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SOUS LA LUNE ARC-EN-MIEL

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Avec le regard Arc-en-miel de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Nuit blanche cœur noir et reflets gris,

Le froid a mordu la nuit dans le blanc de mon lit,

L’aube est au désespoir et le soleil aussi.

Aux horizons aveugles les chemins infinis.

Les couleurs ont fondu, comme si la vie meurtrie,

Par la fenêtre close, overdose, évanouie.

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La mémoire, ronde folle et les feuilles des arbres,

Disparues, oubliées, je mords ma langue au marbre.

Fracas d’étoiles brisées, le ballet, billes drues,

La pluie pique le sol, gicle gigue éperdue,

Belle fugue de Bach que nul n’entend plus,

Puis la Folia gémit, me ravit et se cabre.

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Sur la toile froissée, des cohortes de suie,

La pénombre est épaisse, longues nuées flétries

Rêvent de grandes batailles, de conquérir le ciel.

La lumière empêchée sous la lune arc-en-miel,

A peine le tonnerre, les éclairs ont jailli,

Ils ont fendu les bois et le fiel de mon lit.

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Se taire à perdre haleine, se heurter aux murs noirs,

Pupilles lacérées aux éclats des miroirs.

Hurler des chants funèbres, ne pouvoir ni vouloir,

Errer dans les dédales obscurs, n’y rien plus voir,

Et les jambes broyées jusqu’au ras des mâchoires.

Ouvrir les yeux d’un coup, paupières aux grattoirs.

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Voiles des songes et cris sauvages, torches brisées,

Des cauchemars étranges, mes nuits de soie glacée.

DÉFIÉ SOIT QUI MAL Y PENSE.

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Alexandre Cabanel. Nu à demi bâché.

FRONSAC, un nom qui claque, des vins tanniques, que le temps, mais pas toujours, civilise. FONTENIL, le Château, sur sols lourds et frais, argilo-calcaires ou molasses du Fronsadais, c’est 9,40 hectares de vignes, vénérables pour la plupart. C’est dire que les années pluvieuses, les argiles peinent à digérer les eaux.

Or donc, les propriétaires de ces lieux, Dany et Michel Rolland, regrettent, le temps passant, l’expérience venant, la connaissance de leur terroir s’affinant qu’après de beaux étés, parfois la pluie – certaines années – que la terre retient, affecte la parfaite maturité des raisins. Ingénieux, voire « débrouillards », ils bâchent, de plastique, histoire de voir, 1,60 hectares de merlot, en fin de cycle.

Et ceci fut fait entre du 8 août au 25 septembre 1999, date des vendanges. Les jus magnifiés de ces raisins plus sucrés, concentrés, aux tannins mûrs, furent incorporés au vin du Château Fontenil. En 2000, l’expérience se poursuit, la vigne a été de nouveau bâchée. Du 23 août au 25 septembre.

Mais foutre de moine cacochyme, les foudres de la tradition se déchaînent alors et boum, badaboum, voici, voila que le millésime 2000 est déclassé par l’INAO en Vin de Table ! Résolus à poursuivre leur expérience, tout comme à Ronceveaux, les Rolland persistent, signent et défient l’Institut, mais au contraire de leur légendaire homonyme, les Chevaliers du vin ne périssent pas en haut du col …

Et voilà pour la grande petit histoire de rien.

Jusqu’en 2004 les vignes furent donc bâchées quand le temps l’exigeait. Et l’expérience prit fin en 2005, mais les vins demeurent classés en Vin de table de France. Le DÉFI de FONTENIL, tête de cuvée du château, était né. Et rien ne le ferait, bâché ou pas, dévier de sa route.

Bon c’est pas tout ça, la petite histoire, mais les vins rebelles sont-ils bons, ont-ils goût de bâche, de bêche, de bêcheuse ?

C’était un jour, il faisait soir, une main aux attaches fines, élégamment manucurée, dépose entre mes bras qui n’en demandaient pas tant deux bouteilles. Lourdes, vraiment lourdes. Des eaux bénites, les larmes de Bernadette ? Non point, mais deux grosses bouteilles remplies de vins noirs. Forcément c’était un soir. Et le soir tous les chats sont noirs. Encensoirs, génitoires, tout ce qui est noir est mystique, mystérieux, voire voluptueux, à faire dresser les poils noirs sur la peau qui fut blanche de mes vieux bras. Un don du ciel que ces bouteilles, un ange de passage ? Je ne sais plus, j’ai, entre autres faiblesses, la mémoire qui flanche.

Le temps a passé, les bouteilles, au frais de la cave, ont prit le temps de se reposer. Sous le verre sombre les vins ont continué leur vie secrète et leur lente maturation. Et voici venu, après avoir patienté ( la patience une vertu qui se perd …), le temps de les désincarcérer, de les aérer judicieusement, d’y plonger le nez, les naseaux bien écartés, avant de les mettre en bouche.

Le Défi de Fontenil 2000 : Jolie robe sombre d’un grenat profond qu’éclaire à peine un liseré vieux rose. Le millésime se donne généreusement, des effluves gourmandes de fruits noirs, de purée de mûres et de cerises, s’échappent en nappes successives. Et mon appendice nasal s’en régale. Autour et derrière les fragrances du jardin apparaissent des épices douces, de la régisse et quelques notes fumées, puis florales, qui m’envoient, mais je n’en suis pas certain (?), flâner du côté de Toulouse …

La matière conséquente du vin s’étale en bouche, abondamment, une texture de velours à faire frémir un Cardinal. Au cœur de cette chair goûteuse qui fait la boule comme un chat, les tannins enrobés ne sont pas au bout de leur âge, et la fraîcheur du vin les accompagne en relançant le jus jusqu’à l’avalée. La finale est longue et laisse au palais une résille de tannins dont la fermeté relative prendra le temps que le temps voudra pour se polir plus encore. Un vin de quinze ans qui est encore loin d’être un vin de vieillard. Et pas un vin de bâche, assurément !

Le Défi de Fontenil 2005 : Cinq ans plus tard, cadeau de Dame Nature, un très beau millésime si je me souviens bien. Le Défi, en robe noire brillante, à décolleté sanguin, tourne dans le verre comme un derviche profane. Dans la lignée de son aîné des parfums de fruits noirs au cœur desquels la cerise domine. Et des épices, abondantes, et de la réglisse aussi. La matière est à la hauteur du millésime, riche, charnue, voluptueuse. C’est une odalisque opulente qui danse dans la bouche. Qui s’en plaindrait ? Quand elle se dévêt, ses rondeurs jaillissent et remplissent l’avaloir d’une chair pulpeuse à souhait … Après que le jus a basculé derrière la glotte, il laisse derrière lui, tout aussi enrobés que la belle orientale, un tapis de tannins en foule, encore dans la toute jeunesse. La finale est persistante, fraîche ce qu’il faut, éclatante comme la dernière salve d’un feu d’artifice estival. Un vin de dix ans mais pas un jus d’enfant de cœur pour autant !

Les vins de Fronsac ont la réputation d’être des vins très, parfois trop, tanniques. Et cela est vrai dans la majorité des cas. Mais certains, et Le Défi en est, travaillés par d’habiles dompteurs aux mains fermes mais douces, échappent à la rusticité ordinaire, gardent leur fougue, mais gagnent en race et en élégance.

Allez en paix, et n’oubliez pas : Pour prendre une « bâche » qui vous déclasse illico de l’appellation FRONSAC pour vous reléguer en VIN DE FRANCE, c’est simple, couvrez d’une bâche protectrice le sol entre vos rangs de vignes en fin de cycle. Mais si le vin est bon, voire excellent, il s’envolera quand même aux quatre arcs du monde …

PS : Les vins de Fontenil, pas des vins de mollasses !!!

ADHUGHMAS et DJÉDJIGA.

Extrait d' une sŽrie de portraits, Timia, Niger, 2001.

Photographie de J. L. Gonterre.

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Le soleil à son plein zénith était si chaud, que le sable pleurait, que le porphyre suintait, que le basalte craquait.

Les pans de la vaste tente de peaux cousues bruissaient sous le vent, qui soufflait tout là-haut sur l’Atakor du Hoggar. Le soir, à l’instant ou le soleil, plus rouge que les grenades des oasis lointaines, disparaissait, lentement dévoré par les mâchoires des chacals affamés, le froid tombait comme une guillotine sur le cou d’un oiseau. Et le gel terrible de la nuit de pure obsidienne constellée d’étoiles, si nombreuses qu’elles contestaient les puissances nocturnes, succédait à l’éclatante lumière brûlante de la journée.

Alors Djédjiga rabattait les peaux et les fixait au sol. La tente était doublée de toiles épaisses, protectrices, de grandes lattes de bois, assemblées et serrées, tenaient lieu de mur bas, dans lequel une ouverture ménagée faisait office d’entrée, close la nuit par l’auvent de cuir replié qui assurait une parfaite étanchéité. Elle s’était assise en tailleur près du foyer, s’affairait à cuire des galettes de taguella – le pain targui. La chorba, la soupe épaisse de légumes et de viande de chèvre, mijotait depuis le matin. La lumière du feu central et des bougies de suif grossier disposées au pied des cloisons de bois, se reflétait sur la toile du toit comme sur les tapis laineux qui recouvraient le sol, ces lueurs rouges repoussaient l’ombre aux limites de l’espace de vie. Au-delà de la poutre d’acacia qui partageait la tente en deux, la partie consacrée au repos de la famille et des invités, protégée par une paroi de tissus épais, était plongée dans l’obscurité totale. La jeune targuia aimait cette lumière tremblante, chaude et rassurante.

Elle avait épousé Afalku, le fils de son oncle voici peu. Elle l’avait choisi parmi les autres prétendants déclarés de la tribu, personne n’avait discuté. Monté sur son méhari blanc, Afalku, au visage de rapace, était parti à la tête d’une caravane lourdement chargée jusqu’au Tassili, loin au Nord Est. Cela faisait des semaines. Tous deux étaient des Imajaghans de haute extraction, des âmes nobles et libres, leur tribu d’origine se trouvait au sommet de la hiérarchie Touarègue.

La jeune femme psalmodiait un chant ancien en pétrissant la pâte, alternant notes graves et longues, ornementées d’aiguës brèves, un chant qui célébrait les vertus de Hin Hanan, “celle qui se déplace”, la Mère des origines, la Fondatrice de la Légende. Ses mains aux longs doigts agiles s’enfonçaient dans la chair molle qui fleurait bon la farine, elle l’écrasait entre ses paumes, la pâte, entre ses doigts fuselés, coulait en longs filaments qui se tordaient. Puis elle frottait ses mains l’une contre l’autre, dégageait ses doigts des reliefs de pommade collante qu’elle aspergeait de farine sèche, observait méticuleusement ses paumées noires de henné, avant de les replonger dans la soie de blé immaculée, pour reprendre son pétrissage. Et cela jusqu’à ce que la consistance de la taguella la satisfasse pleinement. Toute à sa tache voluptueuse, elle bourdonnait son cantabile, s’arrêtant parfois pour soupirer de plaisir. Elle écrasait ensuite sur une pierre plate les boules de pâte, pour en faire des galettes rondes, puis les posait au bord du feu pour qu’elles blondissent lentement. Une odeur de pain cuit, de grillé, d’épices chaudes, de légumes et de viande fondante, flottait dans l’air, des bulles, qui crevaient à la surface de la soupe en faisant de petits bruit gras, s’échappaient des parfums chauds de coriandre et de cumin qui relevaient tous les autres.

Djédjiga se rinça les mains dans une bassine. Trois gouttes d’eau lui suffirent. Elle se leva, et, les mains sur les hanches qu’elle avait évasées, se cambra pour se désengourdir. Ce jour-là elle était vêtue d’un melhfa rouge d’Andrinople, un grand voile qui s’enroulait autour de son corps élancé en masquant ses formes. Ses longs cheveux très noirs étaient drapés dans un foulard couleur ocre ambré, un tissu léger, presque arachnéen, qui semblait danser au moindre mouvement. Ses yeux noirs, légèrement allongés, soulignés par un trait de khôl fin, brillaient sous leurs cils épais et recourbés, contrastant avec sa peau claire. Elle avait le nez aquilin, des narines étroites, des lèvres charnues couleur de sang séché. L’ivoire blanc de ses dents régulières, qui filtrait entre ses lèvres entrouvertes, éclairait sa physionomie. Djédjiga, mince et grande, se tenait droite, les épaules dégagées, la poitrine fière, la tête qu’elle portait haute lui donnait un air racé, presque intimidant, d’autant que son regard droit ne cillait pas.

La tempête ne faiblissait pas, le vent de sable violent giflait hommes et animaux. Les targuis baissaient la tête, ils avançaient courbés, le chèche remonté, serré au ras de leurs yeux qui clignotaient, pour échapper aux morsures des grains de silice, gifles acides, qui les maquillaient de blanc comme les prostituées de Tamanrasset. De grosses larmes sableuses coulaient sous leurs turbans, s’en allaient mourir de soif sous les larges plis des gandouras qui claquaient séchement comme des bannières. Afalku surveillait comme il le pouvait les dromadaires en file indienne. Les hommes avaient mit pied à terre, mais les bêtes au port hiératique affichaient leur morgue habituelle, continuant de suivre la piste comme si de rien n’était. Tout à l’arrière de la caravane, au cul du dernier dromadaire, Adhughmas peinait à suivre. Autant Afalku dégageait une impression de puissance, d’élégance, de force maîtrisée, sa haute taille, sa silhouette harmonieusement proportionnée, sa démarche souple et son pas élastique avaient séduit bien des targuias, effrayé bien des guerriers parmi les plus valeureux, autant Adhughmas, son allure sans grâce, son corps souffreteux, son air fuyant, ses épaules étroites et ses joues creuses, donnaient une impression de servilité fausse, tant il exagérait son attitude. Mais face au chergui, il est vrai qu’il n’avait pas à se forcer, à simuler, il était bien trop léger pour faire face.

Le désert but le soleil. Ils s’arrêtèrent à l’abri d’un éboulis de rochers couleur cacao grillé, de grosses pierres rondes, érodées par les âges, les vents, fracturées par les combats incessants entre le soleil de feu et la lune de glace. Les dromadaires formaient un cercle. Les hommes, adossés aux flancs chauds des bêtes, préparèrent les trois thés traditionnels et se restaurèrent. Le ciel lacté d’étoiles brillantes, la lune à demi pleine, éclairaient le campement autant qu’un petit matin. Ils burent le thé chaud accompagné de taguellas et de dattes onctueuses. Au deuxième thé, le thé fort, celui de l’amour, l’un des targuis se mit à gringotter une complainte lancinante. L’homme, d’une voix grave, le regard vague, s’accompagnait à l’Imzad, un instrument monocorde dont les notes répétitives scandaient la mélopée. Cela faisait deux mois qu’ils avaient quitté leurs campements, alors ce chant, mélancolique et obsédant, accentuait encore leur tristesse. Mais demain, ils retrouveraient enfin leurs familles.

Afalku, les yeux mi-clos, semblait perdu dans ses pensées. Certes, il avait hâte de retrouver Djédjiga, sa peau douce, ses lèvres tendres et les secrets de ses vallées ombreuses. Le visage de sa jeune épouse, comme les braises rouges du feu mourant, palpitait sous ses paupières, pourtant une inquiétude qu’il ne s’expliquait pas le submergeait par instant. Quand l’un de ses chameliers, prit d’une fièvre aussi foudroyante qu’inexplicable, était mort en l’espace d’une nuit, alors que la caravane venait d’arriver à Djanet, ville principale du Tassili des Adjers, terme de leur voyage aller, il avait bien fallu que Afalku le remplace. Ce n’est qu’au bout de trois jours de palabres serrés, tandis que les chameliers préparaient le chargement du retour, qu’un targui, un Kel Ajjer d’une tribu d’Imrad, accepta son marché. Adhughmas et ses manières de vassal obséquieux, d’emblée, ne lui plurent pas, mais il avait besoin de lui pour le retour. Depuis lors Afalku, inquiet, le surveillait. Il tourna légèrement la tête, ses yeux rencontrèrent le regard de l’homme installé, un peu en retrait, du cercle des chameliers. Il n’eut pas le temps d’y lire quoi que ce soit, Adhughmas avait aussitôt baissé la tête sur son thé. Puis tous les hommes, dont les corps se balançaient en mesure, accompagnèrent à voix basse le musicien. Dans le silence sidéral du désert, leur chant traversait les espaces. Blotti au creux de l’amas de pierre, un fennec aux yeux de pierres précieuses, invisible, les observait. Envoûté par le chant mélodieux des hommes, il posa son museau pointu entre ses pattes et ferma les yeux. Une étoile, plus étincelante que les autres clignota le temps d’un battement de cils.

Le lendemain, à la mi-journée, ils touchèrent au but, hommes et dromadaires s’égayèrent vers leurs tentes proches. Les lois de l’hospitalité sont incontournables chez les Touaregs, Afalku invita Adhughmas sous sa khayma et le logea dans une cellule du fond, séparée de la sienne par deux autres chambres de toile. Djédjiga eut un imperceptible mouvement de recul quand l’homme lui fut présenté, mais elle ne montra rien, son visage afficha un demi sourire, elle se comporta comme l’Imajaghan qu’elle était, le traitant avec la distance courtoise qu’il convenait d’adopter, en face d’un targui de noblesse inférieure. Le soir les dromadaires, soulagés de leurs charges de semoule, de sel, de tissus, de sucre et de thé, avait regagné le troupeau. Afalku et Djédjiga partagèrent le repas avec leur invité en échangeant des politesses de circonstance.

Adhughmas ne dormait pas, les soupirs assourdis de ses hôtes, le chuintement de leurs étreintes, le bruit des tissus froissés, lui mettaient les nerfs à vif et les chairs au martyr. La beauté hautaine de cette femme splendide l’avait subjugué au premier regard, l’indifférence qu’elle manifestait à son égard exacerbait le désir qui lui mangeait les reins, dès le soir venu, dès qu’il se glissait dans sa chambre de toile. Cela dura des nuits, le jour brûlant il ne disait mot, vaquait toute la journée, traînait à ne rien faire dans la montagne, attendant, avec une impatience qui allait grandissante, la mort inexorable du soleil. Alors le froid tombait d’un coup. Le repas expédié, sous sa couverture de laine odorante, il était aux aguets, se repaissant de ses imaginations voluptueuses.

Un mois avait passé. Dans quelques jours la caravane repartirait pour un nouveau voyage, Adhughmas regagnerait définitivement sa solitude du Tassili. Cette nuit là, la lune ne s’était pas montrée, l’obscurité était totale sous la tente. On pouvait distinguer, mais à peine, la très faible lueur d’une bougie grasse dans la chambre des époux. Du moins Adhughmas percevait-il au travers des toiles une vague lueur grisâtre. A la pensée du départ proche, il fut pris d’une tristesse profonde, qui se transforma, les heures passant, en une colère sourde qui finit par le submerger. Alors il rampa dans l’obscurité, traversa les chambres inoccupées, se figea derrière la dernière toile qui le séparait du couple. Les moindres frôlements étaient perceptibles, il imaginait leurs mains caressantes, il entendait leurs chuchotements, leurs gloussements complices, il sentait leur parfum, le bruit mouillé de leurs baisers, les râles sourds venus du fond des ventres, qu’ils retenaient comme ils pouvaient. Adhughmas déplaça légèrement un coin du tissu, et ce qu’il vit le rendit fou.

Djédjiga, assise sur le ventre de Afalku, ondulait lentement, ses seins lourds, opulents et tremblants, brillaient comme deux lunes pleines sous la lumière vacillante de la bougie. Les deux amants se tenaient par les mains en se souriant. Le torse en sueur de Aflaku était tendu, ses reins cambrés faisaient ressortir les muscles saillants de son ventre plat, il soulevait sans effort la cavalière dont les reins accélérèrent d’un coup la cadence. Ils se mirent ensemble au galop en fermant les yeux.

Le poignard jaillit au moment où l’homme jouissait, le sang de la gorge tranchée éclaboussa le ventre de la jeune femme. Afalku avait ouvert les yeux, il mourut sans revoir le visage de sa femme. Djédjiga ne bougeait plus, le poignard de Adhughmas lui piquait la gorge, de sa main libre il se mit à lui malaxer durement les seins en bavant à moitié. Son regard de dément la décida. De rage, elle saisit le poignet de l’homme, le maudit en hurlant sa douleur, puis, tirant de toutes ses forces, elle se trancha la carotide sur la lame. Le sang gicla sur le visage épouvanté du targui.

Des siècles ont passé. Parfois dans la nuit du désert, on peut entendre gémir les fennecs, quand un hurlement atroce, venu de nulle part, porté par un vent maudit, laisse sa trace sombre sur le sable clair.