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BOULARD, C’EST BONNARD…

Dita Von Teese. Champagne glass.

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Petit – je veux dire jeune – Le sieur Boulard, Francis de son prénom, a dû subir moultes avanies. Toutes celles et ceux qui ont souffert dans l’enfer des plaines de récréation le savent bien. La moindre différence y engendre vexations, camouflets, brimades, parfois violentes. Orales, voire physiques souvent. En des temps anciens, où quelques horions griffaient quelques cellules épithéliales sans ameuter leurs homonymes psychologiques. Durs temps de l’école primaire qui voyaient s’écharper primates en herbe et fleurir chardons qui déchirent.

Plus les cœurs que les épidermes.

Alors, fiction aidant, je me glisse, tel un John Malkovitch amateur, dans la peau de Francis Boulard et dans celles de tous les jeunes martyrs inconnus qui se sont durcis le cuir, les fesses et les poings, jours après jours, pleurs cachés après larmes séchées, sur les champs de bataille de leurs jeunes années. Abitmol, Baisecourt et Sèchepine, Anus, Apoil et Pourchier, Bonichon, Belleverge, Melamet et Labonne, Lapute, Lagarce et Cascouille, oui vous toutes et tous, soeurs et frères en tribulations, permettez moi, au détour de ces phrases, un hommage tardif à vos cruels déboires enfantins. Devant vous petits soldats inconnus, présentement je m’incline. D’autant que je n’étais pas le dernier à jouer de vos noms… Mea maxima culpa.

Et vous Francis qui lisez peut-être ces lignes, je ne doute pas que vous finissiez par penser, que tout compte fait, Boulard c’est plutôt Bonnard !

Or donc après ce longuet préambule, sachez que Francis Boulard ne m’était pas inconnu. Que je lisais de-ci de-là, bien des bontés à son encontre. Ou plutôt à ses œuvres pétillantes et doucement bulleuses. Buveurs de bons, de tous poils, toutes chapelles et toutes régions, n’en finissaient pas de proposer à mon regard curieux, compte-rendus, billets, articles, notes et autres pré-textes viniques qui affirmaient et vantaient, venant tout aussi bien des Oracles Jurassiques, des Engouements Vendéens, des Inclinations Lutéciennes que des Adorations Provençales, les vertus et les charmes des bons pinots noirs, meuniers et autres chardonnay, après qu’ils soient pressés par les mains douces, mirés par l’œil expert, et finement bullés par le souffle subtil du Champagnard Boulard et de ses proches descendant(e)s…

Voilà qui illustre bien la subtile ironie du sort et l’humour facétieux du destin, qui ont fait de l’ex bambin bagnard Boulard, demeuré champagnard, cet homme, révéré de l’Art des mousses fines et bouches gourmandes. Qu’ici Dieu soit remercié de ne l’avoir fait ni viandard, ni cardeur de plumard.

Adonques vient le temps pour moi, tant bavard, de reposer l’encensoir à Boulard, de taire mon moulin à bobards, de quitter la mare aux canards pour m’en aller voguer sur ces vins de fêtards qui enchantent les avaloirs.

Mais – vêpres crapuleuses – ne voilà t-il pas, il y a fort peu, qu’au hasard Balthazar des rencontres lumineuses que ménage le Web à ceux qui en sont dignes, je me trouvais à baguenauder en l’illustre compagnie Saint Emilionesque d’un buveur de vins de Grands Crus de messe. Le soir qu’il avait assemblé chez lui un bel équipage de luronnes et lurons de haut lignage, préparant en compagnie son gosier aux épousailles proches qu’il allait endurer, mariant pour l’occasion une très accorte Nonnette, courbes pleines et mains agiles, je me trouvais, surpris de l’aubaine, devant un verre oblong à demi plein d’un vin pâle comme paille au soleil, au creux duquel, montaient en cordon serré, de fines bulles d’argent. Près de moi l’œil calamata de la future épousée souriait de toutes ses mélanocytes, reflétant à l’infini du jour déclinant, les serpentins de mercure qui fulgoraient dans les verres.

Foutre d’Archevêque libidineux, le miracle s’accomplissait !

Boulard en bulles dans les hanaps, sussurait dans la pénombre l’antique cantilène de « Petraea ». Comme un coup de coing au plexus. L’assemblée papotait, mais en moi le silence se fit. C’est dans un état proche de l’intersidéral que je m’unis au vin. Je ne saurais mieux et plus subtilement dire ce qu’écrivait il y a peu, en des circonstances similaires, dans un monde intermédiaire, mon hémisphère droit : « Un miracle d’équilibre entre le vineux du Pinot noir et la lame brute-minérale-affutée, adoucie en son milieu par une touche d’oxydation élégante, aussi justement fruitée que maîtrisée. ». J’avais certes jusqu’à lors trempé mes lèvres fragiles dans bien des bouillies vertes à bulles ballonnées, aux relents cartonneux et aux finales courtes comme des coïts d’oryctolagus cuniculus. Rien ne m’en était jamais resté, si ce ne sont bouche sèche, gencives à vif et langue pâteuse. C’est dire combien j’évitais le plus souvent de tremper mes tendres lèvres purpurines dans ces breuvages standardisés à prix stratosphériques.

Mais ce soir là Le Cardinal Inspiré – que les Anges de Dieu veillent sur lui et lui donne l’incessante vigueur érectile – m’avait entrebâillé les portes des Paradis de Boulard… Ne me reste plus qu’à arpenter, prenant mon temps à venir, les cols gracieux aux coiffes encapsulées de cornettes serrées, qui viennent de sonner à ma porte pour le denier du culte fruité.

Pas plus tard qu’hier !

L’épopée de Boulard le Bonnard chez Chrisbard le soiffard ne fait que commencer…

EBOUMOLARDTICONE.

ACHILLE, JULIEN ET CHRÉTIEN EN BULLES …

Moïse Kisling. Jeune femme rousse.

 

En un soir Roger l’avait adopté …

Achille n’était pas son fils de chair, ni de devoir, non, il l’avait simplement choisi parce qu’il sentait en lui la même intelligence, la même passion pour les subtilités du vin. Roger s’employa à l’éduquer, ou plutôt à l’initier, à le guider au raffinement dans le vaste monde des multiples relations possibles au jus des vignes. À son contact, à son écoute, Achille l’éponge accrut sa sensibilité naturelle. Très vite il perçut l’infinie palette des sensations cachées dans les obscures callipyges de verre glabre, la triple sensualité qui naissait de l’observation, de l’olfaction et de la rencontre gustative. Il connut bien des émois. Mieux, il accéda au recueillement, au lâcher prise, à l’humilité, à l’innocence préservée. L’équilibre, la grâce, l’élégance, l’harmonie, la franchise, la « race », en un mot les vertus que le vin lui révéla peu à peu, développèrent en parallèle les siennes. Il accéda pas à pas au sacré et au profane, intimement mêlés au profond des caves et des linceuls de verre, au mouvement de la vie en perpétuelle transformation. Guidé en douceur par le vieil humaniste dans les arcanes des appellations, des régions, des climats, des cépages, des sols, des millésimes ainsi que dans la fréquentation de quelques discrets alchimistes faiseurs de grands nectars. Sans même qu’il s’en aperçût, l’étude des vastes étendues viniques fut son École de Sagesse. La vie est ainsi étrangement faite, que l’on croise parfois le chemin d’un de ces lumineux passeurs de flambeaux.

Deo Gratias à Bacchus et à Dionysos aussi …

À vrai dire Achille glandouillait. Il travaillait dans un Lycée Technique, faisait le pion d’externat quatre jours par semaines et passait une nuit déliquescente sur deux à plonger dans la bamboche comme un con ordinaire. Ces nuits blêmes, à boire force bières, à traîner en des lieux, improbables au mieux, et le plus souvent bars crapoteux et glauques, dans la lumière noire qui fait regard de lapin sous acide, en compagnie de filles, fadasses, tristes, bavardes ou vulgaires, aux sueurs aigres et aux parfums agressifs, ne le satisfaisaient pas. Quelque chose ne tournait pas rond au fond de lui, il avait le sentiment vague et nauséeux de ne pas être au mieux, voire de gâcher un peu sa vie mais c’était un sentiment vraiment trouble, fuyant, dont il n’arrivait pas à prendre vraiment conscience. Plus tard, le mot « fête » au sens de « bringue » évoquerait définitivement pour lui, une maladie de l’âme, un risque grave de perte de l’estime de soi. Quelque chose de veule, de dissolvant, de dégradant …

Un jour par semaine il montait à la métropole régionale des frites prendre son lot de connaissances universitaires. Après les cours il retrouvait Hector. A deux, immergés dans les miasmes acides, ils développaient à la lumière rouge du labo leurs rouleaux d’images pas très pieuses. Achille aimait ces formes indistinctes qui émergeaient des bacs de révélateur. Les noirs, les gris et les blancs qui montaient lentement en se fondant du fond des eaux chimiques comme des sourires tremblants, le fascinaient. Les fantômes pâles qui prenaient lentement figures humaines, souriaient, grimaçaient, ces instantanés volés à la vie, ces émotions en mouvement le laissaient à chaque fois émerveillé tandis qu’une chaleur étrange et douce irradiait sa poitrine. Il lui semblait pouvoir, sans le figer, contrôler et arrêter le temps. Les souvenirs de papier qu’il empilait soigneusement dans des boites de carton compensaient la fragilité de sa mémoire trop pleine …

Un soir de Juin, qu’il agonisait à l’idée des examens du lendemain, Hector, histoire de le détendre, le traîna dans une ville proche – qui valait en ce temps-là à peine un clair de lune -, sous les lustres de faux cristal ruisselant d’un casino. A la roulette ils jouèrent, les yeux fermés à la raison, leur maigre pécule. Hermès et Dionysos, séduits par leur naïveté, asservirent le croupier fatigué qui se mit à payer. En quelques heures, ils raflèrent une belle somme qu’ils engloutirent dans un repas fastueux au restaurant étoilé attenant à l’établissement. Ils se goinfrèrent, sympathisèrent rapidement avec la jeune sommelière blonde aux jolis seins bondissants, qui remplissait leurs verres en se penchant vers eux plus que nécessaire et éclusèrent sans y prêter attention, comme des footballeurs dorés sur tranche, plusieurs bouteilles de champagne, s’empiffrant de caviar et de homard grillé. Ivres, les deux joyeux pachas d’un soir retrouvèrent la jeune femme au bar et l’associèrent à leur beuverie. Puis dans le plus proche hôtel, ils se blottirent à trois, à demi inconscients et s’endormirent comme frères et sœur. Pas même dégrisé, au petit matin, Achille s’éveilla en sursaut, à demi encastré dans la blonde roucoulante qui gémissait en roulant des hanches. Le souvenir de l’examen lui glaça la peau et calma subito ses ardeurs.

Les portes de l’amphi se fermaient quand il déboucha, glissant sur le parquet ciré, échevelé, le pantalon froissé et la chemise flottante. Il s’effondra sur son banc comme une méduse verte et molle sur le sable chaud d’une plage bondée. La tête lui tournait encore, son haleine nidoreuse et ses dents poisseuses l’incommodaient, mais moins que les odeurs de viande marinée qui suintaient de ses aisselles pour remonter jusqu’à son nez froncé. Les coutures du 501 lui agaçaient l’aine et lui meurtrissaient les fesses. Dans la précipitation il n’avait pas retrouvé son slip et avait chaussé le jean moulant de la fille. Il se mit à rire bruyamment. L’idée d’avoir embroché la blonde pulpeuse puis, dans la foulée son pantalon, lui dégagea l’esprit des vapeurs de la nuit. Sa voisine de gauche, brune genre métisse caramel au lait, lui lança un regard plus noir qu’au naturel qu’elle avait noisette. Ample, sa tunique fleurie flottait sur des seins rondelets, fermes et tendus, dont les pointes piquaient le tissu léger. Mais plus encore, son large vêtement, bas sous l’aisselle humide, laissait deviner l’ébauche émouvante de son sein gauche. Ses cheveux bouclés et épais remontaient en chignon grossier sur sa tête. Dans son cou à la ligne pure quelques cheveux frisottaient. Le désir-mort né du matin revint, brutal, presque douloureux. Achille déboutonna le jean trop petit qui l’étouffait et lui écrasait le gland. Celui-ci s’ébroua jusqu’au ras de la ceinture. Achille croisa les jambes.

Du coin de l’œil la brunette lui sourit …

Chrétien de Troyes acheva de le dégriser. Il lui fallut traduire la pure langue du douzième siècle, en strophes d’octosyllabiques denses et serrées, tirées du « Lancelot ou le Chevalier de la charrette ». Quelques questions pointues sur la langue et ses transformations au cours des temps, puis une dissertation à partir de trois strophes, obscures de prime abord. Achille se plongea dans les méandres du texte, porté par les bulles de champagne qui pétillaient encore à la surface surchauffée de son cortex. Il se coula dans la beauté des mots comme un chat dans son panier. Sa plume courait en crissant sur le papier ; il plongeait dans le cœur de Lancelot, ce Chevalier si parfaitement aimant et partageait avec délice ses tourments. En quatre heures, il noircit à l’encre violette un bon paquet de copies. Le vin de Champagne, vif et ardent qui coulait encore dans ses veines, mêlé au sang rouge de sa jeunesse, fut sa muse amoureuse à nulle autre pareille. L’après midi, l’épreuve de littérature moderne l’enchanta et les atermoiements de Julien Sorel à la prodigieuse mémoire finirent de brûler les derniers cordons de bulles et les nappes brumeuses de la nuit. Achille se surprit lui-même à la relecture de son devoir, qu’il trouva, en toute immodestie, vachement bien torché. A la sortie de la salle, il sentait encore, plus brûlant qu’une braise incandescente, le baiser de Mathilde de la Mole sur son front glacé. Autant l’ambition cupide de Julien lui déplaisait, autant le bel amour pur de Mathilde qui l’inspirerait sa vie durant, lui mettait le rose aux joues et le cœur en fleur.

Cette année là, Achille fut reçu à ses examens avec la plus haute des mentions. Il fêta sa réussite avec Roger qui l’invita dans un grand restaurant aux lumières intimidantes, et à l’assiette délicieusement simple et complexe à la fois ..

Ce soir là, il but son premier grand vin blanc de Bourgogne,

Un Montrachet 1947 somptueux,

Qu’il mit deux heures

A boire,

Subjugué,

A petites lampées

Précieuses

Et gourmandes,

Mêlées

De larmes de joie.

Roger, l’œil noir et brillant, légèrement humide, le regarda tout le soir s’extasier comme un enfant à la foire, un enfant enchanté qui vient de haute lutte et pour la première fois d’arracher d’un geste vif le pompon du manège !

 

EPASMOSITICOCONNE.