Littinéraires viniques » 2025 » février

Le Cauchemar Moche, Car de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Pluie battante dans la nuit blanche de la nuit noire, crachin glacé glaçant

à faire fondre les épaules refermées de l’ombre en marche

forcée.

Forcée d’être là sous les épaisseurs chaudes, rassurantes,

dans le douillet apparent

 et là, dans le froid du cauchemar moche

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Les gros yeux jaunes des phares éclatants recouvrent le bitume

mouillé d’une laque d’or, opalescence violente à crever les cristallins,

les pupilles têtes d’épingle resserrées, minuscules puits d’ombre, à saigner,

ruisselets rouges sur jais.

Laque d’ambre sombre, laque noire de Chine quand les lumières s’estompent.

A chercher comme un chien perdu

l’introuvable inconnu qui toujours se dérobe.

Escaliers interminables, couloirs sinueux, delta des improbables.

Les grands sapins aux aiguilles empiquetées

s’allongent à n’en plus pouvoir, ombres géantes, menaçantes, mouvantes,

à trancher la route en lacets, perdue sous les rafales d’eaux

cinglantes.

Sous le couvert de la forêt épaisse, les silhouettes stroboscopées

d’animaux courants dans les futaies enténébrées

encadrent les mystères déroulés.

Élégance furtive des regards fuyants, roux

comme des spasmes angoissants,

traces éphémères du sens

absent.

Forge haletante, veines en feu, souffle coupé.

Tout disparait.

Retour, rupture, effroi, très froid.

A grands pas les pieds nus écorchés par les pavés disjoints.

Immense espace vide, parking désert, lumière soufrée des réverbères plantés

dans le goudron.

Sodium liquide effrayant.

La pluie toujours dissout la quête, efface les empreintes

baveuses des limaces blanches, le sillage écarlate du souvenir

des pas perdus.

Marche moche vers l’ailleurs impénétrable, sueurs aigres, souffles aigus,

bronches crevées

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Dure-mère sous tension, arachnoïde à se rompre, pie-mère en pleurs, en équilibre

instable sur le corps calleux, sur le pont d’entre deux mondes.

Marche moche, car.

MOREY-COFFINET. LA ROMANÉE 2006.

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Michel Caron. La montagne jaune.

Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la clepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique quand un blanc s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait c’est la mort qui ricane. Le motus renvoie son Monde à l’inéluctabilité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.

 A ma vérité, le temps est blanc.

Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie et se perd en alertes vaines.

 A ma vérité, sang rouge vire au noir.

La Terre amoureuse est verte et pousse le bout de ses ramures tous azimuts. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout, et comble ses hôtes de ses fruits gratuits. Le fruit vert des âges tendres, rejoint parfois la verdeur de l’âge, paradoxe des extrêmes. Mais le vert est aussi de rage et de peur quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.

 A ma vérité, vert est pur amour rageur.

Alors je m’abreuve à la pompe bleue des énergies « Blues » de Muddy Waters. Foin de ces lamentations indécentes, à mettre à la poubelle noire des insipides. La musique chaude, lave, remue, et chasse les remugles, les vases lourdes. Noir ou blanc, synthèse des couleurs à ne pas mélanger, le bleu électrique requinque et chasse le vague-à-l’âme. Novembre souvent écrase, dilue, broie, pile les couleurs de l’été dans ses brumes collantes. Mais sur le bord de ma palette, le rayon pâle de l’astre fugace perce le coton épais du ciel veuf de son azur, pour poser un soleil, jaune comme un oeuf, au dessus des montagnes.

 A ma vérité le bleu est blues vaincu.

Chez Morey-Coffinet, c’est le Thibault qui fait le vin maintenant. Dans la fraîcheur de ses caves, belles comme cryptes romanes, j’étais, il y a des ans… Rangés comme moines en prière, les fûts se sont ouverts à la pipette, et ont versés dans mon verre les merveilles au repos de Chassagne-Montrachet. De beaux jus en élevage sur lies fines. Thibault est un modeste qui laisse parler le vin plutôt que de gloser. Dans le silence des caves, quand Bacchus fait son grégorien, le choc cristallin du tâte-vin sur les verres suffit à enmusiquer l’espace.

La robe de « La Romanée » 2006 1er Cru est jaune citron, soleil de février sur les collines de Menton. Seuls quelques légers reflets qu’un cousin vert des Antilles y aurait fondu moirent à la lumière.

Sonate de touches fleuries sous le nez, desquelles le chèvrefeuille s’extraie pour très vite bomber le pistil. Mais cela est fugace. Bientôt vient le temps des fruits, tout en “finesse exubérante”, la poire flirte avec l’ananas pour finir au coing. Un nez élégant qui signe un ChassagneMontrachet plutôt extraverti.

L’attaque est subtile, l’équilibre est son nom. Gras maîtrisé, puissance et vivacité se conjuguent parfaitement. C’est un vin à la matière riche, mûre et ronde; les fruits sus-cités réitèrent et s’adjoignent une once de zan qui exalte le tout. C’est d’la bonne came ça dis donc!!! Quelle bouche!!! Digne de la plus voluptueuse des bayadères….Et j’en ai connu d’ondulantes par temps de Bourgogne blanc… La finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Et bien c’est d’la bonne, c’est d’la longue, d’la bien roulée sous la langue, d’la qui s’installe, qui s’y plaît et qu’en redonne… du plaisir et du bonheur. Ça finit en se resserrant, comme j’aime… la réglisse et les épices, et la pierre qui pique un peu…

Mais j’affirmerai, toute joie bue, que ce vin éclatant est un bonheur pour le nez du chasseur de Chardonnay. Du fruit, blanc et de l’orange épicée, auxquels se mêlent la sécheresse olfactive de la pierre. En bouche, y’a du vin, une matière qui vous rend tout d’abord une petite visite qui semble modeste, humble et sans prétention excessive…Puis, si vous faites, un tant soit peu rouler le vin en bouche, alors là, waowwww, il prend un volume surprenant!!!

Bon je ne vais pas trop insister mais ça dure, ça s’étire, ça se tend en même temps, ça bande comme l’arc que je ne suis plus ! La finale qui ne vous laisse pas seul, même si vous l’êtes, est fruitée, réglissée, épicée et franchement – allez je le lâche – très et fort à propos, minérale. Bouche propre et lèvres salées comme un baiser d’amour.

ECHIENMOTINECONE.

DROIN CHABLIS GRAND CRU LES CLOS 2000.

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Imaginons que je sois le rédacteur fou d’un site de vins bien connu – et qui propose d’ailleurs souvent de jolies bouteilles à prix corrects – un prescripteur complètement allumé, shooté aux dithyrambes enfumés, à la culture marketing exacerbée, amoureux de superlatifs qui se veulent haut de gamme, que pourrais-je bien dire de ce vin déjà bien souvent encensé ?

Voyons voir.

 “Ce domaine mythique, cet Everest du vin, ce top de l’appellation, au sommet de la hiérarchie, incontournable nous livre (sic) une bouteille mémorable dont le jus hautement séducteur, véritable Don Juan de Chablis, à la fois fringant, évolué, riche, frais, affiche (oui le style ce n’est pas sa tasse de Chablis) une matière énorme, mais distinguée, qui vous inonde la bouche (oui le style, toujours le sens de la syntaxe élégante), une matière drapée d’une grande sensualité gourmande de corps. Ce vin est une star absolue, un sommet qualitatif qui passe la barre très haute (sic), un colosse tout simplement somptueux, un enchantement qui marque les esprits, drapé (bis) d’une grande sensualité de corps qui exalte toute la maestria (olé!) de son cépage, offrant à la fois du confort et de la finesse, un vin culte, issu d’un terroir singulier (sic encore), un jus monumental digne des plus grands temples égyptiens (Toutankhamon si tu me lis ?), qui se pose en dandy incontournable (une sorte de Brummel du vin ?), assurant de son élégance des accords au sommet (Ah la jolie syntaxe !), une cuvée tonitruante, imparable de finesse et d’énergie (one more couche de baratin insipide), un vin abouti, fait de passion (et de quelques raisins aussi), dont l’amateur se doit de posséder quelques caisses blotties sous le placard douillet de la cuisinière …” Ce pourrait être quelque chose comme ça par exemple.

Et moi et moi, sale vieux con râleur, que puis-je en dire de ce vin du tonnerre (c’est bien le moins pour un Chablis) de Zeus ?

Que le temps a brodé de vieil or sa robe ? Que sous mon nez, le bouquet est complexe, qu’il marie harmonieusement, effluves florales – pêle-mêle, citronnier du jardin agrémenté de légères touches jasminées – fragrances de citron mûr, confit, de miel et d’agrumes, d’un soupçon de truffe blanche, d’épices douces et de poivre blanc ? Que la noisette y a, elle aussi, laissé sa trace, fraîche malgré l’âge ? Qu’en bouche la matière est conséquente, riche, qu’elle enfle en prenant constamment du volume, qu’elle est grasse, ce qu’il faut, pour donner au vin une onctuosité délicate ? Que le vin s’éternise en bouche bien après que la pluie a cessé, qu’il laisse au palais la marque crayeuse et saline de ses origines ? Oui je le dis, et vous dis la souffrance qui m’envahit quand me vient à l’esprit que cette superbe bouteille, hélas, n’est pas un  jéroboam, ni même un magnum, et qu’il me faudra bientôt faire le deuil du plaisir qu’elle m’a procuré !

Dehors c’est Février, le ciel est Novembre, la ville semble recouverte d’acier liquide, le soleil est sur l’hémisphère sud, la rue ruisselle et la Charente déborde. Alors, je verse avec précaution dans mon verre vide les dernières gouttes de ce grand cru de chablis. Et j’attends que les amours reprennent.

PS : Merci monsieur Droin.

MON GLAIVE REVIGORÉ.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Je bois souvent cette eau d’ange et de sang

D’une source incongrue, et de laine, et qui m’assène,

Et qui n’est, chaque fois, ni pur diadème

Ni tout à fait carême, et me saigne et me détend.

 

Car elle m’est océan, et mon coeur mellifluent

Pour sa meule, hélas! N’est pas un pâle requiem

Elle qui feule, et les ardeurs de ma bouche l’aiment,

Elle seule les sait faire gémir, en bavant.

 

Est-elle lune, ronde ou brousse? Je l’adore.

Son balcon? Je le retiens, qu’il est lourd à bâbord,

Comme ceux des damnées que la vie baptisa.

 

Coeur blafard, salsepareille au mitard des sangsues,

Et, pour sa loi, ma reine, inflexible, et lasse, elle va

La malédiction, la sorcière qui règne et me tue.

LA MUSIQUE A CESSÉ.

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Les abominations hypnotiques de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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L’as-tu vue ?

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La feuille de papier aux laitances cinglantes,

qui te nargue, lourde d’égarements à la dérive, je flotte le mors aux dents.

Nuque raide, neurones agonisants, leurs doigts gourds m’entourloupent,

où s’en vont les esquives, les miroirs tranchants, les soleils diffractés

bleus glacés aux rutilances monochromes ?

Esquisses déchirées. Flottent les ardeurs mortes nées sur les eaux

de mercure figé. Sidération brutale, le silence s’installe et la chatte

mauvaise a croqué tous les mots.

Pas de larmes à aiguiser au fil des têtes tranchées, de ventouses écaillées,

de cocons morts à visiter, plus de canaux serpentins vers les eaux taries

des deltas à l’instant disparus !

Palpitation lente du souvenir, indicible absence, silence putréfiant,

la toile lisse du sens absent a fini par gagner la soupente

des émotions claquemurées.

Dès l’aube des chiens courants

la musique a cessé sous l’os infranchissable de la boite à jamais close

des épaisseurs nocturnes, le balancement saccadé des hésitations cotonneuses

m’enveloppe d’incertitudes douces

et de parfums suaves.

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Abomination sulfureuse des extases frôlées dans le dédale

des impossibles.

What do you want to do ?

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LES MUSICIENS MORTS.

Le petit théâtre de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Sur les touches blanches du cercueil obscur courent les araignées pâles aux griffes rouges.

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Elles se promènent d’un bout à l’autre du clavier.

Les longs trémolos bleus soupirent jusqu’au fond des empires perdus.

En écho, à l’autre bout de la queue arrondie laquée de noir aveuglant,

sous les lumières artificielles des salles veloutées de bordeaux patiné,

en pluie sonore,

les notes retombent, multicolores,

sur les nuques vannées des spectateurs aveugles.

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Les soies frissonnent, les queues de pie s’affaissent.

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Sous le coffre de bois lourd, deux  escarpins vernis, luisant comme des yeux aux regards éteints, actionnent sans effort

de lourdes pédales de bronze.

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Sur les dalles de marbre précieux qui recouvrent le péristyle des théâtres prestigieux,

dans les couloirs feutrés, sur la soie tressée des tapis épais longuement brossés,

les pas conquérants des grandes femmes aux longs cols de cygne blessé,

ont perdu leurs voix.

Chacun de leur pas, tellement étudié, maitrisé et élégant, s’accorde au chapelet de notes lointaines qui coulent, langoureux, liquide et gracieux sur la scène, comme la lumière frisante d’un soleil couchant sur la toile d’un Soulages voguant dans le silence de l’espace tendu

entre Vénus et Mars.

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De grands hommes que l’histoire de l’humanité mourante ne retiendra pas,

élégamment vêtus d’étoffes rares aux moires délicates, les suivent ou les précèdent,

selon leur rang supposé dans la hiérarchie muette des conventions surannées.

Le bruit de leurs bottines de cuir fin,

souples, taillées à même leurs pieds aux os fragiles,

étouffé par l’épaisseur des tapis andrinople,

ne résonne pas,

et les croquenots pour pieds de race, pleurent de désespoir.

Le sol, miroir claquant, lisse et luxueux, des marbres du vestibule immense aux fausses colonnes grecques, est, a contrario, fait pour eux qui aiment tant à parader mine de rien, et jouer du talon sur la peau froide du sol des prestiges.

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Sur les touches ivoirines du piano à queue de pie sage courent les doigts saignants des musiciens morts.

LA CHANDELLE EST MORTE.

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La De tient la chandelle.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Décembre est dans la mire

Et frissonne l’année

Et pousse un long soupir

Comme une âme gelée.

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Demain le jour en braille

Et la lumière aussi

La nature a sourit

Ce matin dans son lit.

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Oui la chandelle est morte

Quand se rouvrent les cieux

Et dans ta chambre forte

Tu entrouvres les yeux.

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La lumière a jailli

Des bois et des taillis

Le biche se réveille

Et le soleil bleuit.

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Nous irons par les mois

Les heures et les jours

Quand la lumière flamboie

C’est le temps des amours.