Littinéraires viniques

ME REGARDE À MOURIR …

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Sous le regard de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Je me parlerai de toi de ta part,

Lave brûlante qui me glace les sangs.

 Sur les flancs décharnés des volcans éruptifs,

 La sève hurlante de mes feux mal éteints

 Corrodent ta peau de soie.

 Je vole, cavale géniale aux doigt ourlés de sang

Qui me griffent à hurler.

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 Les hautes solitudes des cœurs voilés

 Exaspèrent les parfums lents

De tes chairs grumelées

Qui poissent mes nuits blafardes

De leurs promesses absentes.

 Sur les orbes opalescentes de tes fruits inconnus,

 Au dos cambré,

Au souffle retenu,

Je ploie, l’échine tendue,

A me rompre les reins.

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 Le jade rutilant de ton regard cruel

Me crève les yeux

Quand tu me ressasses,

 Juteuse radasse.

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 L’œil de tigre aux lueurs méphitiques,

 Hystérique,

Me regarde à mourir …

DÉFLAGRE !

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Dans la tête par La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Je regarderai le bruit lisse des eaux sur les roches du rivage.

Au loin le monde tonitruant. Depuis l’aube des aubes, à la seconde

où l’invisible est devenu visible,

quand la terre a souri dans le noir sidéral, dégagée des glus de l’inexistence,

la lumière fut.

Et la violence corrosive a fait son lit dans les amas mous des cervelles tremblantes,

dans le secret des os épais, sous lesquels,

dans l’absolu des ténèbres,

jaillissent les salves térébrantes.

J’écouterai le jus épais du soleil levant sur les reliefs innocents.

Jamais elles ne se taisent les langues de feu échappées des aciers luisants

des crépuscules, jamais ils ne s’apaisent les dévastateurs

de la beauté du monde,

jamais ils ne cessent de se repaître.

Sous leurs crocs déchirants, les chairs éclatent. Les yeux crevés

déversent le regard des souvenirs,

le miel des tendresses disparues éclabousse la mort. Les rires éclatent,

les femmes pleurent et les enfants se cachent.

J’entendrai la couleur intense de l’azur étincelant.

Sous la poussière jaune, sous les vents des ventres éventrés de tous les déserts,

d’incessantes colonnes de ferrailles grinçantes, aux griffes acérées,

lacèrent les paysages.

Je mangerai le croissant chaud de la lune au réveil,

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Je boirai le chant des oiseaux de tous les blancs matins humides.

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Déflagre ta rage à la face des basaltes immémoriaux,

Laisse la main de lait apaiser ta colère,

Prépare toi à nager dans les nuages dilacérés.

What do you want to do ?

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ALORS NOUS DANSERONS.

Alors nous danserons avec les arcs-en-ciel de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Un jour que je n’avais plus d’âge, le mal courant m’a rattrapé

Un soir que je n’étais plus sage une plume d’encre m’a piqué

Comme une douleur douce dont je ne suis plus sorti

Dans l’encre de la seiche je me suis englouti.

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Irrépressible envie, besoin de voyager

Dans les mondes invisibles où règne l’étrangeté

Où la mort est la vie, la vraie, la délivrance,

Où la raison s’efface devant l’exubérance.

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Alors je suis parti loin des rivages calmes

J’ai remonté les fleuves et j’ai chaussé les palmes

J’ai rencontré la mort est ses beaux yeux de jais

Son sourire d’ivoire, sa morgue et son palais.

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De grands singes m’ont souri, sur les ailes poudrées

Des papillons gracieux j’ai visité le monde,

Les monstres de tous bords attachés à mes basques

Les vouivres, les succubes, les anges, la tarasque.

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Aux confins des déserts où la soif m’a saisi

Dans les plaines sans fin, les collines et les lits

Des rivières asséchées où j’ai trempé ma plume

J’ai rencontré le diable sous ses plus beaux costumes.

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Un jour que je nageais dans les eaux de l’oubli

Ramant comme un pauvret en mal de paradis

Une sirène pâle, cachée sous ses cheveux

M’a regardé en face et j’ai connu les feux.

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Mais il va bien falloir qu’une nuit d’argent terne

La mort ma tendre amie éteigne ma lanterne

Alors je partirai loin des miasmes du monde

Au paradis des fous j’attendrai que ma blonde

Tire sa révérence, s’envole et vagabonde.

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Alors nous danserons avec les arcs-en-ciel.

DONDIVIN.

TANZANIA - FEBRUARY 08: Zamda, Albino girl in Mikindani, Tanzania on February 08, 2009. (Photo by Eric LAFFORGUE/Gamma-Rapho via Getty Images)

TANZANIA – FEBRUARY 08: Zamda, Albino girl in Mikindani, Tanzania on February 08, 2009. (Photo by Eric LAFFORGUE/Gamma-Rapho via Getty Images)

Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Un petit point perdu au cœur de l’Afrique, au centre du Congo, à égale distance de l’Océan Atlantique à l’ouest, de l’océan Indien à l’est. Situé à mi chemin entre Port Elisabeth au sud et Tripoli au nord. Un point minuscule qui marche plein est. Le grand aigle croix de plumes qui vole très haut ne le voit pas. L’imperceptible, lui, a levé les yeux et suit du regard la traînée blanche du grand oiseau silencieux. Elle s’effiloche, mangée par le bleu cru du ciel. Mille kilomètres séparent le petit homme du lac Victoria, le petit homme qui marche déjà depuis longtemps, d’un pas égal, lent et régulier.

Dondivin se protège du soleil furieux. Ses rayons enflamment les herbes sèches, brûlent les sols jusqu’à les faire craqueler. Le grand soleil tueur, lave jaune, plomb fondu. Sous ses lames acides les cuirs les plus épais cèdent. Les grands animaux, foudroyés par la mort ardente, parfois s’écroulent comme de grandes forteresses que l’on croyait invincibles. Alors l’œil de feu, si puissant qu’il a troué le ciel d’encre bleue, rissole les chairs, racornit les peaux. Les momies aux faciès déformés, aux pattes tordues par l’ultime souffrance, gisent ça et là, en pleine brousse comme au bord des pistes. La terre d’Afrique est rouge, elle est faite pour calciner les douleurs, boire et masquer les ruisseaux des sangs versés. Sa poussière collante donne aux hommes en sueur des visages de sorciers fous.

Dondivin est un paria, un nègre blanc malingre à la peau livide, dépigmentée, parsemée de quelques ilots délavés, quelques tâches informes de couleur orangée. Un casque de broussaille crépue, une chevelure de paille claire, couronne sa tête fine perchée sur un cou d’oiseau fragile. Dondivin n’a jamais connu ses parents. Recueilli par une petite tribu Bomitaba, il a vécu une enfance terrible. Sa peau blanche et ses yeux d’ambre gris pâle en ont fait un semi esclave craint et moqué à la fois par les femmes et les enfants, traité durement par les hommes. Dondivin a survécu, se nourrissant en disputant aux chiens faméliques les reliefs des repas. A se battre contre les bâtards pour subsister, son corps, maintes fois griffé, mordu, s’est couvert de cicatrices livides qui dessinent sur sa peau d’étranges arabesques roses.

Pour les sorciers Africains les albinos sont des proies de choix. Ils attribuent à leurs organes des pouvoirs magiques, un nègre blanc soigneusement débité se revend une fortune. Mais le sort a voulu qu’un grand Ancien révéré, respecté de tous, le prenne sous son aile et le protège des prédateurs humains. Dès son plus jeune âge, le vieux Bomitaba lui a enseigné l’art du camouflage. C’est pourquoi Dondivin disparaît sous une épaisse pâte de terre ocre qui masque sa peau blanche. Sur ses cheveux courts, il applique depuis toujours une mixture de terre noire mélangée à la cendre et à la graisse animale, une pommade grasse qui résiste à la pluie. Mais un matin au réveil, le grand Ancien gisait raide mort sur sa paillasse. C’est ainsi que Dondivin, de plus en plus convoité par le sorcier du clan, dut s’enfuir une nuit pour ne pas finir sous le tranchant avide d’une machette gourmande.

Dans son enfance, l’Ancien lui avait raconté l’histoire de ce guerrier qui avait quitté la tribu pour aller chercher fortune sur les rives du très grand lac, là-bas, très loin à l’est. Sous les flots de ce lac les poissons avaient peine à nager tant ils étaient nombreux. De l’aube au crépuscule, les eaux frémissaient, agitées comme si un grand vent soufflait. La nuit on pouvait entendre un clapotis incessant, les éclaboussures des poissons sauteurs qui retombaient dans l’eau scintillaient sous la lune. Comme les cailloux piquetés d’extraordinaires lumières d’étoiles que l’on trouvait parfois sous terre, quand il fallait creuser l’été, pour trouver à boire sous les écailles de bronze de la terre desséchée.

Dondivin doit avoir douze ans, guère plus. Cela fait trois semaines qu’il marche à cœur perdu; pieds percés, traversant ruisseaux, brousse, savane, forêt dense. Dans cette vaste zone particulière, à la confluence des ventricules et oreillettes du continent, les énergies affluent, la vie pullule, la violence, la fureur et la mort sont partout. Le ciel est d’une beauté effrayante à la mesure de la puissance des lieux. La vie y est exacerbée, comme si les énergies de la terre décuplées et concentrées à la fois émergeaient des profondeurs brulantes de magma. La chaleur est intense, le ciel s’y vide de ses eaux, la nature y trouve ses nécessités. Tout en cette région, climat, faune, flore, haine, amour, est disproportionné. Le centre de l’Afrique, berceau de l’humanité, est le laboratoire, funeste et glorieux de tous les dieux, du plus improbable au moins confirmé.

L’enfant couvert de terre séchée marche comme un métronome. La nuit il ne dort que d’une oreille au creux des arbres morts. Feulements, frôlements, frottements, cris étouffés, galopades soudaines, cris inarticulés des gorges déchirées, miaulements rageurs, silences terribles, Dondivin, terrorisé, recroquevillé, perché à mi hauteur dans le ventre sec des arbres invente plus qu’il ne devine les ombres argentées qui traversent, le temps d’un éclair, le paysage nocturne éclairé par l’œil écarquillé de la lune menaçante. Une nuit qu’il ne dormait pas, tremblant au milieu des fourmis que sa peau tendre, étonnamment n’intéresse pas, un grand python s’est glissé dans sa cache. Le reptile aux écailles lisses s’est doucement enroulé autour du corps de l’enfant, comme une liane souple il lui a fait un manteau de chair fraîche, il a posé sa tête triangulaire entre l’épaule et le cou du garçon et n’a plus bougé. Jamais ses anneaux qui auraient pu le broyer ne l’ont serré. Dondivin a entouré le corps du serpent de ses deux bras, pour la première fois depuis des nuits, étrangement apaisé il s’est endormi profondément. Au petit matin le soleil rose orangé s’est levé, la lumière éclatante a recouvert de velours tendre les cimes embrumées de la forêt proche, la chaleur est tombée comme un marteau de plomb fondu. Lentement le python royal a levé le museau, ses yeux couleur d’ambre foncé se sont éclaircis, il a longuement regardé Dondivin, sa tête s’est balancée un instant puis il a déroulé ses anneaux ocellés, a coulé le long du tronc mort pour disparaître dans les herbes hautes. Le regard dans le vague, l’enfant a souri.

Ce matin le mur vert sombre d’une forêt dense se dresse devant lui. Derrière lui la brousse chichement arborée qu’il ne verra plus. Hier, il a dû s’enkyster toute la journée dans un tronc pourri, de peur que les chasseurs apparus dès l’aube ne l’aperçoivent. L’albinos est un trophée de choix, une proie de grande valeur. Les braconniers grimés de couleurs vives, vêtus de pagnes à franges, le savent bien, un nègre blanc vaut plus que toute une saison d’ivoire. La prise est aisée, fragile, sans défense. Soigneusement débitée – la tête à elle seule vaut une fortune – elle leur apporterait à la fois richesse et notoriété. Aussi le garçon s’est fait bois mort et n’a pas bougé. A plusieurs reprises les chasseurs l’ont frôlé, mais occupés qu’ils étaient, têtes baissées, à relever les traces des grandes oreilles, ils ne l’ont pas vu, ni même senti. Ils se sont éloignés un temps, mais Dondivin les entendait crier de rage, tourner en rond, invoquer les anciens et l’égrégore des éléphants. Mais en vain. Bredouilles, ils se sont installés le soir autour de l’arbre mort, ont allumé un feu, mangé quelques baies, une bestiole rôtie, et palabré jusqu’au matin. Le lendemain il a plu des trombes d’eau, un de ces murs blancs qui efface les reliefs, dissout les couleurs, on croirait que le monde a disparu, qu’il s’est écroulé, a fondu, que le sol l’a mangé. Tout le jour le ciel a noyé la terre. Bien à l’abri des eaux, incapable de reprendre son chemin sous ce déluge le garçon n’a pas bougé de tout le jour terne. Le soir les chasseurs sont revenus, ils ont bu des breuvages fermentés, crié, hurlé, maudit les âmes des éléphants morts, dévoré à moitié cru, tant le bois était mouillé, une gazelle naine aux grands yeux de soie noire. La nuit a été rude. Le regard éteint de la gazelle, sa robe ocre pâle, son ventre blanc et ses petites cornes torsadées, entraperçus par une des fentes du tronc vermoulu, ont fait pleurer l’enfant. Pas une larme n’a coulé. Trop d’eau. Il n’a pas même reniflé.

Quelque part, hors de vue dans l’obscurité de la forêt proche, un potamochère roux grommelle en regardant l’enfant entrer dans la forêt. La végétation est très dense, humide, le sol détrempé. Dans ce royaume vert tout est exubérant, généreux, surnaturel, la progression est lente, difficile, hasardeuse. Malgré sa petite taille et sa corpulence de sauterelle Dondivin avance péniblement, il s’enfonce à mi cheville dans le sol spongieux. Sur son passage les grandes feuilles des plantes bien plus hautes que lui balancent, déversant leurs eaux sur sa tête. Bientôt, la masse végétale couronnée par de grands arbres aux troncs volumineux dressés au milieu des lianes en guirlandes complexes qui dessinent à contre jour des toiles gigantesques, des ponts et des embrouillaminis inextricables, se dresse comme un épais mur vert. Dans ce monde mystérieux, des myriades d’insectes crissant, des serpents de couleur céladon, orange, émeraude, noir, gris, jaune, aux livrées éclatantes, des reptiles tantôt striés, annelés, tachetés, des rampants de toutes tailles, endormis dans les branches ou se glissant sans bruit d’une liane à l’autre, pullulent. Plus haut, des singes hurlent, crient ou avertissent, des singes invisibles, perchés dans les hautes branches, sautant d’arbre en arbre dans un froissement de feuilles verdoyantes, retombant en pluie lente comme une averse sèche tout autour du garçon. Epuisé, haletant, Dondivin s’est arrêté, prisonnier des plantes rampantes qui ont fini par l’immobiliser. Soudain à cinquante centimètres de son visage, un grand cobra des forêts s’est dressé et le regarde, se penche à droite, puis à gauche, comme s’il dansait sur le rythme entêtant d’une mélopée inaudible. Puis il se penche vers l’enfant, sa tête à la collerette écartée s’immobilise à quelques centimètres de son nez. Ses yeux de mercure en fusion, d’une opacité insondable, le fixent, sa langue bifide jaillit de sa gueule entrouverte pour lui frôler le front. Hypnotisé par ce diable noir et blanc Dondivin ne bronche plus, respire à peine à petites goulées prudentes. Aux alentours les singes ont déserté la canopée, les oiseaux assourdissants se sont tus, les serpents ont quitté les lianes. Un Bunaea Alcinoe géant, tête et antennes rousses, ailes de velours crème, ocre, sable et marron, est apparu, a voleté autour de l’enfant, a parcouru quelques mètres, s’est posé comme s’il l’attendait, le naja a rampé puis s’est dressé non loin du papillon. Alors Dondivin a compris et s’est mit à les suivre docilement.

Des jours durant il a marché sur les traces du papillon et du cobra, les nuits il a dormi à même les grandes feuilles arrachées, le naja tournait non loin à la recherche de proies faciles. Il s’est nourrit de fruits étranges aux chairs multicolores que le papillon lui désignait en s’y posant ailes battantes un instant. Il a croqué avec délice des larves blanches volées à l’écorce des arbres abattus, grasses, grosses, et sucrées. Il a bu l’eau fraîche tombée du ciel. Souvent, quand la muraille verte était trop épaisse un éléphant des forêts apparaissait pour tracer le chemin. Le chemin devint sa vie, le temps semblait aboli. Un matin qu’il ne pleuvait plus, le papillon, le cobra et l’enfant ont débouché dans une clairière immense. Au centre une grande mare aux eaux noires reflétait les cumulus tourmentés qui galopaient dans le ciel. Le blanc du ciel tempérait un peu l’inquiétante impression qu’elle dégageait. Des okapis, des antilopes, des singes, des phacochères, toute la faune tropicale s’y désaltérait. Près de l’eau se dressait une grossière cabane de bois brut et d’écorces. Accroupi sur le sol près d’un tas de cendres mortes, entouré de centaines de serpents entremêlés, un vieil homme nu, au corps bariolé, couvert d’amulettes hétéroclites, se tenait immobile. Le naja glissa vers lui avant de se redresser à ses pieds, la collerette tournée vers l’enfant. Le papillon se posa sur la tête du sorcier aux yeux aveugles qui souriait.

Dondivin s’est arrêté à un mètre du vieillard. Des serpents se sont enroulés autour de ses jambes, de sa taille, de ses bras, de sa gorge. Son corps blanc délavé par la marche et les pluies a disparu sous ce manteau de fête, rouge, jaune, vert, émeraude, marron, noir et gris. Le Bunaea Alcinoe s’est posé sur sa main. On eût dit un Prince innocent en habit paré pour ses noces.

Le sorcier a tiré une machette à lame courte cachée sous son pagne crasseux. Tous les serpents ont mordu en même temps. A la lisière de la forêt les oiseaux ont jacassé, les singes ont hurlé à la mort qui tombe. Au bord de la mare les animaux se sont enfuis comme des flèches de feu sous le soleil couchant.

Dondivin jamais n’atteindra le paradis rêvé des grands lacs, il ne pêchera jamais les grands poissons aux écailles d’argent. Le gros œil rond de la lune blanche éternelle se mire dans les eaux immobiles de la mare noire endormie.

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LUCIAN AU MUSÉE.

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Velazquez. Portrait de Juan de Pareja. 1650.

Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.

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Pour lui, New York, c’est une putain de belle ville à la gloire de la brique.

Sans doute son enfance dans les quartiers déshérités. Harlem, les briques rouges, sales, à l’époque de son jeune âge. Harlem était noire jusqu’au fond des yeux. Harlem le feu du diable, rouge de crime, blanche de came, noire de misère. Le Bronx aussi, dans sa jeunesse toujours, quand son père s’était tiré. Une balle dans la tronche. Une trop grosse injection lui avait fait perdre la tête d’abord, puis la vie très vite après. “Mais bon c’est la vie” se disait-il en ricanant quand le cafard lui montait à la gorge. Et cela lui arrivait souvent, surtout quand la brume glacée montait sur la pointe de Manhattan.

Dix ans à calibrer des briques dans une usine au nord de la ville. La tête baissée sans un mot à quiconque. Des briques rouges, des jaunes. Vingt ans après, chaque fois qu’il passait au pied de l’American building ou du Dakota, ses préférés, il s’arrêtait, levait la tête et cherchait ses belles  briques à lui, celles qu’il avait façonnées à l’usine.

Mais ces temps étaient révolus. Cela faisait bien … il n’aurait pas pu dire combien d’années, mais un gros paquet quand même. En ce petit matin de septembre, assis sur le trottoir au bas des marches du Métropolitan Museum of Art, Lucian était encore le seul être à demi-vivant sur le parvis. La chaleur de la veille n’avait pas refroidi l’atmosphère. Il avait dormi sur les dalles, recroquevillé à même le sol. A quelques mètres de là, la circulation était déjà intense sur la 5ème avenue. Le bruit des moteurs, celui des sirènes hurlantes et des bipèdes, qui suivaient le trottoir en rangs serrés, contrastait avec le silence qui  sourdait du musée encore endormi.

Lucian se retourna vers la triple porte. Ridicules ces portes, étroites comparées aux doubles colonnes monumentales qui les encadraient. Lucian détestait ce bâtiment. Fin XIXème, c’est dire. Il ne lui trouvait pas de style. Pompeux, lourd, sans âme. En revanche, les trésors qu’il recélait l’enchantaient. Le personnel comme les agents de sécurité connaissaient ce paumé qui dormait et mendiait sur les marches, ils l’aimaient bien ce clochard discret, un peu distant, qui ne faisait pas de bruit et n’importunait pas les visiteurs. En plus de cela, il dégageait quelque chose de particulier, une sorte de dignité souriante, et même un charisme singulier qui lui valait de faire recette sans avoir à tendre la main. De temps à autre – Lucian s’arrangeait, personne ne savait trop comment, pour être propre et convenablement attifé – on le laissait entrer et se promener dans les salles. Il connaissait le MMA dans ses moindres recoins, faisait toujours le même circuit qui se terminait devant le portrait de Juan de Pareja, un Velasquez du milieu du XVIIème siècle. Il s’asseyait sur une banquette rouge, fixait le tableau sans bouger pendant des heures. Très vite les gens se regroupaient tout autour, silencieusement. Personne n’osait passer entre l’homme et l’œuvre, tant ils se ressemblaient. Seul l’habit vert bronze et le col de dentelle blanche les distinguaient. La ressemblance était telle que les visiteurs restaient médusés. Les regards allaient de l’un à l’autre. Lucian était parfaitement immobile, les yeux rivés sur son “sosie. On eut pu croire Juan de Pareja revenu sur terre. Puis petit à petit le public se désagrégeait, Lucian se retrouvait seul sur son banc. Il fermait les yeux, balbutiait des mots incompréhensibles d’une voix presque inaudible en grimaçant, les épaules voutées, les mains crispées sur le ventre.

Il avait débarqué, boutonneux, à 20 ans au Vietnam, en 1968 juste, avant le début de l’offensive du Têt, au sein d’un fort contingent de marines à peine plus âgés que lui. L’armée recrutait à tour de bras. Après dix ans passés à brasser les boues, rouges, ocres, jaunes, ou brunes, il n’en pouvait plus ; les reins cassés à se baisser, à porter des tas de briques, lourdes de l’eau qu’elles avaient à perdre au four, les doigts brûlés quand il les ressortait, le visage et les bras à demi plongés dans la gueule du dragon au souffle desséchant.

Un soir, il sortait harassé de l’usine, il fut abordé par un sergent recruteur qui mit peu de temps à le convaincre de s’engager. Le discours du sous officier était bien rôdé, enflammé, avec juste ce qu’il fallait d’enthousiasme pour que le gamin fut touché au cœur, là où le patriotisme est censé se cacher. “Le corps d’élite des marines ferait de lui un autre homme”, dit le sergent à bout d’arguments. Et c’est cela qui acheva de le convaincre. Il était tellement las de la briquèterie,  de sa vie monotone, que la perspective de partir voir ailleurs l’emporta sur tout le reste. Il signa. Après quelques mois d’entrainement intensif, il débarquait à Saïgon.

Très vite il se réveilla au fond d’un gouffre. Il comprit qu’il ne découvrirait pas le monde comme il l’avait naïvement rêvé. Mais il connut l’horreur, l’extrême abomination, le cœur noir des hommes. Toutes ces histoires de races, de suprématie de l’une sur les autres, cette haine récurrente de l’autre qui plombait les esprits depuis que l’homme peuplait cette putain de si belle terre, tout cela n’était rien. Ce n’était que douceur comparé à la furie meurtrière dans laquelle il était tombé. La violence des hommes, sidérante, lui brûla les ailes, du fond de ses tripes, il sentit remonter une terrible vague de cruauté qu’il lui était impossible de maîtriser. En peu de temps, il se sentit happé par l’abominable égrégore, qui planait comme un vautour funeste au dessus des forêts en flamme. L’odeur du napalm l’enivra.

Lucian fut de toutes les batailles. De Hué à Saigon en passant par Quảng Trị, Xuân Lộc, et toutes les autres aussi. Il devint le compagnon de tous les lycanthropes, goules, succubes, de tous les démons de la terre et des enfers, jusqu’à se prendre pour la Mort elle même. Plus maigre qu’un chacal affamé, il en vint à perdre toute sensibilité. Sa faux d’acier découpait, dépeçait, égorgeait, tuait tout ce qui avait figure humaine. Enfants, femmes, vieillards, il éradiquait, massacrait sans pitié. Il en vint même à mitrailler chiens, chats, vaches, tout ce qui vivait. Puis il s’en prit aux ombres, tant la sienne l’envahissait. Dans la chaleur étouffante de la jungle, il rampait.  Le visage maquillé de noir, couvert de parasites, il se griffait aux épines, saignait, laissait, accrochés à la végétation, des lambeaux de peau, indifférent à sa propre douleur comme à celle de ses victimes. Lucian s’enkysta en lui même. Un beau jour, à demi enterré dans un trou boueux perdu au cœur d’une foret effrayante, brûlant de fièvre, affaibli par une diarrhée récurrente, alors qu’il guettait le moindre bruit d’un ennemi invisible, il cueilli d’un geste vif un rat qui passait par là et le tua en lui cassant la nuque entre ses dents. Une onde de plaisir lui caressa les reins, et là, soudainement, il s’aperçut qu’il avait perdu jusqu’à la dernière goutte de son humanité.

Lucian partit d’un rire grinçant qui résonna et se propagea aux alentours. Les feuilles détrempées des arbres dont il ne percevait pas la cime – la pluie tombait depuis des jours -, bruissèrent, des branches craquèrent, il entendit chuinter la boue grasse. Quand la balle lui troua le ventre, il n’eut même pas le temps d’entendre la déflagration. Un sentiment de délivrance fusa dans tout son être. La mort enfin daignait l’enlacer. Lucian se coula entre ses bras, elle l’embrassa, et l’amour l’embrasa.

Le visage enfoncé dans la boue, il ne bougeait plus, en équilibre étrange, sur les genoux, les fesses en l’air. Il se serait trouvé ridicule. Autour de lui, la mort avait fait son marché, le silence régnait. Les marines et les Viets n’étaient plus que des cadavres indistincts. La pénombre gagna. Un troupeau de porcs sauvages s’attaqua aux cadavres. Un coup de groin fit tomber Lucian sur le côté. Le cri de douleur qu’il poussa fit fuir le troupeau. Les infirmiers le trouvèrent inconscient, au milieu de la nuit. Lucian était le seul rescapé. Autour de lui les arbres avaient été cisaillés par les rafales, tous ses camarades étaient truffés de plomb, certains d’entre eux n’étaient plus que lambeaux éparpillés. La jungle n’était plus de ce vert sombre et brillant qui fascinait Lucian. Sur deux cents mètres l’écarlate régnait. Insectes, animaux petits et grands, se régalaient.

L’hélicoptère ronronnait. Sanglé sur une civière étroite, Lucian, entre  vie et mort, cauche-rêvait. Une nuée de gros moustiques affamés l’assaillirent, il avait beau fuir, ils le rattrapèrent, vrombissant autour de lui. Pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, ils le piquèrent tous au ventre. Il se débattait, hurlait, mais les vampires ailés  ne le lâchèrent pas. Son ventre n’était plus qu’une plaie béante, géante. Ses boyaux crevés débordèrent et coulèrent. Une merde verdâtre inonda ses genoux.  Il cria et la lumière revint. Les pâles de l’hélico sifflaient dans le ciel cotonneux. Lucian était sanglé sur une civière, un infirmier à genoux tenait une poche translucide au dessus de son visage, il lui parlait mais il ne comprenait pas. A sa gauche, les lourds staccatos du mitrailleur de bord l’assourdissaient, lui broyaient l’abdomen. Il s’accrocha au sourire fatigué de l’infirmier, à son visage flou puis referma les yeux. Ensevelies sous les tonnes de roche, de terre, d’eau de ses cauchemars, ses paupières ne se relevèrent pas avant des mois.

Lucius, entre la vie et la mort fut évacué de Saigon, peu avant la bataille finale. Transféré au Mount Sinaï Hospital de New York, il rouvrit les yeux le 30 avril 1976, un an après la chute de Saïgon. Le grand gaillard pesait à peine quarante cinq kilos d’os et de peau. Les Eagles déroulaient Hôtel California en sourdine. Des mois de souffrance, de rééducation plus tard, il sortait de son cauchemar, retapé autant qu’il se pouvait. Bourré de calmants, ses nuits n’étaient que longs cauchemars récurrents. Il dormait dans la rue, cherchait la chaleur du sol à défaut de celle des humains, ramassait les pièces qu’on lui jetait sans qu’il ait eu à les demander. Avec son visage bistre crasseux, sa barbe et sa tignasse en broussailles, il faisait peur aux passants. Son regard absent n’arrangeait pas les choses, un regard fiévreux, iris noire et sclérotique jaune, un vrai regard de camé psychopathe. Mais il avait pourtant une telle présence, que les badauds interloqués s’arrêtaient un instant, bredouillaient puis s’enfuyaient après lui avoir jeté quelques sous. Parfois même, et assez souvent, de gros billets.

A tourner, déambuler, explorer la ville, il avait fini par élire “domicile” au pied des marches du MMA. Sue la soiffarde passait de temps en temps. Elle s’asseyait, le plus souvent ivre à mourir, elle parlait des heures de ses enfants morts, de ses anciens très beaux amants, reins d’acier et pines dures, de la lune qu’elle aimait d’un amour fou. Lucian l’écoutait sans mot dire, il aimait ses longs discours décousus étonnamment construits, surprenants autant que poétiques. “Je suis le soleil mort amoureux de la lune, de ses cratères ombreux, de ses quartiers lumineux, de ses rousseurs automnales, de sa rondeur pulpeuse. Demain mon gars, elle m’aspirera dans ses délices” c’est ainsi qu’elle finissait toujours son délire bredouillant. Lucian aimait ça. Puis elle se relevait difficilement et regagnait la 5ème en titubant. Jusqu’à sa prochaine visite.

En fait Lucian aurait pu bien vivre avec l’argent qu’on lui donnait, mais il préférait le distribuer aux clochards qui ne ramassaient rien. Et puis il y avait les poubelles, pleines de trésors. Il y entrait carrément et fouillait, il aimait ça, fourrer son nez dans la vie des gens. Elles regorgeaient de victuailles gaspillées, de quoi nourrir des régiments de pouilleux comme lui. Un jour, de maraude, à visiter les rejets de la ville, il tomba sur une mine de craies grasses, des bâtons de toutes les couleurs. Au moins vingt boîtes pleines et neuves. Il en bourra sa musette et les cacha dans les bosquets au bas de “ses” escaliers. Lucian se mit à gribouiller sur le sol au pied des marches. Au fur et à mesure que le temps passait, son poignet s’assouplissait. Un matin il crut que les craies étaient devenues ses doigts. Gammes après gammes ses hésitations disparurent. La nuit avant de s’endormir, les couleurs envahissaient son esprit, elles dansaient, s’apprivoisaient, s’ordonnançaient, se répondaient, se fondaient ou s’affrontaient quelquefois. Les bagarres étaient rudes, sans merci. Le rouge sang de bœuf attaquait sans cesse, il voulait dominer à tout prix, mais les jaunes solaires et les verts bronze puissants, résistaient, jusqu’à ce que l’écarlate leur fasse place. Les couleurs du monde, vives, agressives, et celles de son âme, nuancées, lumineuses, éclairées de l’intérieur, donnaient chaque soir un spectacle grandiose, mouvant, changeant, kaléidoscopique. Quand la bataille faisait rage sous son crâne, Lucian, époustouflé, était au spectacle. Ces nuits là, il finissait par sombrer dans un sommeil quasi léthargique, un sommeil total. Au petit matin, il en sortait régénéré, l’esprit et la sensibilité à vif. Alors il se ruait sur ses doigts magiques, la tête penchée sur son ouvrage, sourd aux fracas de la ville, il déposait sur les dalles, dans un état de surexcitation extrême, son travail de la nuit. Les touristes s’arrêtaient, de plus en plus nombreux. Bientôt le parvis fut totalement recouvert. Un patchwork d’œuvres soigneusement séparées, encadrées par d’épais traits noirs.  Quand la pluie les effaçait, Lucian ne disait rien, il acceptait humblement que le ciel décide. Et il repartait de plus belle, comme un mort de beauté. L’éphémère décuplait son envie.

Puis les artistes de la ville vinrent admirer son travail, plusieurs galeristes lui proposèrent un atelier, le gîte et le couvert, de l’argent, autant qu’il en voudrait. Lucian écoutait sans sourire, ne répondait pas, continuait son travail. Comme si sa vie en dépendait. Inlassablement. Les autorités de la ville voulurent lui interdire de “salir” le parvis du musée, mais les employés du MMA, les artistes New Yorkais, et la foule, de plus en plus nombreuse, qui venait admirer son travail, firent bloc en sa faveur. Basquiat, lui même prit sa défense. Certains pensent encore aujourd’hui, qu’il s’inspira largement du travail de Lucian.

A l’aube du 11 Août 1988, le gardien nuit du MMA quitta son travail à cinq heures trente exactement. Alors qu’il descendait les marches, son regard ensommeillé fut attiré par une tache noire, entourée d’un vaste cercle de laque rouge, en plein centre du parvis. Intrigué, il sourit, en se disant qu’il serait le premier à découvrir la nouvelle merveille de son pote Lucian. Il s’approcha. La tête décapitée du clochard le regardait. Ses yeux noirs brillaient encore. On ne retrouva jamais son corps. Le12 Août, Basquiat mourrait d’une overdose. Sue pleura  tout l’alcool de son corps.

UN RENARD.

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Les renards de La De à la sauce Warhol.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Certains l’appellent goupil, d’autres lui disent Maître,

Sous sa pelisse rousse de Doge de Venise,

De ses yeux flavescents il regarde le monde,

Qu’il a conquis jadis, caché derrière l’église,

Les hommes étaient enfants, c’était avant la crise.

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A petits pas sanglants, sur la neige écarlate

On peut suivre sa trace. Le chasseur silencieux

Tue tout ce qui passe sous son nez de Saigneur.

Sa gueule ourlée de noir dessous sa truffe humide,

Cache des crocs pointus comme dagues de Tolède,

Faites pour égorger cœurs jolis, plumes belles.

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Quand Goupil vous regarde, il sait tout de votre âme,

Vous croyez qu’il sourit,mais le subtil ricane,

Il voit au fond de vous, vos secrets, vos arcanes,

Les ombres qui palpitent au cœur des innocences,

Renard vous bouleverse, sa beauté inquiétante

Vous donne de longs frissons à vous serrer la nuque.

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Impossible de rimer sur le nom du roublard,

Le magicien vous tient entre ses griffes noires,

Il abuse vos sens et trouble vos consciences.

Au profond de la nuit, alors survient Renard,

Il s’immisce et vos rêves deviennent cauchemars.

Sa silhouette fine, son infinie patience.

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Regardez le ramper, Goupil est une flamme

Qui lèche les pieds nus des sorcières au bûcher.

What do you want to do ?

New mail

LA LIMACE.

Une limace folle au sillage argenté

Tortillait du croupion perdue dans ses pensées

Sous la lune rousse pleine elle vagabondait

Aglaé somnolait en traçant son chemin

Tout en croquant de l’herbe en suçant du cumin.

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Sur le bord du chemin un escargot croisait,

Toutes voiles dehors, sous de fortes risées

Il tirait de grands bords comme un voilier chargé

Séléné le guidait vers les feuilles gonflées

Il en bavait déjà, ses petits yeux brillaient.

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Aglaé se hissait, elle était déjà là

Quand le gastéropode aux cornes déployées

Dérapant et freinant au pied de Batavia

Vit la molle au sommet qui faisait son repas

Indigné l’escargot lui lança tout de go

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Que fais-tu là pauvre folle sans carapace,

Cette salade est mienne, lâche là drôlesse

Ou je me fâche et te punis de tant d’audace

Je t’écrase et fais de toi grasse bouillabaisse

Foi de Sire  Scargol empereur du jardin !

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Une main burinée aux ongles noirs de terre

A saisi le monarque, aussitôt il le serre

Et le brise en un rien, sa coquille a cédé.

Aglaé la limace au sillage d’argent

À l’abri d’une feuille rigole entre ses dents.

UN CHIEN.

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Le bâtard de La De.

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Hector est un chien fou d’extraction incertaine

Son gros museau baveux pleure à longueur de temps

C’est un bâtard racé à la démarche lourde

Et son cul de travers peine à suivre sa route

Il trottine de guingois, se prend souvent les pattes

Dans les trous trop profonds qui bordent le chemin.

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Sous ses sourcils épais comme balai de sorcière

Ses petits yeux chassieux coulent comme rivière

On croirait qu’il est triste quand son regard vous toise

Et qu’il pose sur vous ses deux billes d’ardoise.

Mais non il est joyeux et sa queue coupée rase

Brûle de frétiller pour vous dire son extase.

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Il trimbale avec lui le jour comme la nuit

Un doudou déchiré très vieux et très pourri

Qu’il a volé un soir toutes lumières éteintes

Le bébé a pleuré, ne s’en est pas remis,

Les parents affolés n’ont jamais rien compris

Dans la nuit sans étoiles, Hector s’est évanoui.

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Ses pattes sont si courtes, on croirait un boudin

Quand il saute du trottoir, il se lime les dents

Il aime sa maitresse et les petits enfants

C’est qu’ils sont à sa taille. De ses crocs ivoirins,

De ses dents de vieux chien leur mordille les mains

Et les bébés de rire, et leurs yeux  sont brillants.

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Quand il croise dans la rue, une bête de palace

Hector devient fou et se jette à sa gorge

Il faut le frapper fort pour qu’il lâche sa proie

Hector est un bâtard qui fait régner sa loi

Sa maitresse le gave de croquettes de roi

En espérant qu’un jour il prenne de la race.

UNE DINDE.

Sous sa parure noire, ses plumes bien rangées

Une dinde glougloute à longueur de journée

Elle a le port altier, la démarche ondulante

Ses petits yeux sont laids, sa dégaine navrante

Autour de son long cou pendent en grappes molles

Des billes de chair rouges, on dirait une folle.

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La basse cour se tait, lapin est terrifié

On ne voit que son cul qui dépasse du terrier

La dinde ivre de morgue passe comme une reine

Même le plus beau coq pleure comme une baleine

La pintade sidérée n’ose plus cacaber

Seul le bouc du crémier a osé l’affronter.

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C’est à grands coups de corne qu’il a chassé l’intruse

Et la dinde ulcérée aussi bête qu’une buse

A voulu s’envoler jusqu’en haut du pommier.

Mais son sac de cuir fin, un sac de grande marque

S’est coincé dans les branches. Vexée comme un énarque

Elle criaille plus fort, toutes plumes empêtrées.

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Dans le ciel saturé d’azur et de nuages

Un goéland l’a vue perdue dans les branchages

Le gros oiseau vorace a piqué comme un fou

Pour dévorer tout cru le soi-disant gorfou

Arrivé sur les lieux il a vu son erreur

Il a fait demi-tour, a regagné le ciel

Et la dinde est restée accrochée par les ailes.

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Mais le singe Kiki est arrivé bien vite

Séduit par la donzelle, il a brandit son vit

A embroché la dinde comme une vulgaire catin

Elle a hurlé un peu puis s’est accoutumée

A aimé tout à fait les assauts du macaque

La folle a cacabé jusqu’à lâcher son sac.

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Dans la cour le dindon alerté par les cris

A regardé la scène d’un air à peine contrit

Puis s’en est retourné dormir en son logis.

ET JE TREMBLE POUR TOI …

Illustration de La Folle De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ces femmes qui ne que sont des filles,

Affublées, provocantes, légères mantilles,

Me laissent sans voix et sans désir,

Mais la fille, jolie, qui est juste zéphyr,

Et fille aussi, lascive et fière,

Me met le cœur et l’âme, hors bière,

Aux fêtes rares des amours confites,

Elle, oui, frémit et me convie,

A me perdre, je veux, aux confins de ses yeux

Qu’elle a grands, limpides et si bleus …

——

Douceur lycanthropique, lave exsudée,

Organsin fragile, orages déversés,

Gestes gracieux, incontrôlés, énamourés,

Qui me tendent les bras, et toutes leurs vallées,

Profondes, brumeuses, goûteuses, inexplorées,

J’y tombe, m’y perds, m’y glisse, et m’y évade

Quand, pauvre hère, perdu, honteux, en rade,

J’allais, âme partante, voler vers d’autres mondes,

Bien au-delà des fins, des mappemondes,

Loin de tes fruits, tes orbes, tes courbes rondes …

——

Tu me regardes comme une enfant perdue,

Me prends, me donne, comme ta main tendue,

Me caresse, ta voix gratte à ma porte,

Qui claque, béante, sous le vent qui te porte,

J’exulte, interdit, me perds, m’oublie,

Quand, innocente, tu me retrouves, ma louve,

Me dis que depuis que les mondes ont jaillit

Des profondeurs, des magmas et des lits,

Des visages, des corps qui ont comblé ta vie,

Enfin tu sais, ce que veut dire aimer.

——

Alors je jette au vent mes oripeaux blanchis,

Me dépouille de la rouille, de mes amours rôties,

Je hurle à la lune combien j’étais meurtri,

Fracassé, désolé, aride et foutre de pie,

A toi, si rouge sous ta pâleur, je crie,

Qu’à l’heure où sonne le déclin de ma vie,

J’emmerde les catins, les animaux aux poils drus,

Les boues figées, les eaux sales et les dards pointus,

Les extases, les glus et les dondons dodues,

Tu es là, tu trembles, et je tremble pour toi …

——

Mon quartz, ma lumière, l’obsidienne,

S’est muée, j’aime ta lune pleine …