,

Sa chevelure rousse, son œil de jais me glace,

Assise sur le pré dans les fleurs en rosace,

Sur sa bouche vorace, le baiser d’un rapace.

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Aphrodite est en eau sous sa couronne d’algues,

Sur la surface bleue le soleil et ses dagues,

Une girelle verte lui a fait une bague,

Et les congres joueurs sur le bord des madragues.

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Les déesses sont lasses, les dieux sont courroucés,

Le sol se dérobe, les volcans sont gelés.

DANS LA CRYPTE, OUBLIÉ.

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La De fait sa Vlad.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Sur les sommets noirs, le soir, plane Dracula,

Le catafalque lugubre file au ras des monts,

Mors aux dents, sous le fouet, les cavales folles

Ramènent le maître blême aux entrailles du château.

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Loups aux crocs qui claquent, chauves laids qui sourient

De toutes leur âmes mortes, honnies, brumes létales,

Démons, sorcières, goules, chairs pâles et lustrées,

Ombres immenses, flambeaux éteints, miroirs ternis.

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Au pied des tours maudites de son château lugubre,

Toutes les bêtes fauves, regards hallucinés,

Pupilles dilatées, iris de cuivre tigre,

Hurlent à l’unisson, horrible soumission.

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Babines humides et salives fétides,

Pelisses hirsutes, légendes infernales,

Des puits noirs sans fond enfin remontées,

Aux pieds du maître impavide, domptées, elles s’ébrouent,

C’est le temps des turpitudes, des miasmes, de la boue.

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Le peuple des maudits, des chassés, des infâmes,

Enfin réuni, rêve de bouter les dames,

De déchirer leurs antres, de boire à leurs sources,

Au Graal écarlate de leurs chairs fragiles.

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Lui qui fut Vlad du temps bien avant les corbeaux

Quand les fleurs rutilaient au salon des amours,

Atours, velours, rires d’enfants des beaux amants,

Sous le ciel pur, le soleil rouge ne brûlait pas.

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Le sang chéri maudit des petits êtres frais,

A boire chaud, à même les artères déchirées,

Aux gouffres béants sous la dent, ivoire qui croque,

Lycanthropes velus ou succubes infernaux.

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Espoirs de lait perdu, soie des regards nus,

Robes qui glissent, escaliers dérobés,

Quand le soleil brillait dans le regard bleu reine,

Elle qu’il aimait entendre respirer, à mort.

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Les blancheurs vénérées, le cristal qui tinte,

A ses lèvres humides, goûter son âme douce,

Perdre la mort qui rôde, gagner l’éternité,

Il pleure dans son tombeau, les fleurs sont fanées.

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A hurler de douleur sous les terres amassées,

Depuis des lustres. Éteint au milieu des ténèbres,

A chasser l’amarante des nourrissons déchus,

Les vierges se sont pâmées sur leurs gorges funèbres.

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Il aurait tant aimé n’être alors jamais né,

Avoir pu, avoir su, échapper au destin,

Glisser entre les failles du temps des mortels,

Et n’avoir pas connu la sorcière aux dents longues.

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« Diable de feu au regard de braise folle,

Lucifer mon frère, quand tu t’es effondré,

Que n’es-tu passé loin, plutôt que de me prendre,

J’aurais bien voulu vivre les fortunes humaines !».

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Et ce rêve effrayant, ce bonheur qui l’obsède,

Elisabeta se meurt, nul pour l’empêcher,

A la mordre à mourir il n’a pu se résoudre,

Alors il se morfond le diaphane empaleur.

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Combien sont disparues toutes ces jeunes années,

Quand la mort faisait peur, quand il la redoutait,

Et ce vent qui coulait dans les cheveux des femmes,

Quand il croyait que Dieu n’était que pure bonté.

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Il se voyait alors, belle plume et grand cœur,

Se promenant au bras d’une pâle crinoline,

Organdis frissonnants, rose et bonne mine,

Et des brassées de fleurs de soleil et de joie.

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Las, plus de trépas ni de cœur pieu qui lâche,

L’éternité encore, ultime punition,

Et le noir absolu, le doux soleil nié,

Les miroirs se fendent, les ombres disparaissent.

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Maintenant il rugit comme un damné qui meurt,

Il a maudit le sort, il aurait tant voulu

Anéantir Dieu et ses anges terribles,

Et retrouver le temps de ses amours goulues.

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Le temps n’est plus, Dieu l’a trahi, rêves perdus,

D’un pieu pointu sous le sein nu, regard voilé,

Fontaine de sang rouge, comme un porc, étêté,

Sous la crypte glaciale, affamé il triomphe.

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Dans ses yeux effrayants, un ange s’est miré …

LES MOTS.

Les mots noyés de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les mots on disparu, le verbe s’est noyé

Sous les glaces polaires des temps accumulés

Les saillies enfoncées dans l’oubli des nuits claires

Dans les rêves obscurs, dans les lumières éteintes

Au secret des jours creux, dans l’alcôve aux étreintes

Au long de ces années, au fil de la rapière.

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Les mots ont leur vie propre, ils font ce qu’il leur plaît

Ils viennent quand ils veulent, violents éjaculés,

Se rient du libre arbitre des conventions défuntes

Petits mots ou grands cris, les mots aux cœurs sans crainte

Déroulent leurs guirlandes et n’ont pas peur d’oser.

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Des penseurs débridés, des poètes abscons,

Aux discours lénifiants qui pendent aux balcons

En grappes de fruits blettes, en discours fanfarons

Les mots dans le secret sont comme des fanfares

Qui rugissent ou se taisent aux cordes des cithares.

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Parfois ils sont la lame, ils fendent les cœurs noirs

On ne les attend pas, c’est alors qu’ils déferlent

Étincèlent et rutilent en mille feux grégeois

Ils sont les perles rares qui brulent de savoir

Pourquoi la mort est tendre le soir au creux des bois.

D’ISPAHAN À LA HAVANE, PAR CORDOUAN ET LA TRUFFE…

Mahmoud Farshchian. Roses d’Hispahan.

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 Quel nom! Eloi Dürrbach.

Eloi tout d’abord, le Saint du même nom était orfèvre et trésorier de Dagobert. Un homme donc, qui devrait savoir ciseler, compter et s’y connaître en pantalon…

Dürrbach. D’Eloi, René était le père. Peintre et sculpteur, il fut l’ami de Fernand Léger, Robert Delaunay, Pablo Picasso. Les étiquettes qui ornent Trévallon témoignent de sa présence, hors du temps compté de la matière. Tout pour faire un vigneron, non? Dont on attend rigueur, poésie, élégance.

Deux cépages, Cabernet Sauvignon et Syrah plantés dès 1972 sur les pentes arides et calcaires du versant nord des Alpilles. Un vin «inventé», anti conformiste qui rejoint dès sa naissance le sein hétéroclite des Vins de Pays.

Ce nom, Trévallon, m’était familier, comme il l’est de tous les amateurs. 1999. Familier certes, mais inconnu de mon palais. Une première rencontre. Un mystère qu’une première, l’émotion de la découverte, le frémissement de l’approche, le recul et l’hésitation, l’enthousiasme, la crainte et l’impatience. La reddition ou la déception.

La couleur aussi du «tonitruant», du Trévallon dont j’ai plaisir à lire les emportements, plus tendres qu’il n’y paraît. Décidément, je ne suis pas sou neuf devant ce vin qui l’est pour moi, et que j’attends, dans cette pénombre de la conscience, sauvage et sensible à la fois? Un voyage dans le verre, incertain, attirant. Oui, je sais bien que tout cela n’a rien à voir avec la dégustation pure et dure, mais existe-t-elle? Tant pis pour ceux qui la prônent, et qui me liront.

Dans le verre aux courbes féminines – on boit toujours dans une coupe qui les glorifient – le vin attend depuis une heure. Tamisée au travers du grenat liquide mêlé d’orange, la lumière pure de cet hiver Hollandais. Le relief de la vie s’y meut au ralenti. Comme un hymne à l’évolution lente, il n’est pas sans rappeler la fausse transparence des eaux tropicales. Une turbidité forte, qui évoque la chair dont on parle souvent.

Imaginez le mariage rare entre une perdrix dodue et un faisan nerveux, affolés par les bruits incongrus des chasseurs, au petit matin brumeux. Vous aurez là, précisément, l’idée du fumet puissant qui frappe mes narines. L’odeur de la curée, de la plume et du sang. C’est une journée qu’il faudra à ce vin, avant qu’il ne daigne se donner davantage!!! J’ai adoré ces premières effluves, si justes, si proches de l’essence même de la peur, qui doit tordre la biche ou le chevreuil coursés dans les bois. Ce mélange enivrant des adrénalines animales. L’effroi qui sidère les viscères, qui affole le cœur et les sudoripares.

Plus tard, au lendemain d’hier, comme un paradis fragile, les roses d’Ispahan surgissent du verre, graciles, délicates et fanées…Le cuir de Cordouan ajoute ses notes à peine grasses aux arômes puissants d’une belle truffe dans sa gangue de terre humide. La boite à tabac s’est ouverte elle aussi et délivre des parfums de Havane. Le tout se fond élégamment, et enrobe d’une sensualité toute en finesse, le cœur calcaire du vin. La rigueur est bien là. Le squelette soutient la chair. De la douceur aussi, qu’équilibre une touche d’amertume.

Il va bien falloir que la bouche accueille et prenne son bonheur…Le sucre et l’amertume, comme un sureau mâché, touchent la pointe de la langue. La sensation de fraîcheur est immédiate, puis les fruits (petits, moyens ou gros, je ne sais…) percent le liquide, et tapissent les papilles d’une chair parfumée. La matière enfle sans ostentation, l’équilibre est constant, comme le rythme d’un pur sang au galop maîtrisé. Cabernet et Syrah se respectent, et s’entendent comme cépages en foire. La finale n’est pas une fin, elle s’étire en lenteur et longueur, les tanins et la craie intimement unis.

Au fond du verre vide, la pivoine s’est invitée, et Ispahan s’étale.

Le pays de la grâce… J’y retournerai.

EQUIMOLÉTIVITECONE.

THOMAS PICO CHABLIS 1er cru BEAUREGARD 2014.

Thomas Pico par Tim Atkin

Thomas Pico par Tim Atkin.

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Sacrifié le flacon. A peine a-t-il posé son cul lourd devant ma porte. Honte à toi qui ne peux attendre, petit homme impatient. Sacrilège! Tu te comportes comme le dernier des brutaux dans ce monde du vin, tout de douceur et de fraternité vraie. Pense donc à tous ces modestes vignerons, qui œuvrent dans l’ombre de leur chais nickelés, pour t’offrir le meilleur de leur art désintéressé.

Bon, oui, tu as raison Jiminy Cricket. Tout à fait. Parfaitement raison. Mais quand même, tes grands écraseurs de raisins entre leurs gros doigts, ne se privent pourtant pas d’y aller à grandes louches ! Tous les ans les prix flambent. Allegro, crescendo, vivacissimo, fortississimo, con fuoco ! Allez coco, si t’en veux – c’est qu’y en a eu peu, ou alors l’a pas fait beau, ou encore c’est un vin d’artiste, un très grand, un incontournable et tutti quanti, pipeau, marketing et orchestres à cordes – ben faut casquer, sourire et remercier les “magiciens”, comme disent certains journalistes prescripteurs, ou tous ceux qui aimeraient l’être, la poignée de censeurs, qui se targuent de faire la pluie et le mildiou dans les rangs trop souvent ulcérés des vignes et des châteaux. Ceci dit Pico ne pique pas trop.

Penché au dessus du verre, je contemple. Je regarde Beauregard droit dans les yeux. Un lac calme d’or blanc fondu, immobile. Je regarde plus encore, et voici que sur l’écran pâle de ce vin tout juste accouché, des images apparaissent. Étranges scènes, quelque peu surprenantes, inhabituelles même. Se superposent à l’or, les eaux rouges d’un lac. Des eaux, non pas roses comme celles du lac éponyme, non, des eaux rouges, sombres par endroits, incarnates à d’autres, que bordent des reflets violets. Au centre du lac, entouré d’animaux de moindre importance, des admirateurs ébahis et autres courtisans énamourés qui baillent de concert, siège, trône, le roi du lac, le gros Hippo.

Hippo le gros est en colère. Hé oui, voici que parmi ses amis à plumes – qui d’ordinaire, posés sur son large cul, lui caressent la couenne, sa peau fragile, infestée de parasites – un oiseau fou, un insolent, un téméraire, un Buphagus de rien, simple plumitif, se met à le piquer et le repiquer, toujours et encore, jusqu’à lui mettre la carne au sang ! Faut dire que le gros Hippo, faut pas le contrarier le démocrate, ni même le taquiner, encore moins le contester.

Alors il a grand ouvert sa gueule. D’un seul coup de sa puissante mâchoire, il a broyé un croco de passage, histoire de bien faire comprendre à tous ces plumeux bavards, qu’ils pouvaient à loisir l’encenser ou le piqueter gentiment, mais rien de plus. Grand silence sur tous les lacs du petit grand monde des eaux cardinalis. Puis tout le monde de s’esbaudir, d’applaudir le gros Flying Hippo hurleur, qui donne la leçon, et menace de ses foudres le(s) volatile(s) au(x) bec(s) acide(s). Et le petit grand peuple d’approuver Hippo le grand, de louer son courage et l’incandescence, un brin vulgaire peut-être, de son discours flamboyant. S’attaquer aux œuvres du grand Maître de la pluie et du beau temps sur l’estuaire, quelle indécence !

Mais le mirage se dilue enfin. Dans mon verre la robe d’or, pâle comme un sourire naissant, retrouve son étoffe et rutile à nouveau. Les futilités parasites du grand petit monde des fatuités sans importance se dissolvent sous la montée des arômes. Beauregard 2014 est encore un nourrisson dans les langes. Il babille plus qu’il ne parle. L’enfantelet sent le miel doux, les fleurs blanches parsèment ses draps, les citrons, jaunes et mûrs, verts et odorants, les épices légères, et l’odeur de la craie sur le bord du tableau quand la classe est déserte, parfument son babil. Un nourrisson aux effluves prometteuses.

Et le jus si clair de Beauregard coule dans ma bouche, attaque suavement, puis se déploie comme un bébé tout rond. Ce vin est de chair mûre, de pulpe de pamplemousse et de citron, que resserrent leurs zestes. Une chair dodue, qui enfle au palais, s’ouvre et libère son cœur de fruits ensoleillés. Une chair ferme, finement miellée, déroule délicatement ses agrumes. Surgit enfin, relançant le jus crayeux, une lame tranchante ce qu’il faut, une acidité plus fraîche qu’agressive. Chablis sans conteste. Dans le fond du verre vide, quelques notes, aussi furtives qu’exotiques. Dans ma bouche désertée, le vin longuement se donne. Sur mes lèvres orphelines, il a laissé un peu de son citron salé. Un très beau bébé. Prometteur. Nul doute qu’il deviendra grand ce poupon de beaux raisins mûrs.

PS : Pour tout ce qui concerne le domaine, les pratiques culturales et le travail au chai, lire les très nombreux spécialistes de tout, et parfois de rien.

MOREY-COFFINET. CHASSAGNE-MONTRACHET BLANCHOTS-DESSUS 2011.

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Lire 2011.

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L’implacable douceur de Bach me berce.

Au dehors la pluie n’est pas en rythme, elle descend drue, une herse blanche qui vous tomberait dessus pour peu que, distrait ou amoureux des eaux du ciel, vous sortiez jouer et sauter dans les flaques en chantant sous la pluie. Mais cette dysharmonie me déplait. Alors Barber et son adagio à faire pleurer les âmes sensibles succède à Bach. La pluie peut se calmer, s’intensifier, passer à l’inondation, Barber s’en fout, il est hors des rythmes de la nature, c’est un cœur blessé qui se vide. Mais peu de cardiologues, de chirurgiens, voire de bouchers, faute de grives, me liront.

C’est à cet instant précis qu’une bouteille passe la porte de la cave, déboule à toute allure, freine et dérape, pour se retrouver dans mon bureau face à moi, la hanche mutine et le col provocant. Bien évidemment mon sang ne fait qu’un tour, m’inonde, je ne suis plus que turgescence papillaire. A l’idée de déflorer ce Blanchots-Dessus, je me retrouve sens dessus-dessous, déboussolé, désorienté, flatté même, à l’idée d’avoir été élu de la sorte par cette belle en cuisse sous verre. Sur le bitume au-dehors, la pluie martèle le sol en faisant de grosses bulles sales.

Alors je la déleste prestement de sa robe de verre fumé, et l’allonge confortablement dans le large cul spacieux d’une carafe accueillante. Là, elle prendra le temps de se détendre, de mesurer les conséquences de son acte, d’anticiper le plaisir qu’elle va prendre à donner. L’attente est jubilation.

2011 n’est pas un millésime “réputé”. Moi non plus, ça tombe bien. Entre demi-corps (le millésime) et le second couteau (mézigue) qui ne fréquente pas le gotha – tous ces gens de qualité avec lesquels on a, paraît-il, plaisir à partager de belles soirées, à discuter intelligemment de sujets importants, entre Précieux et Précieuses ridicules, autour de mets délicats et de belles bouteilles, le genre le soirées demi-mondaines qui me débectent – nous devrions nous entendre. Me voici donc, dessus ces Blanchots, à leur ôter leurs dessous, pour moi tout seul.

D’aucuns ont fui dès la troisième ligne de ce texte lue, d’autres peu après. Oui, mais il faut savoir attendre si l’on recherche le paroxysme, et ce billet n’est pas fait pour les lecteurs-dégustateurs-recracheurs précoces.

Le vin a reposé dans son berceau de verre et l’air l’a réanimé. Je gage – ce qui n’est pas sérieux pour un dégustateur impartial – que sous la robe d’or brillante, à peine bronzée d’ambre et de vert, d’exquis arômes se dégageront de cette appétissante chair nue.

Alors je ferme les yeux pour y plonger le nez. Le bois est encore présent, certes, mais sans être dominant, comme il peut l’être souvent sur les blancs de bourgogne, un peu faibles de corps, et “encercueillés” pour toujours. Le cap de l’élevage franchi, c’est une brassée fugace de fleurs blanches qui caressent l’appendice, auxquelles succèdent des notes de marc de raisin; c’est dire que le nez annonce déjà la puissance à venir en bouche. Enfin les fruits jaillissent du verre. Agrumes (citron mûr, pamplemousse), une pointe de kumquat aussi, fugace, que domine  généreusement la poire. Quelques notes d’infusions ensuite : tilleul, un peu, et surtout verveine/menthe. Puis c’est le petit matin du pâtissier qui survient avec ses effluves de brioche beurrée. Enfin les épices subtiles et le poivre blanc ferment la ronde.

L’attaque est suave et vive à la fois, et le vin donne de suite sa pleine puissance. Impressionnante présence de ce dessus, situé juste dessous le Montrachet. Oui, c’est un véritable envahissement que ma bouche subit, quand la matière du vin, onctueuse ce qu’il faut, n’en finit pas de se déployer. Le jus se “déplisse” littéralement, et sous chacun des voiles qui se déploient, les agrumes, les fruits jaunes, la poire, éclatent savou(amou)reusement. Le vin enfle à n’en plus finir.

Cela fait bien dix minutes que ce premier cru de Chassagne a passé la luette, pourtant il est toujours là, il s’attarde, interminablement, les épices douces, le poivre blanc, quelques beaux amers, une sensation “minérale” aussi, ainsi qu’une fraîcheur certaine, continuent de vivre, agaçant mes papilles. Agacement charmant, dont ma bouche ne se lasse pas … Et ma langue se régale du sel fin qui recouvre mes lèvres.

Je n’étais malheureusement pas en compagnie de convives exceptionnels, je n’ai pas eu le plaisir de partager, outre grands vins et jolis mets, leurs conversations, éclectiques et de haute tenue, autour de sujets importants en diable. mais cela ne m’a pas manqué.

Le vin, lui seul, m’a parlé, et m’a dit des secrets que je garde pour moi …

What do you want to do ?

New mail

LAVILLE HAUT BRION 1951.

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Endormie pendant plus de soixante ans dans la cave obscure de la grand-mère de *********, cette belle assoupie se réveille entre mes bras. Dire que l’émotion me gagne est un bel euphémisme. Par pudeur, je ne vous dirai pas toutes les images, tous les sentiments qui m’ont envahi. Elles, ils, m’ont accompagné du premier regard à la dernière gorgée …

Et la voici cette bouteille de verre blanc, encrassée par la poussière déposée, que l’humidité a coagulée. Sous ses flancs Bordelais, ce premier cru de Pessac-Léognan au regard jaune prononcé, me regarde, hautain, hiératique, muet. Et c’est à moi, pauvre vermisseau égaré en ce début de vingt et unième siècle désolant, que revient l’honneur de lui faire la conversation.

Alors, avec délicatesse, j’entreprends de la décapsuler. Sous la lame précautionneuse de mon fidèle sommelier, je coupe sa collerette de métal ductile. Puis je la décolle et découvre une couche de dépôts noirs et collants qui masque le bouchon. Je nettoie religieusement la vieille bouche de verre de cette dame fragile, puis j’enfonce progressivement ma vrille de métal usée dans le liège humide et délicat qui protège encore cet élixir supposé. La surface du liquide est à deux centimètres de la base du bouchon. Une goutte de sueur tombe de mon front et trace une courte rigole sur l’épaule de l’espérée. Elle ne bronche pas. Le sommelier fait levier, lentement, très doucement le bouchon glisse. Jamais, je le confesse, je n’avais, à ce jour, dépucelé une douairière de cet âge … Au juste moment où j’extraie enfin la barrière liégeuse qui, depuis si longtemps, défendait son intimité, elle émet un discret chuintement de plaisir. En silence, moi aussi je soupire.

Mais il ne faut pas la brusquer, ni l’effrayer, alors je l’emmène un instant encore, reposer au frais, à l’abri de la lumière vive que le ciel, magnanime, enfin déverse, sur ce premier jour de vrai printemps. Une bonne heure, je la laisse déplisser ses atours. En l’attendant, je l’imagine, retrouvant sa jeunesse au contact de l’air frais, s’ébrouant, retrouvant sa beauté d’antan, la soie de sa peau et dans ses yeux qui s’entrouvrent, la vie qui renaît.

Dans le verre immaculé que j’ai soigneusement lavé et essuyé, elle s’étale. Sa robe de bronze patiné brille comme la cuirasse d’un centurion romain. Sur les parois de cristal, quelques larmes dessinent d’énigmatiques entrelacs. Je me penche, les yeux fermés, comme à l’habitude, concentré, recueilli. Superbe ce bouquet qui s’ouvre pour moi, de cire fine, de fruits éclatés sous le soleil ancien, de prune jaune, de miel fin, de jus d’abricot frais, de menthe écrasée, de fleur de genet, d’épices douces et de poivre blanc. Son mon nez en extase, le vin chante le « Gloria in excelsis Deo » de Vivaldi, d’une voix de jeune Diva dont les jeunes seins oblongs se soulèvent au fil du chant.

La belle ressuscitée a maintenant gagné ma bouche. Sa matière, grasse, onctueuse, aussi souple que la peau d’une amante comblée après la douche, enfle sur ma langue. Roule, me câline, et déverse sa crème de fruits jaunes et mûrs sur mes papilles conquises de douce lutte. La pêche et l’abricot, doux et frais, m’offrent leurs délices que les épices exhaussent. J’avale enfin ce nectar ancien au comble de sa jeunesse retrouvée, comme un miracle, une remontée du temps à rebours, que les humains jamais ne connaissent, prisonniers qu’ils sont du cours irréversible du temps.

Le vin s’en est allé réchauffer mon corps ravi. Dans ma bouche déserte, interminablement l’empreinte du vin demeure, qui se dépouille au ralenti de son fruit, comme une belle mutine qui se dévêt, pour me laisser enfin au palais, l’amertume subtile des noyaux de ses drupes. Son poivre blanc aussi.

Dans le fond du verre vide, les abeilles ont laissé un peu de leur cire. Dans le vieux flacon rigide, la jeune fille aux yeux dorés me sourit …

SOUS LES TAGS AUSTÈRES.

Basquiat. Untitled.

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 A ce jour, je ne connaissais de ce Domaine réputé, que le Riesling Muenchberg VT 1990, sur la perfection duquel je ne reviendrai pas ici.

Depuis lors, ça a bouillonné longuement sous mon cortex, tout au fond du puits des âges, dans le reptilien, à l’insu de moi-même. Puis un jour, un lendemain d’hier, et une veille de demain comme les autres, un peu comme un gratteur de la Française des Jeux, que la joie de payer des impôts supplémentaires met en érection, depuis que les charmes de maman le laissent indifférent, irrépressiblement, j’ai commis ce qu’on l’on appellerait chez les psys d’obédience consumériste, un «achat d’impulsion», voire de con-pulsion…

C’est ainsi, qu’un carton des vins d’Ostertag a débarqué chez moi, un beau matin de Printemps. «Beau matin de…» c’est un cliché. En vérité, c’était un p…de matin de m…pisseux à souhait, un de ces matins, qui est à la carte postale printanière, ce que le Président est à la syntaxe. Du lourd, de l’énorme, comme on se plaît à dire, à tous les coins de bistrots à la mode de chez eux.

Fin de l’intro.

Voilà que ça re-drache depuis quelques jours. Les nappes phréatiques sont à la fête, elles se gavent. Les «caramuchamboles», qui z’ici ne sont pas de Bourgogne, sont de sortie. Ils ont jeté leurs K-Ways. Toutes cornes dehors, ils broutent herbes et feuilles, grasses et humides. On les entend chanter le jour, les joies mouillées du printemps. Leurs traces, comme autant de lames flasques, zèbrent les ténèbres de mes nuits sans lune, de virgules argentées. Le soir, je poursuis mon voyage immobile au pays d’Ostertag et me faufile, effrayé, entre les branches noires des vignes torturées, qui écorchent ses étiquettes, comme autant de tags désespérés. Derrières les ceps noirs, sidérés comme des statues en douleur, sous les cicatrices obscures, dont les cris figés griffent les étiquettes vertes ou bleues, les eaux cristallines de ces vins aigus, invariablement, m’enchantent. Ils sont en harmonie avec les eaux, que les cieux déversent. Seules leurs robes, jaunes et pâles des étés finissants, me parlent des soleils à venir, embusqués sous les nuages d’Avril.

«Les sanglots longs des violons

de l’automne,

Blessent mon cœur d’une langueur

monotone.

Tout suffocant et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens des jours anciens

Et je pleure,

Et je m’en vais au vent mauvais

Qui m’emporte,

Deçà, delà, pareil à la feuille morte.»

Ailleurs, très loin, sous les rayons brûlant du printemps ensoleillé, aux confins du désert, la belle endormie s’éveille. Dans sa gorge asséchée coule la menthe chaude du petit matin. Elle s’étire lentement, et s’offre aux charmes épicés du jour nouveau… Tous l’attendent, l’espèrent, peu la verront. Dans ses yeux, clignotent encore, les lueurs étamées de la nuit. Son image lointaine se dilue, dansante, dans les mirages de la place Djemaa el Efna.

De la pluie des uns naissent les soleils des autres.

Fin de l’intro 2.

Pinot blanc Barriques 2007 :

Fermentation et élevage en petites barriques de chêne de 228 litres. Un vin à la robe jaune pâlot, brillante. Au nez, beurre frais, fruit blanc, citron, fraîcheur. En bouche, l’attaque est grasse, puis vive, très vite. La matière, bien ronde, est entièrement dédié à la pêche blanche et au citron, marqué par l’amertume de son zeste. L’acidité découpe littéralement la matière et met en relief ses composants. Le gras qui enrobe le tout, en assure l’unité et l’équilibre. La finale, plus que correcte, dégage le vin de ses «apparences», et révèle son essence épicée et minérale. Sur une terrine aux deux saumons, noyée dans les herbes, le vin s’est échappé de la bouteille!!!

Riesling Vignoble d’E 2007 :

La robe or pâle est brillante et lumineuse. Au nez, ça fleure blanc (aubépine), fruits jaunes, amande, citron très mûr. La bouche est ample intense, soyeuse, la matière est fondante et douce. On y retrouve les fruits mûrs, pêche et exotiques. Une touche de SR, que l’acidité équilibre à merveille. Un vin très pur, très bon, qui coule à grands flots de la bouteille au verre.

Riesling Fronholz 2007 :

Que d’la cuve. Il paraît qu’en Alsace, Fronholz fut vin de pierre, et ce bien avant que la mode ne soit au minéral à tout-vat!!!

Qu’aurais-je bien pu dire à l’aveugle de ce vin, que je ne connaissais pas???

A condition de n’avoir pas les yeux bandés – certains intégristes le font – j’aurais décrit la robe et brodé sur le jaune, pâle comme une incertitude d’adolescent. J’y aurais vu une belle limpidité et des reflets vert-argent. Facile..

A condition de n’avoir pas le nez bouché par des cotons mentholés – certains fondamentalistes le font – j’aurais tiré et retiré sur l’appendice, consciencieusement, et n’aurais point trouvé de ces parfums terpénés, qui vous emmènent en ces contrées sauvages, des derricks desquelles, jaillissent des geysers de riesling, à résoudre les plus terribles crises pétrolières. Non point. En revanche, je n’aurais pas hésité à vous parler de pureté et de fraîcheur olfactive, de finesse, d’amande fraîche, d’agrumes confits, de jus de citron et même de mangue rôtie. Humm!!

A condition de n’avoir pas la langue cousue au palais, et les gencives rétrécies au lance-flamme – certains jusqu’au-boutistes l’osent – j’aurais délicatement porté le verre aux lèvres. La matière, ronde et immobile sur le creux de la langue, j’aurais attendu un instant, qu’elle me dise ses secrets. Là, dans l’intimité de notre conversation, j’aurais senti sa caresse, à peine grasse. Ensuite la boule aurait éclaté, sous la poussée brûlante et poivrée, presque pimentée, d’une acidité intransigeante, qui aurait, de sa lame effilée, taillé à grands coups, la pêche blanche et la mangue chaude. Sentez les fruits juteux à la chair tendre et fragile, exploser sous les assauts de la lame et les SR aussi!!! La bataille est brève, furieuse, et vous laisse en bouche, ce que l’on a coutume d’appeler chez les initiés, qui savent de quoi ils causent, l’équilibre. Résigné, j’aurais avalé cette belle élégance, qui se serait attardée, mutine, aux quatre coins de ma bouche, la caressant et la quittant, comme à regret, lentement, tel un reflux ralenti. Au creux de mon estomac, le vin aurait laissé sa trace. Cette fameuse pierre, celle qui aiguise la lame, aurait laissé la brisée, longuement en moi, de sa présence chaude. Avec les dents qui craquent, comme au sortir de chez le dentiste.

A condition de n’avoir pas été inspiré par le Dieu Bacchus – certaines sectes le sont – je n’aurais pas trouvé la clé du mystère. J’aurais eu l’air con mais pas plus que vous tous…. Mais je vous aurais dit combien j’aurais – enfin, j’ai – aimé, ce style…et ce vin.

Riesling Muenchberg Grand Cru 2007 :

Rêveries d’avant boire. Le chant des mots.

Un vin de scène?? Puisque ses vignes croissent, et prospèrent, sur un magnifique coteau de grès rose en amphithéâtre, situé plein Sud dans une vallée au pied des Vosges, sur la commune de Nothalten? Pourvu que ça ne sur-joue pas…

Un vin de moines montagnards?? De la rudesse, de l’austérité, de la spiritualité, de la pureté, de la tension, de l’élan vers le haut? Ces moines blancs aux scapulaires noirs, Cisterciens donc, en l’abbaye de Baumgarten, pas vraiment des rigolos… L’ordre promeut en effet, ascétisme, rigueur liturgique, et érige, dans une certaine mesure, le travail comme une valeur cardinale; ainsi que le prouve son patrimoine technique, artistique et architectural. Dès le XIIéme siècle, ils couvrent de vignes, l’amphithéâtre au sol de poudingues, sortes de conglomérats volcano-détritiques de tufs et de cendres. Certainement pas un vin de moinillon replet?? Un vin de la plus «stricte observance» sans doute?

L’épreuve de l’œil. La robe est belle, pure, d’or pâle aux reflets brillants. Le vin colle aux parois de verre, avant de redescendre à regret, en larmes grasses et serrées. A contre-jour, comme une esquisse à la va-vite, du Pont du Gard.

L’épreuve du nez. Une impression générale de profondeur et de richesse. Complexe aussi. Quelques notes fleuries que je ne parviens pas à nommer, comme un effluve d’élixir de pétrole ensuite, de l’ultra raffiné, puis un mélange subtil d’agrumes et de fruits jaunes, de prune, additionné d’une touche de miel. Ni austérité, ni rigueur extrême, ni minéralité débordante. Pas vraiment Cistercien! Mais un bel équilibre olfactif.

L’épreuve de la bouche. L’attaque est douce, moelleuse sur la confiture d’abricot. Insensiblement, le noyau de fruits jaunes, fond en bouche. Le vin devient intense, sans perdre de sa rondeur. Du cœur des fruits, sourd une très belle acidité, rehaussée d’épices chaudes et de poivre blanc. Le vin, est d’une précision certaine, il file droit, dynamique, strict mais généreux. La finale s’étire longuement, le vin se tend, se dépouille et découvre tout à la fin sa trame minérale, son «austérité», élégante et racée en quelque sorte…

Le vigneron, ses vignes qu’il biodynamise, les sols, les souvenirs des moines qui planent et veillent sur leurs terres, je ne sais, je les ai imaginés, accompagnés, tout au long de ce voyage sous verre. Toutes ces bouteilles ont une vibration particulière, qui me dit qu’en Alsace, il faut absolument que sucre et acidité s’épousent…

Les quelques jours passés dans les creux effilés de leurs cols m’ont appris, si besoin était, que rigueur est sœur d’exubérance.

Et plus encore que j’aimerais bien croiser André.

ESIMOTÔTTIDITCITEAUXCOBUNE.

ROCK QUI ROLL AND RÂLE-MOPS…

Depuis mille neuf cent cinquante et des béquilles, plus aucune génération n’a eu le talent d’inventer un courant musical digne de supplanter cette musique qui roule, avec autant de rage-amour-talent-furie-larmes-sang, les fulgurantes, les enivrantes, les désolantes, les abominables, les stupéfiantes, les saintes, autant que les diaboliques, errances humaines sur cette boule – bleue de peur de l’homme – qui tourne comme une obstinée, dans cette putain de galaxie perdue dans l’Univers. Je ne sais si l’œil de Dieu, en ce temps d’un autre siècle, était sur eux, mais de son doigt qui a touché Adam, il a subjugué Buddy Holly et lui a susurré «Peggy Sue»!!! De la même façon, sûr qu’il était dans le pelvis d’Elvis, quand il éjaculait «See see rider», car Jéhovah a créé la verge pour qu’elle fulmine, donne et dévore la joie!

Que le braquemart dérouille divinement, quand on lui gratte célestement les cordes…

 Tout ça pour dire que le miracle ne s’est plus reproduit depuis lors. Des resucées, des mièvreries, de l’Electro fadasse, de la House lénifiante, de la musique en purée lyophilisée, du Rap de rebelles à bretelles, plus putes du système que véritablement novateurs, gourmettes, fourrures customisées et bagouzes de haut goût. Pour toute création musicale, trois notes frustes, un rythme primaire qui fait son binaire basique, et plus que tout, haine de pacotille, femmes humiliées, ravalées, viandes crues qui se dandinent et s’exhibent, comme dindes promises à la broche. Quand «Johnny be Good» tourne au Johnny be gode… Et cette avidité affichée pour l’Avoir, le toujours plus, protéiforme. Ah misère glauquasse, mort des idéaux, cimetière des éléphants fragiles, généreux et fantasques!

Les générations se sont empilées. Grands pères, fils, filles et petits enfants, assiègent encore, en grappes soudées, les vieux concerts des ancêtres parcheminés, qui griffent de leurs doigts arthrosés, les cordes rutilantes de leurs guitares «vintage». Sans doute ne tronchent-ils plus, à médiators rabattus, les groupies hystériques et palpitantes, au pied de leurs autels païens, mais leurs riffs intacts, leurs soli métalliques ou soyeux, leurs rythmes telluriques, renversent toujours autant, les jeunes corps trempés, qui ondulent en cadence sous leurs briquets hurlants de larmes, au souvenir navré des enfants nouveaux qui ne sont jamais nés. Le Néo siècle n’est plus à la fureur de vivre, de fulgurer comme phosphore corrodant. Les petits archanges modernes sniffent leurs rails étriqués en baillant d’ennui, et se pâment, frileusement engoncés dans leurs certitudes rosâtres, plus libérales que généreusement incandescentes. Sous leurs écouteurs, dégoulinants des mayonnaises douceâtres que déversent les nouvelles stars des ondes étroites, ils s’isolent et communient, fascinés par leurs nombrils, seuls derrière les écrans tristes de leurs oripeaux gris standardisés, hors de prix. Lobotomisés de tous les pays, unissez vous pour vous acheter sur Internet des neurones en solde. Pas étonnant qu’on ne joue plus du Live Speed Destroy! Faut avoir de la fibre, du matos sous la calebasse, l’envie de voler, et de l’amour en réserve, pour que ça parte en feu d’artifice. Les Dieux pardonnent aux follets qui osent s’écarter des cohues melliflues.

Jagger is not over!!!

 Le temps a passé, dans ma vie comme dans mon verre, trop vite. Les mots coulent, du bout ma de plume à bout, exacerbés par la musique de ces Séraphins pas tout à fait déchus. Très tard mais jamais trop, la soif de vivre me reprend, brutale, violente, exigeante, impérieuse.

Pause et douceur de la musique du vin.

 Du fond de l’enfer passager dont je m’extrais à grand peine, je regarde le verre patient, beau comme une danseuse de Flamenco aux mains de colombe sacrifiée. Sombre, ivre de vins ténébreux, le Toréro va peut-être mourir? C’est à un vin du Roussillon que je demande la joie ce soir. Une de ces bouteilles judicieusement oubliées qui m’extirpera de cette Apocalypse insignifiante. Sur l’étiquette, sobre d’avant les modes – coïncidence ou conséquence, je ne sais plus – est écrit : Domaine Sol Payre «ATER Noir» 2001.

Sans atermoiements, une robe très «Ater», plus noire que l’atroce, plus obscure que la plus hermétique des chambres. «Niger» sous le rayon plongeant de la lampe certes, mais résolument mate en lumière ambiante. Définitivement «tenebricosus». Une âme que rien ni personne n’éclaircira jamais plus. Même le temps n’y a rien pu. Elle le traverse comme un jus d’âtre qui jamais ne trahira personne. Aucune trace «Rufus» ne l’altère. Elle est robe immuablement fuligineuse. De celles qui inquiètent la Mater, réjouissent le Pater et assurent l’universalité de leurs désirs d’en être. Loin d’être à terre, elle reste insondable, charbonnée comme le plus pur jais d’une étoile maudite.

Tu m’étonnes que peu lisent ce genre de conneries absconses, surtout pas les minettes roses… Elles y perdent leurs deux doigts de marketing fleuri et leurs babils charmants!

Ouvert et attendu un jour. Bien m’en a pris. C’est une profusion d’arômes qui me ravit. La violette ouvre le bal des maudits, suivent des notes empyreumatiques et de fruits rouges. Un nez qui chante l’Alléluia du Roussillon quand il est bon!!! Le temps, s’il a épargné la robe profonde, n’a pas oublié d’emmener le vin vers l’automne. C’est le temps de la bascule vers la terre grasse, l’humus et le champignon. S’ajoutent à la danse des notes de vieux cuir et de garrigue fatiguée par le soleil. Tout cela, fondu comme un motet de Tallis, chante à l’unisson le grand air du vin abouti.

La matière est puissante mais le toucher de bouche est de velours. Le vin gronde puis se déploie, gourmand. Les fruits noirs, les pruneaux cuits fondants, donnent de la rondeur. Chocolat et café dansent une Salsa poivrée. La finale est longue, l’alcool, transmuté par l’âge, laisse longtemps au palais des souvenirs perdus, la trace prégnante d’un vieux Porto.

Puisse ma plume, cracher, éructer, hoqueter encore un temps, les mots de rage dévorante et de sang frais, que m’inspire la vieille musique intemporelle des enfants fous des années soixante dix!

* Font chier ces # cons à la mode!

Et pour finir en beauté, un morceau d’une prometteuse petite, très bien accompagnée. Du pur, du dur, sans fioritures, sans concession, qui pulse à la vie plus qu’à la mor

EVOLMOCATINICOQUENE.