Littinéraires viniques » Kubrick

ACHILLE, ONDINE ET LE MANDARIN …

Biousphère. Ondine ?

 

Achille poireaute …

Depuis son entrée à l’hôpital psychiatrique une semaine à peine a passé. Très vite il a dû apprendre à faire antichambre. Au pavillon « C », déjà deux fois il a attendu longuement que Marie Madeleine, la bombe de Dublin – deux fois déjà il a rêvé, au profond de ses nuits glauques de lui allumer la mèche – veuille bien le recevoir. Il a vite compris que l’attente est signe discret de pouvoir en ce lieu ouaté où rien n’est dit jamais vraiment, où tout se suggère du bout des lèvres souriantes de ces dames (salopes de poufiasses!) aux blouses blanches. «Allez Monsieur Achille, avalez donc ces saloperies qui vont vous guérir. Faites nous donc confiance, vous verrez comme vous vous sentirez mieux, gnangnangnan ….». Alors Achille fait son docile, il avale la poignée de pilules, en garde la moitié au passage qu’il planque entre dents du fond et gencive, ouvre la bouche en grand pour que la mégère lui ausculte la gueule, voir si par mégarde ! Le cerbère satisfait sourit et lui tapote le bras. La conne ! Aussitôt fait il recrache le paquet de cachets gluants, plus amers encore que ses angoisses, vite fait dans les chiottes. Et enfourne un cachou. Putain ! Celle-là c’est la pire, une petite falote à lunettes noires carrées, avec sa bouche de crabe peinte en rouge sang, son chignon maigre, ses seins de cafard et son cul concave. Achille n’a jamais aimé les culs plats, ces culs sans appétit, ces culs de malheur. Et cette Arlette là – c’est son prénom – il ne supporte pas qu’elle le touche de ses doigts osseux. Les autres sont moins pires, suffisamment ternes pour qu’ils les confondent, elles font leur job, sourient même parfois à ses blagues à tiroirs, à double sens, voire plus, toujours grinçantes. Il y en même une qui rit franchement, avec sa bouche et ses yeux, qui se gondole et lui pose la main sur le bras, une main douce à la peau nette, aux ongles roses joliment faits. Il l’aime bien celle-là. Faut dire qu’en plus elle s’appelle Ondine, c’est beau non ? Elle l’a vu un soir cracher ses cachets dans son mouchoir, ça faisait une tache rouge et bleue sur le blanc du kleenex et sur le coin de sa bouche aussi. Ondine a laissé glisser un voile sur ses yeux et a tourné la tête sans rien dire. Depuis elle le regarde d’un petit air triste, sauf quand il la fait rire aux éclats de sa voix sourde, l’oeil terne mais la verve intacte. La verge aussi d’ailleurs, mais bon … Par moment. Quand l’araignée sommeille. Il est prêt à tout pour illuminer les yeux d’Ondine et chasser la brume lourde qu’elle pose sur lui. On dirait qu’elle partage. Parfois quand l’atmosphère est au calme, l’après midi – tout les loufdingues, abrutis par la came, roupillent dans les piaules – elle s’assied face à lui juste avant le goûter – parce que là-bas ça bouffe beaucoup, ça compense en s’empiffrant à ras-la-gueule – et ils causent doucement. Ondine parle peu, il lui récite des poèmes, elle ne le brusque pas, le laisse venir des heures durant. Coup de bol (à moins que … ?) quand on lui a affecté un référent c’est Ondine qui a été nommée (ou qui l’a choisi, enfin il l’espère). Il lui lui décrit ses émotions, ses absences, son chagrin, sa colère – la bleue comme il la nomme – le plaisir qu’il prend dans le parc quand il court. Il lui parle d’Octave aussi qui le regarde arriver au bout de la ligne droite. Et plein d’autres histoires, courtes ou longues, à épisodes parfois, comme les feuilletons dans les vieux journaux, qu’il invente sans effort. Ondine semble boire ses paroles, la tête entre les mains, les coudes posés sur la table, le regard au loin par delà les murs. Ça peut durer un quart d’heure, parfois une heure, voire plus, quand y’en a pas un qui se met à grouiner comme un pourceau derrière une porte, d’un coup comme ça, fait chier ! Alors Ondine atterrit, ou amerrit c’est selon, fait sa moue genre «zut, suis désolée Monsieur Achille, on continuera demain …», se lève elle et court la trotte-menu voir ce qu’il se passe là-bas derrière cette porte qui vibre sous les coups. Sous le front plissé d’Achille, l’araignée reprend son ariette aigrelette. Le blues retombe sur ses épaules comme un linge mouillé glacé.

Or donc Achille fait le pied de grue …

Devant le bureau du Ponte. Il n’est plus là. Ses yeux voilés regardent à l’intérieur, il est à la chasse à l’araignée. A chercher à lui clouer les mâchoires, à la faire taire cette salope de garce qui lui file entre les neurones et lui griffe le coeur à saigner noir. Elle ne marmotte plus sa cavatine au beurre rance plus amère que le goût des médocs. Non elle geint comme un enfant qui souffre dans le noir de sa chambre, à sanglots courts et aigus. Achille a beau se crisper, grimaçant à se péter les veines, retenir son souffle à étouffer, serrer tous les muscles de son corps, même ceux qu’il ne connaît pas, jusqu’aux crampes qui le gagnent, rien n’y fait, la putasse chouine continûment, insensible à ses efforts terribles.

La porte matelassée de cuir noir, s’ouvre, Daniel Mesguich – enfin son sosie jeune aux cheveux noirs calamistrés – le regarde un instant derrière ses binocles rondes d’intello parigot et lui propose à voix très douce d’entrer. Marrant les voix dans les H.P, ils doivent se la limer tous les soirs.

Achille s’assied dans un fauteuil profond à s’endormir. Derrière son Roentgen de vieux bois garni de cuir patiné finement doré, le Mandarin, appuyé au dossier de sa Bergère style « transition» recouverte de cuir aussi fauve qu’épais, impressionne Achille. Un instant. Puis le Manitou se présente, Médecin-Psychiatre-chef de l’H.P. Puis silence, mais sourire mesuré, visage détendu avec cette étincelle particulière dans l’oeil qui invite à répondre et que souligne un léger hochement de tête. Achille prend son air d’abruti, mâchoire à peine décrochée, lèvre inférieure lourde, lui sort son regard spécial celui qui lui donne l’air d’un doux crétin mais pas dangereux, un regard étudié, travaillé au quotidien. Le silence s’allonge, l’atmosphère du bureau a quelque chose de chaud et rassurant, Achille s’enfonce dans le fauteuil et passe en phase II. La tête penchée vers l’avant, il affiche son regard «Orange mécanique», sa tête de psychopathe à sang froid bien décidé à défendre son droit à courir auquel il tient tant. Sa Sommité sourit de plus en plus, à presque rire en silence et lui dit à voix presque inaudible «Vous le faites bien … mais détendez vous et dites moi …». Alors Achille sourit à son tour. Un grand, un beau rictus de crotale, venimeux, menaçant, canines découvertes et front très bas. Napoléon ne semble pas s’inquiéter, il compulse le dossier ouvert devant lui, relève les yeux, regard perdu et lui dit sans le voir «Ce n’est pas le film de Kubrick que je préfère, et vous non plus je présume». Achille ne bronche pas mais renonce à lui balancer «Vol au dessus d’un nid de coucou» histoire de voir. Mais non ce con les a tous vus, tu parles ! Garde un instant baissée, il dit vouloir et pouvoir courir tous les matins, il en ressent le besoin, c’est vital, irrépressible. Et tant qu’à faire il veut être autorisé à suivre les cours de sport du matin. Aussi ! Stalénine ne répond pas d’emblée à ses demandes, il l’interroge sur les raisons de sa présence à l’hôpital. Achille, bouche pâteuse et verbe hésitant se concentre longuement pour répondre insolemment «Pas trouvé de chambre dispo dans les hôtels de Saint Trop’, ici c’est un second choix, le climat des Yvelines, vous comprenez !». Mais Fidel ne bronche pas et retourne au silence. Sans prévenir, l’araignée mord Achille à la nuque et distille dans son cerveau ramolli son jus d’angoisse. Une vague se met à rouler au fond de ses tripes en spasmes douloureux puis le déborde pour lui inonder les yeux. Un flot salé et silencieux qu’il ne peut empêcher le submerge, le libère, l’araignée se rétracte et le griffe un instant, couine salement comme un furoncle percé puis se tait. Honteux Achille se mouche, paupières closes et tête baissée, renifle, bredouille enfin «Laissez moi courir …». Hugo ne sourit plus, il a le front plissé, ses paupières clignent en rafales, sa bouche s’ouvre et se referme comme si l’air lui manquait. «Bien» dit-il, «bien, bien … soit». Achille bafouille un «merci» glaireux entre deux sanglots de bébé rassuré. La mer s’est calmée, il se sent vidé, presque un peu délivré. Un quart d’heure passe, ou une heure, il ne sait pas. Au fond de lui il ne voit plus qu’un point noir, un oeil de cyclope minuscule qui palpite sur les cristaux brillants que la mer enfuie à laissés.

Et le bruit apaisant d’un ressac régulier.

Achille le flapi, dans la nuit de goudron, s’est affaissé dans son fauteuil comme une vieille chouette empaillée. Les souvenirs l’ont dévaginé, l’air ambiant lui est plus insupportable qu’une soie tissée d’inox tranchant et de dents de requin. Il frissonne à houle continue. L’oeil doré de «Mont de Milieu» s’étale largement dans le cristal du beau verre à long pied que la lumière brûlante de la lampe inonde. Aux taches vert bronze mouvantes et aux reflets cramoisis des murs tapissés de rouge qui dansent dans les replis de la robe éblouissante, du coin de l’oeil le dépiauté s’accroche. Quelques éclairs fauves, moirés et capricieux, chatoient à la périphérie du disque cristallin. Comme jadis Achille attend que le passé reprenne sa douleur, qu’elle retourne au néant des souffrances vaincues. Au gnomon, aveugle la nuit, le temps s’arrête longuement, le soleil ne brille plus, les aiguilles sont figées, le vol est suspendu. Rien ne bouge ni ne bruisse, les respirations rauques des tortures enfouies ne peuvent lui parvenir, les cornages putrides des homoncules dormants non plus.

Alors Achille reprend forme et revient.

A ce vin frais habillé de buée. Pur or immobile qu’il lève précautionneusement. Le Chablis 2000 du Domaine Billaud-Simon le regarde et l’attend. Il s’est épanoui à l’air et explose aux cellules olfactives du célébrant. La citronnelle traverse la mangue, la pêche et le pamplemousse puis cède aux épices délicates. Quelques notes fines de miel, de tisane et de foin sec ferment la ronde. A l’avalée, une purée juste grasse de fruits jaunes et juteux inonde son palais conquis. Le jus sec lui semble moelleux tant la chair est riche puis le pomelo revient, retend le vin qu’une fraîcheur mûre allonge plus encore. Achille avale à regret, le coeur en paix et le kiméridgien imprime sa marque minérale et désaltérante. Sa bouche est en adoration.

A n’en plus finir.

Dans le verre vide

Une goutte grasse roule

Comme un dernier pleur oublié …

 


EFRAMOCATISÉECONE.

ACHILLE, LE RÂTEAU ET L’EXCAVATRICE …

Stanley Kubrick. Lolita.

 

Achille allait sur ses dix-sept ans. Il avait oublié le goût du lait, de l’eau et du cidre, depuis que petit bout d’enfant il trônait sur les genoux ronds des monos de la colo

C’était plein hiver, pourtant elle était habillée en Juin …

Un pantalon pas trop collant. En ce temps là, le collant était réservé aux dessous ou aux fins de soirée, à s’être trop serrés, frottés, malaxés. Fallait rentrer à pieds, dans le noir, tête dans les nuages et culotte poisseuse. Pantalon donc, près des fesses, mais pas dans l’entre deux. En toile légère,à petits carreaux vaguement vichy. Tissu mou qui faisait des marques aux genoux. Une cotonnade de pauvre aussi moche que le lin des riches. Un genre de blouse large au dessus, de style vague, qui atténue les formes mais n’empêche pas l’imagination. Informe, un peu sac mal taillé. Une paire de ballerines sans grâce en cuir noir. Mais des yeux, une peau, des cheveux … Putain, on ne voyait que ça ! Après ça, le reste devenait habits de princesse, fringues haute couture, soie et falbalas. On voyait, on regardait, on rêvait, on idéalisait, on fantasmait. De loin, à la sortie des filles, de l’autre côté du lycée. On rosissait, on rougissait, parfois, en secret, à l’intérieur de soi.

La môme carotte aux cheveux en cascade d’automne l’hypnotisait. Une menue mangouste, vive, agile, déroutante, qui le tenait sous son œil de menthe fraîche piqueté de pépites dorées. Selon son humeur versatile, elle souriait, le regard franc, ou boudait, tête baissée et lèvres plissées. Ses surprenantes sautes d’humeur se lisaient à la couleur de ses yeux qui pouvaient passer, le temps d’un subreptice cillement, du jade limpide au lapis profond, tandis que son babil de perruche devenait silence menaçant. Achille, innocent, y cherchait des raisons, une logique subtile, qui lui échappait, le dépassait et lui serrait le cœur. Souvent il en parlait à son copain Hector, esprit terrien, qui lui conseillait de s’en foutre et de rester concentré sur un seul objectif, vital celui là : « se la faire » ! Mais à l’aube de sa vie, Achille souffrait de mille angoisses, et l’acné tenace qui lui ravageait la face du front au menton, purulente et disgracieuse, lui mangeait aussi l’insouciante confiance en soi qu’il avait un peu eue dans son enfance. Le soir, dans la moiteur de ses draps rêches, le juvénile voguait longtemps sur les rives du sommeil, tournait et retournait, passait des grandes chaleurs brûlantes des espoirs excessifs, aux plaines glacées des plus sombres tourments. Et les obscurs devoirs de math au dessus desquels il dévorait son bic, l’esprit noyé dans les froides émeraudes de la belle insaisissable, le laissaient sec comme peau d’orange au désert, et n’arrangeaient rien à son état.

Or donc Achille espérait, œil de caniche, échine ployée, accepté et rejeté à longueur de temps. Il multipliait les tentatives, essuyant échecs et humiliations répétés. Ses poèmes, endiablés, évanescents ou torrides, se heurtaient au rire idiot de la sorcière qui n’y comprenait que pouic. Elle avait de beaux yeux, certes, mais était basse de plafond, désespérément futile, violemment addicte à la surface des choses. Parfaite petite consommatrice égoïste, elle était plus attachée à son image qu’un imprimeur Spinalien, plus soucieuse de son apparence qu’une fashion-victim. En un mot comme en mille, elle était d’esprit superficiel, mais de complexion angélique. Rien de surprenant à ce qu’elle s’appelât Candice, comme le sucre, quasi éponyme, qui fond sous la langue et laisse bouche poisseuse…

Après s’être gorgé d’elle, mirage lointain et vibrant, comme de l’eau d’une fontaine d’hydromel, Achille se résigna à la défaite. Il la voyait, au sortir du lycée, qui enfourchait la vespa blanche d’un garçon dégingandé, à la mèche savamment rebelle, qui se serrait contre lui en crépitant comme une crécelle. A l’angle de la rue, il comprit qu’il lui faudrait l’oublier. Mais à dix sept ans, les émotions sont nouvelles, fortes, tenaces et douloureuses, plus encore que sur le vieil âge. Alors Achille dégusta le pire vin d’amertume de sa vie. Le soir dans son lit étroit, il pleurait et se vidait des humeurs bilieuses qui lui cartonnaient la gorge. Étrangement, il constata qu’il aimait ça aussi. Son ego exultait, il était seul au monde à connaître tant de souffrance, nul n’égalerait jamais sa désespérance. Mourir, oui mourir délaissé, il ne voyait que ça.

Hector ne le lâcha plus et l’entoura de son amitié bourrue, le rudoya et lui mit le nez dans sa complaisance malsaine, en face des trous. Lui parla d’une de perdue pour dix pintades à farcir, l’initia aux joies de la bière tiède et aux riffs des Stones. Insensiblement Achille délaissa ses très saints Beatles, adulés jusqu’alors, pour s’enflammer aux sauvageries de groupes inconnus. Jusqu’à se fondre comme acier en sidérurgie, aux éructations rauques des nouveaux hardeurs naissants. Il entra dans la secte des excessifs en toutes choses. Lui qui n’était que duvet d’oiseau tendre, donna dans le psychopompe et les catacombes, la musique hurlante et les beuveries sauvages. Son acné disparut ! Ses eaux lustrales furent plus noires que jus de charbon.

Son corps s’allongea, son visage s’émacia, son regard se durcit. Il comprit – du moins le crût-il un temps – que l’aristocratie des goûts est affaire de groupuscules durs et intransigeants. A mépriser le monde des « mous de la tronche », comme il les nommait, lui attira les grâces des groupies éperdues qui cherchaient à travers l’espoir d’être adoubées, une raison de combler leur vide abyssal. Il reconnaissait les plus prometteuses d’entre elles à la qualité de leur rire ainsi qu’à leur regard en deux dimensions. Achille s’en gava, devint un prédateur froid, sans foi ni cœur (sic), et s’évertua à épuiser le cheptel des rousses à bouches souples de la ville. Nombre d’entre elles, plus rouges qu’acier fondu, souffrirent. Il s’en repu et les croqua comme noix fraîches … Du haut de sa suffisance, il apprit la puissance des mots, bien plus dévastatrice que celle des poings. Son verbe devint acier de Tolède. Il en usa et abusa sans états d’âmes. La musique intensifia son pouvoir. Quant il tapait comme un damné sur les peaux tendues de sa batterie, au cœur de son groupe de gratteurs de grattes éructantes, il se croyait maître du monde. Et ramassait à l’excavatrice des chapelets de donzelles consentantes. La vengeance est une rousse qui se mange chaude. Il lui fallut du temps pour passer de la boucherie industrielle, à la génisse bio élevée sous la mère.

Mais …

Le soir, en secret il écoutait Joan Baez …

Sous sa couette noire, il n’était que douceur,

Derrière les eaux sombres de son regard,

Le bleu azur attendait,

Que la vie revienne.

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Le temps a passé …

Les Lolitas ne sont plus,

Que fades égéries de Lempika …

Au cadran de l’horloge absente, le temps, toutes les nuits, s’arrête, comme par miracle. Ces moments d’extrême solitude, Achille les aime. Les chérit. Les attend. L’espace s’entrouvre. À sa mémoire remontent les émotions, les images, la compréhension silencieuse de l’histoire de sa vie. Toutes ces années, ces heures, ces secondes, souvent plus intenses que des lustres, il les fête, les visite, les revit, les regrette ou soupire du bonheur de n’avoir plus à les affronter. Il y a belle lurette qu’il a délaissé les plaisirs frustes des alcools improbables, pour l’univers subtil du jus des treilles … Mais cela est une autre histoire. Dans le silence, sous la lumière jaune de sa lampe, il se perd dans l’or pâle du soleil d’hiver liquide qui pulse dans son son verre ventru à long pied. Sa conscience se noie dans la robe tendre du vin. Autour de lui les parois de cristal fin l’enveloppent. Une fraction de seconde, les yeux clos, il est hors de lui et communie avec le vin.

C’est un jus aérien du Domaine Pattes Loup, un Chablis 1er Cru « Beauregard » 2009 de Thomas Pico, longuement aéré qu’il s’apprête à déguster. C’est d’abord la précision des arômes qui le surprend et l’émeut. Des fragrances de fleurs blanches, de melon, de fruits de la passion, puis d’ananas à peine rôti, et de citron mûr enfin, montent en guirlandes odorantes jusqu’à ses narines recueillies. C’est une belle matière, ronde, onctueuse, grasse en bouche, sans trop, fourrée aux fruits exotiques, gourmands mais sans excès, qui lui remplit la bouche. Puis le jus pur et précis du citron fend la boule de fruits tendres, et donne au vin une belle énergie qui le relance et l’équilibre. Le vin, une fois disparu au delà de la luette, laisse sur langue et palais sa double empreinte suave et fraîche, très longuement. Longtemps après l’avalée, l’avaloir marqué par la soie crayeuse et finement salée des coteaux marneux à exogyra virgula de Courgis, retrouve le goût désaltérant du citron de Menton qui revient en rétro.

Rien à voir avec les Chablis ordinaires,

Décharnés et détartrants,

Qui encombrent les linéaires …

EROUMOGEOTIYANCOTENE.