Littinéraires viniques » 2015 » septembre

LÀ OU NUL NE SAIT.

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La boule aux fenêtres de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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J’ai nagé à Porto j’ai tué des Maltaises

Dans le golfe brassé j’ai équeuté des fraises

Sur les rives du Maghreb les montagnes pelées

Dévalant les falaises j’ai vu ma peau saigner

La verte Kabylie et ses douars engourdis.

J’ai bu Macao les bouges et les dandies

Apollinaire Shanghai un curé des racailles

Me suis lavé les mains appris à lire en braille

Dans les sables au désert des fennecs m’ont souri

Les filles aux eaux trop claires et leurs fruits adoucis.

Au confins des étoiles au travers des trous noirs

Derrière les galaxies au-delà des miroirs

J’ai croqué des criquets rôtis comme les pis

Des donzelles en dentelles perdues comme leurs vies.

Tout près d’Oulan-Bator aux croupes distendues

Des vols d’oiseaux de proie queues molles becs à l’affût

Le vent souffle et caresse les herbes sur ta couche

Un peu comme tes baisers qui ont frôlé ma bouche.

Il m’a fallu oui croire au courroux des grands Dieux

Qui planent dans le ciel et menacent de leurs pieux

Les petits hommes maigres, mauvais, sinistres gueux

A Tolède enfiévrée ses patios délicieux

Les lames effilées au revers des boiteux.

Me suis saigné les veines aux piques des barbelés

Qui enferment les coeurs et déchirent les pieds

Un cheval en folie perdu en Mongolie

J’ai sauté sur sa croupe comme un Elfe en sursis

Les sylphides joueuses m’ont noyé dans leurs eaux

Le soleil se couchait sur les atolls royaux

Des tortues vertes pondaient sur leurs rivages blessés

Leurs œufs comme des perles rutilantes enterrées

Ménestrels arcs-en ciels de plumes enflammées

Trémolos de gosiers palmes et flèches rapides

Affamés et cruels regards et becs acides

Crevaient les nids cachés et tuaient les nubiles.

Mon Dieu qu’il était doux de planer sur les îles

A la fin je suis mort pour renaître à nouveau

Je sortais du cercueil pour gésir au berceau

Je n’en finissais pas d’aller de revenir.

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Pour connaître la mort j’aurais donné mes yeux

Et les trésors des rois même des filles nues

Une main de mes deux et maudire les vertus.

Mais nul ne sait jamais ! Seul Thanatos pourrait

M’emporter promener là où personne ne sait.

HALLGERD ET NJÁLL.

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Odin avec Hugin et Munin.

 

 Couvertes de landes basses la plaine se coule entre deux collines surmontées de rochers de granit à demi délités par les vents infernaux du nord. Au sommet de l’une d’elle subsiste, aiguë comme une lame finement affûtée, une pointe de pierre grise piquetée de taches blanches et de lichen verdâtre. Là-bas les vents sont si forts que des hommes deviennent fous. Au plein milieu de cette étendue plate, un vieil arbre au tronc épais, tordu par la furie des bourrasques et des hivers mortels, pointe ses quelques branches noires et tourmentées qui semblent égratigner les nuages épais, courant à vive allure dans le ciel bas, comme une horde d’ours affolés.

Le torse penché, les poings bandés de toile grossière, Njáll frappait en cadence, de toutes ses forces, le tronc noueux de l’arbre. Qui ne bougeait pas. Les bandelettes rougissaient à mesure qu’il cognait, les os blancs de ses jointures apparaissaient, mais il ne faiblissait pas, respirant bouche ouverte, éructant et grognant. Parfois il hurlait pour surmonter la douleur et frapper plus fort encore. Son torse ruisselait malgré le vent froid déchirant. L’homme n’était pas grand mais bien campé, et ses jambes courtes, musculeuses, collées au sol comme des sangsues au dos d’un animal rétif, maintenaient fermement son poitrail large aux pectoraux épais. Ses bras bourrelés de muscles sculptés et ses épaules rebondies s’activaient sans faiblir. C’était un combat sans enjeu, il le savait, l’arbre vivant ne broncherait pas, ne frémirait même pas. Le vieux frène dégageait un halo bleu électrique et vibrant qui enveloppait le guerrier en furie pour lui redonner courage et force. Le jour baissait quand Njáll s’affaissa, il soufflait comme le vent d’Odin à son paroxysme, et son haleine chaude sortait de sa gorge en longs jets de brouillard. Il but d’un trait l’eau de sa gourde de peau puis s’agenouilla un instant pour se recueillir devant l’arbre en remerciant Yggdrasill. Ses longs cheveux roux collaient sur son front, ses yeux gris foncé, agrandis par ce long combat contre lui même, fixaient l’horizon sans rien voir, sans rien entendre d’autre que les battements violents de son coeur déchaîné. Njáll était un homme mature, un víkingr respecté de tous d’un bout à l’autre de cette terre rude, peuplée en cette année 823 de clans toujours en guerre larvée. Héritier d’une lignée de Jarls, il régnait sur une petite communauté, une des plus petites de la région, redoutée pourtant, tant Njáll et ses guerriers étaient connus pour leurs qualités physiques et leur férocité au combat. On disait d’eux alentour qu’ils ne reculaient jamais. En ce temps là, le roi Horik 1er régnait sur le Danemark mais les Jarls en faisaient à leur tête, et le souverain qui devait chaque jour défendre son trône contre les chefs de clans affamés de pouvoir, prenait garde de n’avoir pas à affronter Njáll le fou et ses guerriers sanguinaires !

Vingt ans auparavant – il n’avait que vingt ans – mais déjà son courage au combat, sa force et sa résistance avaient dépassé les limites du village, il avait déjà dévoré plusieurs loups et cloué quelques évangélisateurs à son tableau de chasse. Quelques raids aussi. Au village le Jarl vieillissant sentait venir sa fin, la nuit, les valkyries lui parlaient à l’oreille, il avait bien oeuvré et Odin l’attendait. Alors il regardait Njáll, cela le rassurait. Il lui succéderait, il le pressentait. Thor veillerait sur lui.

Au village les femmes, jeunes et vieilles, craignaient Hallgerd, sa parole toujours respectée, ses ordres prestement exécutés. C’était une Armide, une enchanteresse de naissance, si brune, que les nuits sans lune elle se fondait dans l’obscurité, quand elle allait rejoindre, dans une grotte proche, un sorcier sans âge qui conversait avec les dieux. Il lui enseigna les mystères de la nature, les bienfaits et méfaits des plantes, la médiumnité, le pouvoir d’entrer en contact avec les animaux et lui confia, un peu, des secrets des forces indicibles et les potions magiques qui rendent vigueur et santé aux humains affaiblis. La jeune femme buvait les paroles du vieil homme et s’en imprégnait sans difficulté.

Hallgerd maniait aussi la hache et l’arc, avec une dextérité telle que même les hommes s’en méfiaient. De taille moyenne, sa chevelure noire qu’elle ne coiffait jamais, flottait au vent par tous les temps, ses yeux couleur de basalte gris vert tranchaient sur sa peau mate et sans fard, son corps robuste et souple à la fois ne manquait pas de cette grâce féline qui attire les regards et déclenchent les torrents d’amour et de haine. Elle aimait plus que tout enlacer d’un bras la proue effilée du snekkja en partance pour une expédition éclair et sentir monter dans son corps offert les ondulations enivrantes de la mer. Ses longs cheveux dansaient au vent comme un oriflamme funeste et les moines des monastères côtiers s’enfuyaient à la vue de cette diablesse caparaçonnée de cuir tanné à même la peau.

Njáll le pataud la bousculait souvent, cherchant à la séduire et cela finissait toujours en combats acharnés, ponctués de rires féroces et d’enlacements brutaux. Une nuit, sous la tempête qui rudoyait le snekkja, à l’écart des hommes rassemblés autour d’un feu de misère, Hallgerd se dénuda et d’un bond chevaucha Njáll, le maintenant fermement au sol entre ses cuisses serrées. Elle le chevaucha comme une furie. On eut dit Nerthus enfourchant Njörd. Ce fut un moment de jouissance animale, furieuse, l’union d’un loup et d’une goule d’amour qui leur vida les reins et leur fit fondre le coeur.

Ils se marièrent au retour, le Jarl se mourrait mais la fête dura des jours, la bière et l’hydromel coulèrent jusqu’à la mer, des hommes se noyèrent, des femmes enfantèrent sous la tempête, le froid était si vif qu’il fut plus fort que le vent, et la mer se figea, et les vagues gigantesques, grandes comme des volcans glacés, arrêtèrent leur course, donnant aux hommes le spectacle effrayant des enfers à rebours.

En vingt ans trois enfants étaient morts en bas âge, une fille et un garçon avaient survécu aux rigueurs du temps. Hallgerd et Njáll étaient amants, jumeaux, nécessaires l’un à l’autre comme les deux coquilles d’une même huître. Ce n’est pas qu’ils s’aimaient, non c’était plus encore, ils sentaient confusément qu’aucun d’eux ne pourrait survivre au départ ou à la disparition de l’autre. Et cela était leur seule faiblesse. Secrète. Eux le savaient intuitivement mais ils évitaient d’en parler et s’acharnaient à enkyster cette éventualité terrifiante au plus profond de leurs crânes épais. Hallgerd cauchemardait souvent la nuit, elle errait dans une forêt hostile peuplée de diables rouges et de monstres noirs, perdue, épuisée elle appelait Njáll, en vain, l’horreur se rapprochait, elle avait beau courir, tailler à coups de hache, rien n’y faisait, à chaque mort de l’une d’entre elles, les bêtes hideuses se multipliaient. Elles finissaient par l’encercler, une gueule plantée de crocs sales lui taillait la gorge, une autre lui cisaillait le ventre quand elle voyait enfin, entre les arbres morts, grossir la silhouette de Njáll. Mais elle mourait, exsangue, et son cri se noyait dans un dernier long jet de sang. Elle se réveillait en nage, la gorge douloureuse d’avoir hurlé, à son côté, Njáll silencieux lui caressait le front en murmurant des mots tendres. Mais elle se tournait vers lui et lui mordait durement le sein.

Njáll ne rêvait pas, mais il lui arrivait de rester prostré, à demi nu, les poings en sang, les jointures à l’os, silencieux, le souffle court, au pied d’un arbre perdu, là-bas dans les landes, entre les collines.

QUAND PANDORA SOURIT.

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Sous le pinceau cinglant de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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J’ai ouvert le coffret des folies dangereuses

La boite de Pandora la fière ensorceleuse

Et ses aciers soyeux comme la pêche fragile

Son regard qui englue les passants dans ses fils.

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Hécate au pouls d’albâtre et son regard salé

La tenait par la main au hasard des forêts.

Sur le chemin les ronces sursautaient dans le noir

Les racines frissonnaient en oubliant de boire

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Quand je me suis jeté aux pieds de Pandora

Toutes les bêtes hurlaient à déchirer leurs voix

Les arbres déchiquetés par leurs souffles horribles

Jetaient au coeur des mares les feuilles de toutes les bibles.

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Moi le pervers si fou polymorphe et naïf

Je ne voyais rien tant, j’étais déjà captif

De ses lianes tordues ses fruits murs si blonds

Et son parfum musqué me fit fondre jusqu’au fond.

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Les éclairs de Zeus tonnaient dans le lointain

L’air sentait le soufre, la myrte et le benjoin

Les ondines et les gnomes se terraient sous les troncs

Sur le lac endormi se balançaient les joncs.

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Les siècles défilaient, les roches éclataient

Les vies se défaisaient et puis elles renaissaient

Je ne voyais plus rien tout allait au chaos

En riant et pleurant je suis tombé de haut.

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Quand Pandora sourit la vie enfle et je plie.