Littinéraires viniques

MAIS CE TEMPS EST ÉCHU.

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Les grands lacs des yeux morts par La De.

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Hontes bues, ego nus, précieuses et merveilleux,

Ensablement des sens, neurones montsantisés,

Pesticide innocent saupoudré, camaïeu,

Pornographie banale, érotisme chassé

Du couvent convenu des convenances fades.

Le sang pâle des cœurs roses, accrochés aux estrades,

Guignols et mirlitons penchés bas aux balcons,

Enfilades de perles, enfilages de mouches,

Hameçons de cartons et brochets Scaramouches,

Blasons engorgés d’or, noblesses de savon,

Coffres forts exposés aux regards des pigeons.

Catapultes foireuses, huile bouillante jetée

Sur la foule insensible occupée à selfier.

Les grands lacs des yeux morts de n’avoir regardé

Tomber le ciel en miette, et les ventres éclatés

Des enfants colorés, dézingués tout l’été

Par les cohortes noires, la hargne déchaînée,

L’orient et l’Occident aux doigts si fort serrés.

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Dans les plaines Mongoles, les ruisseaux fifrelins,

Chantent à l’unisson de grands airs cristallins,

La crinière des alezans flotte sur la steppe,

Quand Gengis le grand, sous le vent des conquêtes,

Galope à brise folle vers l’Occident frivole.

Mais ce temps est échu et la terre devient folle.

LE TIGRE LE LION ET LE JAGUAR.

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Le cirque de La De.

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Le Bengale est bruissant, le vent dans les forêts,

Les moustaches aux délices, les rayures se faufilent

A pattes délirantes, en plein cœur du Bhoutan,

Sa fourrure ondoyante, le fauve est affamé,

Le sari déchiré, sous ses griffes le sang,

Elle n’a pas pu crier, Kali gorge d’argile.

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Allongé sur la branche, le jaguar philosophe,

Les yeux entrebâillés, l’odorat aux aguets,

Il rêve de phacochères aux graisses délicieuses,

Se récite des vers, de belles et longues strophes,

Le souffle au ralenti. Ses rosettes tachetées,

Sur son pelage roux, comme des pierres précieuses.

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Sur un amas de roches, il contemple, cœur amer,

Sa crinière est plus noire que le cœur de Zemon,

La savane à la vague, le soleil est au ras,

Le lion dédaigneux, ses crocs des cimeterres,

A bâillé, langue rose, a rugi du tréfonds,

L’antilope s’est enfuie, une flèche de soie.

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Dans mes rêves de madras, je me suis enroulé,

Le tigre m’a souri, la jaguar a feulé,

Le lion endormi pas même n’a bronché.

Sur l’ambre de leurs yeux le ciel s’est reflété.

MELANCHOLIA.

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L’étrange Mélancholia de La De.

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C’est une mélancolie couleur des vieux lilas

C’est une poussière pâle qui se glisse dans mes draps

Un vieil étang ridé bordé de joncs meurtris

Et le chant des oiseaux qui se tait à la nuit

Les hérons gris salis blottis dans les taillis

Le crapaud en bouillie tombé dans le fossé

Et les étoiles s’éteignent quand un souffle exhalé

Traverse les espaces, ne laissant nulle trace.

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C’est une Mélancholia invitée par hasard

Au bal des Contes Noirs un soir de désespoir

Qui s’était déguisée en un trop fol espoir

A moins que ce ne fut un trop beau cauchemar

Mélancholia soupire, c’est une triste lyre,

Toi sale déesse tu ne sais que maudire

Tu te repais gourmande te gaves de martyrs,

A leur briser les os, les figer dans la glace.

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Mélancolie ma mie je te hais je te prie

Tu es le sang du sang blottie au fond du lit

Dans le creux de tes seins fleurit le pissenlit

Qui pousse tête en l’air sous la pierre lazuli

Sous la stèle funèbre sous laquelle un beau soir

Je n’irai pas dormir tu peux toujours sourire

Les ailes des colombes effrayées dans le noir

Mélancholia vorace, tu m’aimes à en mourir.

JE MARCHE COMME UNE OMBRE.

Sous le couvercle du sarcophage par La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Le vent cet enragé balaie le ciel figé

Comme le sang bleu perdu des siècles oubliés,

Les cyprès effilés, agités se balancent,

Indolents et muets, rythmant le temps qui danse.

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Dans les allées en croix du cimetière éteint,

Groupés en rangs serrés les tombeaux des anciens.

Sous la terre gelée, on entend grelotter

Les crânes et les os des corps abandonnés.

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Mais que sont devenus les cercles enchantés,

Ils y parlaient jadis la langue échevelée,

Le jabot prétentieux, le visage poudré

Entre leurs doigts crochus le monde gémissait.

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En ce jour de frimas, sous les dalles de marbre,

On entend le silence de leurs âmes éplorées.

Je marche comme une ombre vers le feu des enfers,

La dépouille sans vie va partir en fumée.

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Tous ceux qui vont mourir, autour du sarcophage

Exposé à la foule. Dans le bois qui l’étouffe,

Il crie sans qu’on l’entende. Le bel aréopage

Sait que la mort est là qui se rit de l’esbroufe.

LES HERBES SONT COUPÉES.

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La fleur crue de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La fleur crue tressaille sous l’abeille

Qui lui compte fleurette,

La fleur cuite s’est endormie flapie

D’avoir trop l’a tuée,

La fleur fanée rêve d’un beau bouquet

Et d’épines de roses,

A lui griffer dos et solitude.

La fleur tranchée par la dent trop dure

Saigne, pleure, et se meurt

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Le jardin flamboie, la lune est haute.

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Sur la grève verte la mer a laissé

Bouquets de fleurs salées,

Sur la grève la mouette a crié

Les trilles mortes de froid

Que la grève esseulée espérait,

Sous le flux mémorable

Le sable rit jaune au vent endiablé,

La vague l’a blessée,

Coquillages meurtris.

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Les algues se balancent, molles, décharnées.

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Le nuage a passé, le ciel se poudre

D’eaux et de grains à moudre

Au moulin des soupirs,

Le nuage salé sous ses yeux

Éclairés mais fermés,

Vraie valse des oublis,

Le nuage noir du sang déversé

Au lendemain, à l’heure

Où la lune est tombée.

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La montagne solitaire, les herbes sont coupées.

LA POÉSIE CRASSE DE SUIE.

La poésie au cœur des ténèbres par La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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La poésie se fâche

Tous ces chialeurs l’ennuient

Elle a grand faim de froid chaud cru

De pomme d’api en terre chaude

Au bout de son couteau pointu

De compagnons et de ribaudes

De cheminée crasse de suie

De flacons rares, de gros qui tâchent

Aussi !

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La poésie est une bernache

Elle a le mors aux dents saignant

Plus une corde à sa guitare

Son gros tambour de peau de morte

Fait un bruit sourd de femme forte

La poésie est une avare

Qui donne à qui est bel amant

La poésie est une vache

Meurtrie !

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La poésie vieille patache

Ne sait pas même ce qu’elle dit

Elle a connu toutes les batailles

Les gros chagrins des petits amours

Les vieilles barbes et les moustaches

Illuminés pauvres maudits

Ont célébré ses funérailles

Mais la futée a de l’humour

Dépit !

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La poésie jamais ne lâche

Ce qu’elle tient fort entre ses dents

Et le poète est son esclave

Il ne peut rien quand elle ne veut

Il a beau faire jamais ne gâche

Les envolées ou les élans

Entre ses mains la triste épave

N’est que sa plume d’encre bleue

Oubli !

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La poésie souvent se cache

Fait bouche d’ange et grands yeux bleus

Sourit aux mièvres comme aux mutins

La poésie fait sa putain

Se donne des airs de catin

Puis elle coupe les mains

Crève le cœur et les yeux

Des timorés et des bravaches

Farcis !

La poésie aime la cravache

C’est une sans cœur et sans vertu

Elle aime à prendre à être prise

Dessus dessous en haut en bas

Pas de discours de falbalas

De ronds de jambes de rimes grises

Elle ne respire que dévêtue

La poésie est une apache

Envie !

UN BUFFLE.

Le macho-Buffalo de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Macho le buffle noir est un monstre de basalte

Sous son casque de corne érodé par les guerres

Son mufle de jais mouillé aux narines épatées

Fait un bruit de chaudière lancée à toute allure.

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Macho, statue de lave figée, spadassin

Marmoréen des temps à jamais disparus.

La savane était belle et la vie dissolue

Le soleil régnait, implacable assassin.

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Macho souvent s’endort, il rêve de ciel bleu.

De bufflettes coquettes et d’ébats langoureux.

Alors les pique- bœufs fourrés dans ses naseaux

Nettoient à coups de becs, insectes et vermisseaux.

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Macho, indifférent, rumine lentement,

Songeur il se souvient des féroces lions

Accrochés à son dos et leurs griffes plantées

Qui déchiraient son cuir. Et le sang ruisselait.

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Macho au temps jadis était un dominant

Que toutes les femelles regardaient en beuglant

Sa troupe était nombreuse, les buffletins joyeux

S’ébrouaient dans l’eau claire en jouant deux à deux

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Sournois, le crocodile parfois se risquait,

Avide de chair fraîche, les bufflons l’excitaient

Les yeux au ras des flots comme une branche morte

Doucement s’apprêtait à trancher les aortes.

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Macho d’un œil éteint le laissait approcher,

Feignait de réfléchir en prenant l’air absent,

Puis d’un geste brutal ses cornes transperçaient

Jusqu’à briser les os, le dos de l’imprudent.

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Aujourd’hui le soleil a perdu sa superbe

Quand il est au zénith il est plus blanc qu’un mort

La savane dépérit, rare se fait l’herbe,

Et Macho le têtu connaît déjà son sort.

ET QUE LA VIE.

La Vie dans l’oeuf de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Et Feu créa la flamme aux arcs électriques

Aux langues écarlates échappées du soleil.

Du fond des terres sombres, lumières égocentriques

Enchâssées dans la pierre des temples et des merveilles

Évadez vous enfin des sarcophages froids

Brulez à en mourir, éclatez les cratères

Ne laissez pas la bête glacer vos cœurs d’effroi

Ni vos lèvres sucer le sang de vos misères.

Élancez vous, hurlez, remontez des entrailles

Des tripes purulentes fauchées pas la mitraille

N’oubliez pas les cris des ventres qui défaillent

Osez lever les yeux vers les cimes aigües

Jetez aux bas ravins les discours ambigus

Des hommes enlaidis par trop d’incertitudes

Il faudra bien qu’un jour le monde se secoue

Exacerbe la vie, secoue les hébétudes

Et que la vie enfin s’extirpe du dégoût.

LE OUISTITI.

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Le ouistiti de La De.

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Il a voté pour le régime de bananes,

Tout jaune, tout gros, tout odorant, dodu à craquer,

Il se fait une joie du festin à venir.

Là-haut entre les larges feuilles luisantes,

Qui ronronnent, dolentes, en haut du bananier,

Les bananes opulentes le regardent et sourient.

Ils les épluche du regard, tremble et balbutie,

Les avale, anticipe, sa glotte se trémousse.

Déjà sur son palais ça vanille bien gras,

Ses boyaux à la fête, déjà son ventre est plein.

Au pied du bananier, c’est une grande troupe,

On vocifère, comme un essaim de guêpes folles,

Les uns de fédérer les autres de diviser,

Le ouistiti a peur de ces singes énervés,

Il a quitté la scène, renoncé au banquet

Qu’il promettait de faire. Au fond de la forêt,

Il attend patiemment que le drame se dénoue.

Alors les clans hurleurs, à grands coups de crocs blancs,

S’étripent et se lacèrent. Les babouins aux dents jaunes,

Les bonobos paisibles, macaques et capucins,

Orangs-Outangs cruels et même les gibbons,

Se joignent à la lutte. La cervelle en compote.

Bientôt, les cadavres en tas noirs s’amoncèlent,

Les combattants faiblissent, les rescapés renoncent,

Les bananes flambantes, personne n’y a touché.

Les arbres sont muets, la faune s’est terrée.

Le ouistiti malin a grimpé en chantant, le régime lui tend

Ses fruits de pulpe tiède. Le petit prend son temps,

Entre ses doigts gourmands, délicats et charmants,

La chair, au goût de joie, qu’il déguste en riant.

LE GLOBE, LA CHOSE ET AUTRES VOYAGES.

Le Globe by See magazine.

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J’ai ouvert les yeux. Il faisait clair devant. Au travers d’une paroi translucide. Entre elle et moi une sorte de soucoupe volante de grand diamètre posée sur la tranche. Perpendiculairement au sol. Un sol mou, flasque, humide. Puis j’ai distingué une lumière grise filtrée par la paroi dont je voyais à peine les bords, la soucoupe occupant presque toute la surface. Je me suis retourné, derrière moi les ténèbres. La peur m’a mordu à la gorge. Elle n’a pas duré, elle s’est même dissoute au fur et à mesure que la conscience me revenait. J’étais lilliputien, minusculissime au regard du globe gigantesque. Une cathédrale de chair de consistances diverses. Certes j’y étais ! Mais je ne savais ni quand, ni pourquoi, ni comment je me retrouvais là. L’espace d’une fraction de seconde la lumière disparut. Elle revint aussitôt. De même intensité. Une ombre venait de balayer le globe comme une aile géante aux bords effrangés. Une menace subreptice et inquiétante. Et la boule bougeait à intervalles irréguliers, à perdre parfois l’équilibre. A la nuit tombée, enfin ce que je crus être la nuit, la boule s’est inclinée à 90°, j’ai glissé sur le sol spongieux, comme sur un de ces toboggans géants sur lesquels les enfants glissent pour atterrir en hurlant dans la piscine en faisant un grand plouf.

Alors moi aussi j’ai fermé les yeux.

Et j’ai sommeillé tant bien que mal, j’ai rêvé que je visitais mon corps, un voyage à l’intérieur. Rien d’autre ne m’est resté en mémoire au réveil, simplement cette impression générale vague, floue, sans détails. La lumière est revenue dans le globe, toujours aussi grise. La grande aile géante est passée plusieurs fois, à grande vitesse, clarté et ténèbres se sont succédé créant un effet stroboscopique agressif. Le globe à basculé à l’inverse, j’ai dévalé la pente à rebours et me suis retrouvé dans la position de départ. Les tressautements irréguliers ont repris. J’ai eu peur à nouveau, mais cette fois la peur s’est installée. Sans doute liée à cette claustration dont je ne voyais pas l’issue.

Alors je me suis retourné vers le fond du globe et j’ai marché vers le noir impénétrable.

Comme un somnambule, les mains crispées, tendues droit devant moi, je me suis avancé à petits pas hésitants. Une paroi molle, gluante, m’a arrêté au bout d’un temps indéfini. A tâtons j’ai exploré la paroi. A hauteur de visage j’ai découvert une sorte de tunnel de matière très ductile qui m’a semblé permettre le passage. Quelque que chose m’attirait. Quelque chose d’irrépressible. Quelque chose de l’ordre de l’implacable nécessité. Je m’y suis enfoncé. Quelle étrange impression ! Rien ne contrariait ma progression, la matière s’ouvrait devant moi puis se refermait. J’ai fait demi tour pour voir, cela m’a rassuré, je pouvais rebrousser chemin sans effort, le même phénomène d’ouverture-fermeture se reproduisait. Petit à petit la pente s’est accentuée jusqu’à devenir folle. Normalement je n’aurais pas dû pouvoir grimper à 90°, pourtant je me hissais sans plus d’efforts, j’ai pensé que la matière qui m’entourait devait m’aider sans je puisse m’en rendre compte. Ma petite taille devait certainement me handicaper, je me sentais comme une poussière dans un désert, ridiculement insignifiant, très certainement invisible pour les êtres de ce monde là. Alors sans avoir aucunement besoin de m’allonger, porté par la matière noire, je me suis endormi à nouveau.

Comme la fois précédente j’ai fait le même caucherêve, ou plutôt je crois l’avoir poursuivi en visitant de façon aléatoire le dédale complexe de mes organes. Rien ne m’était impénétrable. Il m’a semblé, sans que je puisse faire mon péremptoire en l’affirmant mordicus à la face du monde, m’être longuement promené dans les méats suspects de mon foie, en me disant que je ferais bien, ou alors ce serait suicidaire, d’arrêter de me repaître comme un mort de plaisir de vins fins et de mets roboratifs, et plus encore de picrates incertains et autres charcutailles de porc douteuses ! Oui cet organe essentiel, je l’ai trouvé bouffi, variqueux, jaunâtre, morne, essoufflé, peinant à régénérer le sang épais d’un presque noir puant, alors qu’il aurait dû être triomphant, rouge sombre, souple et gorgé de sang andrinople chargé de nutriments, un sang qu’il eût pu en deux trois coups de pompe renvoyer, pur comme jus de grenade fraîchement pressée, vers mon corps assoiffé de vérité.

Quand j’ai repris conscience, il devait être, je n’en sais rien ? Et je me suis mis à aimer le fait d’avoir perdu la perception du temps, ce temps voltigeur de la mort certaine. Aurais-je atteint l’immortalité, cette vie éternelle dont rêvent tous les egos irréfléchis qui ne voient pas plus loin que leur champ de narcisses ? Je me suis mis à rire, un rire de tête, un rire silencieux qui m’a servi de petit déjeuner, car le rire est hautement nourrissant.  Sans avoir su m’en rendre compte je suis arrivé au bout du tunnel noir pour me découvrir assis, les jambes ballantes, au bord d’une salle toujours géantissime eu égard à ma microscopie. Un lieu différent, un sarcophage approximativement oblong, aux murs osseux impressionnants, épais, inégaux, raboteux et rugueux comme des hommes du vingt et unième arrondissement de Paris. Oui je sais cette comparaison est pour le moins fausse, elle exprime pourtant parfaitement ce que j’ai ressenti à ce moment précis de mon caucherêve épisode deux. De toute façon il est bien normal et excusable qu’un être à la recherche de sa vérité, des vérités et, mais cela est une nouvelle fois hautement improbable, de LA vérité, se trompe, se plante, se vautre régulièrement.

Entre la CHOSE et les parois de la salle oblongue, deux mètres environ, deux mètres, enfin … à mon échelle, qui me permettraient une déambulation confortable, debout sur le toit de «  l’innommable » jusqu’au fond obscur du sépulcre. Oui je dis sépulcre car l’énorme étrangeté immobile drapée dans une sorte d’enveloppe épaisse devait certainement être morte, ou alors appartenir à un règne inconnu de moi. D’où je venais il m’a fallu d’abord grimper le long de l’os jusqu’à faire le tour avant de cette montagne pâle, jusqu’à pouvoir quitter la paroi et marcher sur sa face supérieure. Autant grimper sur l’os inégal avait été facile, voire agréable, autant me mettre debout sur cette entité que je ne sais nommer, ne la reconnaissant pas, fut, pour le minusculissime que je suis, exercice difficile. Je n’en finissais pas de glisser, de me râper les coudes sur ce qui semblait protéger l’énorme masse apparemment inerte et n’avançais quasiment qu’à genoux comme un chien perdu. Ahanant et suant, quelle ne fut pas ma surprise quand la chose, sous sa couverture à larges mailles, se mit à clignoter comme la totalité des phares de France en pleine tempête ! Le feu d’artifice ne faiblissait pas, ça s’illuminait dans la masse de tous côté, sans que jamais cela ne s’arrête. Des couleurs vives, aveuglantes, comme si la « chair » du conglomérat allait se consumer. Mais non, il ne semblait pas plus incommodé qu’un cafard dans un égout gouteux. J’ai avancé à pas prudents, lentement. Sur le dessus de la chose. Puis le « sol » a cédé, le monstre m’avalait-il ? Un instant de panique, terrible, sidérante, m’a coupé le souffle. Mais non, il ne m’a pas digéré, je pouvais circuler dans sa matière, grise ou blanche selon les endroits, en toute liberté et sans aucun effort. Une résille serrée de fils rouges parcourait la substance en tous sens dans la totalité de son épaisseur, du même genre que le réticule  repoussant qui décorait l’enveloppe rugueuse entourant les contours de la créature. J’ai fini par distinguer tout un réseau de fils, plus fins que des cheveux de fée, qui couraient partout, un embrouillamini sans ordre apparent. Au bout de ces filaments des … terminaisons en forme de buisson, je ne sais dire autrement. Des éclairs quasi imperceptibles reliaient par instant  les « buissons » proches, et c’est l’addition de ces fulgurations qui déclenchait les étranges pulsions de lumière irradiées à intervalles aléatoires dans la masse molle. Des chuchotements m’encerclaient comme des idées en gestation. Arrivé, enfin je le suppose, quelque part dans le bas de la CHOSE, je suis tombé dans un trou rempli du même substrat, j’ai dévalé à toute allure et j’ai fermé les yeux.

Un choc m’a coupé le souffle et m’a forcé à rouvrir mes yeux fatigués. Assis dans le fond du puits j’ai vu s’ouvrir devant moi une grande fleur rouge, éblouissante, une fleur à quatre pétales qui tournait sur elle-même à toute vitesse. Par instant elle se figeait et j’ai pu distinguer en son centre un carré, au centre duquel se tenait un triangle équilatéral. L’endroit où j’étais assis était étroit, même pour moi, je devais baisser la tête pour ne pas heurter le plafond. Je me suis massé un long moment le coccyx, le choc consécutif à la longue chute brutale l’avait bien endolori. Et cela me fit rire une fois encore. J’étais tellement perdu, je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait, à tout ce que je voyais, à toutes ces étrangetés, décidemment je ne pouvais qu’en rire.

Je ne sais rire qu’en fermant les yeux, mal m’en a pris, c’est à cet instant précis qu’une tempête m’a emporté. Le temps d’une fraction de seconde je nageais sans difficulté dans un liquide ambré qui emplissait à demi une caverne de peau blanchâtre. Le liquide, très salé, me portait, je me suis mis sur le dos et j’ai flotté sans difficulté. C’est alors que la caverne s’est mise à trembler, à se contracter, le  niveau du liquide a baissé à toute vitesse et si je n’étais pas arrivé jambes et bras écartés au fond de la poche molle, j’aurais disparu dans le trou noir. Puis tout a vibré, jusqu’à frissonner très fort, j’ai cru au même instant entendre un petit cri aigu à demi réprimé. Encore un tour de mon imagination me suis-je dis. La connaissance m’a quitté, j’ai perdu conscience je ne sais combien de temps ?

Quand une fois encore je suis revenu à moi, je dérivais à toute vitesse, un courant violent m’emportait. Je n’y voyais rien. La canalisation annelée de section étroite charriait un flot violent. Il y faisait un noir total, mais le liquide était chaud, il transportait nombre d’objets, souples ma foi puisque les chocs étaient doux, je rebondissais quand je les heurtais, et eux aussi. L’image d’une boule de flipper m’a traversé l’esprit. A nouveau j’ai ri, mais un rire jaune, je commençais à fatiguer, et ne pas savoir ce qui m’arrivait ni où j’étais, générait une angoisse qui sourdait lentement comme une vague puissante. Pour une ou des raisons qui m’ont échappées, dans le torrent violent  tourneboulant et l’obscurité totale, une lueur a éclairé le toboggan infernal. Je ballotais dans un flot rouge ! Ce n’était pas du vin, ça avait goût  amer, métallique. Du sang, c’était du sang !

J’étouffais dans le courant puissant, j’étais projeté d’une paroi à l’autre. Leur élasticité me renvoyait dans le trafic. J’ai alors constaté que ne respirant plus je vivais quand même, ma conscience était claire malgré le rouge ambiant. Soudain le conduit s’est élargi, j’ai eu l’impression de passer un delta dont je ne distinguais plus les rives, la fureur du courant s’est calmée. Je me suis mis à surnager dans une sorte de caverne aux parois musculeuses d’un rouge carmin qui battaient à rythme régulier, le sang bruissait comme un vol d’oiseaux bavards, puis une contraction plus forte que les autres m’a forcé à franchir un étranglement barré par une langue molle qui s’est écartée. Et j’ai giclé dans une grotte plus spacieuse. J’ai à peine eu le temps d’entrouvrir les yeux, déjà je repartais, le voyage infernal continuait.

Je pense, mais je n’en suis pas certain, m’être évanoui un moment. Une odeur épouvantable m’a réveillé, j’étais englué dans une matière brune qui puait la mort, une matière épaisse qui empêchait tout mouvement, une matière mouvante qui se déplaçait doucement, par saccades, entraînée par une force inconnue. Et j’étais là comme englué, prisonnier, impuissant. Autour de moi je distinguais des milliers de corpuscules de formes multiples, effrayantes, qui avalaient la soupe épaisse à pleine brassées pour la recracher à l’autre bout de leurs corps difformes, plus compactée, plus dure, plus paralysante. Cela a duré … longtemps jusqu’à ce que, martyrisé par les blocs durs et charbonneux que les bestioles durcissaient à n’en plus finir, j’aboutisse dans un large cloaque qui s’embouteillait peu à peu. Et là j’ai cru mourir ! Ecrasé entre les amas de matériaux durcis sous pression constante, je défaillais quand au bout du cloaque une porte circulaire s’est ouverte et tout a été violemment expulsé avec moi. Ma tête a cogné contre une paroi dure d’un blanc aveuglant, je ballotais dans un magma liquide-solide au fond d’un trou sans nom. Un jet d’eau micro-bullé ultra puissant m’a repoussé vers je ne sais où. La peur qui ne m’avait jamais vraiment quitté s’est muée en terreur, un véritable épouvantement, indescriptible, j’ai cru exploser. Et la lumière s’est éteinte. J’étais mort ! Du moins l’ai-je cru à ce moment.

C’est la douleur, une affliction déchirante qui m’a réveillé. Sous mon crâne les cloches de Notre Dame sonnaient à la volée et tous les bourdons du monde chantaient avec elles. Sous les coups de boutoir des marteaux endiablés les campanes fondaient, le bronze en fusion me brulait jusqu’à l’os. Je crus que ma tête allait exploser. Mes mâchoires étaient crispées à se rompre, mes dents serrées à fendre l’émail. Mais étrangement tout paraissait calme alentours, j’osais respirer à petits coups de nez prudents, l’air était tiède, inodore, rien ne bougeait. Je compris que la tension extrême dans laquelle j’étais était la cause de mes tourments !

Le soleil sourdait dans les interstices des volets, le soleil devait être déjà haut, la lumière était telle qu’il devait faire grand beau. Mon corps trempé de sueur, recroquevillé sur lui-même, se détendit doucement, les draps froissés crissèrent sous mes pieds. Sous ma nuque l’oreiller mouillé me collait aux cheveux.

J’ai senti mes globes oculaires rouler comme des boules effrayées sous mes paupières entrouvertes … Mes cils ont battu comme deux ailes géantes aux bords effrangés. J’ai souri pour refouler les larmes montantes.