Littinéraires viniques » Christian Bétourné

LES YEUX ÉCARQUILLÉS.

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Le moulin à plumes de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La conscience est au pôle, blanc comme une absence, où le soleil ne baisse jamais

les yeux sur les paysages sauvages illuminés jour et nuit.

Dans les pâturages infinis des espaces nordiques coulent de grands troupeaux

de rennes laineux, en vagues lentes, dans la brume glacée qui scintille.

Des ces lieux arrêtés, comme l’est le temps l’été durant, l’esprit du monde ne dort jamais.

Ses yeux sont les grands lacs immobiles, et leurs regards d’eau verte,

qui ne clignent jamais,

regardent, écarquillés, la pulpe jaune des ardeurs solaires

et leurs reflets dansants.

Ils ondulent et jouent sur les grandes ondes circulaires,

s’élargissant lentement jusqu’aux rives désertes.

Au ras de la surface aveugle

de ces pupilles multiples, les poissons joueurs, de leurs nageoires

noires, s’évertuent en vain à fendre les flots qui toujours

se referment.

La terre craque et soupire sous la flore timide.

La chaleur dessine sur les pans figés des glaces hivernales

des ruisselets, dont les mailles sculptent sur le sol consentant des résilles

fragiles, des chapelets de gouttes irradiées

qu’aucune Arachné n’habite .

Parfois, le temps d’un sourire esquissé, une fleur pointe le bout de sa corolle

ardente.

 C’est en ces vastes lieux que s’élaborent les possibles plans des futurs imaginés.

Qui sait lequel sera élu?

Le temps est à l’éternité qui jamais ne connaît le repos.

Les yeux écarquillés jusqu’à ce que la nuit, enfin, vienne.

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SIMPLE ET PARFAIT.

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Les diamants de feu de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Une langue de feu a léché le jardin,

A poudré de diamant la nature sidérée.

Sous le ciel bleu cruel les branches noires se tordent,

Poussent des cris muets étouffés par la glace,

Comme des os brulés elles implorent la grâce

Du cristal translucide qui tue le bois vivace.

Éole s’en est allé pousser ses alizés

Au sud de l’équateur, où les eaux irisées

Des mers de turquoise aux vagues déployées,

Moutonnent chaudes et claires sous le soleil salé.

Très loin dans les cieux noirs, au silence éternel,

La terre, pomme bleue, est toujours aussi belle.

Aux confins des espaces le temps est arrêté,

Les sphères rondes tournent, le silence éthéré,

Tout est simple et parfait.

UN LIVRE DE VIE FORTE.

La vie en rouge et noir de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Un livre de vie forte écrit avec le sang

Bouillonnante, écarlate, éclaboussante vie

 Un sang rouge cerise, un sang neuf de printemps

Du noir sang à venir jaillissent les tourments

Dans les rus sinueux qui dévalent à l’envi

Rouge et noir s’étalent en bouquets enivrants.

Caucherêve excédé, délire de soie moirée

Dans les secrets morts nés à l’ombre des vasques brunes

Aux nuits des peurs noires, au fond des puits cendrés

Entre les corps musqués des vouivres importunes

Aux heures desquamées sonnées à la volée

Arcs-en-ciel aveuglants, artifices cinglants

Les cloches disparues des temps infatués.

MATRICIEL.

Les incréés de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Alors ils lui dirent de se taire.

Et il se tut.

Dans le ciel obscur les ténèbres palpitaient comme une poitrine à bout de souffle, une poitrine peau d’ébène épuisée, une vieille forge à bout de braise dont le soufflet de cuir racorni ne parvenait plus à faire vivre le feu nécessaire.

Alors la surface se fragmenta, des failles s’ouvrirent jusqu’aux horizons des possibles, la chaleur suffocante déborda des entrailles, les énergies enfouies fulminèrent, le soufre incandescent putréfia l’atmosphère.

L’éclosion, l’explosion de l’utérus premier n’allait pas tarder à bouleverser les équilibres morts des premiers éléments agités depuis les origines d’avant que la vie soit

Alors ce fut comme un souffle ténu, à peine perceptible, le vent des résonances, une seule note douce.

Et lui qui n’était pas, le perçut.

Aux confins des systèmes, à l’infini des espaces galactiques, les vents furieux qui éructent, plus puissants, plus infernaux, plus dévastateurs que les plus terribles cataclysmes naturels, plus horribles que les plus effroyables abominations nées des pires consciences cruelles, sentirent monter vers eux ce soupir de presque rien.

Ils lui ouvrirent leurs vibrations et l’accueillirent.

Alors ce fut une nouvelle ère.

Le temps neuf réapparut.

Dans l’espace, les planètes incréées se remirent à tourner immuablement dans la tête de l’endormi.

Les forces changèrent et se mirent à l’œuvre.

Il faudra attendre encore longtemps avant que soit ce qui doit être.

RAS LE VERGLAS.

Les oeillets de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Au petit déjeuner un bel œuf de basse-cour

Il n’était pas dix heures, l’heure du juste velours

De l’estomac serré qui se met à rebours

Et voilà que onze heures sonnent au clocher du bourg

Tous se précipitent, les maigres et les lourds

Ça tangue, et ça se vautre, et ça trinque tour-à-tour

Et le jaune coule à flot, c’est le bonheur du jour.

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Dans les champs désertés les oiseaux se déplument

On entend les marteaux frapper sur les enclumes

Les rues sont à la pluie, les femmes se parfument

Accrochées à leurs doigts, dans les troquets elles fument

De longues cigarettes. Sous leurs voilettes elles hument

Leurs regards volettent et les hommes s’enrhument

C’est pas demain la veille qu’ils grimperont aux dunes.

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Je me suis assoupi, je crois que j’étais las

Comme une lampe morte, et je griffais les draps

J’aurais voulu glisser, le cul ras le verglas

Me rouler dans la neige, courir à tour de bras

M’envoler en chantant et partir là-bas

Où les femmes sont belles et les enfants bien gras

Mais Newton ne veut pas et je ne vole pas.

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Je me traîne ici bas, il est bien temps que j’aille

Croquer à pleines dents la caille et la racaille

En hurlant comme un fou, que je coure et rôdaille

Le nez sur le bitume. Pauvre perce-muraille

Ferme tes yeux vairons, retourne à ta mouscaille

Jamais tu ne sauras danser la passacaille

Replonge écrivailler, tailler à la cisaille.

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Sur le fumier fumant, les œillets des poètes.

TOUT CA EST COMME UN RÊVE

Le flocon de cristal étoilé de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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C’est un flocon, un cristal, une petite étoile

Le ciel est à la neige, le monde à la bonté

La lune est comme un cierge, une félicité

Les arbres sont à blanc, le froid est à pleurer

Comme un pape si pâle que son aube a gelé.

La mandarine orange perdue sur un grand champ

Sa pelure plissée a recouvert mon flanc

Le ciel est d’azur pur, les nuages envolés

Tout en bas, tout là-bas, la plaine immaculée

Découvre l’infini des paroles oubliées.

Les traces des sabots dessinent une arabesque

C’est une danse froide, c’est le chant des mauresques

Aux ventres arrêtés, aux bras écartelés,

Avec leurs seins figés et leurs grands yeux crevés.

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Les voyelles s’envolent les consonnes les blessent

Leurs chants ont la douceur des hosties à la messe

C’est un rêve tremblant, affreux, un peu fiévreux.

Mais la chair est joyeuse sous les doigts amoureux

J’ai bu dans les étoiles, j’ai lu à rendre loup

Je ne crois pas en Dieu qui n’est pas assez fou.

UN HIPOPPOTAME.

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Le Pedro Gonzalo de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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C’est Pedro Gonzalo, assoupi au marais,

Ses gros yeux globuleux à demi entrouverts,

On dirait Zeppelin dans les eaux échoué,

Sur son dos rebondi, tout de boue recouvert,

Une foule d’oiseaux picorent, affamés,

Criant et jacassant comme femmes au marché.

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Épuisé par l’effort, il bâille de toutes ses dents,

Ouvre une gueule énorme tapissée de soie rose,

On le verrait très bien faisant son adjudant,

A la tête d’une troupe en uniformes grandioses,

Défilant bien au pas, une escouade d’oies,

Chantant un air guerrier. Superbes virtuoses !

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Tout autour des eaux noires, sous le soleil atroce,

Des squelettes blanchis, des chairs décomposées

Que des hyènes putrides, à coups de crocs féroces,

Affamées et peureuses, le regard aux aguets,

Avalent sans mâcher, leurs mâchoires véloces,

Dans le silence du soir, claquent à la volée.

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Mais Pedro le faraud s’en fout comme de la peste,

Il est indétrônable, au soleil purpurin

Il rêve d’horizons, d’amour et de chagrins.

Mais l’Afrique est cruelle, au son du balafon,

Sous les eaux du marais, le danger aux dents prestes,

Tapi dans les ténèbres, cache de vrais démons.

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Émile le crocodile et sa bande de lascars,

Tournent autour de lui en faisant les bois morts,

Mais Pedro n’en  a cure, d’un seul coup de tranchoir

Il couperait en deux, sans faire le moindre effort,

Celui qui oserait toucher à son peignoir.

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Sur la berge surchauffée, étendu tout son long

Un lion nonchalant, lippe morganatique,

Regarde, dédaigneux, l’aquatique ballon,

Et pousse un rugissement, si aristocratique

Que Pedro le lourdaud sent trembler ses tendons.

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Et Pedro a souri au lion inconscient.

LA REINE EST AU MUSÉE.

Quand La De est au Louvre.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Dans sa gueule d’argile, des miaulements muets.

Les siècles ont passé, Bastet est au musée.

Elle a connu des princes, des rois, des pharaons

Elle a connu les ors, l’amour du lycaon,

Après qu’elle a passé les hommes l’ont momifiée.

Bastet la souveraine exposée en haillons.

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Derrière ses grands yeux morts palpitent les souvenirs,

Akhenaton le fou sous le soleil d’Egypte

Au temple glorifié, embaumé dans la myrrhe,

Toutes ces gloires mortes sous la plume des scribes

Ne reviendront jamais naviguer sur le Nil,

Enfouis au profond des mémoires stériles.

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Seules les pyramides balayées par les vents

Se dressent à moitié nues dans le cœur des vivants,

Parfois quand la nuit noire tombe des cieux glacés

Néfertiti la belle sent son âme pleurer.

TUER LE DIABLE.

Le diable beau de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Je vais tuer le diable

Soleil abominable

Lui arracher le râble

Le vider de son sang

Apprendre son cœur avec les dents

Le débusquer dans son taudis

Le faire chanter comme un maudit

Lui faire cracher un dernier cri

Boire sa bile et sa folie

Le dépecer à racler l’os

Tuer sa mère et tous ses gosses

Dire à son père lui qui nous crée

Qu’il n’est qu’un verbe de papier

Maudits soient-ils jusqu’aux derniers

J’irai crever sa gueule d’enfer

Je ferai braire ses yeux pervers

Sucer son suc, sa vie amère

Me regarder violer sa mère

J’éplucherai ta gueule d’airain

Je t’étoufferai dans ton purin

Avec ta peau de haine noire

Je tapisserai les abattoirs

Et je jouerai de mon tambour

Avec tes os la nuit le jour

Fils des ténèbres tes hurlements

Feront des loups grincer des dents

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Ne pleure pas

Au moins tais-toi

Regarde-moi

Toi le grand Roi.

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J’étriperai tous les chats noirs

Tous les barbus aux ongles noirs

Et tes sorcières sur leurs grilloirs

Tu hurleras de désespoir

Même les gargouilles des cathédrales

S’abreuveront aux eaux lustrales

Il est forclos le temps des râles

Tous les incubes et les succubes

Les vampires fous et les catins

Les crapauds bleus les corbeaux nains

Les vieux vicieux et leurs sales mains

Les gnomes laids et leurs pustules

Feront la ronde sur ton cul

Fleur du mal boule de pus

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Le ciel se noie la terre purule

Sous les orages sous ta férule

Vois tu éclates

Toi l’écarlate

Prince des horreurs

La mort a peur.

UNE DINDE.

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Avec La De la dinde a le tournis

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Sous sa parure noire, ses plumes bien rangées

Une dinde glougloute à longueur de journée

Elle a le port altier, la démarche ondulante

Ses petits yeux sont laids, sa dégaine navrante

Autour de son long cou pendent en grappes molles

Des billes de chair rouges, on dirait une folle.

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La basse cour se tait, lapin est terrifié

On ne voit que son cul qui dépasse du terrier

La dinde ivre de morgue passe comme une reine

Même le plus beau des coqs pleure comme une baleine

La pintade sidérée n’ose plus cacaber

Seul le bouc du crémier a osé l’affronter.

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C’est à grands coups de corne qu’il a chassé l’intruse

Et la dinde ulcérée aussi bête qu’une buse

A voulu s’envoler jusqu’en haut du pommier.

Mais son sac de cuir fin, un sac de grande marque

S’est coincé dans les branches . Vexée comme un énarque

Elle criaille plus fort toutes plumes empêtrées.

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Dans le ciel saturé d’azur et de nuages

Un goéland l’a vue perdue dans les branchages

Le gros oiseau vorace a piqué comme un fou

Pour dévorer tout cru le soi-disant gorfou

Arrivé sur les lieux il a vu son erreur

Il a fait demi tour, a regagné le ciel

Et la dinde est restée accrochée par les ailes.

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Mais le singe Kiki est arrivé bien vite

Séduit par la donzelle, il a brandit son vit

A embroché la dinde comme une vulgaire catin

Elle a hurlé un peu puis s’est accoutumée

A aimé tout compte fait les assauts du macaque

La folle a cacabé jusqu’à lâcher son sac.

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Dans la cour le dindon alerté par les cris

A regardé la scène d’un air à peine contrit

Puis s’en est retourné dormir en son logis.