SOUS LA QUILLE, NEPTUNE…

Saintes. La Chamade. Août 2010.

Jawad se sent à vif comme une épine d’acacia.

Le vent le fouette, le soleil le cogne et lui croque la couenne, les embruns le giflent et lui boucanent la viande. Ça ronronne sous la coque du bateau qui fend l’eau comme un scalpel la peau. Vertige qui noue la tripe, et vide l’advertance des remontées rouges du cœur à La chamade. Comme Sagan la Françoise, la fleur de peau souffrante, légère mais profonde, au volant de ses chariots de feu funestes. Rien de mieux qu’ Un peu de soleil dans l’eau froide pour soigner Les bleus à l’âme. Je me suis regardé dans Le miroir égaré. Je n’y ai vu qu’ Un profil perdu, Un chien couchant près d’ Un lit défait, Un chagrin de passage, La femme fardée par la surface de sa vie, crémée de Faux fuyants. Mais je la laisse, Bonjour tristesse. Sous Les merveilleux nuages, Un orage immobile explose comme Un sang d’aquarelle qu’ Un certain sourire déclenche… Dans un mois, dans un an, Le garde du cœur n’aimera plus Brahms. Le chagrin de passage ne sera plus qu’ Un cheval évanoui. Dans Les fougères bleues, Le rendez vous manqué des Yeux de soie ne sera que Le régal des chacals. Sera venu le temps d’aller Au marbre avec Mon meilleur souvenir, Toxique

Purée de titres qui font sens…

L’ancre plonge droit au fond sur les sables blonds, et s’accroche à la chevelure alguée d’une sirène effarée. Le ciel est l’âme d’outre-azur de son père. Les reflets diffractés de la chaîne d’acier se diluent dans les eaux qui tremblotent comme verre de Chardonnay dans la main d’un parkinsonien hébété. Ils piquent la mer mouvante de leurs aiguilles vives et incandescentes. Quelques rus sinueux de sang purpurin comme pinot en Bourgogne, glissent le long de la joue de l’homme tout le temps de sa nage. Comme un prurigo dérisoire que lyse l’onde matrice saphir de toute vie, tandis qu’il perd lentement la sienne. Il se dit que puisque naître c’est quitter la douce fusion maternelle, il lui serait bon de mourir doucement ainsi, en toute déliquescence. La dissolution n’est-elle pas ultime fusion? Il nage les yeux ouverts, et calque son rythme sur le souffle tiède des ondines. Sous ses yeux béants à l’agonie, défilent la palette du peintre et les ombres de l’enfer dans la main de Dieu. Neptune boude dans sa grotte et astique deux-trois sirènes pour se détendre. Cette vision incongrue lui traverse l’esprit et le met au rire, il étouffe à moitié. L’épreuve est difficile mais il la surmonte. Ce qui le fait pouffer à nouveau. Seul, loin en mer sous l’emprise d’un fou rire! Folie… L’eurythmie harmonieuse des mondes le sauve. Cœur, bronchioles, forces liquides, telluriques et solaires sont à l’amble. Seul Neptune fait la gueule. Alors, riant à nouveau, il coupe son effort et se laisse flotter comme un bouchon de champagne dans la cuvette méditerranéenne des chiottes du monde. S’il était peinard et bien à l’abri dans le col gracieux d’une bouteille, il serait un peu plus haut, hors de l’eau, et pourrait à sa guise contempler le monde aqueux qui l’entoure. Mais il ne verrait pas Poséidon qui pourrait lui mordre le c… Wouaffff! Mourir de rire, ce ne serait pas mal non plus. Mieux que la morsure aussi soudaine que glacée, d’un requin pâle… Suer de trouille brutalement, en un demi souffle, sous totale rigolbochade en pleine mer, fragile comme une merguez qui perd son jus carminé, c’est possible aussi.

Le bateau n’est plus qu’un point blanc sur les eaux, comme un comédon frais sur le nez grumeleux de Neptune. Revenir, rebrousser chemin, retrouver le rythme, se fondre à nouveau aux éléments, se dissoudre, ne faire qu’un, dépasser la douleur, accéder à la conscience élargie… Choc soudain, sang glacé, terreur sidérante. Le corps s’affole, bafouille, gargouille, agitations ridicules et sporadiques, comme un nouveau né dans sa baignoire. La grosse bouteille, perdue comme un chancre dans une eau pure, lui a éclaté l’arcade gauche. Un peu. Suffisamment pour rosir le lapis environnant. Elle est fermée d’un long bouchon et son col gracieux dodeline sur les flots. Il a pu s’accrocher à l’échelle, clown écarlate, et se hisser à bord. Sur le fond aveuglant du bateau, taches rouges, macules grenats, bavures noirâtres et tavelures incarnates dessinent un Pollock suicidé. Recroquevillé au fond de la nef souillée, enroulé dans une serviette bleu cobalt épaisse et chaude, il regarde le lourd flacon. Il se reprend à rire nerveusement, par saccades courtes et rauques qui lui liment la gorge. La grosse bouteille sur le flanc a laissé de sa grâce, elle gît et sèche, perdant sa fragile brillance humide. Ses flancs abrasés par l’âge se voilent. C’est vrai qu’elle a l’air rompu de celles que le temps a usées. Son verre corrodé par le sable et le sel, est d’un blanc opaque qui masque son secret. Le souvenir de la Veuve Clicquot 1780 remontée magnifiée des mers froides, lui traverse l’esprit. Sa jumelle, sa cousine ??? Un jéroboam flottant, massif, aveugle, dérivant au fil des courants espiègles… Et lui qui le regarde de ses yeux muets. Comme une poule, devant un dronte dodelinant du chef. Le verre poli cède sous la hachette de sa rage. C’est un magnum au regard d’opale hermétiquement clôt, mystérieusement érodé par le sel lui aussi, qui apparaît. Ces étranges rouilles gigognes usées par le temps et les incessantes talmouses salées, lui parlent de sa propre lassitude, de son désarroi profond, de son sang qui fuit et fuse par moments en bouquets de roses fanées. Du bout d’un de ses doigts flétris comme cornichons russes, il caresse le flacon. Perplexité. Rire à nouveau, désorienté et mouillé de tristesse. Baaam, la troisième quille apparaît, plus petite, limée, adoucie, vieillie, châtiée plus encore. Le kil, l’ordinaire du jaja des familles, le rouquin d’avant que les guerres… Quelques éclats verts, intacts mais sombres à bloquer les regards curieux, dessinent un chemin hasardeux et inexplicable sur les parois de la fiole flétrie.

Médusé (en pleine mer, c’est bien le moins!), inquiet, déboussolé (en pleine mer c’est embêtant!). Sous ses iris de jade, et ses pupilles rétrécies façon minou timide, les fragments du jéro et du magnum se délitent, ramollissent et fondent inexplicablement comme neige au Néguev. La petite dernière apparue flotte presque dans une eau étrange, luminescente, irréelle. La lumière dorée qui sourd de cette pisse de fonte, exacerbe les hanches stéatopyges de la luronne. La rescapée évoque plus les convexités d’une nonne dépenaillée, que les épaules étroites d’un Pasteur cénobitique. Large de croupe, bâtie pour traverser les épreuves de la vie et les défonces de l’amour, l’équilibre serein de ses lignes impressionne. Mais tout se bouscule, se mélange soudain dans la tête et le corps de Jawad. Tout tremble, vacille, se transforme, se hausse. Des os aux boyaux en passant par la viande et les neurones, son corps fait des bruits poisseux de succion molle et de graisse flasque remuée. La vie en lui danse comme Jacob, dès qu’il a conquis le dernier barreau de l’échelle. Il est aveugle, sourd muet, puis voyant, extra lucide, prophète, économiste! Dans ses veines distendues, le sang bout au creuset sans fond des sorcières hystériques, puis gicle de ses oreilles et sourd de sa peau. C’est comme une expérience métempirique, un combat contre les forces primordiales, une mort promesse de vie. Au bout de lui même, il sabre le flacon sur le bord du bateau et porte le verre coupant à ses lèvres. Un parfum venu des extrêmes confins d’une galaxie inconnue, l’enivre et le ravit, comme si les corps de tous les Saints s’étaient unis pour exsuder cet ineffable élixir. Il se croit mort puis ressuscité, transporté via le grand trou noir – délivré enfin de l’espace temps – sur les rives tremblantes d’un astre tout juste gazeux. De son trident, Poséidon lui pique les globules, qui éclatent comme de petits crachats vermillons.

Bruit de pétards, fin de kermesse…

Un peu de liquide pâteux, verdâtre, épais, aux reflets roux, coule du col brisé et se fige sur son index sanguinolent. Sa peau, en un clin d’œil de Dieu, retrouve son herméticité. Il porte alors le goulot cassé à ses lèvres, qui se fendent comme grenades en septembre. La coupure est profonde mais se referme aussitôt. La soupe est salée, iodée, forte comme un nuoc-mâm oublié. A peine en bouche, elle infiltre ses muqueuses sans même attendre la gorge. Comme un onguent qui se marie instantanément aux chairs à vif, les graisse et les régénère. Une onde chaude le traverse et l’enveloppe dans une aura d’un céladon éblouissant. Son esprit, comme une eau d’émeraude, se fluidifie et quitte les contrées pesantes des souffrances ordinaires. Tel un papillon translucide, il flotte entre les mondes. Le temps suspendu ne connaît plus les espaces étriqués qui le limitaient et l’écrasaient – limace tragique – a la glu lourde de la matière pesante. Rien ne le surprend plus car il se sent somme et partie à la fois. Vertigineux voyage sur les terres subtiles de l’avant, de l’ailleurs et de l’après. Il – qui ne l’est plus – se fond dans l’indicible et communie avec la Vie.

Alors commence l’expérience qui n’a pas de nom.

De l’au-delà des cieux embrasés, à l’en-deça des funèbres barathres, des étoiles au magma, de l’est à l’ouest, du sud au nord, de l’en-dehors à l’en-dedans, du noir au blanc, dans le kaléidoscope tournoyant du fin fond des éternités étoilées, dans les abysses ondoyantes des prémisses de tout qui a été, est et sera, il est galaxie ignescente, quark tripolaire, grande turbulence solaire magnéto-hydrodynamique, Sirius au cœur d’Alfa Canis Majoris, Galilée inquisitorié, Star du X mellifluente, ectoplasme limbique, lombric extasié, apostat délirant, orgasme de loutre, éjaculation païenne, hérésie fulgurante. Ses cellules lui parlent, il chante avec les chœurs célestes, tutoie la mort et rit avec la hyène, égorge le nouveau né et pleure avec sa mère… Il bruisse avec les feuilles de cannabis dans les montagnes Afghanes. Dans le tourbillon de la conscience universelle, les naïades l’enlacent, Ægir l’adoube, Ruahatu lui sourit, Océane l’entraîne dans l’en-deça du Verbe…

Bouillie de chairs bouleversées, hurlements glacés du sang coagulé, crépitements acides de la lymphe en fusion, implosion douloureuse des os dans la roue du diable, éternels balancements entre les contraires, il ahane, éructe, pleure et rit à la fois, assoiffé de vie et de mort, anéanti, sublimé, transporté et meurtri….

Puis le silence pleure sous le marteau de Vulcain.

Dans le blanc translucide de sa sclère, les vaisseaux éclatés dessinent comme une fractale des crues du Gange à son delta. Le soleil lui rogne l’iris jusqu’à la cornée. Ses paupières clignent convulsivement. Ses mains étreignent la bouteille vide comme des serres moribondes. Lentement il retombe sur mer, exsangue, las et confus. Adossé au bastingage, la mer le berce. Au fond de sa tête, l’aigle lancéolé glatit toujours. Une goutte de sang séché pointe d’une de ses narines.

Sous les eaux de pierre turquoise, Amphitrite, silencieuse, sourit.

Jawad sait qu’il va mourir à la vie et qu’il sera le maître à nouveau….

Sa respiration sifflante s’apaise et ses humeurs corporelles marquent l’étiage. Imperceptiblement il retombe en pesanteur. Le puzzle de son corps douloureux se réajuste pour retrouver son unité. A nouveau Jawad est ego, affalé au fond de la barcasse comme une morue flasque dans un casier. Tout cela lui paraît cauchemars et rêves mêlés, au sortir d’une nuit glauque, enfiévrée, à yeux ouverts. A plein gaz il file vers la côte, sous le vent cinglant et le sel mouillé qui le cravachent et lui corroient la peau. Sur le clapot court, le bateau secoue et le remet au réel. C’est comme un soulagement, qui vide ses bronches brûlantes des eaux ingurgitées. Une toux rêche lui secoue la tête et l’ancre à nouveau dans l’espace. La mer grossit, l’embarcation s’envole à la crête des vagues et plonge rudement dans les creux d’où le rivage disparaît.

Désespérément lucide, Jawad pense au sang frais que le vent emporte.

Le soleil fou de cette étrange journée rase l’horizon de son disque de verre fondu. La mer est noire sous la lumière brasillante qui tranche le jais liquide de sa lame chaude de tourmenteur marmoréen. A contre-jour, la bouteille embuée est sombre comme un sang carbonisé. Il verse lentement le vin grenat dans le verre, éteignant le soleil qui s’y croyait chez lui. A bout de bras, sur le cobalt de ce ciel finissant, le vin tournoie au rythme de son poignet. Entre les rondes, l’hélianthe royal l’aveugle, l’ensanglantant au passage. Le rubis intense de ce ciel finissant se marie aux roseurs encore discrètes qui transparaissent déjà au bord du disque. Le maelström miniature tournoie encore, alors qu’il ferme les yeux et hume le vin frais. Les arômes de pinot, sur ces rivages Africains, l’apaisent. Pulpe de cerise, touches fugaces de cassis, fragrances de cuir gras et de musc, fraîcheur des fruits rouges. L’automne aussi marque le vin de ses touches de feuilles mortes, de champignons, et de mousse. Le fumet, sauvage comme la trace du cerf que le temps du brame appelle, «pommardise» le jus et lui donne un peu plus de prégnance olfactive. L’élégance Bourguignonne de ce Pommard «Les Arvelets» 2006 du Domaine Cyrot-Buthiau répond subtilement aux velours de chênes-liège qui cascadent vers la mer, comme autant de vagues vertes figées sous le soleil rasant.

Le vin se donne en bouche pleinement, roule un fruit mûr qui se déploie puissamment, et gorge ses calicules consentantes, de sucs subtils qu’une pointe sucrée adoucit. Un beau sang de vin, riche et racé, lui remet le cœur en place et pulse jusqu’à l’infime de ses globules martyrisées. La paix le gagne. Le chant rauque du Muezzin envahit les cieux tandis que la mer dévore à belles eaux le Phoebus vaincu. Le liquide charnu glisse soyeusement dans sa gorge, et libère longuement réglisse pure, et tanins lisses comme palais en ramadan….

Le temps s’arrête, l’espace du dernier soupir…

EFINIMOSSANTITECONE.

Trackbacks Commentaires
  • Moi qui suis constamment dans le flux, j’avais déjà du mal à me glisser dans le flot de ton écriture…et encore plus de mal à te suivre sur le fleuve de tes métaphores…
    Mais là! Je me sens comme une bouteille prisonnière du fond qui vient de se libérer, de remonter à la surface et qui se fait chahuter par une tempête d’images…Le voyage est difficile et tu m’amènes là où je n’ai pas envie d’aller trop vite par la force de ton écriture….salaud 😉
    François

  • Catherine dit :

    Tu nous trimballes, tu nous secoues, tu nous fais toucher le fond puis remonter brusquement à la surface, avec ce post physique et métaphysique qui nous parle de naissance, de vie, de déliquescence, de mort, d’odeurs, de paradis artificiels, d’oubli de soi-même, et j’en passe… Bravo et merci.

  • Merci Madame, très touché par votre commentaire. J’espère que vous ne vous êtes pas blessée. Avec tous ces remuements…

  • François, si ne serait-ce qu’un instant, j’étais parvenu à t’arrêter, toi qui “surfe” sur le flot ininterrompu des vanités humaines, des petits bruits d’oiseaux et autres boucs (dont les miens)..Et bien je n’aurais pas gribouillé pour rien.

  • Eric Margnat dit :

    Pour une première visite … bon … je respire un grand coup, et je vais voir à la Cave si je n’ai pas une bouteille qui pour l’occasion me permettrait de retrouver un équilibre imparfait, légèrement chaloupé, mais au final moins tumultueux qu’au sortir de ce que je viens de lire.
    @+

  • elena dit :

    PEAU c’est mon travail l’interstice (et le sang APRES UNE coupe de COGÑAC fait bouffées de chaleur naturel dans le cadre du INTERSICIO le COLCHÒN DE LA PEAU.-)Il n’est pas une POESÌA c’est pure ANATOMÌA DR. TESTU.-

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