Littinéraires viniques » POÈMES EXACERBÉS …

Le Cauchemar Moche, Car de La De.

—-

©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

—-

Pluie battante dans la nuit blanche de la nuit noire, crachin glacé glaçant

à faire fondre les épaules refermées de l’ombre en marche

forcée.

Forcée d’être là sous les épaisseurs chaudes, rassurantes,

dans le douillet apparent

 et là, dans le froid du cauchemar moche

—-

Les gros yeux jaunes des phares éclatants recouvrent le bitume

mouillé d’une laque d’or, opalescence violente à crever les cristallins,

les pupilles têtes d’épingle resserrées, minuscules puits d’ombre, à saigner,

ruisselets rouges sur jais.

Laque d’ambre sombre, laque noire de Chine quand les lumières s’estompent.

A chercher comme un chien perdu

l’introuvable inconnu qui toujours se dérobe.

Escaliers interminables, couloirs sinueux, delta des improbables.

Les grands sapins aux aiguilles empiquetées

s’allongent à n’en plus pouvoir, ombres géantes, menaçantes, mouvantes,

à trancher la route en lacets, perdue sous les rafales d’eaux

cinglantes.

Sous le couvert de la forêt épaisse, les silhouettes stroboscopées

d’animaux courants dans les futaies enténébrées

encadrent les mystères déroulés.

Élégance furtive des regards fuyants, roux

comme des spasmes angoissants,

traces éphémères du sens

absent.

Forge haletante, veines en feu, souffle coupé.

Tout disparait.

Retour, rupture, effroi, très froid.

A grands pas les pieds nus écorchés par les pavés disjoints.

Immense espace vide, parking désert, lumière soufrée des réverbères plantés

dans le goudron.

Sodium liquide effrayant.

La pluie toujours dissout la quête, efface les empreintes

baveuses des limaces blanches, le sillage écarlate du souvenir

des pas perdus.

Marche moche vers l’ailleurs impénétrable, sueurs aigres, souffles aigus,

bronches crevées

—-

Dure-mère sous tension, arachnoïde à se rompre, pie-mère en pleurs, en équilibre

instable sur le corps calleux, sur le pont d’entre deux mondes.

Marche moche, car.

LA MUSIQUE A CESSÉ.

14550928_10207181617724280_889191583_o

Les abominations hypnotiques de La De.

—-

©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

—-

L’as-tu vue ?

—-

La feuille de papier aux laitances cinglantes,

qui te nargue, lourde d’égarements à la dérive, je flotte le mors aux dents.

Nuque raide, neurones agonisants, leurs doigts gourds m’entourloupent,

où s’en vont les esquives, les miroirs tranchants, les soleils diffractés

bleus glacés aux rutilances monochromes ?

Esquisses déchirées. Flottent les ardeurs mortes nées sur les eaux

de mercure figé. Sidération brutale, le silence s’installe et la chatte

mauvaise a croqué tous les mots.

Pas de larmes à aiguiser au fil des têtes tranchées, de ventouses écaillées,

de cocons morts à visiter, plus de canaux serpentins vers les eaux taries

des deltas à l’instant disparus !

Palpitation lente du souvenir, indicible absence, silence putréfiant,

la toile lisse du sens absent a fini par gagner la soupente

des émotions claquemurées.

Dès l’aube des chiens courants

la musique a cessé sous l’os infranchissable de la boite à jamais close

des épaisseurs nocturnes, le balancement saccadé des hésitations cotonneuses

m’enveloppe d’incertitudes douces

et de parfums suaves.

—-

Abomination sulfureuse des extases frôlées dans le dédale

des impossibles.

What do you want to do ?

New mail

LES MUSICIENS MORTS.

Le petit théâtre de La De.

—-

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—-

Sur les touches blanches du cercueil obscur courent les araignées pâles aux griffes rouges.

—–

Elles se promènent d’un bout à l’autre du clavier.

Les longs trémolos bleus soupirent jusqu’au fond des empires perdus.

En écho, à l’autre bout de la queue arrondie laquée de noir aveuglant,

sous les lumières artificielles des salles veloutées de bordeaux patiné,

en pluie sonore,

les notes retombent, multicolores,

sur les nuques vannées des spectateurs aveugles.

—-

Les soies frissonnent, les queues de pie s’affaissent.

—-

Sous le coffre de bois lourd, deux  escarpins vernis, luisant comme des yeux aux regards éteints, actionnent sans effort

de lourdes pédales de bronze.

—-

Sur les dalles de marbre précieux qui recouvrent le péristyle des théâtres prestigieux,

dans les couloirs feutrés, sur la soie tressée des tapis épais longuement brossés,

les pas conquérants des grandes femmes aux longs cols de cygne blessé,

ont perdu leurs voix.

Chacun de leur pas, tellement étudié, maitrisé et élégant, s’accorde au chapelet de notes lointaines qui coulent, langoureux, liquide et gracieux sur la scène, comme la lumière frisante d’un soleil couchant sur la toile d’un Soulages voguant dans le silence de l’espace tendu

entre Vénus et Mars.

—-

De grands hommes que l’histoire de l’humanité mourante ne retiendra pas,

élégamment vêtus d’étoffes rares aux moires délicates, les suivent ou les précèdent,

selon leur rang supposé dans la hiérarchie muette des conventions surannées.

Le bruit de leurs bottines de cuir fin,

souples, taillées à même leurs pieds aux os fragiles,

étouffé par l’épaisseur des tapis andrinople,

ne résonne pas,

et les croquenots pour pieds de race, pleurent de désespoir.

Le sol, miroir claquant, lisse et luxueux, des marbres du vestibule immense aux fausses colonnes grecques, est, a contrario, fait pour eux qui aiment tant à parader mine de rien, et jouer du talon sur la peau froide du sol des prestiges.

—-

Sur les touches ivoirines du piano à queue de pie sage courent les doigts saignants des musiciens morts.

LA CHANDELLE EST MORTE.

10884160_10203265830032035_1533079866_o

La De tient la chandelle.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Décembre est dans la mire

Et frissonne l’année

Et pousse un long soupir

Comme une âme gelée.

—–

Demain le jour en braille

Et la lumière aussi

La nature a sourit

Ce matin dans son lit.

—–

Oui la chandelle est morte

Quand se rouvrent les cieux

Et dans ta chambre forte

Tu entrouvres les yeux.

—–

La lumière a jailli

Des bois et des taillis

Le biche se réveille

Et le soleil bleuit.

—–

Nous irons par les mois

Les heures et les jours

Quand la lumière flamboie

C’est le temps des amours.

COUCHÉ SUR LA MER MORTE

L’Arflinquiaprèmé de La De.

—-

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—-

A l’ombre des lumières, l’azur sourd de ses yeux,

Lapis épanoui dans la mine enfoui,

Sur la lande fleurie, les épines en fruits,

Sous les frémissements sa peau est en bataille,

Par les monts, les vallons, les forêts et les failles,

Quand les sabres fourbus d’avoir ouvert les cieux,

Sous les eaux, les sanglots qui abreuvent son lit

Abattent les mirages qui tremblent dans la nuit.

—–

Couché sur l’écran noir, j’aligne des mots blancs.

—–

Les montagnes perdues dans le fond des abysses,

Quand le chevalier mort galope, rue, entre en lice,

L’hydre, la salamandre, le poison dans le feu,

Les collines noircies ont éteint l’incendie,

Longues langues d’or en flamme sur le ciel bleu de nuit,

Les heures, ongles brisés, déliquescents aveux,

Ruptures explosives, volcans et laves lisses,

Au cœur du muscle rouge gisent les immondices.

—–

Couché sur l’écran bleu, courent les mots du vent.

—–

Sous l’os épais des crânes, circonvoluent aussi

Les guirlandes de phrases accouchées mortes nées,

Oubliées sur les landes des  nuages perclus,

Les rats aux museaux fins les rongent à l’infini.

L’encre, la bile noire, sang séché racorni,

Engluée, putréfiée à la pointe effilée,

Drames épouvantables, clairs horizons perdus,

La plume de mes doigts à la pulpe rosie.

—–

Couché sur la mer morte, à me crever les yeux.

LES DÉESSES SONT LASSES.

12557192_10205386590289716_766268362_o

Les quatre vies de La Di.

—–

Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Agrippine féline, tes doigts de perles fines,

Ton sourire de satin, tes yeux de tourmaline,

La tournure de tes reins, ta cambrure zibeline,

Ta façade, ta vitrine, ta démarche vipérine.

—-

Aglaé triste fée, à ta main agrippée

La lance déployée sous tes doigts à hurler,

Ton sourire d’airain, ton regard extasié,

Ton dos de poivre chaud, tes rondeurs dévoyées.

—-

Athénée au palace, à se draper la face,

Sa chevelure rousse, son œil de jais me glace,

Assise sur le pré dans les fleurs en rosace,

Sur sa bouche vorace, le baiser d’un rapace.

—-

Aphrodite est en eau sous sa couronne d’algues,

Sur la surface bleue le soleil et ses dagues,

Une girelle verte lui a fait une bague,

Et les congres joueurs sur le bord des madragues.

—-

Les déesses sont lasses, les dieux sont courroucés,

Le sol se dérobe, les volcans sont gelés.

DANS LA CRYPTE, OUBLIÉ.

10818641_10203083363270480_1679475345_n (3)

La De fait sa Vlad.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Sur les sommets noirs, le soir, plane Dracula,

Le catafalque lugubre file au ras des monts,

Mors aux dents, sous le fouet, les cavales folles

Ramènent le maître blême aux entrailles du château.

—–

Loups aux crocs qui claquent, chauves laids qui sourient

De toutes leur âmes mortes, honnies, brumes létales,

Démons, sorcières, goules, chairs pâles et lustrées,

Ombres immenses, flambeaux éteints, miroirs ternis.

—–

Au pied des tours maudites de son château lugubre,

Toutes les bêtes fauves, regards hallucinés,

Pupilles dilatées, iris de cuivre tigre,

Hurlent à l’unisson, horrible soumission.

—–

Babines humides et salives fétides,

Pelisses hirsutes, légendes infernales,

Des puits noirs sans fond enfin remontées,

Aux pieds du maître impavide, domptées, elles s’ébrouent,

C’est le temps des turpitudes, des miasmes, de la boue.

—–

Le peuple des maudits, des chassés, des infâmes,

Enfin réuni, rêve de bouter les dames,

De déchirer leurs antres, de boire à leurs sources,

Au Graal écarlate de leurs chairs fragiles.

—–

Lui qui fut Vlad du temps bien avant les corbeaux

Quand les fleurs rutilaient au salon des amours,

Atours, velours, rires d’enfants des beaux amants,

Sous le ciel pur, le soleil rouge ne brûlait pas.

—–

Le sang chéri maudit des petits êtres frais,

A boire chaud, à même les artères déchirées,

Aux gouffres béants sous la dent, ivoire qui croque,

Lycanthropes velus ou succubes infernaux.

—–

Espoirs de lait perdu, soie des regards nus,

Robes qui glissent, escaliers dérobés,

Quand le soleil brillait dans le regard bleu reine,

Elle qu’il aimait entendre respirer, à mort.

—–

Les blancheurs vénérées, le cristal qui tinte,

A ses lèvres humides, goûter son âme douce,

Perdre la mort qui rôde, gagner l’éternité,

Il pleure dans son tombeau, les fleurs sont fanées.

—–

A hurler de douleur sous les terres amassées,

Depuis des lustres. Éteint au milieu des ténèbres,

A chasser l’amarante des nourrissons déchus,

Les vierges se sont pâmées sur leurs gorges funèbres.

—–

Il aurait tant aimé n’être alors jamais né,

Avoir pu, avoir su, échapper au destin,

Glisser entre les failles du temps des mortels,

Et n’avoir pas connu la sorcière aux dents longues.

—–

« Diable de feu au regard de braise folle,

Lucifer mon frère, quand tu t’es effondré,

Que n’es-tu passé loin, plutôt que de me prendre,

J’aurais bien voulu vivre les fortunes humaines !».

—–

Et ce rêve effrayant, ce bonheur qui l’obsède,

Elisabeta se meurt, nul pour l’empêcher,

A la mordre à mourir il n’a pu se résoudre,

Alors il se morfond le diaphane empaleur.

—–

Combien sont disparues toutes ces jeunes années,

Quand la mort faisait peur, quand il la redoutait,

Et ce vent qui coulait dans les cheveux des femmes,

Quand il croyait que Dieu n’était que pure bonté.

—–

Il se voyait alors, belle plume et grand cœur,

Se promenant au bras d’une pâle crinoline,

Organdis frissonnants, rose et bonne mine,

Et des brassées de fleurs de soleil et de joie.

—–

Las, plus de trépas ni de cœur pieu qui lâche,

L’éternité encore, ultime punition,

Et le noir absolu, le doux soleil nié,

Les miroirs se fendent, les ombres disparaissent.

—–

Maintenant il rugit comme un damné qui meurt,

Il a maudit le sort, il aurait tant voulu

Anéantir Dieu et ses anges terribles,

Et retrouver le temps de ses amours goulues.

—–

Le temps n’est plus, Dieu l’a trahi, rêves perdus,

D’un pieu pointu sous le sein nu, regard voilé,

Fontaine de sang rouge, comme un porc, étêté,

Sous la crypte glaciale, affamé il triomphe.

—–

Dans ses yeux effrayants, un ange s’est miré …

LES MOTS.

Les mots noyés de La De.

—–

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Les mots on disparu, le verbe s’est noyé

Sous les glaces polaires des temps accumulés

Les saillies enfoncées dans l’oubli des nuits claires

Dans les rêves obscurs, dans les lumières éteintes

Au secret des jours creux, dans l’alcôve aux étreintes

Au long de ces années, au fil de la rapière.

—-

Les mots ont leur vie propre, ils font ce qu’il leur plaît

Ils viennent quand ils veulent, violents éjaculés,

Se rient du libre arbitre des conventions défuntes

Petits mots ou grands cris, les mots aux cœurs sans crainte

Déroulent leurs guirlandes et n’ont pas peur d’oser.

—-

Des penseurs débridés, des poètes abscons,

Aux discours lénifiants qui pendent aux balcons

En grappes de fruits blettes, en discours fanfarons

Les mots dans le secret sont comme des fanfares

Qui rugissent ou se taisent aux cordes des cithares.

—-

Parfois ils sont la lame, ils fendent les cœurs noirs

On ne les attend pas, c’est alors qu’ils déferlent

Étincèlent et rutilent en mille feux grégeois

Ils sont les perles rares qui brulent de savoir

Pourquoi la mort est tendre le soir au creux des bois.

LA LUMIÈRE S’EST PERDUE

Sergey Fesenko. Noir pailleté d’ambre et d’or.

—-

Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—-

Le climat est à l’enfer et les loches paressent

Elles rodent affamées autour des coraux morts.

Le soleil dilaté mange l’hiver fragile

Les îles affligées sous l’azur implacable

S’étalent et se fanent, leurs cimes enneigées

Dans la mémoire éteinte des hommes oublieux

Dansent lentement. Doux souvenirs ombreux.

—-

La nuit on entend rire le cœur des pendules

La chouette s’est tue et le hibou s’endort

Aux confins des étoiles le vent des solitudes

A cessé de souffler, entre les mondes morts

La lumière s’est perdue.

—-

Où irons-nous pêcher si les amours pâlissent ?

Dans les ondes putrides

Où nage la sylphide

Dont le grand œil purule ?

 

 

 

LA VIE EST REVENUE.

14456745_10207069193873754_1003345788_o

Le dragon de l’Île de La De.

—-

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—-

Jamais je n’aurais dû, assis sur cette berge,

Écouter ce dragon aux écailles d’argent,

Il pleurait tout son soul sa vouivre aux yeux de braise,

De ses grands yeux rubis coulaient des larmes d’or.

—-

Il me dit que la nuit quand le soleil s’endort,

La lune en habit blanc cache au creux de son sein,

Sa belle évanouie emportée par la mort,

Ses émeraudes pâles, sa poitrine d’airain.

—-

Triste, je regardais se perdre les eaux vertes,

Sous le vieux pont de pierre, le dragon épuisé

Soufflait comme un martyr. Par la fenêtre ouverte,

Les branches du grand saule, au vent se balançaient.

—–

Puis le soir est tombé, les étoiles pleuraient,

Je me suis à nouveau assis au bord de l’eau,

Grenouilles et crapauds, l’un sur l’autre enlacés,

Chantaient des airs aigus, cambrés comme des arceaux.

—–

Je me suis relevé, le dragon efflanqué,

A l’haleine fétide, avait brulé ma peau,

Je l’ai pris dans mes bras, l’ai porté sur mon dos

Nous nous sommes envolés jusqu’en haut du clocher.

—–

Quand la nuit s’est enfuie, les cloches ont sonné,

La terre s’est ouverte, la vie est revenue.