UNE HYÈNE.
Irène la hyène de La De.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Irène est une hyène, une fille de la mort,
Quand elle ouvre la gueule, son haleine putride
Affole la savane, les buffles, les butors.
Les marais eux aussi ! Sous la chaleur torride,
Leurs eaux sont corrompues par les fièvres ardentes,
Quand l’innommable hyène danse la sarabande
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C’est une boule de pus, laide comme un prurit,
Un furoncle écarlate, une glande infectée,
La bête, avec sa bande, traque les nouveaux nés,
Les vieillards, les malades, les affolés qui fuient,
Alors c’est la curée quand le sang a jailli.
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Elle est basse du cul, on dirait qu’elle a peur,
Ce n’est qu’un stratagème pour rassurer ses proies,
Elle sait cacher ses crocs derrière son sourire faux
“Je suis une bonne amie, la cousine d’un roi
Un lion magnifique au regard de vainqueur !”
Dit-elle d’une voix de miel aux petits animaux.
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L’antilope est si vive que souvent elle échappe
A la meute tueuse des hyènes déchainées
Mais reste la charogne au ventre noir gonflé,
Les chasseuses bernées ont quand même leurs agapes
Et les mâchoires puissantes se mettent à l’unisson,
Dans la nuit étouffante ricassent les noirs démons.
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Dans son sommeil Irène gémit en frissonnant,
La savane est en feu, et le vent obsédant,
Attise le foyer qui lui lèche les flancs.
Toutes les bêtes sont mortes dans la nuit embrasée,
Elle court comme une folle sous les dents du brasier,
Un buffle au mufle noir, aux cornes acérées
A croisé son chemin. D’un coup l’a éventrée.
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Irène atroce reine, plus que toutes mal aimée,
La lune s’est cachée, et la mort ta marraine,
D’un seul coup de sa corne, tes espoirs a fauchés.
VOUS LES GENS QUI LISEZ.
L’arbre “Vénitien” de La De.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Mon grand père avait un père et mon père aussi
Ma grand mère avait une sœur et sa sœur aussi
Ma sœur avait un frère mais son frère non point
Faut que j’arrête de me fumer des joints.
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Le curé a une bonne, mais la bonne non point
La bonne a un coquin, le curé sa coquine
Au presbytère le soir, les odeurs de benjoin
En volutes épaisses glissent sous les surplis.
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Le gendarme a une mère qui élève des nains
Son frère a une sœur, il n’est pas orphelin
C’est une nonne aveugle qui aime son cousin
Le gendarme dépassé songe à passer la main.
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Mon tonton a sa tontine, sa tontine gironde
La tontine a ri et tonton qui la gronde
Mon tonton en caleçon se gratte l’occiput
La tontine est vexée, et les deux se disputent.
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Tout là-haut le clocher amoureux de la lune
Sonne onze à minuit, les pompiers affolés
Tirent la grande échelle pour monter à la hune
Le clocher effondré est tombé sur leurs pieds.
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Et moi je me demande si le monde tourne rond
Je crois que je suis fou, je mange trop de mots
Des salés des sucrés, du réglisse en bandeau
Des bêtise de Cambrai à la noix de coco.
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Vous les gens qui lisez, ne m’en voulez pas trop.
ANSELME ET CORALIE.
Portrait d’un vieillard et d’un jeune enfant, Ghirlandaio – 1490.
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Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Le “M en U” planait et planait, plongé dans une méditation profonde qui l’entrainait aux confins de Lui-même. Quadrature du cercle, qu’il pouvait seul dans l’univers infini réaliser. Lui qui par essence est sans limite, sans âge, sans commencement et sans fin. Les avatars du premier, du second et du troisième rang avaient pour mission, de mettre scrupuleusement en œuvre le Plan, en gestation constante, du “M en U”. Pour le “M en U”, ce qui est contradictions, oppositions, oxymores apparents, n’a aucun sens, car il est le centre de l’union parfaite!
Le petit Prince était une hiérarchie à lui seul dans ce système implexe, il pouvait, au gré de l’évolution, et au nom de l’amour, l’un des axes principaux autour duquel le Plan s’articulait, aussi parfait que la structure d’un nautile, intervenir partout et n’importe quand. Cela lui était facile puisqu’il n’était soumis, ni au temps, ni à l’espace, comme le sont encore et pour longtemps, ces pauvres humains préhistoriques!
Or donc, de ce point de vue, le petit prince était vraiment un Prince. Non pas un prince de pacotille avec couronne rutilante et fourrure de lombric sauvage, non, pas un prince dit de sang, à la mode de nos dynasties consanguines, mais un Prince (principio) au sens premier du mot. Un Seigneur au Service. Le petit Prince suivait toutes les âmes vierges lancées dans la très longue aventure de l’espèce humaine. Un travail gigantesque, quand on sait combien les bipèdes sont superficiels, versatiles et dangereux, pour leurs semblables comme pour eux-mêmes. A la différence des avatars un peu laxistes, l’enfant blond était un interventionniste, de temps en temps, il accélérait les évènements, freinait, ou lançait dans le jeu de quoi “consoler, aider … “, un peu, ces pauvres âmes sur le chemin. Avec le temps, qu’il ne connaissait pas mais dont il voyait les effets sur ses “ouailles”, il s’était attaché à certains couples écrasés par un karma très lourd, le fameux karma de “l’inaccessible étoile”, et les aventures douloureuses de ces âmes particulières lui mettaient les larmes aux cils. C’est pour ceux-làb et pour ceux-là uniquement, qui luttaient vie après vie, ne se décourageant pas et tenant bon le cap, qu’il donnait de petits coups de pouce. Imperceptibles. C’est ainsi qu’il avait apaisé Génevote, guidé Gelsomina, protégé Agakuk de l’ours, consolé Wahiba trahie par la nuit noire, et surtout, veillé, tout en les caressant du bout de son sourire lumineux, sur Splendide le chat tigré et Merveilleuse la Persane.
Pendant que les âmes migraient de vie en vie, le petit Prince connaissait l’ineffable félicité de l’éternité. Du moins ce fut ainsi pendant des millénaires, jusqu’à ce jour nouveau, jusqu’à ce lever de soleil, semblable aux millions de ciels rosissants qu’il avait vécus …
Oui, ce matin là qui n’était pas le premier matin du monde, le vieux soleil, mais il y en avait eu d’autres avant celui-là, se désengluait de la nuit, une nuit comme les nuits précédentes, noire, impénétrable aux regards de chair, une nuit à ne jamais finir. Les étoiles pâlissaient, les premiers rayons de l’astre rasaient les montagnes, jouaient entre les feuilles des arbres agitées par la brise du lever, et dans les vastes plaines, aux quatre coins du monde, les humains ouvraient péniblement les yeux sur les épreuves à venir.
Anselme tutoyait le siècle, il avait quatre vingt seize ans bien écornés. Cela faisait des lustres qu’il vivait seul, il avait bien eu une femme dont il n’avait gardé aucun souvenir, un météore qui avait traversé sa vie, pour disparaître un soir d’été dans la sacoche d’un conducteur de train à vapeur. Une erreur d’aiguillage se disait-il en riant. Anselme aimait sa solitude, il vivait dans une masure à la sortie d’un village. Un si petit village que la sortie faisait aussi office d’entrée. Un jardin anarchique séparait son logis de la rue, il y cultivait un peu, de quoi se mettre une carotte sous la dent, et des fleurs aussi, plus ou moins sauvages, qui poussaient au hasard. Il jetait les graines sous le vent, vent de sud, de nord, d’est ou d’ouest, et son jardin vivant changeait de visage tous les ans. Deux poules et un coq lui donnaient quelques œufs, le coq était sacrifié à Noël et lui faisait table pleine jusqu’au jour de l’an. Anselme menait une vie taiseuse et frugale. Il était seul au monde. Souvent il s’asseyait sur un banc de bois brut, sous un auvent, contre la façade de la maison, Hiver comme été, il y passait des heures, les yeux fermés, il laissait libre cours au torrent d’images et de pensées qui lui traversaient l’esprit. Sans jamais s’y opposer. Au bout d’une heure, parfois de plusieurs heures, le flux faiblissait et son regard intérieur perçait les brumes de l’ego. Sur l’écran de ses paupières closes, il voyait apparaître, perché sur la branche d’une étoile, un petit bonhomme aux grands yeux de pierre précieuse qui le regardait sans faire un geste. Longtemps. De temps à autre, quand il avait perdu la notion du temps et de sa propre existence, l’enfant blond, d’un geste large, lui envoyait une pluie d’étoiles colorées qui éclataient sous son crâne. Dans ses membres engourdis par l’immobilité, une chaleur réconfortante l’envahissait. Ces jours là, il lui arrivait de passer un jour et une nuit sur son siège, insensible à la chaleur, au froid et à la pluie. Seule la faim parvenait parfois à le tirer de sa torpeur.
Coralie, huit ans, passait tous les jours devant la maison du vieil homme. Elle s’arrêtait un moment, et observait Anselme aux yeux fermés qui souriait. La petite était solitaire, certes elle avait les amours des enfants de son âge, maman, papa, et ses peluches, mais à l’école, assise sur un banc, elle regardait, sans participer, les jeux bruyants des autres enfants. Elle n’avait pas d’amis, et entretenait avec les mioches des rapports ad minima. Non pas parce qu’elle se sentait différente, mais parce que c’était sa nature. Coralie était petite, menue pour son âge, ni belle, ni disgracieuse, elle avait un petit air réfléchi, des yeux dorés, le nez en trompette, et un visage constellé de tâches de son sur une peau laiteuse. Comme un ciel à l’envers. Etonnament ses cheveux, légèrement bouclés étaient noirs.
Un soir après l’école, Anselme, assis sur banc, les quinquets pour une fois grands ouverts sur le monde extérieur, lui fit un sourire accompagné d’un petit signe de la main. L’enfant s’arrêta, franchit spontanément la barrière ouverte du jardin et s’assit sans un mot à côté du vieillard. A le voir chaque jour planté près de sa porte, elle se sentait comme lui, autre, à l’écart dans la cour de l’école. Anselme tourna son visage vers elle, ému par le geste de la petite fille. Il sortit de sa poche un éclat de quartz rose, qu’il avait trouvé à ses pieds après la dernière manifestation du petit Prince et le posa dans la main de l’enfant. Le quartz, malgré le ciel gris menaçant, rutilait dans la menotte de Coralie. Ses yeux se levèrent, innocents et interrogatifs vers le vieil homme, puis elle fut comme hypnotisée par la pierre dont la lumière se reflétait sur son visage, et éclaircissait son regard qui passa du doré à l’ambre translucide. Elle ne voyait plus que ce fragment de quartz, et souriait béatement, sans être intriguée pour autant, aux images étranges, aux silhouettes en foule, qui défilaient à toute vitesse sur la surface lisse du cristal de roche. Tout cela lui semblait naturel. Le soir en se couchant elle regarda à nouveau la pierre rose, la lumière qu’elle émettait pulsait dans le creux de sa main, elle l’embrassa et la cacha sous l’oreiller. Et s’endormit comme une enfant sage.
Elle rêva toute la nuit. Elle marchait dans la rue, une étoile la suivait, le ciel était d’azur, mais elle était visible comme en pleine nuit. Puis elle se retrouva au pied de hauts remparts; dans une maison, à peine visible derrière un moucharabieh de bois sculpté, une belle femme brune aux grands yeux noirs la regardait, et lui disait des mots qu’elle n’entendait pas. Des murs chaulés remplacèrent les remparts, une jeune femme aux cheveux voilés, très pâle, allongée sur un bat-flanc, murmurait des mots silencieux, le regard perdu au-delà du plafond de sa cellule. Un moine au visage de cire se penchait sur elle. La gisante se tourna vers l’enfant et lui sourit. Coralie baissa les yeux, ses jambes étaient courtes, épaisses, elle ne reconnut pas ses mains grosses et larges aux doigts boudinés. Elle nageait maintenant, se noyant à moitié dans une eau salée, agitée de vagues courtes, sous un soleil ardent qui ne la brûlait pas. Un ours blanc, gigantesque, jaillit d’un trou, elle le regarda, pas inquiète du tout, à l’abri du froid cinglant sous son anorak de peau de phoque. Dans un amas de décombre, deux jeunes gens enlacés dormaient ? Le jour pointait dans la chambre de Coralie perdue au milieu de ses peluches. Juste avant que la langue de soleil, qui courait sur son lit, ne la réveille, un petit bonhomme blond assis dans le ciel lui tendit, du bout de sa canne à pêche, une grande fleur rouge ourlée de jaune. Elle la prit du bout des doigts et se réveilla. Sous l’oreiller, sa pierre rose était toujours là. Quand elle la fit glisser vers elle, la pierre était chaude et vivante.
Le lendemain après midi elle se hâta vers la maison d’Anselme. Elle le trouva, les yeux clos, immobile sur sa banquette de bois. Quand elle s’assit près de lui, il ne parut pas l’avoir remarquée. Alors elle lui prit la main et y déposa le quartz rose. Les doigts d’Anselme étaient glacés et violacés. La pierre grésilla, passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel puis s’éteignit soudainement. La tête du vieillard tomba sur son épaule. Coralie comprit qu’il était parti, elle n’en fut ni surprise ni effrayée, simplement très malheureuse comme si elle même était morte. Ce fut une immense douleur, bleue comme les glaces du grand nord. Elle glissa entre les mains croisées d’Anselme la grande fleur rouge ourlée de jaune, que le petit garçon de ses rêves lui avait donnée la nuit précédente pour la consoler, et lui dire aussi quelque chose qu’elle n’avait pas compris. La vieille âme de Coralie était si petite !! Elle pleura longtemps, des larmes d’enfant, de ces larmes qui coulent à flot. Là-haut, le petit Prince ne souriait plus.
Quand elle arriva chez elle, la nuit tombait, ses parents étaient aux quatre cent coups, des voisins les avaient alertés au sujet de ses visites suspectes chez Anselme, ce vieux bizarre, assis sur son banc à longueur de temps. Il devait guetter ses proies sans doute? La police était là. Deux inspecteurs l’interrogèrent longuement à propos du vieil homme. Ils lui posèrent des questions étranges que Coralie ne comprit pas.
UNE CHÈVRE.
La chèvre psychédélique de La De.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Barbiche au vent joyeux la petite chèvre blanche
Au poil doux et soyeux, sabots fins, jolies hanches
Broute, broute, dévore des buissons d’immortelles
Aux longs pétales d’or, au pied des fières dentelles
Du bel Alta Rocca aux rocailles dressées
La jolie en béguète la panse dilatée.
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Elle grimpe et grimpe encore en croquant les bouquets
Sous le soleil radieux, elle arrive au sommet
En bas très loin la mer et ses moutons tous blancs
Comme sa robe claire et les marais salants
L’air pur des cimes l’enivre, elle ne voit pas que vient
Un beau pelage fauve sur le dos d’un grand chien.
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Mais la pauvre se trompe, c’est d’un loup qu’il s’agit
Une bête dantesque venue de Poméranie
Le monstre la regarde et se met à gronder
La biquette tressaille elle regrette son berger
La chèvre s’est sauvée au travers des taillis
Sûr de lui le loup fat a bien été surpris.
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Mais le grand Pastore à force d’enjambées
Sur ses cuisses puissantes a gagné le sommet
Bianchetta la chevrette adossée au rocher
Toute la nuit durant ses cornes ont bataillé
A force de se battre le loup s’est épuisé
Et d’un coup d’escopette u pastore l’a tué.
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Là-bas dans les vallées, près de l’Alta Rocca
La chevrette est célèbre, elle a su résister
Assis sur un rocher, entre ses mains halées
Un morceau de brocciu, des châtaignes séchées
Pasquale se régale, le soleil s’est couché.
Demain il fera jour croassent les corbeaux
IL EST LE TRAIN.
Le tchou-tchou de La De.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Il est le train,
Qui entre dans ta gare,
En crachant sa fumée,
Éclairé comme un phare,
Heureux, épuisé.
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Qui crisse,
De tous ses freins,
Pour ne pas s’écraser,
Et hurler,
Tout au fond !
De ton con.
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La route a été longue,
Et les rails tordus,
Souvent l’ont blessé,
Giflé, écorché,
Au vif de son âme,
Qui crie,
Comme un corbeau
Plumé.
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Puta madre,
Si fort que ça le cloue,
Sur sa croix renversée.
A cheminer si près,
A hurler dans le vent,
A être dépecé,
Sans l’avoir jamais,
Trouvée.
Écartelé.
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Mais viens !
Il t’appelle, te hurle,
A mort proche,
Te dis, percé
Comme une broche,
Sur ta peau
De pauvre loche
Écervelée.
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Retrouve toi,
Ivre de joie,
Enfin bercée,
Empalée.
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Dans tes yeux,
Plus pervers
Que la cloche,
Qui sonne son trépas,
Son ombre passe,
Nage aux eaux
Profondes de tes lacs
Énamourés,
Que ses mains caressent,
Sous les pixels dorés.
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Réveille toi folle,
Dans ta gare,
A l’écart,
Des trains bondés,
Il vient faire,
La farandole,
Dans ton cœur brisé.
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Il est le train fou,
Pendu à ton cou,
Comme un coucou,
Hibou,
Genou,
Cailloux
Coupants.
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Dans la vitrine,
Obscure,
L’obsidienne a brillé,
Le quartz s’est brisé
Zemon a ricané …
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Jamais.