HOUELLEBECQ ET SAINT DENIS…
Andy Warhol. Sel-portrait.
Son côté féminin a déjà fait sa ménopause…
Son alter qu’il croit sérénissime, son masculin couillu, résiste. Il bande, de toute sa volonté, les quelques hormones qui survivent encore à la catastrophe annoncée. La lutte est âpre mais sans lendemain. On peut en suivre les péripéties sur son crâne plat. Le long catogan qui lui bat la nuque – lourde métaphore – il se le débourre amoureusement tous les matins, histoire de se donner au monde le poil bien lisse et brillant. L’entretien de cette quenouille à moitié déplumée de haridelle sur le retour, qu’il nourrit avec amour chaque jour qu’Éros éjacule, à grands renforts de baumes exotiques issus de cultures bios et durablement développées, il s’y consacre sans faillir. Au sommet de son crâne et de sa couronne de douilles en péril, comme l’olivier torsadé d’un César à l’antique – le sculpteur homonyme, coqueluche de la jet-set Tropézienne, déflore son salon d’un de ses pouces phalliques – luit un dôme gras et quasi déplumé, en voie de déforestation amazonienne.
Féministe militant, adorateur béat de Gisèle Hilima la grande prêtresse pétitionnaire qu’il révère, il rêve souvent en secret, de Julia Krastevi (dont il a longtemps suivi les séminaires abscons à La Sorbonne, en auditeur libre, entre deux cours d’archi…). Dans ces moments d’inconscience reposante, il la prend à la hussarde, nue sur une photocopieuse recyclable, dans l’arrière salle d’une bibliothèque crasseuse. Paradoxe déchirant, las des intellectuelles rigides aux reins bloqués par un structuralisme abstrus et un cortex surdéveloppé, depuis que Bérénice l’a planté pour une catcheuse américaine bodybuildée, souvent Sollers à la petite semaine et Bataille les jours fériés, l’emmènent à l’orgasme solitaire !
Depuis peu Charles-Hubert délaisse les très surfaits Bordeaux marmoréens, et consacre partie de ses rares loisirs à sillonner, au volant de son luxueux chariot à la limite du malus écologique, les vignes enherbées des néo vignerons qui élaborent dans le demi secret de leurs chais bricolés, en d’incertaines contrées encore sauvages, des vins dits «Naturels» sans soufre ajouté ou presque, patiemment cultivés et élevés par ces fous intègres qui ne roulent pas encore sur l’or. Et puis toutes ces étiquettes innovantes que l’on dirait designées par Philippe Sturck, son charmant voisin du Cap Ferret, l’enchantent… Ah, sa maison pure planche du CapFer, il aime à s’y retirer quand il n’en peut plus des agitations du «Huitième» et des diners en ville, incontournables. Sa vie d’éditeur indépendant n’est pas de tout repos, hélas ! La possibilité d’un havre, ce petit territoire niché dans la pliure d’une carte Michelin, sa particule élémentaire, cette plateforme de bois brut face à la mer, cette extension du domaine de ses luttes citadines, il l’aime tant ! Quand la voix, robot tendre, du GPS murmure : «Tu es arrivé Hubby», il manque défaillir.
«Che» l’impeccablement toiletté, son Afghan péteux à la truffe fouineuse, joue avec des paquets d’algues vertes humides qui croquent leur sable blanc sous ses dents spasmodiques. Il les agite et les recrache en toussant et s’étouffant à moitié, puis se rince la gueule en mordant à coup de dents crissantes les vaguelettes salées qui le poursuivent. La brise tiède de ce printemps faussement précoce agite les larges pans du pantalon de lin sauvage sous lequel se rétractent délicieusement les maigres cuisses, déplumées elles aussi, de l’inénarrable «T’Chub», ainsi qu’affectueusement le surnomment ses peu nombreux intimes, les soirs qu’il déprime, à moitié vautré, l’oeil glauque et la lèvre humide d’un alcool de marque, dans le carré VIP d’une boite branchée sans âme. La plage déroule ses vagues figées à l’infini… Comme dans ces pubs pour parfums vulgaires. Au loin, les dunes poudroient, aveuglantes. Comme dans ces pubs pour crétines siliconées. T’CHub frissonne, l’air vif l’étourdit un peu, il respire à petites goulées pointues comme un emphysémateux prudent. Son regard d’alcoolique qui se refuse à l’admettre, flotte et semble se vider. Frileusement il resserre les manches du pull de soie vierge pur cocon des Andes, négligemment nouées autour de ses épaules étroites qui dépassent à peine de son bréchet de poulet malingre et bizarrement saillant entre ses pectoraux convexes. Les quelques centaines de mètres qu’il a parcourus sous le vent l’ont épuisé. Que n’a t-il point pensé à enfourcher son Quad électrique ! «Che» n’est plus qu’un point flou sur la grève scintillante. Comme dans une pub pour cabots de luxe. Sa voix de fausset, à peine raucie par les tombereaux de Celtiques sans filtre qu’il inhale à longueur de «co-working- intense» dans les «reading-camp» et les «discovering-new-sheet-author», quand ce n’est pas dans les «co-eating-working-fucking-hard» avec ses rabatteurs intercontinentaux, peine à percer le souffle aigu du noroît suret qui maintenant forcit. Il cherche maladroitement à siffler entre ses doigts engourdis de poupée ivoirine, mais ne réussit à cracher qu’un peu de salive translucide qui s’agite en longs fils épais opalescents sous son menton saillant. Une douleur à pleurer, aigüe comme le pic à glace d’un tueur froid, lui perce soudainement la poitrine et lui dévaste le bras droit. Le ciel livide vire lie de vin, s’obscurcissant. Sous ses genoux pointus, le sable exsude deux aréoles humides tandis qu’il se désarticule, toutes forces envolées, comme un piquet qui se brise. La langue fétide du chien gémissant lui lèche la bouche à coups de râpe chaude. Ses lèvres verdâtres, crispées par un rictus à la Munch, voudraient crier à l’aide, mais elles n’en peuvent mais.
Sous le soleil orange qui, lui semble t-il, pulse lentement comme un œil énucléé, la nuit de l’inconscience l’avale et l’apaise doucement…
Saint Denis veille sur lui. Dans sa bouteille. Comme un phare obscur dans la clarté de ce jour irréel. T’Chub est perplexe, entre deux désirs tiraillé, il peine à faire surface. Ce cheveu d’aubert fin qui le relie à l’autre en bas qu’il sait être lui aussi, l’intrigue un moment. Puis la bouteille le rappelle au plaisir de l’instant d’en haut, puis il replonge vers les sables étincelants, puis il revient, puis… De n’en plus savoir, la tête lui tourne. La soif d’en bas, qui le gagne en haut, finit par l’emporter et fixe sa conscience balbutiante. Pourtant, le cul entre deux mensonges il connaît, lui qui a toujours crié avec les pauvres et bu avec les riches, signé à gauche et fait son beurre à droite. Les écrivains exotiques, mal payés, qu’encensaient les chapelles littéraires pro-asiatio-mongolo-crypto… il s’en est grassement repu. Adossé à un chêne centenaire, gland au milieu de ses pairs qui lui piquent les fesses, Charles-Hubert se sent léger comme une bulle au bout d’une paille. La prairie verte est drue d’herbe tendre et de fleurs translucides aux couleurs saturées. Andrinople épaisse, ambre coruscant, azurite profonde comme une ecchymose mature, zinzolin coeur hyalin clignotant, constellent l’épais gazon céladon. Etrangement son regard traverse l’épaisseur des choses. Là-bas, tout en bas, bien que minuscule, il se voit nettement, tâche dérisoire allongée sur les sables du Cap. Comme dans une pub pour la Croix Rouge. Toute proche de son corps, vue de cette distance, sa maison blonde, comme une petite boite à secrets, semble l’attendre. Comme dans une pub pour investisseurs madrés. Il lui suffit de jouer du cristallin pour passer d’une scène à l’autre. Mais l’énergie douce du vieux rouvre le ramène à la réalité champêtre. A sa gauche, de guingois sur son cul de verre opaque, Saint Denis l’appelle. Sous le généreux pretexte de porter à la lumière des mondes démocratiques, les résistants de toutes obédiences, emprisonnés dans les cloaques pénitentiaires des dictatures galonnées sous bien des continents, Charles-Hubert s’est largement graissé les rognons. Oyster massif et chaussures Testoni dos de croco. Humble et bienveillant, toujours à la pointe des combats télévisuels, ne ménageant ni sa peine, ni sa com. Une référence, au parti !
La soif augmente, ses lèvres transparentes craquellent et le ramènent au flacon luisant. Sur l’étiquette, un peu kitsch à son goût, il lit : «Clos Saint Denis» Grand Cru 2005, Domaine Henri Jouan. Quand Dionysos est sous verre, le paradis n’est pas loin ! La bouteille est ouverte, le bouchon neuf à peine marqué de rose git à son côté. Le verre est beau, cristal fin, hanches ovoïdes et buvant rétréci. Comme un Riedel dans un trois étoiles. Sans qu’il ait à bouger le bras, le graal translucide monte vers lui, à demi plein d’un jus rubis foncé aux bords épiscopaux. La possibilité d’une délicate fragrance de violette réanime ses narines blêmes. En volutes invisibles, des particules élémentaires de fruits rouges et de cuir frais réactivent ses glandes salivaires endormies. Comme si Houellebecq était dans le verre, l’extension du domaine olfactif se poursuit… Puis le liquide soyeux lui délie la langue et dresse ses papilles en une délicieuse turgescence oubliée. L’idée de l’élégance délicate, alliée à l’harmonie miraculeuse, à la finesse palpitante et à l’équilibre tremblant, mais toujours à la mesure de la chute possible, passe du concept inappétant à la réalité affriolante. La matière pulpeuse joue et s’étale sur son palais conquis. La carte du vin délimite le territoire de sa bouche. A demi lévitant, il laisse l’élixir passer coulant, caresser sa luette et franchir le détroit pellucide de sa gorge. Les tannins de levantine, frais et relevés de réglisse légère, s’étirent, sans jamais vouloir cesser, dans le temps arrêté au cadran de la mort espérante. Le choc du terroir la renvoie aux enfers.
Tout là-bas, sur la terre très brutalement dense des territoires encartés, le soleil couchant rase les grains dorés. Une silhouette noire se penche, et pose un masque sur la bouche tordue du corps étendu dont les côtes ont cédé sous le massage cardiaque. Dans une gerbe furtive de lumière verte, la mer a éteint l’hélianthe de feu affolé, juste après qu’il a fulgoré sur le casque d’argent du pompier.
Le fil de lune s’est brisé.
La mort et la vie, cavales sauvages, souvent se chevauchent…
Le final est saisissant !
Un dernier ver(re) dans un dernier souffle…
“Sous le soleil orange qui, lui semble t-il, pulse lentement comme un oeil énucléé, la nuit de l’inconscience l’avale et l’apaise doucement…”…Mais c’est que tu deviendrais poète!!!
Il y a tous les styles dans ce texte, je dirais que c’est le plus riche et foisonnant que j’aie lu de toi pour le moment (mais je dois rattraper mon retard sur le blog..).
Il semblerait que parfois je tire un peu partout à la fois.. Mais c’est inconsciemment. Ma plume est libre, je ne fais que la suivre et suis un pauvre critique.
Enfin je prends du plaisir, même si je ne suis pas sûr d’en bien donner en ce lieu virtuel et quasi désert.
Inch’Allah…
Magnifique. C’est riche et exubérant. Tiens, je vais ouvrir un sauternes hors d’âge, moi.
http://bonvivantetplus.blogspot.com/