Littinéraires viniques » Christian Bétourné

JUANITO ET GELSOMINA.

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Le Titien. Paul III.

 

La marmaille piaillait dans la courée. Il pleuvait, les marmousots jouaient dans la boue et se roulaient dans les eaux fangeuses et chaudes en ce quinze Août 1525. La douzième fut expulsée comme une balle, à la première poussée. Elle tomba en hurlant avant d’avoir touché terre. A peine le cordon coupé d’un coup de dents, sa mère s’assit dans une bassine d’eau fraîche, se lava rapidement, rabattit ses jupes et jeta l’eau rougie dans la cour au milieu des enfants.

Dans les rues de Naples, la soldatesque de François 1er venait de pénétrer. Les femmes furent normalement violées, sans que cela trouble pour autant la vie ordinaire de la cité. Pendant ce temps-là, François prenait une raclée à Pavie.

Addolorata frotta son bébé vigoureusement. A la paille fraîche. Dieu qu’elle est laide pensa-t-elle ! La petite fille était anormalement robuste, elle avait un visage disgracieux, un torse boudiné et les membres bien trop courts. Elle fut prénommée Gelsomina. Sans raison, simplement parce que sa mère trouvait ce prénom aussi laid qu’elle.

Addolorata était cuisinière dans un bouge d’un quartier populaire, elle était connue pour la façon qu’elle avait d’accommoder les pâtes, et les fettucine Addolarata furent célèbres ces années là chez les pauvres. Mais la recette disparut quelques années plus tard, à la mort brutale de la cuisinière poignardée par un marmiton éconduit.

Gelsomina grandit, mais très peu, au milieu de ses frères et des détritus. A quinze ans elle culminait à un mètre dix-sept, quand elle arriva en Andalousie après avoir nageoté jusqu’au rivage. Cette année 1540 fut une année torride, dite xérothermique. Gelsomina traînait dans les ruelles crasseuses de Naples quand elle fut enlevée, on se demande bien pourquoi, par un rôdeur oisif, et affamé de surcroît. Il l’entraîna dans un coin sombre et la baisa de partout, histoire de la calmer un peu. Mais la naine furieuse le mordit si férocement à l’entre-jambe, qu’il s’en débarrassa prestement sur le port, et s’enfuit en boitillant sans demander son reste. Un marin moitié pirate l’embarqua de force sur un navire, il fallait bien remplacer à peu de frais le moussaillon, mort la veille d’un coup de surin, dans une ruelle borgne non loin du quai. La petite fit la souillon à bord, elle fut aussi définitivement déniaisée, et même carrément alésée, par l’équipage au complet. Mais à tour de rôle. C’est dire que la traversée fut instructive. Quand elle fut jetée à la mer au large des côtes espagnoles son éducation, certes un peu rude, était terminée.

En 1540 Paul III était pape. De son nom Alessandro Farnèse, c’était un pape comme les autres, bisexuel et amateur de jeunes garçons. Sous son pontificat l’Inquisition se porta bien.

Or donc la Gelsomina gonflée d’eau salée échoua sur la plage. Elle prit le temps de vomir et de se vider complètement de cette eau saumâtre inutile. Certes cela lui piqua bien un peu les muqueuses, mais le sel corrosif lui évita d’autres maladies, de celles que l’on dit honteuses de nos jours mais qui n’étaient à l’époque qu’infections courantes. Cela ne gênait personne. Fallait en profiter, on ne vivait pas très vieux de toute façon.

Adonques Gelsomina retrouva ses courtes jambes vigoureuses, et s’enfonça dans les terres. Elle mendia sur le chemin, satisfit quelques larrons de passage, de quoi se faire un petit pécule, pour se retrouver enfin à Grenade. En 1540, l’Andalousie fut à la canicule ce que le four sidérurgique est au four de cuisine. La napolitaine était devenue une dure à cuire, habituée à la vie rude, aux chaleurs italiennes et aux corps en éruption. L’extrême chaleur ne l’importuna que peu.

Un soir d’hiver de l’année 1524, une nuit glaciale, dans un de ses châteaux perdu quelque part en Espagne, Charles Quint a vingt cinq ans. Il est plutôt laid, il a le menton pointu, il est franchement prognathe, et ses cheveux raides tirent sur le roux. Non pas un roux franc, flamboyant, un roux de conquérant, mais un drôle de rouquinos pas franc. L’empereur est frigorifié, il est tard, il a faim, il entre dans l’immense cuisine du château sans frapper. Surprise, la jeunette à quatre pattes qui frotte le pavé devant la rôtissoire luisante de graisses et de sucs de volailles odorantes, sur le point de pousser un cri de frayeur bien légitime, se ravise quand elle reconnaît le jeune monarque. Sur l’une des broches un faisan oublié continue de tourner sur la braise encore vivante. Sur une autre deux poulets dorés à point laissent suinter de leur peau craquelée un jus appétissant. Charles n’hésite pas, il arrache l’une des volailles d’une main, de l’autre il relève la jupe de la donzelle, puis il mord dans la chair chaude et juteuse du poulet, tandis qu’il embroche la servante, chaude et juteuse elle aussi, d’un coup net et bien centré. Une embrochée de plus en cuisine. Rien de bien extraordinaire en somme.

A quatorze ans Juan le bâtard se portait à merveille. Il se nommait Bandino, du nom de sa mère. Charles, qui pour être empereur savait ne pas manquer de coeur, mettait un point d’honneur à assurer le confort du résultat de ses nombreuses embrochades, ainsi que celui des embrochées. Aussi Juan fut-il anobli très tôt. Élevé au titre de Duc de Gracioso y Jerez y Amontillado. Le jeune homme prospérait dans un somptueux palais au coeur de la ville. Il n’avait aucune responsabilité, si ce n’était celle de faire convenablement le Duc, et de tenir son rang lors des cérémonies et fêtes diverses auxquelles il était convié. Autrement dit, Juan s’ennuyait à mort. Un matin de déprime profonde, il s’habilla de peu pour s’en aller errer comme un quidam ordinaire dans la ville. Juan le triste – on l’appelait ainsi sans qu’il le susse – s’en alla badauder au hasard. Le jour pointait à peine le bout de sa lumière, tout était encore au mieux gris, mais plutôt très sombre le plus souvent. C’est ainsi qu’il s’étala au détour d’une rue étroite pour se retrouver, le nez dans la pisse qui coulait au milieu, le pourpoint déchiré sur les arêtes coupantes du sol dallé, à demi assommé, avec des oiseaux dans la tête. On peut être Duc, se balader incognito, et se faire crocheter la savate par une naine, abrutie de fatigue, écroulée au pied d’un mur dans une ruelle sans nom. Le sort est le sort, et parfois il faut bien qu’il s’amuse un peu !

Gelsomina, les fesses encore meurtries par les nombreuses accolades qu’elle avait endurées, les muscles courbaturés par le long chemin parcouru et par les multiples embûches rencontrées, hurla comme la naine antipathique qu’elle était. Juan eut la peur de sa jeune vie.

En ce temps-là tout seigneur se devait, non pas seulement d’étaler ses richesses à tout va, non, mais bien d’avoir à son service exclusif, luxe suprême et signe de grand pouvoir, un fou, un bouffon, si possible d’une laideur supérieure à celle de son maître, un être difforme richement vêtu mais de façon excentrique, et qui avait le droit et le devoir (privilège extraordinaire en ces époques absolues) de claquer le bec à son suzerain aussi souvent que nécessaire. Quand il vit la raccourcie boudinée, Juan la voulut à son service. Elle accepta avant même qu’il eût fini de formuler sa proposition. C’est que Gelsomina était loin d’être une demeurée. Laide, difforme certes, mais il fallait bien qu’elle eût été finaude, et même intelligente, pour être encore en vie.

Très vite elle supplanta l’avorton en titre. Joselito Gonsalves la dépassait d’une demi-tête, il était aussi large que haut, car le bougre enfournait tout ce qui lui passait devant le nez qu’il avait à hauteur de table. A longueur de journée. Forces rasades d’un vin épais et fort faisaient passer viandes, volailles, pâtisseries, fruits, pains et autres douceurs grasses ou sucrées qu’il enfournait mécaniquement. C’est dire qu’il était constamment entre deux eaux. Sa voracité était bien connue, il était gros comme un verrat, et sentait fort. Outre sa corpulence, il affichait une pilosité hors du commun qui le recouvrait des pieds jusqu’au ras des yeux, des yeux vairons, l’un était noir et l’autre vert olive. Ses paupières étaient si lourdes qu’elles ne laisser filtrer qu’un filet de lumière. Cette particularité rendait son commerce difficile et inquiétant, parce qu’il était presque impossible de capter son regard. A l’avenant ses traits étaient masqués par une barbe hirsute, couleur de cendre, dont les poils, collés par les reliefs de sa gloutonnerie, faisaient se détourner les regards.

De sa voix haut-perchée il voulut d’entrée ridiculiser Gelsomina, en la comparant à une poule naine déplumée, interrompant Juan qui la présentait à sa cour. Deux trois rires brefs, sans plus, saluèrent sa mauvaise saillie. Puis un long silence suivit, que la rase-mottes se garda bien de rompre. Elle l’ignora superbement, releva le menton, et s’adressa à la courtisanerie. Elle parla longtemps. Personne ne pipait, et Juan se souriait finement à lui même, satisfait qu’il était d’avoir eu grande intuition, sans réfléchir plus avant, en s’accaparant la difforme.

Et là soudainement Gelsomina se découvrit un talent naturel, elle raconta l’histoire de sa petite vie joliment, l’embellissant beaucoup, mais en prenant soin de la garder crédible. Régulièrement elle remercia Dieu de l’avoir aiguillée sur son chemin, de lui avoir infligé des épreuves toujours plus difficiles, jusqu’à ce qu’elle gagne le droit d’être là, devant eux tous, saine et sauve dans ce beau palais de Grenade. Puis elle s’inclina devant le Duc, le plus gracieusement possible, en le regardant humblement, elle l’assura que le divin l’avait choisi lui aussi, pour qu’il l’accueille en sa prestigieuse demeure. A vie elle lui sera reconnaissante, et trois fois par jour elle priera pour lui ! Elle était sa chose, elle le servirait fidèlement. Les courtisans les moins aguerris en eurent les larmes aux yeux, une dame aux riches atours lui offrit une bague. La nuit tombait, ils se mirent à table, Gelsomina voulut s’asseoir aux pieds du Duc pendant le festin. Une heure passa. Juan se pencha vers elle, lui tendit la main, et la fit siéger non loin de lui. Toutes les prétendantes, qui riaient comme des crécelles pour attirer le regard du Duc, boudèrent. Mais la magotte, fine mouche, les visita une à une les jours suivants. A coups de mots sucrés, de quelques privautés – certaines ne détestaient pas tribader – , et surtout de confidences cruelles, elle fit en sorte qu’elles lui soient redevables.

Gelsomina ne se reconnaissait pas elle même ! Sa nouvelle situation près du Duc l’avait transformée. La peur, la crainte du lendemain, l’insécurité dans lesquelles elle avait vécu jusqu’alors s’étaient évanouies. En quelques jours, après avoir frôlé la mort, elle se retrouvait dans une situation inespérée. Rassérénée la gnomette fleurissait, au fond de son être des qualités insoupçonnables s’épanouissaient.

Juan n’était pas peu fier. Les répliques tranchantes et drôles de la petite le mettaient aux anges. Pour la première fois de sa jeune existence il avait près de lui quelqu’une qui ne mentait pas pour lui plaire. Elle lui devint très vite indispensable. Le « Juanito » familier et insolent dont elle l’affubla lui plut, seule sa cour, interloquée, ricana un peu, cancana même, mais cela s’apaisa d’un coup quand « Gelso », comme le Duc l’avait baptisée, ridiculisa les quelques imprudents rieurs. On fit aménager une chambrette, séparée par une simple draperie, au fond de celle de Juan, il la voulait proche, même la nuit.

L’hiver vint d’un coup, il neigea pour la première fois de mémoire d’homme. On brûla des chênes entiers dans les grandes cheminées du château. Peu habitués à de tels froids les plus pauvres moururent.

Enfoui sous des monceaux de laines épaisses et de fourrures exotiques sa Seigneurie grelottait, la chambre était aussi sombre que les pensées du Duc qui ruminait en silence. Dehors le vent sifflait. Un blizzard sibérien soufflait sur Grenade. Par la fenêtre aux bords mal joints l’air entrait par bouffades et refroidissait la pièce. La température n’était supportable qu’au ras de la cheminée, où le feu ronflait comme un soudard aviné. Gelsomina disparaissait sous une montagne de couvertures colorées, une peau d’ours brun de grande valeur la réchauffait à même la peau, elle se sentait bien, et souriait en silence dans la pénombre. Elle n’était pas inquiète, et ne priait pas, derrière sa dévotion de façade la mécréante avait perdu Dieu en même temps que sa virginité. Les yeux clos elle souriait, mais luttait contre le désir. Un désir de plus en plus présent, qui mettait la fougue de la petite à rude épreuve. Juanito n’était qu’à quelques mètres. Elle sentait bien qu’il était seul, triste et gelé …

Dans le plus simple appareil d’une naine énervée arrachée à sa couche, elle sautilla jusqu’au baldaquin ducal, réprima un cri au contact de la pierre froide, et sans faire plus de bruit qu’une oiselle charnue qui s’en va boire à la rivière, elle parvint au pied du lit. Mais la peur la prit. Elle recula jusqu’au tapis de laine haute étendu devant la cheminée, le feu ronflait comme un géant endormi, les bûches énormes, bien plus grosses qu’elle, craquaient, envoyant de tous côtés un vrai feu d’artifice de braises rouges et de cendres légères. Elle s’assit, nue, face au feu.

Juan n’en croyait pas ses yeux, il sentit que ses rêves secrets venaient de prendre vie. Là, à quelques coudées, le petit dos puissant de Gelso, dénudé, si blanc dans la pénombre ne lui tendait pas les bras qu’elle avait écartés, paumes ouvertes face au feu lumineux, rouge, jaune et bleu. La chaleur lui revint d’un coup, jusqu’à lui mettre le bas ventre en éruption. De dos la caille était dodue, ses fesses, replètes mais fermes, à demi enfouies dans la laine, lui mirent l’eau à la bouche. Depuis sa rencontre avec Gelsomina il s’était refusé à admettre l’évidence, mais à ce moment précis il ne put que constater, il la désirait férocement. L’aimait-il, il lui sembla que ça y ressemblait bien. Il n’avait jamais ressenti cela, cette douceur, ce trouble délicieux, bien plus agréable que le simple désir animal. Une rosée tiède perla au bord de ses paupières, il soupira en silence, s’enfouit dans la chaleur de son lit, en priant le ciel qu’il lui vienne l’envie de le rejoindre.

Les flammes dansantes hypnotisaient l’avortonne, et la chaleur courait sous sa peau, son ventre pleurait en silence, dans son dos Juan était si proche. Sa nature fougueuse reprit le dessus, elle se retourna, dans le fond de la chambre la couche du Duc faisait le gros dos et ressemblait à un animal de conte pour enfant. Un de ces contes qui font peur et plaisir à la fois. A quatre pattes, ses seins lourds rasant le sol, elle fila jusqu’au lit, et se faufila doucement entre les draps blancs. Puis elle s’allongea sans bouger entre les jambes de son seigneur. Le long de sa joue droite le braquemart ducal dépassait d’un bon quart. Elle s’affaira, Juan gémit en balbutiant des mots qu’elle ne comprit pas.

ET LES BRAISES ROUGEOIENT.

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L’ange et la bête de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Mon amour de laine douce, ta peau de lait frais

Ton verger. Hespérides des Îles sans le vent

Les fruits et le nectar. Le fiel acerbe, tes yeux.

Tu glisses sur mon haleine, respir de menthe fraîche,

Voyelles dans la lumière de la nuit de tes flancs,

Et la noix sans coquille serre doucement

Le long des rives molles de tes lèvres entrouvertes.

Tu danses la barcarolle de ma vie. Tes flèches aiguës,

Absolue délivrance, abîmes délicieux

Où les monstres marins dansent des gigues folles

Quant au ciel les étoiles clignotent pour mourir,

Comme les fruits éclatés dans ma main qui les tue.

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Psaumes doux murmurés aux ongles des ascètes

Dolents. Cuticules noircies, pulpes au sang. Toi

Reine tremblante, ton cœur en balbutiements,

Consonnes gutturales, les rires des houris.

Les prairies sont mortes, les chiens errants aussi,

Dans les tours désolées des châteaux, oui les rois,

Sous leurs brocarts brodés, ivres d’acides ciguës,

Sur les nappes damassées, les armes de Tolède

Luisent dans les fourreaux, et les braises rougeoient.

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Hors les draps de soie blanche et les eaux déversées,

Dans les obscurités des mondes entraperçus,

La fille des Atlantes sourit derrière ses voiles.

Au temps des rois, ivres de ses charmes de sorcière

Elle a connu le lait suri, rance, indigeste,

Les supplices si lents, les courroux, la misère,

A l’amour espéré jamais ne se haussa.

Aux jardins mûrs des âges, perchée aux arbres en fleur,

Allongée, ébahie, elle se love la vigogne,

Son pelage de miel s’étale comme un arc,

Le lait de sa chair coule dessous ma poigne trop forte,

Son âme est au zénith et son cœur à la forge.

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Je suis le diable noir, celui que dieu révère

Et je vais hébété, ta chevelure m’enfièvre,

Toi la goule radieuse, l’ange aux yeux aperts.

COMME LE BEAU FENNEC ROUX.

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Le quasi fox de La De Lan.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Grand silence de minuit et l’esprit aiguisé

Comme la faux la nuit comme la faux la mort

Comme celle qui tranche tout ce qui n’est pas vie.

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L’Eros noir a souri de ses ailes déplumées

La lumière de l’enfer qui sourd de ses traits

Un être maléfique au corps de soie fanée

A hurler dans le vent au milieu des sorciers.

Des enfers a surgi une fleur vénéneuse

Aux parfums envoûtants sourire de tubéreuse

A vous glacer les sangs à vous crever les reins,

Par les chemins étroits les sentes lumineuses

La cavale a frémi les gargouilles ont craché

L’or de leur venin vous qui ne voyez rien !

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Petit peuple rampant dans les marais géants

Aux écailles lustrées aux haleines livides

Quand vous apparaissez vous sonnez l’olifant,

Les grands chênes se tordent les orties à la peine

Couvrent vos corps saignants de pustules dorées

Jamais vous ne verrez celles qui sont des reines

Et leurs corps se tordent quand vous dormez gisants

Dans les combles encombrés de vos esprits éteints

Vous avez oublié les clés de vos espoirs

Les vents doux du désert le chant des alouettes

Les licornes sacrées leurs seins des avaloirs.

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Grand silence de la nuit et l’esprit embrumé,

Comme le beau fennec roux qui court dans les rochers

Comme ma main tremblante aux ongles arrachés.

LÀ OU NUL NE SAIT.

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La boule aux fenêtres de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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J’ai nagé à Porto j’ai tué des Maltaises

Dans le golfe brassé j’ai équeuté des fraises

Sur les rives du Maghreb les montagnes pelées

Dévalant les falaises j’ai vu ma peau saigner

La verte Kabylie et ses douars engourdis.

J’ai bu Macao les bouges et les dandies

Apollinaire Shanghai un curé des racailles

Me suis lavé les mains appris à lire en braille

Dans les sables au désert des fennecs m’ont souri

Les filles aux eaux trop claires et leurs fruits adoucis.

Au confins des étoiles au travers des trous noirs

Derrière les galaxies au-delà des miroirs

J’ai croqué des criquets rôtis comme les pis

Des donzelles en dentelles perdues comme leurs vies.

Tout près d’Oulan-Bator aux croupes distendues

Des vols d’oiseaux de proie queues molles becs à l’affût

Le vent souffle et caresse les herbes sur ta couche

Un peu comme tes baisers qui ont frôlé ma bouche.

Il m’a fallu oui croire au courroux des grands Dieux

Qui planent dans le ciel et menacent de leurs pieux

Les petits hommes maigres, mauvais, sinistres gueux

A Tolède enfiévrée ses patios délicieux

Les lames effilées au revers des boiteux.

Me suis saigné les veines aux piques des barbelés

Qui enferment les coeurs et déchirent les pieds

Un cheval en folie perdu en Mongolie

J’ai sauté sur sa croupe comme un Elfe en sursis

Les sylphides joueuses m’ont noyé dans leurs eaux

Le soleil se couchait sur les atolls royaux

Des tortues vertes pondaient sur leurs rivages blessés

Leurs œufs comme des perles rutilantes enterrées

Ménestrels arcs-en ciels de plumes enflammées

Trémolos de gosiers palmes et flèches rapides

Affamés et cruels regards et becs acides

Crevaient les nids cachés et tuaient les nubiles.

Mon Dieu qu’il était doux de planer sur les îles

A la fin je suis mort pour renaître à nouveau

Je sortais du cercueil pour gésir au berceau

Je n’en finissais pas d’aller de revenir.

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Pour connaître la mort j’aurais donné mes yeux

Et les trésors des rois même des filles nues

Une main de mes deux et maudire les vertus.

Mais nul ne sait jamais ! Seul Thanatos pourrait

M’emporter promener là où personne ne sait.

HALLGERD ET NJÁLL.

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Odin avec Hugin et Munin.

 

 Couvertes de landes basses la plaine se coule entre deux collines surmontées de rochers de granit à demi délités par les vents infernaux du nord. Au sommet de l’une d’elle subsiste, aiguë comme une lame finement affûtée, une pointe de pierre grise piquetée de taches blanches et de lichen verdâtre. Là-bas les vents sont si forts que des hommes deviennent fous. Au plein milieu de cette étendue plate, un vieil arbre au tronc épais, tordu par la furie des bourrasques et des hivers mortels, pointe ses quelques branches noires et tourmentées qui semblent égratigner les nuages épais, courant à vive allure dans le ciel bas, comme une horde d’ours affolés.

Le torse penché, les poings bandés de toile grossière, Njáll frappait en cadence, de toutes ses forces, le tronc noueux de l’arbre. Qui ne bougeait pas. Les bandelettes rougissaient à mesure qu’il cognait, les os blancs de ses jointures apparaissaient, mais il ne faiblissait pas, respirant bouche ouverte, éructant et grognant. Parfois il hurlait pour surmonter la douleur et frapper plus fort encore. Son torse ruisselait malgré le vent froid déchirant. L’homme n’était pas grand mais bien campé, et ses jambes courtes, musculeuses, collées au sol comme des sangsues au dos d’un animal rétif, maintenaient fermement son poitrail large aux pectoraux épais. Ses bras bourrelés de muscles sculptés et ses épaules rebondies s’activaient sans faiblir. C’était un combat sans enjeu, il le savait, l’arbre vivant ne broncherait pas, ne frémirait même pas. Le vieux frène dégageait un halo bleu électrique et vibrant qui enveloppait le guerrier en furie pour lui redonner courage et force. Le jour baissait quand Njáll s’affaissa, il soufflait comme le vent d’Odin à son paroxysme, et son haleine chaude sortait de sa gorge en longs jets de brouillard. Il but d’un trait l’eau de sa gourde de peau puis s’agenouilla un instant pour se recueillir devant l’arbre en remerciant Yggdrasill. Ses longs cheveux roux collaient sur son front, ses yeux gris foncé, agrandis par ce long combat contre lui même, fixaient l’horizon sans rien voir, sans rien entendre d’autre que les battements violents de son coeur déchaîné. Njáll était un homme mature, un víkingr respecté de tous d’un bout à l’autre de cette terre rude, peuplée en cette année 823 de clans toujours en guerre larvée. Héritier d’une lignée de Jarls, il régnait sur une petite communauté, une des plus petites de la région, redoutée pourtant, tant Njáll et ses guerriers étaient connus pour leurs qualités physiques et leur férocité au combat. On disait d’eux alentour qu’ils ne reculaient jamais. En ce temps là, le roi Horik 1er régnait sur le Danemark mais les Jarls en faisaient à leur tête, et le souverain qui devait chaque jour défendre son trône contre les chefs de clans affamés de pouvoir, prenait garde de n’avoir pas à affronter Njáll le fou et ses guerriers sanguinaires !

Vingt ans auparavant – il n’avait que vingt ans – mais déjà son courage au combat, sa force et sa résistance avaient dépassé les limites du village, il avait déjà dévoré plusieurs loups et cloué quelques évangélisateurs à son tableau de chasse. Quelques raids aussi. Au village le Jarl vieillissant sentait venir sa fin, la nuit, les valkyries lui parlaient à l’oreille, il avait bien oeuvré et Odin l’attendait. Alors il regardait Njáll, cela le rassurait. Il lui succéderait, il le pressentait. Thor veillerait sur lui.

Au village les femmes, jeunes et vieilles, craignaient Hallgerd, sa parole toujours respectée, ses ordres prestement exécutés. C’était une Armide, une enchanteresse de naissance, si brune, que les nuits sans lune elle se fondait dans l’obscurité, quand elle allait rejoindre, dans une grotte proche, un sorcier sans âge qui conversait avec les dieux. Il lui enseigna les mystères de la nature, les bienfaits et méfaits des plantes, la médiumnité, le pouvoir d’entrer en contact avec les animaux et lui confia, un peu, des secrets des forces indicibles et les potions magiques qui rendent vigueur et santé aux humains affaiblis. La jeune femme buvait les paroles du vieil homme et s’en imprégnait sans difficulté.

Hallgerd maniait aussi la hache et l’arc, avec une dextérité telle que même les hommes s’en méfiaient. De taille moyenne, sa chevelure noire qu’elle ne coiffait jamais, flottait au vent par tous les temps, ses yeux couleur de basalte gris vert tranchaient sur sa peau mate et sans fard, son corps robuste et souple à la fois ne manquait pas de cette grâce féline qui attire les regards et déclenchent les torrents d’amour et de haine. Elle aimait plus que tout enlacer d’un bras la proue effilée du snekkja en partance pour une expédition éclair et sentir monter dans son corps offert les ondulations enivrantes de la mer. Ses longs cheveux dansaient au vent comme un oriflamme funeste et les moines des monastères côtiers s’enfuyaient à la vue de cette diablesse caparaçonnée de cuir tanné à même la peau.

Njáll le pataud la bousculait souvent, cherchant à la séduire et cela finissait toujours en combats acharnés, ponctués de rires féroces et d’enlacements brutaux. Une nuit, sous la tempête qui rudoyait le snekkja, à l’écart des hommes rassemblés autour d’un feu de misère, Hallgerd se dénuda et d’un bond chevaucha Njáll, le maintenant fermement au sol entre ses cuisses serrées. Elle le chevaucha comme une furie. On eut dit Nerthus enfourchant Njörd. Ce fut un moment de jouissance animale, furieuse, l’union d’un loup et d’une goule d’amour qui leur vida les reins et leur fit fondre le coeur.

Ils se marièrent au retour, le Jarl se mourrait mais la fête dura des jours, la bière et l’hydromel coulèrent jusqu’à la mer, des hommes se noyèrent, des femmes enfantèrent sous la tempête, le froid était si vif qu’il fut plus fort que le vent, et la mer se figea, et les vagues gigantesques, grandes comme des volcans glacés, arrêtèrent leur course, donnant aux hommes le spectacle effrayant des enfers à rebours.

En vingt ans trois enfants étaient morts en bas âge, une fille et un garçon avaient survécu aux rigueurs du temps. Hallgerd et Njáll étaient amants, jumeaux, nécessaires l’un à l’autre comme les deux coquilles d’une même huître. Ce n’est pas qu’ils s’aimaient, non c’était plus encore, ils sentaient confusément qu’aucun d’eux ne pourrait survivre au départ ou à la disparition de l’autre. Et cela était leur seule faiblesse. Secrète. Eux le savaient intuitivement mais ils évitaient d’en parler et s’acharnaient à enkyster cette éventualité terrifiante au plus profond de leurs crânes épais. Hallgerd cauchemardait souvent la nuit, elle errait dans une forêt hostile peuplée de diables rouges et de monstres noirs, perdue, épuisée elle appelait Njáll, en vain, l’horreur se rapprochait, elle avait beau courir, tailler à coups de hache, rien n’y faisait, à chaque mort de l’une d’entre elles, les bêtes hideuses se multipliaient. Elles finissaient par l’encercler, une gueule plantée de crocs sales lui taillait la gorge, une autre lui cisaillait le ventre quand elle voyait enfin, entre les arbres morts, grossir la silhouette de Njáll. Mais elle mourait, exsangue, et son cri se noyait dans un dernier long jet de sang. Elle se réveillait en nage, la gorge douloureuse d’avoir hurlé, à son côté, Njáll silencieux lui caressait le front en murmurant des mots tendres. Mais elle se tournait vers lui et lui mordait durement le sein.

Njáll ne rêvait pas, mais il lui arrivait de rester prostré, à demi nu, les poings en sang, les jointures à l’os, silencieux, le souffle court, au pied d’un arbre perdu, là-bas dans les landes, entre les collines.

QUAND PANDORA SOURIT.

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Sous le pinceau cinglant de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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J’ai ouvert le coffret des folies dangereuses

La boite de Pandora la fière ensorceleuse

Et ses aciers soyeux comme la pêche fragile

Son regard qui englue les passants dans ses fils.

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Hécate au pouls d’albâtre et son regard salé

La tenait par la main au hasard des forêts.

Sur le chemin les ronces sursautaient dans le noir

Les racines frissonnaient en oubliant de boire

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Quand je me suis jeté aux pieds de Pandora

Toutes les bêtes hurlaient à déchirer leurs voix

Les arbres déchiquetés par leurs souffles horribles

Jetaient au coeur des mares les feuilles de toutes les bibles.

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Moi le pervers si fou polymorphe et naïf

Je ne voyais rien tant, j’étais déjà captif

De ses lianes tordues ses fruits murs si blonds

Et son parfum musqué me fit fondre jusqu’au fond.

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Les éclairs de Zeus tonnaient dans le lointain

L’air sentait le soufre, la myrte et le benjoin

Les ondines et les gnomes se terraient sous les troncs

Sur le lac endormi se balançaient les joncs.

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Les siècles défilaient, les roches éclataient

Les vies se défaisaient et puis elles renaissaient

Je ne voyais plus rien tout allait au chaos

En riant et pleurant je suis tombé de haut.

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Quand Pandora sourit la vie enfle et je plie.

BLANCHE ET STANLEY.

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Le Kilimandjaro avait disparu dans la brume. Ils s’arrêtèrent, ils n’y voyaient plus goutte et la chaleur humide les étouffait. Seuls les cris rauques des singes hurleurs accrochés aux branches touffues des grands arbres invisibles les rassuraient. Oui la forêt continuait à vivre, la ouate avait gommé le monde des humains mais la faune n’en avait cure. Autour d’eux ce n’était que reptations gluantes, bruits secs de branches cassées, claquement de la pluie sur les feuilles, feulements étouffés et piaillements criards.

L’atmosphère était torride, pourtant Blanche grelottait. Elle était complètement trempée, sa longue chevelure rousse, si généreuse, tombait en queues de rat, lui amaigrissant les traits, ses yeux gris lui mangeaient le visage qu’elle avait pâle malgré le semis de taches de rousseur qui piquetait ses pommettes hautes. Ses lèvres, ordinairement roses, tremblaient, elles ruisselaient et pâlissaient peu à peu jusqu’à blêmir. Elle crut qu’elle allait fondre et se dissoudre dans la terre grasse, elle se sentait lentement absorbée par les forces affamées de la nature. Un bras entoura ses épaules tandis qu’une voix douce murmurait à son oreille des mots qu’elle ne comprit pas tout de suite mais qui la ramenaient lentement à la conscience. Stanley, tout aussi liquéfié, faisait de son mieux pour la réchauffer. Ses grandes mains noueuses la frictionnèrent vigoureusement. Il l’avait serrée contre lui et sa chaleur la gagnait peu à peu, il était si chaud, si tendre, si aimant, plutôt que de se diluer dans le sol, elle aurait voulu mêler ses chairs à ses os et disparaître en lui. C’était chez elle, depuis toujours, un fantasme récurrent. Qu’il l’absorbe, qu’elle devienne sienne, que leurs cellules se mélangent à ne plus pouvoir les distinguer, qu’elle meure pour renaître en lui, avec lui, qu’ils ne soient enfin plus que deux en un. Le visage sombre de l’homme s’écarta du sien, il riait. Perdue dans son rêve de fusion elle n’avait pas entendu, mais elle s’esclaffa avec lui. Elle se noya dans ses yeux quand elle réapparut à la surface du monde, des yeux sombres comme le ventre de la terre, noyés dans une barbe ténébreuse et épaisse, dense comme les forêts alentours, des yeux lumineux pourtant, qui ne brillaient que pour elle à l’instant où le soleil perça le brouillard. La pluie avait soudainement cessé et la végétation dense brillait de toutes ses feuilles. En une seconde le paradis venait de détrôner l’enfer.

Une semaine auparavant ils ne s’étaient jamais vus.

Stanley métis anglo-indien avait quitté l’Europe et la Légion en 1900. Successivement placier dans les milieux financiers un peu louches de Londres, puis voyou de petite envergure, il avait accumulé les délits et s’était retrouvé dans la Légion Étrangère, baroudant quelques années dans les colonies françaises d’Afrique. Il avait déserté le 31 décembre 1899 sans armes ni bagages, pour se retrouver, après un périple incertain en Afrique de l’est, sous protectorat allemand, dans un village sans nom au pied du Kilimandjaro. C’est ainsi qu’il s’était auto proclamé guide, le seul guide blanc du coin. Au début du siècle quelques européens à la recherche de sensations nouvelles arrivèrent dans la région, et bientôt Stanley se fit une petite réputation dans le petit monde des riches oisifs en quête d’émotions africaines. Il approchait de la quarantaine et ses dents blanches qui souriaient entre ses lèvres pleines, lui donnaient un charme particulier très apprécié des aventurières en dentelles. Son teint buriné par le soleil et sa chevelure noire en désordre ajoutaient à son naturel enjoué un petit côté hollywoodien, devantlequel les belles dames aux ombrelles ajourées se pâmaient volontiers. Stanley vivait surtout de leurs largesses et des quelques courses qu’il menait en moyenne montagne. Car l’homme connaissait ses limites et ne dépassait jamais les lisières supérieures de la forêt pluviale, se contentant, une fois atteints les 2500 mètres, de déboucher sur les prairies broussailleuses d’où ses clients pouvaient admirer les sommets enneigés. Et tous, fiers et ravis, la tête embrumée de souvenirs glorieux, redescendaient bravement au village.

Blanche était arrivée là par hasard. Son père, irlandais bon teint, aimait follement l’Afrique, elle exerçait sur ce grand lecteur une attraction que les aventures de Livingstone et Stanley n’avaient fait qu’exacerber. Il projetait depuis longtemps de voir enfin ce Kilimandjaro terrible, mais deux jours avant le départ, le sort sans doute – plus que le caractère soumis de son épouse, alors qu’il frémissait déjà à l’idée du voyage imminent, une véritable expédition pour ce celte de tempérament casanier – avait bouleversé ses plans ! A sa grande surprise, son épouse fit volte face, et pour d’obscures raisons familiales refusa de l’accompagner. Aussitôt Blanche sauta sur place, dansa autour de son père comme autour d’un totem, le chatouilla, et remporta la place devenue vacante.

Le vent était rouge ce jour là, lourd de poussière de latérite quand Blanche et son père arrivèrent dans ce village sans nom au pied de la montagne. Le soleil au zénith écrasait le relief, et seules les neiges du Kilimandjaro osaient l’affronter, lorsque Stanley, saharienne claquant sous les bourrasques, foulard noué et casque colonial enfoncé jusqu’aux yeux, surgit devant la jeune femme. Elle crut un instant que le dieu des tempêtes se matérialisait face à elle, barbe d’ocre et sourcils maculés de terre craquelée. Apeurée et ravie à la fois, elle lui sourit. Puis il l’emmena, conversant avec son père, devant une cabane de planches et de torchis. « Vous êtes chez vous, départ demain à l’aube » leur dit-il. Dans la nuit le père, fatigué par le voyage, fut prit de fièvres et vomit toute la bile qu’il pût…

Une grosse araignée bleue descendit des arbres et se posa en douceur sur la main de Blanche. Son fil de soie se rompit, et les gouttelettes d’eau brillantes qui l’alourdissaient roulèrent autour de sa carapace. Stanley eut un geste pour la chasser mais Blanche retint sa main. L’aranéide était plus grosse qu’une cerise, ventrue, d’un bleu métallique, couverte de poils noirs, et ses quatre paires d’yeux jaunes la regardaient … crut-elle. Lentement l’animal monta le long de sa veste, s’arrêtant souvent, jusqu’à s’immobiliser sur son épaule gauche. La pluie cessa soudainement et la végétation brilla sous les rayons du soleil qui jouaient entre les feuilles. Un souffle de vent, léger comme une haleine tiède, eut raison de la brume humide. Blanche se retourna. Entre deux troncs, derrière elle, les deux yeux dorés d’un grand singe massif la regardaient. Stanley la serra un peu plus et lui fit signe de se taire. La jeune femme, déboussolée, égarée au tout fond d’un monde inquiétant, trempée jusqu’à la peau, entre l’étreinte odorante de l’homme dont elle sentait la chaleur contre son flanc, l’araignée bleue installée sur son épaule et le regard clair du grand primate au faciès de cuir noir, se sentait pourtant étrangement heureuse. Jamais comme à cet instant précis elle n’avait ressenti avec autant de force trouble le bonheur d’être en vie. Elle soupira doucement et ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, le gorille avait disparu, l’araignée était remontée sur son fil. Et Stanley l’embrassait. Elle se dégagea doucement des lèvres douces – le visage lui piquait un peu, la barbe dure avait fait son effet – l’araignée se balançait doucement à hauteur de ses yeux. Elle soupira quand Stanley s’écarta d’elle, se redressa, docilement elle le suivit. La descente fut longue, interrompue plusieurs fois par le primate qui apparaissait régulièrement non loin d’eux. Quand ils sortirent de la forêt le grand singe noir cria plusieurs fois, puis trépigna avant de disparaître.

La nuit suivante, la jeune femme fit un rêve incohérent peuplé de visages inconnus, des hommes en armures ensanglantées, aux visages couturés, aux yeux crevés, galopant sur des chevaux en folie, un moine au regard triste ne la quittait pas des yeux pendant qu’une brute couverte de peaux de bêtes agonisait au pied d’un arbre. Ce n’étaient que hurlements, bruits de glaives entrechoqués et chants liturgiques psalmodiés. Juste avant qu’elle ne se réveille, un enfant fragile au visage translucide se mit à rire aux éclats. Un rire tendre et cristallin. De ses yeux azurins jaillissaient des gerbes de pierres précieuses scintillantes. Autour de lui une myriade d’étoiles constellées tournaient dans un ciel d’encre noire. Au réveil Blanche eut la certitude que sa vie commençait enfin.

QUAND TOMBENT LES GRAPPES …

1510491_10201208774246926_323898237_nQuand La De fait sa corrida.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

 

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Sur les gradins des arènes de Béziers,

Les américaines, chaudes comme des brasiers,

Applaudissent, leurs mains qui s’échappent,

Hystériques, quand tombent les grappes,

Sous l’épée du toréador à la jolie cambrure,

Sur sa cuisse glisse le sang comme une parure.

Au surplomb, Hemingway tète son canasse

Il sourit de voir ces renardes, ces chiennasses,

Lui, le rougeaud, qui ne suce pas de la glace,

Il sent, poils hérissés, que sous leurs jupons,

Sourdent les jus gras et brûlants de leurs cons.

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 C’est au centre aveuglant du cercle magique,

Que virent et voltent ces sombres noces sacrées,

Qui voient le ciel, coulant comme une fournaise,

Flamboyer à la fine pointe, cruelle de glaise.

Quand le torero dans son habit, son glaive

Sent au profond de ses os les puissances telluriques,

Qui font s’écrouler la bête et bêler les Texanes.

Le soir elles se cambrent, visages de mantilles,

Teint de vanille morte, et culs gantés de blanc,

Elles supplient et implorent, les mains lourdes de tian,

Que plonge dans leurs pétards, le dard du tueur achalant.

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 Accrochées au flambeau du matador flambant

Prêtes à avaler sabres et banderilles,

A hurler, griffer, branler, lâcher leurs trilles,

Croquer les fleurs de leurs désirs ardents,

Qu’il plante, les insultant, dans leurs flancs.

Et les voici qui halètent, branlettes, les starlettes,

Quand Hemingway, plume trempée dans le bourbon,

Ivre d’alcool, de folie, de rumeurs, triste bouffon,

S’esclaffe, barbe de dieu et lèvres en feu,

Solitaire et déflagrant. Dans la nuit qui s’éternise

Il couche sur le papier ce feu qui les attise.

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 Sur le sable blanc, joyaux de soleil et de sang,

Tombent les fleurs, les foulards sous le vent,

Ronde belle, affriolante, pantelante et ravie,

Ma toute mousse, ma louve aux yeux alouvis,

Ta griffe, ma superbe, descabelle mon cœur.

L’AUTRE DANS L’UNE.

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Quand La De voit double.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ma rousse là, la blonde ma, l’une dans l’autre

Mon autre va, blonde rit, ma rousse retrousse

L’autre dans l’une, mêlées, fondues, rondes et fessues

Gondoles et chants, Saint Marc je sens, elles ne sont qu’une.

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A Murano s’en sont allées, blonde est la rousse

Pâte rougie, tendre et soufflée, grâce et beauté

Ma ronde blonde, oui quand tu m’affoles, le vent se tait

Rousse ma douce ne me repousse tu m’éclabousses.

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Sur la lagune la brume blonde dort allongée

La lumière pâle mousse au tamis des nuages

Elle sourd douce elle éclabousse la soie des pages

Au bord de l’onde pure les fantômes oubliés.

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Vos farandoles vous rendent folles Dieu m’est témoin

Les figues mûres au pied de l’arbre quand vous chantez

Bouquets de fleurs grappes de fruits sont à vos pieds

Seul dans son coin, jaloux chafouin, pauvre témoin..

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Les ronds de l’elfe ronde s’enroulent à la ronde

Et le ciel gronde et pleure et tonne elle a parlé

Et la rousse et la blonde les belles vagabondes

La blonde et la rousse ne sais où sont passées.

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A l’elfe rousse et blonde qui jamais ne cesse

Je dis, je rêve, qu’à l’ombre de ses fesses

Matin soir et midi j’aime à me reposer

Mais jamais non jamais ne renonce je le confesse

A la rêver en boucles longues et reins cambrés.

ELSA M’A DIT …

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Quand La De prend la mouche.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Une nuit, Elsa m’a dit,

Crapaudine, christophine,

Endorphine, dopamine,

Toi qui ne m’as pas connue,

Non, je n’ai jamais aimé Aragon.

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Puis un jour je t’ai reçue

Mon œil aveugle t’a reconnue,

Alors je me suis souvenu

De toi, et de ton torse nu.

Non, je n’ai jamais connu Aragon.

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Éclairs dorés, pain croustillant,

Plasticine, amphétamine,

Au carrousel de mes amours,

Tu es le seul qui soit velours,

Je te le dis, je te le crie.

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Oui, j’ai tant aimé Aragon.
Elsa, ce jour, est revenue …