LES REVIVISCENCES DE VLAD LIKHYI …
Dimitri Tsykalov. Meat.
La plaque de verre luisante et sombre masquant le visage de la silhouette argentée déambulante qui se glissait en souplesse entre les décombres gluants de boue – si noire qu’elle semblait de charbon – ajoutait un frisson de peur brûlante, au fur et à mesure qu’elle s’approchait, à l’inquiétude vague qu’elle déclenchait tout d’abord. Mais les rares survivants qui croupissaient dans l’immonde cloaque que les jours passants finissaient de pourrir, voyaient s’approcher cet être aveugle, comme un messie galactique, comme un dieu profane échappé d’un manga… Alors ils oubliaient les douleurs, la soif et la faim et fermaient les yeux de bonheur. Qu’ils n’ouvriraient jamais plus sans avoir même su qu’on les transvidait… Les crochets éburnéens de Vlad arrachaient les gorges offertes des mourants. Le suceur se gorgeait du sang pâle qui lui rosissait les yeux. Le flux tiède des globules anémiées l’apaisait à peine.
Depuis que la terre, comme un chien agacé qui s’ébroue, avait négligemment secoué les puces humaines aux pâles faces cireuses, six jours étaient passés. Vlad qui dormait profondément, à l’abri dans une crypte lointaine oubliée depuis des siècles, avait été sorti de sa torpeur hypnotique par l’odeur délicieuse du sang, le cinquième jour. La soif atroce avait creusé son visage verdasse. Il n’était plus que cuir sec tordu, ongles fendus, tendons distendus, regard vitreux et lèvres craquelées. Son visage sans âge, lisse comme une peau de tam-tam, n’exprimait que souffrance, rage, et désir de sentir couler dans sa gorge râpeuse le liquide incarnat, poisseux et chaud sans lequel il serait condamné à souffrir horriblement. La Charogne le regarderait éternellement. De son oeil jaune sans paupière. Ricanerait en silence, mais jamais ne le délivrerait. Seul le sang, le bon sang, le pur sang, le saint sang, le bel élixir de vie, lui redonnerait la force et dissiperait le brouillard glacé qui lui broyait lentement les os. Alors Vlad avait fermé les yeux. Il lui suffisait de vouloir pour voyager. Au travers des fibres de l’espace courbe, par delà les limites du temps aboli, le maudit se mouvait. Sa malédiction avait des avantages. Certes il ne copulait plus – seul plaisir approximatif dont il avait gardé mémoire – comme du temps de son humanité, mais il inoculait à tout va, s’épargnant les désagréments de l’élevage, de l’éducation, de la rebellion. Souvent, se rappellant les tortures anciennes de la compagnie des femmes, il se réjouissait et remerciait Satan de l’en avoir à jamais délivré. Il avait quitté le monde étroit des petits orgasmes compulsifs, ces spasmes vagues qui duraient le temps ridicule de l’avalée d’une gorgée de vin, pour entrer en pays d’extase perpétuelle. Mais à condition unique d’avoir de la chair fraîche à broyer, d’entendre croquer les cartilages, éclater les larynx, puis de sucer, plus goulu qu’une goule, les humeurs exquises de la vie en partance… Derrière son épaule droite, La Camarde le remerciait, d’un geste de la faux qui le traversait en chuintant, lui arrachant un rictus de plaisir.
Vlad s’interrogeait. Derrière le masque de verre noir, dans la combinaison grise étanche, il était à l’abri des morsures mortelles du jour. En arrivant sur les lieux de ce que les hommes appelaient la « catastrophe naturelle », ce tremblement de peau de la terre, puis de la montée de l’eau, vague noire hérissée de débris divers qui l’avait privé de vies fraîches, il s’était dit « in petto » que le voyage n’en valait pas la peine. Alors qu’il s’apprêtait à repartir dans les replis de l’espace vers son refuge, il avait senti les cliquètements des atomes en transe qui le chatouillaient. Vlad en avait pleuré de rire, de ce rire gras, hoqueteux, caractéristique des seigneurs de sa race. La mer avait balayé la côte et les dérisoires « centrales nucléaires » aux coeurs desquelles, les petits humains fragiles puisaient leur énergie, étaient en pièces. Ah, ah, ah ! Vlad glapissait de joie comme une tour sous séisme de force neuf ! « Merci mes proies de vous préparer ainsi à mon repas de chairs juteuses et de moelles irradiées » Avant que les rayonnements accomplissent leur oeuvre, Vlad savait bien que le festin serait aussi long que copieux. Le sang coulerait abondamment et son corps recouvrerait souplesse et beauté. Le manteau vert électrique de son aura rechargée, n’avait pas fini d’illuminer sa nuit d’éternel affamé.
Mais au pays du soleil levant les hommes avaient pris peur et se terraient, portes barricadées, dès le soleil le couchant. Le jour ils s’affairaient en nombre à la recherche d’éventuels rescapés, obligeant Vlad à se dissimuler sous les boues encore humides, les poutrelles tordues et les carcasses concassées des civilisations vaniteuses. La rage, l’impuissance le gagnaient. La soif le reprenait. Toutes ces chairs encore fraîches qui le frôlaient, le plongeaient dans une transe silencieuse. Seuls les ridules qui agitaient la surface mouillée de son linceul de fortune auraient pu le trahir. Mais les sauveteurs qui fouillaient les masses informes des villes abattues, exténués mais opiniâtres, ne se doutaient pas qu’une strige chasseresse, hurlait en silence sous leur pas.
Des rivages de Mare Nostrum, agités par les révoltes arabes, l’odeur violente du sang, qui pulsait en geysers glutineux dans les sables du désert Lybien, lui parvint. Déjà les forts parfums du cinabre en giclées visqueuses sur les sables isabelle surchauffés lui retroussaient la lippe. Vlad écoutait les cris des rebelles exterminés par les troupes mercenaires de l’ogre de Tripoli. Cela fleurait bon les épices. Alléché par ces odeurs exquises, il plongea dans les souvenirs de sa jeunesse Bourguignonne, au temps ancien des moines de Cîteaux, quand le jeune novice qu’il était alors, au soir d’un jour de dur labeur dans les vignes, buvait à la régalade les jus frais du pinot. Les vins de la Côte de Nuits et leur parure de rubis profond étaient ses préférés. Leurs arômes sauvages, leurs fragrances fortes de gibier mariné, leurs jus corsés, fruités et frais, ravissaient son odorat et comblaient sa bouche avide, lui annonçant sans qu’il s’en doute, les tribulations à venir. C’est ainsi qu’après avoir été initié par un suceur de sang de passage qui lui mordit l’aisselle une nuit qu’il pissait à la pleine lune le vin de Vougeot dont il avait abusé, il bascula dans le monde obscur des lycanthropes.
Le sang des hommes remplaça le vin de la vigne, à jamais. Il passa du plaisir des sens à la nécessité vitale et gagna l’immortalité.
Sa conscience, engourdie par la boue tiède qui l’ensevelissait, flottait dans ce passé dont il avait oublié l’épaisseur temporelle. Seule la nostalgie vague des ceps en foule et le regret diffus des vins de Nuits émergeaient. La profondeur de l’espace et la clepsydre qui pleurait lentement le temps n’étaient plus que souvenirs, translucides comme sang anémié. Vlad Likhyi avait traversé les siècles, et les agitations spasmodiques des humains l’avaient grassement nourri. Dans l’Ordre Secret des Succubes Infernaux, il était un Maître désormais, qui assurait comme un métronome cruel la perpétuation de la race. Les empyreumes des sangs, souillés par le feu et les bitumes qui fondaient sous la chaleur du désert, se faisaient entêtants. Omniscient, Vlad savait que Mouammar, l’abracadabrant bédouin d’opérette était prédestiné, et qu’il le rejoindrait bientôt au royaumes des Démons. Du tréfonds des abîmes pandémoniaques, la voix douce de l’Architecte des Abominations susurrait qu’il lui revenait de droit d’anathématiser au plus vite le sinistre impétrant. Son séjour Asiatique le laissait sur sa faim et les petits êtres jaunes, qu’il pressait d’un croc distrait, n’avaient pas la puissance épaisse, savoureuse et nourrissante des sangs orientaux dont il raffolait. La nostalgie des grands crus d’antan, qui n’avait pas faibli, rythmait encore son destin…
Sur les mâts brisés des navires japonais lacérés par les mâchoires démesurées du cataclysme marin, les corbeaux, crachats noirs sur le paysage désolé que la neige épaisse peine à adoucir, attendent patiemment le moment de déchiqueter les viandes putréfiées à venir…
Vlad s’est matérialisé au sommet d’une dune, ronde comme la hanche dodue d’une pucelle innocente. Sous le dôme de jais du ciel sans lune, les étoiles brillent comme des yeux maléfiques, et clignotent arythmiques, sur l’argent étanche de l’armure protectrice qu’il a définitivement adoptée. Derrière le plomb translucide de la visière fuligineuse, ses yeux de citrine sale rutilent.
Debout, jambes écartées sous le velarium qui prolonge sa tente, le Guide Suprême caresse sa légion d’honneur et sourit….
Bien écrit…même si le sujet ne me sied guère, cette fois…:-/
Merci maîtresse ! Suis content, j’ai la moyenne…
Attention Christian, tu deviens (lady) Gaga avec ce steack haché !
Une apparté : Philippe Faury (à Chavanay) réalise un Côte Rôtie Reviniscence de toute beauté
Amitiés
Bruno
Vraiment rien à voir avec cette sinistre brailleuse tendance mode ado prépubère.
Quant aux Côtes Roties de Faury, dès que j’économise suffisament j’en achète une 37.5.
Salut Bruno.
Comme Armelle Vautrot: un peu dur le sujet, pourtant, tu en as écrit des bien corsés, mais là, les petits seins sanguinolents de Dimitri Tsikalov, sont un pur plaisir pour l’œil….et il perdurent plus que de coutume sur ta 1ère page. Je suis sûr que tu prends un malin plaisir à nous les exposer.
Michel.
Oui j’aime bien que ça saigne sur ma page, comme un écho du monde ambiant. L’homme reste un steack pour l’homme. La préhistoire perdure…
Texte inspiré par l’image ?
Toujours cette imagination foisonnante. J’aime bien ce sujet aussi, à dose homéopathique s’entend.
Mais qui êtes-vous ? Ces pseudos pfffff.