L’ÉTÉ D’UN RAOUT CHEZ RAOUX …

Floris de Vriendt. Le Banquet des Dieux.

Barbezieux, cité Charentissime, est « célèbre » pour son mini-coiffeur-apprenti-chanteur-fragile, pour les pattes noires de ses poulets, le charme de ses filles à poils ras – mais qui ne valent pas celles de Gensac la … – la douceur de son climat, ses vignes généreuses qui pissent allègrement, et la virilité hébétée de ses mâles conquérants.

La Charente quoi!

Et que dire de Salles-de-Barbezieux, banlieue méconnue qui fait pourtant la nique à sa Suzeraine. Eh oui, c’est qu’au fond de la Salles, la limousine est reine. Non, non, pas la grosse caisse m’a-tu-vu, qui traîne ses pneus de camion au cœur de la cité, mais la bonne grosse cularde, charpentée comme un Q7, qui rumine dans les champs. Placide, un peu conne, mais gentille. Patiemment, elle attend que les braises incarnates la grillent les soirs de pique-niques champêtres et ardents.

L’assemblée, du bout de la lame effilée de Christophe Gammmmmbieeeerrr, lui a taillé quelques kilos de barbaque d’un rouge … sombre comme un Cardinal sans son enfant de chœur. Que l’on veuille bien mettre cierge épais et gras aux pieds de l’éleveur de la sus bien roulée, pour la finesse de sa chair, la qualité de sa texture et le croquant de sa croûte, saisie à point par les braises brasillantes du solide barbecue, érigé en ses terres de LAUTRAIT la gaillarde, par Maître RAOUX, et ses acolytes à l’estive.

Le temps était plus à la soupe de châtaignes qu’au sorbet de caille anorexique…

Mais nous nous accommodâmes – le félin Charentais est souple d’échine – des caprices du temps. La chaleur des ceps en feu, la violette réglissée et la vinosité affirmée des magnums de champagne qui roulaient leurs bulles fines, éphémères comme l’âge des hommes, sur les fines tranches goûteuses des magrets délicatement fumés et les rillettes des mêmes canards de Dordogne, nous aidèrent grandement à faire front commun. Aux dessus de nos têtes, diversement chenues, les nuages bas couraient comme autant de cavales glacées.

La chaleur de l’été était plus dans les cœurs que dans les cieux.

Le soleil, invisible, nu derrière les épaisses nuées, se couchait. Nous rentrâmes de concert dans la tiédeur du Logis. La table, vaste comme un court de tennis, nous tendait les bras. Le président du soir, que l’on aurait dû éviter de chauffer outre mesure, d’emblée, de sa voix chaude et puissante, donna le «La», pour s’installer carrément dans le «Do» – j’en ai encore mal aux fesses – de la plus belle de ses voix de basse.

Manifestement aux anges.

Du coffre, il eut, longtemps…

Maître Raoux, dans les frimas extérieurs, assisté de sa brigade, s’affairait. Dans l’attente des viandes grillées, nous entamâmes la rondes des blancs. Altenberg de Bergheim 2003 de Deiss le puissant, Pfister le délicat, Santorin le Méditerranéen, le «Sauvignon» 2007 de Meursault (!), encadrèrent à merveille, les salades parfumées. La Carole basse du Rhin, enchantait ses voisins. Le Manu, moins distillé qu’à l’habitude, souriait patiemment. Trois P, l’impénitent caviste, couvrait, de regards prometteurs, Loulou la « tendre-sous-ses-airs-qu’en-ont-vu-d’autres », qui le délaissait, trop occupée qu’elle était, à calmer le vieillard triste et quasi cacochyme qui tremblait sur son flanc droit. Le charme n’a pas d’âge… L’ancêtre ne risquait guère de tomber, car à sa droite siégeait une Bénédicte tout droit sortie du Quattrocento Italien, accorte et ravie, le nez dans le verre, qui picorait d’une patte légère de chatte gourmande. Édouard son farouche ex conjoint ne plaisantait guère, s’extasiait des vins, et mangeait comme un athlète, la fourchette appliquée, la mâchoire puissante. Longuement, comme un marathonien des mandibules. Par moment, l’assistance interloquée, faisait silence et l’admirait. Il faut dire au lecteur, qu’Édouard à table, c’est un spectacle de haute tenue. C’est du Wagner à mettre Baalbeck en ruine, les Walkyries en furie, comme le lion sur l’antilope. A l’autre bout de la table, Raphaëlle, hôtesse d’un soir, virginale, du moins dans dans l’immaculé de ses atours, le regard espiègle, surveillait sa tablée. Elle riait souvent et découvrait à l’envie ses dents d’ivoire, tandis que sa gorge tremblait sous la dentelle. Un demi sourire aux lèvres, l’Assurbanipal de Royan, presque méticuleux, se régalait lentement. Sous sa crinière sombre et abondante, l’homme est peu disert. Il est de ceux qui réfléchissent longtemps, et qui parlent pour dire. Dénicheur de raretés, grand connaisseur des mystères du Cognac, empereur du rapport qualité-prix, il sort régulièrement de sublimes produits de sa besace sans fond, qu’il aime à partager. C’est un silencieux généreux. Un seul défaut il a, rédhibitoire… les Bordeaux toastés par le bois surchauffé, qu’il aime plus que de raison. Mais on s’en fout, pendant qu’il s’y plonge, par ici la Bourgogne !!!

Il est des instants, comme ça, fugaces, où l’on se demande pourquoi les hommes se font la guerre.

C’est alors que revinrent à table les bagnards du barbeuque, les bras tendus à tendons apparents, chargés de limousines juteuses, croquantes, exhaussées par le gros sel des îles de par ici. Quelques saucisses aussi. Un temps pour les rouges en tous genres, même les plus incertains. En rangs serrés, comme mes gencives parfois. Bordeaux exacerbés dont par bonté je tairai les noms, Grec fruité et gourmand, La Janasse 2001 alcooleux, Pradeaux 1995 aux tanins encore inaboutis, Montepulciano Nobile 2005 un peu jeune mais avec fougue et fraîcheur, et d’autres encore, qui ne me marquèrent point. L’Echézeaux 2002 de Christian Clerget, qui aurait aimé rester encore cinq ans dans sa bouteille, releva le niveau. Il fallut repousser les attaques incessantes de la tablée pour en détourner quelques centilitres. Viandes, saucisses, gratins et autres accompagnements, en vagues successives, garnissaient les assiettes. Le cliquetis des fourchettes, et les grognements sourds des combats buccaux, réchauffaient la salle. L’agape était à son plus haut. Même le Président reposait son organe. Carole faisait une pause, le regard tourné vers d’autres mondes. Sur ses lèvres, arrêtée en pleine course, la fleur fragile d’un demi sourire. Trois P qui jamais n’abdiquait, avait réussi à capter un instant le regard de sa Loulou. Entre deux gorgées d’Echézeaux qu’il gardait longuement en bouche, les faisant rouler comme autant de ces précieux plaisirs qui traversent l’instant, il atteignait au bonheur délicat. Entre l’amour et le contentement, il était à l’équilibre. La grâce est instable. Quand elle se manifeste, ne cherchez pas à la garder, elle s’enfuirait aussitôt. Au contraire, relâchez vous, et vous connaîtrez quelques secondes d’éternité. Le thalamus procure de doux orgasmes, subtils et tendres, que peu connaissent. Le vieux, désoeuvré, s’en était allé, là-bas, loin, en d’anciennes contrées intimes. Ses rêves étaient morts brutalement. Ne lui restaient que les images diaphanes des scènes tremblantes de ses espoirs morts-nés. Il lui semblait avoir mille ans. Dans sa tête sans rides, l’oiseau de proie, paronyme cruel, planait, et lui dépeçait le coeur à coups de bec mortels.

Le sucre des desserts ranima les organismes. Clafoutis, abricots en tartes et autres déclinaisons, diabétophiles à terme, redonnèrent à la réalité du moment les forces factices de l’insouciance.

J’ai oublié la suite…

Le temps coula jusqu’à plus d’heure.

Pendant ce temp-là, les enfants de Madoff…

Préparaient les désastres à venir.

ECONMOFITITECONE.