SES CHANTS SILENCIEUX …

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La vision de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Odeurs ointes d’encens, sur l’autel en pénombre,

Les temps anciens, crus, si sombres, splendeur intérieure,

Extase en queue de paon, dans sa cellule l’ombre

Qui brûle les frimas des froidures extérieures,

Hildegarde à sa plume chante la gloire de Dieu.

Peu lui chaut les lourds glaives de feu, ensanglantés,

Les rois, les guerriers, les destriers blancs fumants,

Les flèches noires qui trouent les chairs excoriées,

Le chant clair des épées aux champs entrechoquées,

Les Ducs sous leurs pourpoints qui fauchent les manants.

Sous le drap de toile fine, parfois le diable se glisse,

Et fait trembler sa main, il lui parle de vice,

De Dieu, de l’abandon, de ses entrailles qui pleurent,

Grands yeux rouges du démon, son rire qui l’appelle

Elle a mordu sa main, celle qu’elle a si belle,

Alors le Prince hurle en lui griffant le ventre.

Souvent elle pince la corde, le silence du couvent

S’émeut. Oui, elle ose y jouer avec le vent.

Ses notes de cristal brasillent à la Chapelle,

Les voix claires des sœurs plongées au cœur de Dieu

Résonnent, sont amplifiées par la voûte Romane,

L’air est si doux aux anges et le siècle si brutal !

Des Laudes aux Vêpres, ses genoux écorchés,

Sous sa robe talaire, sa chape et son voile,

Au pied de son sauveur, Hildegarde en prière,

Tourne son regard vers la croix qui surplombe,

Le cœur en bouillie, la douleur irradiante.

Sous la plume qui crisse, agile sous sa main,

Coule une encre d’amour que boit le parchemin,

Dieu la garde malgré tout. Envers, même les loups

Au dehors en oublient de japper de hurler,

Leurs yeux la supplient, leurs langues rouges l’espèrent.

De Matines à Complies elle prie sans dire un cri,

Ils n’iront plus chasser, leurs membres sont broyés,

Les ours et les chiens décarcassent leurs chairs,

Elle gît face contre terre, des chausses au scapulaire,

Ses chants silencieux s’envolent jusques aux cieux,

Elle sait bien que jamais Dieu ne l’écoutera.

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Elle écrit pour les hommes, les enfants et les rats.