Le Globe by See magazine.
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J’ai ouvert les yeux. Il faisait clair devant. Au travers d’une paroi translucide. Entre elle et moi une sorte de soucoupe volante de grand diamètre posée sur la tranche. Perpendiculairement au sol. Un sol mou, flasque, humide. Puis j’ai distingué une lumière grise filtrée par la paroi dont je voyais à peine les bords, la soucoupe occupant presque toute la surface. Je me suis retourné, derrière moi les ténèbres. La peur m’a mordu à la gorge. Elle n’a pas duré, elle s’est même dissoute au fur et à mesure que la conscience me revenait. J’étais lilliputien, minusculissime au regard du globe gigantesque. Une cathédrale de chair de consistances diverses. Certes j’y étais ! Mais je ne savais ni quand, ni pourquoi, ni comment je me retrouvais là. L’espace d’une fraction de seconde la lumière disparut. Elle revint aussitôt. De même intensité. Une ombre venait de balayer le globe comme une aile géante aux bords effrangés. Une menace subreptice et inquiétante. Et la boule bougeait à intervalles irréguliers, à perdre parfois l’équilibre. A la nuit tombée, enfin ce que je crus être la nuit, la boule s’est inclinée à 90°, j’ai glissé sur le sol spongieux, comme sur un de ces toboggans géants sur lesquels les enfants glissent pour atterrir en hurlant dans la piscine en faisant un grand plouf.
Alors moi aussi j’ai fermé les yeux.
Et j’ai sommeillé tant bien que mal, j’ai rêvé que je visitais mon corps, un voyage à l’intérieur. Rien d’autre ne m’est resté en mémoire au réveil, simplement cette impression générale vague, floue, sans détails. La lumière est revenue dans le globe, toujours aussi grise. La grande aile géante est passée plusieurs fois, à grande vitesse, clarté et ténèbres se sont succédé créant un effet stroboscopique agressif. Le globe à basculé à l’inverse, j’ai dévalé la pente à rebours et me suis retrouvé dans la position de départ. Les tressautements irréguliers ont repris. J’ai eu peur à nouveau, mais cette fois la peur s’est installée. Sans doute liée à cette claustration dont je ne voyais pas l’issue.
Alors je me suis retourné vers le fond du globe et j’ai marché vers le noir impénétrable.
Comme un somnambule, les mains crispées, tendues droit devant moi, je me suis avancé à petits pas hésitants. Une paroi molle, gluante, m’a arrêté au bout d’un temps indéfini. A tâtons j’ai exploré la paroi. A hauteur de visage j’ai découvert une sorte de tunnel de matière très ductile qui m’a semblé permettre le passage. Quelque que chose m’attirait. Quelque chose d’irrépressible. Quelque chose de l’ordre de l’implacable nécessité. Je m’y suis enfoncé. Quelle étrange impression ! Rien ne contrariait ma progression, la matière s’ouvrait devant moi puis se refermait. J’ai fait demi tour pour voir, cela m’a rassuré, je pouvais rebrousser chemin sans effort, le même phénomène d’ouverture-fermeture se reproduisait. Petit à petit la pente s’est accentuée jusqu’à devenir folle. Normalement je n’aurais pas dû pouvoir grimper à 90°, pourtant je me hissais sans plus d’efforts, j’ai pensé que la matière qui m’entourait devait m’aider sans je puisse m’en rendre compte. Ma petite taille devait certainement me handicaper, je me sentais comme une poussière dans un désert, ridiculement insignifiant, très certainement invisible pour les êtres de ce monde là. Alors sans avoir aucunement besoin de m’allonger, porté par la matière noire, je me suis endormi à nouveau.
Comme la fois précédente j’ai fait le même caucherêve, ou plutôt je crois l’avoir poursuivi en visitant de façon aléatoire le dédale complexe de mes organes. Rien ne m’était impénétrable. Il m’a semblé, sans que je puisse faire mon péremptoire en l’affirmant mordicus à la face du monde, m’être longuement promené dans les méats suspects de mon foie, en me disant que je ferais bien, ou alors ce serait suicidaire, d’arrêter de me repaître comme un mort de plaisir de vins fins et de mets roboratifs, et plus encore de picrates incertains et autres charcutailles de porc douteuses ! Oui cet organe essentiel, je l’ai trouvé bouffi, variqueux, jaunâtre, morne, essoufflé, peinant à régénérer le sang épais d’un presque noir puant, alors qu’il aurait dû être triomphant, rouge sombre, souple et gorgé de sang andrinople chargé de nutriments, un sang qu’il eût pu en deux trois coups de pompe renvoyer, pur comme jus de grenade fraîchement pressée, vers mon corps assoiffé de vérité.
Quand j’ai repris conscience, il devait être, je n’en sais rien ? Et je me suis mis à aimer le fait d’avoir perdu la perception du temps, ce temps voltigeur de la mort certaine. Aurais-je atteint l’immortalité, cette vie éternelle dont rêvent tous les egos irréfléchis qui ne voient pas plus loin que leur champ de narcisses ? Je me suis mis à rire, un rire de tête, un rire silencieux qui m’a servi de petit déjeuner, car le rire est hautement nourrissant. Sans avoir su m’en rendre compte je suis arrivé au bout du tunnel noir pour me découvrir assis, les jambes ballantes, au bord d’une salle toujours géantissime eu égard à ma microscopie. Un lieu différent, un sarcophage approximativement oblong, aux murs osseux impressionnants, épais, inégaux, raboteux et rugueux comme des hommes du vingt et unième arrondissement de Paris. Oui je sais cette comparaison est pour le moins fausse, elle exprime pourtant parfaitement ce que j’ai ressenti à ce moment précis de mon caucherêve épisode deux. De toute façon il est bien normal et excusable qu’un être à la recherche de sa vérité, des vérités et, mais cela est une nouvelle fois hautement improbable, de LA vérité, se trompe, se plante, se vautre régulièrement.
Entre la CHOSE et les parois de la salle oblongue, deux mètres environ, deux mètres, enfin … à mon échelle, qui me permettraient une déambulation confortable, debout sur le toit de « l’innommable » jusqu’au fond obscur du sépulcre. Oui je dis sépulcre car l’énorme étrangeté immobile drapée dans une sorte d’enveloppe épaisse devait certainement être morte, ou alors appartenir à un règne inconnu de moi. D’où je venais il m’a fallu d’abord grimper le long de l’os jusqu’à faire le tour avant de cette montagne pâle, jusqu’à pouvoir quitter la paroi et marcher sur sa face supérieure. Autant grimper sur l’os inégal avait été facile, voire agréable, autant me mettre debout sur cette entité que je ne sais nommer, ne la reconnaissant pas, fut, pour le minusculissime que je suis, exercice difficile. Je n’en finissais pas de glisser, de me râper les coudes sur ce qui semblait protéger l’énorme masse apparemment inerte et n’avançais quasiment qu’à genoux comme un chien perdu. Ahanant et suant, quelle ne fut pas ma surprise quand la chose, sous sa couverture à larges mailles, se mit à clignoter comme la totalité des phares de France en pleine tempête ! Le feu d’artifice ne faiblissait pas, ça s’illuminait dans la masse de tous côté, sans que jamais cela ne s’arrête. Des couleurs vives, aveuglantes, comme si la « chair » du conglomérat allait se consumer. Mais non, il ne semblait pas plus incommodé qu’un cafard dans un égout gouteux. J’ai avancé à pas prudents, lentement. Sur le dessus de la chose. Puis le « sol » a cédé, le monstre m’avalait-il ? Un instant de panique, terrible, sidérante, m’a coupé le souffle. Mais non, il ne m’a pas digéré, je pouvais circuler dans sa matière, grise ou blanche selon les endroits, en toute liberté et sans aucun effort. Une résille serrée de fils rouges parcourait la substance en tous sens dans la totalité de son épaisseur, du même genre que le réticule repoussant qui décorait l’enveloppe rugueuse entourant les contours de la créature. J’ai fini par distinguer tout un réseau de fils, plus fins que des cheveux de fée, qui couraient partout, un embrouillamini sans ordre apparent. Au bout de ces filaments des … terminaisons en forme de buisson, je ne sais dire autrement. Des éclairs quasi imperceptibles reliaient par instant les « buissons » proches, et c’est l’addition de ces fulgurations qui déclenchait les étranges pulsions de lumière irradiées à intervalles aléatoires dans la masse molle. Des chuchotements m’encerclaient comme des idées en gestation. Arrivé, enfin je le suppose, quelque part dans le bas de la CHOSE, je suis tombé dans un trou rempli du même substrat, j’ai dévalé à toute allure et j’ai fermé les yeux.
Un choc m’a coupé le souffle et m’a forcé à rouvrir mes yeux fatigués. Assis dans le fond du puits j’ai vu s’ouvrir devant moi une grande fleur rouge, éblouissante, une fleur à quatre pétales qui tournait sur elle-même à toute vitesse. Par instant elle se figeait et j’ai pu distinguer en son centre un carré, au centre duquel se tenait un triangle équilatéral. L’endroit où j’étais assis était étroit, même pour moi, je devais baisser la tête pour ne pas heurter le plafond. Je me suis massé un long moment le coccyx, le choc consécutif à la longue chute brutale l’avait bien endolori. Et cela me fit rire une fois encore. J’étais tellement perdu, je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait, à tout ce que je voyais, à toutes ces étrangetés, décidemment je ne pouvais qu’en rire.
Je ne sais rire qu’en fermant les yeux, mal m’en a pris, c’est à cet instant précis qu’une tempête m’a emporté. Le temps d’une fraction de seconde je nageais sans difficulté dans un liquide ambré qui emplissait à demi une caverne de peau blanchâtre. Le liquide, très salé, me portait, je me suis mis sur le dos et j’ai flotté sans difficulté. C’est alors que la caverne s’est mise à trembler, à se contracter, le niveau du liquide a baissé à toute vitesse et si je n’étais pas arrivé jambes et bras écartés au fond de la poche molle, j’aurais disparu dans le trou noir. Puis tout a vibré, jusqu’à frissonner très fort, j’ai cru au même instant entendre un petit cri aigu à demi réprimé. Encore un tour de mon imagination me suis-je dis. La connaissance m’a quitté, j’ai perdu conscience je ne sais combien de temps ?
Quand une fois encore je suis revenu à moi, je dérivais à toute vitesse, un courant violent m’emportait. Je n’y voyais rien. La canalisation annelée de section étroite charriait un flot violent. Il y faisait un noir total, mais le liquide était chaud, il transportait nombre d’objets, souples ma foi puisque les chocs étaient doux, je rebondissais quand je les heurtais, et eux aussi. L’image d’une boule de flipper m’a traversé l’esprit. A nouveau j’ai ri, mais un rire jaune, je commençais à fatiguer, et ne pas savoir ce qui m’arrivait ni où j’étais, générait une angoisse qui sourdait lentement comme une vague puissante. Pour une ou des raisons qui m’ont échappées, dans le torrent violent tourneboulant et l’obscurité totale, une lueur a éclairé le toboggan infernal. Je ballotais dans un flot rouge ! Ce n’était pas du vin, ça avait goût amer, métallique. Du sang, c’était du sang !
J’étouffais dans le courant puissant, j’étais projeté d’une paroi à l’autre. Leur élasticité me renvoyait dans le trafic. J’ai alors constaté que ne respirant plus je vivais quand même, ma conscience était claire malgré le rouge ambiant. Soudain le conduit s’est élargi, j’ai eu l’impression de passer un delta dont je ne distinguais plus les rives, la fureur du courant s’est calmée. Je me suis mis à surnager dans une sorte de caverne aux parois musculeuses d’un rouge carmin qui battaient à rythme régulier, le sang bruissait comme un vol d’oiseaux bavards, puis une contraction plus forte que les autres m’a forcé à franchir un étranglement barré par une langue molle qui s’est écartée. Et j’ai giclé dans une grotte plus spacieuse. J’ai à peine eu le temps d’entrouvrir les yeux, déjà je repartais, le voyage infernal continuait.
Je pense, mais je n’en suis pas certain, m’être évanoui un moment. Une odeur épouvantable m’a réveillé, j’étais englué dans une matière brune qui puait la mort, une matière épaisse qui empêchait tout mouvement, une matière mouvante qui se déplaçait doucement, par saccades, entraînée par une force inconnue. Et j’étais là comme englué, prisonnier, impuissant. Autour de moi je distinguais des milliers de corpuscules de formes multiples, effrayantes, qui avalaient la soupe épaisse à pleine brassées pour la recracher à l’autre bout de leurs corps difformes, plus compactée, plus dure, plus paralysante. Cela a duré … longtemps jusqu’à ce que, martyrisé par les blocs durs et charbonneux que les bestioles durcissaient à n’en plus finir, j’aboutisse dans un large cloaque qui s’embouteillait peu à peu. Et là j’ai cru mourir ! Ecrasé entre les amas de matériaux durcis sous pression constante, je défaillais quand au bout du cloaque une porte circulaire s’est ouverte et tout a été violemment expulsé avec moi. Ma tête a cogné contre une paroi dure d’un blanc aveuglant, je ballotais dans un magma liquide-solide au fond d’un trou sans nom. Un jet d’eau micro-bullé ultra puissant m’a repoussé vers je ne sais où. La peur qui ne m’avait jamais vraiment quitté s’est muée en terreur, un véritable épouvantement, indescriptible, j’ai cru exploser. Et la lumière s’est éteinte. J’étais mort ! Du moins l’ai-je cru à ce moment.
C’est la douleur, une affliction déchirante qui m’a réveillé. Sous mon crâne les cloches de Notre Dame sonnaient à la volée et tous les bourdons du monde chantaient avec elles. Sous les coups de boutoir des marteaux endiablés les campanes fondaient, le bronze en fusion me brulait jusqu’à l’os. Je crus que ma tête allait exploser. Mes mâchoires étaient crispées à se rompre, mes dents serrées à fendre l’émail. Mais étrangement tout paraissait calme alentours, j’osais respirer à petits coups de nez prudents, l’air était tiède, inodore, rien ne bougeait. Je compris que la tension extrême dans laquelle j’étais était la cause de mes tourments !
Le soleil sourdait dans les interstices des volets, le soleil devait être déjà haut, la lumière était telle qu’il devait faire grand beau. Mon corps trempé de sueur, recroquevillé sur lui-même, se détendit doucement, les draps froissés crissèrent sous mes pieds. Sous ma nuque l’oreiller mouillé me collait aux cheveux.
J’ai senti mes globes oculaires rouler comme des boules effrayées sous mes paupières entrouvertes … Mes cils ont battu comme deux ailes géantes aux bords effrangés. J’ai souri pour refouler les larmes montantes.