Littinéraires viniques » 2014 » avril

MORALITÉS VARIÉES …

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Dessin de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Tu fumes, jolie, ta clope,

Pendant ce temps Armand,

Petite frappe interlope,

Te regarde en baillant.

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Moduraglandlité.

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Sur les pavés mouillés,

Silhouettes brumeuses

Des nuits attristées,

Maraudes, tarifées.

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Motriraquéelité.

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Les beaux chevaux galopent

Dans les nuées de coton,

La pluie tombe, le cyclope

Est seul, pauvre bouchon.

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Mytholoralité.

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Regarde moi Lilou,

Quand je bégaie,

Tu pleures doux,

Et je m’effraie.

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Mosoufralitée.

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Et tous ces vers abscons,

Alignés en fourrés,

D’épines à façons,

Qui meurent, étouffés.

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Moconralité.

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Rimes incertaines,

En valse à mille-tempes,

Toiles arachnéennes,

Fragiles estampes.

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Mobranralantelité.

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J’ai la tête qui tourne,

Dehors, les chiens aboient,

Les filles me bistournent,

Je suis pris par le froid.

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Moraburlinéeté.

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Mignonne, je déconne,

Ta rose en buée,

Me chatouille les pommes,

Le printemps est gelé.

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Mosuracréelité.

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Moralités variées, avariées,

Exténuées, déglinguées,

En nougats, fous à lier …

MÉMÉ HUGUETTE…

Lady Bird. Peter Fendrik.

 Blanche reposa ses aiguilles à tricoter usées, et frotta ses doigts rouges et gourds. L’arthrose invalidante finissait de faire de ses mains, jadis fines et graciles, de vraies branches de vieux buis souffreteux, tordues comme les sorcières noires et hystériques qui peuplaient ses cauchemars d’enfant.

Le temps était au beau, elle était au plus mal.

L’étalon fringant qui grattait à sa porte en son jeune temps s’en était allé, emporté par une «fillette» de trop. Une belle mort quand même pour Pépé Jean. Lui, qui sa vie durant  avait aimé les grands vins de Bourgogne, était passé comme il avait vécu, accroché à son verre. Elle l’avait retrouvé, effondré au plus profond de son fauteuil verdâtre, gluant de crasse, de pisse et de vin. Dieu qu’il avait rapetissé d’un coup!!! Comme s’il avait fondu, comme si les hectolitres d’alcool en tout genre, sirotés élégamment et sans faiblesse au long cours de ces interminables années, s’étaient évaporés sous le fil gelé de la mort. La faucheuse l’avait vidé de ses humeurs, et il avait fallu des bidons de javel pure, pour que l’odeur tenace de la viande confite, longuement marinée, consente à baisser – un peu – pavillon.

Elle pensa à Molière que Jean avait tant vénéré. Il l’aurait imité jusqu’au bout. Enfin…presque.

Blanche fut prise d’une quinte, mi-rire mi-toux. Le ciel devint vert, et le feuillage des arbres qu’elle apercevait par la fenêtre entrebâillée vira au rouge. Elle cru que ses yeux explosaient, que ses sphincters allaient lâcher comme la semaine dernière. Mais non, ce ne serait pas pour cette fois. L’air chaud de l’été étouffant finit par siffler comme une baudruche percée dans ses poumons douloureux, dilatant jusqu’aux dernières de ses bronchioles flétries, ainsi que coquelicots privés d’eau. Elle continua à rire silencieusement, tandis que le ciel retrouvait un bleu pâle ordinaire. Elle l’avait préféré vert … Elle rit de plus belle, et son regard bleu-acier-tranchant de chien de traîneau disparut dans ses rides fines mais profondes. Elle aimait que le voile froid de la Charogne lui raidisse les épaules. C’était un orgasme à rebours qu’elle était la seule à pratiquer.

Bon, c’est pas tout ça, mais voilà que j’ai soif maintenant se dit-elle…

C’est vrai qu’il était presque neuf heures, et qu’elle avait depuis longtemps sué le canon de vin pâle, qui inaugurait, comme une eau de métal en fusion, chacune de ses journées. Plus de soixante ans qu’elle tordait les bouteilles. Jean avait bien tenté de l’initier aux subtilités élémentaires de la dégustation. Certes, elle l’avait à chaque fois écouté en silence, hochant la tête d’un air entendu, mais à la vérité, elle s’en branlait la motte. Elle repartit dans un rire silencieux et sinistre, qui résonnait à l’intérieur d’elle comme une cloche fêlée. Dans ses veines dilatées, coulait le fiel acide d’une méchanceté exacerbée qu’elle était la seule à connaître, et qui faisait courir sous sa peau tavelée de délicieux frissons immondes. Toutes ces années, elle s’en était nourrie, dans le silence glacial d’une conscience qu’elle avait aiguë comme un kriss Malais. Blanche parlait bleu, et sa parole était plus coupante qu’un épigramme de Voltaire. Personne jamais, ne l’avait percée à jour, pas même ses plus intimes. De toute façon, elle ne s’était jamais livrée, gardant tout au fond de son cœur de basalte brut, le secret de sa haine.

Blanche aimait le vin, blanc surtout, avec une frénésie violente, qui laissait son visage, lisse et souriant, comme l’Ange de la Cathédrale de Reims.

Toutes les vignes, de France et d’ailleurs, avaient abondamment baigné ses cellules, et souvent même ses amygdales … en toute fin de soirée. Blanche était une soléra à elle seule. Personne jamais ne l’avait vue trembler, vaciller, et pas même bafouiller. On affectait généralement la raideur mécanique de son pas d’ivrognesse à son tempérament ferme, et la fixité de son regard dur à son caractère, affilé comme un cutter givré. Elle avait connu la Loire, ses Chenins et ses Cabernets, trop francs pour elle. Les Sauvignons du Centre, les Merlots Bordelais, les Syrahs Rhodaniennes, les Grenaches de grand Sud … et d’autres encore qui avaient épanché ses grandes soifs de toujours, aussi discrètes qu’inextinguibles. Mais jamais, non jamais ils n’avaient su arrêter les terribles incendies qui lui dévoraient l’âme et le corps. Sa chair était napalm, et la moindre goutte la ravageait désormais. Elle vida le verre d’un trait, mais garda longuement le vin tiède en bouche, reculant le moment où son estomac exploserait, plaisir factice et souffrance vrillante conjugués.

La nuit dernière, immensément blanche, comme depuis des lustres, et la chaleur du jour, l’affaiblirent lentement. Elle plongea doucement dans un demi sommeil orange.

Sa vraie vie l’attendait.

Louis XIV l’avait sauvée du naufrage annoncé. Au pied des marches du bel escalier de pierre, elle regardait, le menton levé, la façade immaculée de son Château. Oui le sien désormais, depuis qu’elle avait épousé son amour Claude de La Coste. Ah, toutes les rages qui l’avaient bouleversée, tous les espoirs insensés qu’elle avait soigneusement entretenus, les arrosant de ses larmes, plus d’une fois versées … Oui tout cela était fini, par la grâce du Roi Soleil. La Baronne de Brandon, la Dame Blanche de la légende était née. Cette femme était son secret. Elle était Huguette, chaque fois que les yeux clos par les vins empilés, elle se coulait dans sa peau. Quand elle perdait l’équilibre instable de son quotidien morose, elle retrouvait sa vraie nature. Ces minuscules instants de bonheur diffus, factices comme de petits nuages d’opéra, elle les avaient rencontrés sur les bouteilles, sur les milliers de flacons vidés au long des jours éteints de sa vie. Ah, les palettes de blancs, que Pépé Jean avait achetées pour elle !!! Il fallait que le nom soit toujours le même, sur le kil à Mémé !!! Tardy, Goichot, Dufouleur, Ponsot, Bertagna, elle s’en foutait de tous ces domaines, de tous ces Bourguignons. Seule l’étiquette comptait, et surtout et seulement, le nom du vin, ce nom qui l’avait emportée tant de fois, qui avait opéré la magie de la rencontre dans l’ailleurs des mondes intermédiaires, cette fusion Alchimique qui transmutait le jais de sa poitrine en un rubis d’amour chaud. «Dame Huguette» !!! Sur chacun des cols qu’elle avait brisés, il fallait que ce soit écrit. Faute de quoi, elle partait dans une des célèbres rages blanches qui en avaient terrorisé plus d’un. Une fois même, le chaton qui dormait dans son giron ne s’était pas réveillé. Chaque litre bu la dédoublait, la renvoyant chez elle. Alors elle ne faiblissait pas à la manœuvre qui, immanquablement, la propulsait dans la vie rêvée d’Huguette.

C’est ainsi que Blanche travaillait à sa mort, pour trouver sa vie.

Toute la famille ricanait quand à voix basse on parlait de Mémé Huguette,  elle qui ne savait même pas que dans son dos on l’appelait ainsi.

 

ELAMOVIETIESTBELLECONE.

TENDRES GERVAISES …

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Y’a Prévert et y’a Kosma,

Y’a Aragon et y’a moi !

Ah, ah, ah, ah, bah,

Les beaux, les grands éléphants,

Les tonitruants, et y’a le gland,

Le bafouilleux, le baveux, le charmant,

Qui prend ses mots pour des beautés,

Quand il écrit, vomit, avec ses pieds.

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Sur la toile, glauque, il se répand,

Ego brouillon, plume mal taillée,

Rimes merdiques, cœur électrique,

Les chairs à vifs, l’oeil sanglant,

A chialer, brailler, comme un enfant

Perdu, paumé, trognon gâté,

Ciels étoilés, à coups de trique,

A vous faire chier, gerber, des soirs durant.

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Vous les voyageurs, vous les errants,

Quand vos regards, vos yeux gluants,

Vos doigts crispés, vos cils battants,

A moitié nazes, vos cœurs suants,

Vos vies de merde, vos chancres puants,

Qui vous tracassent, qui vous agacent,

Quand au hasard, aux étoiles, entre-fesses,

De Tombouctou jusques à Fès.

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Abrutis sur vos fragiles balancelles,

Vous découvrez, vous comme icelles,

Au cœur de vos nuits, ces mots qui chancellent,

Sous l’archet fou de mon lourd violoncelle,

Alors vous comprenez, là-bas, au loin,

Qu’à vous gorger de mes fadaises,

Vous ne risquez pas, tendres Gervaises,

Que je vous prenne pour des Bastiaises.

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Qu’à vous toucher, baiser, je m’emploie,

Du bout du cœur, des ongles, des doigts …

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Ombres portées, espoirs gelés.