LES MUSICIENS MORTS.
Le petit théâtre de La De.
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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.
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Sur les touches blanches du cercueil obscur courent les araignées pâles aux griffes rouges.
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Elles se promènent d’un bout à l’autre du clavier.
Les longs trémolos bleus soupirent jusqu’au fond des empires perdus.
En écho, à l’autre bout de la queue arrondie laquée de noir aveuglant,
sous les lumières artificielles des salles veloutées de bordeaux patiné,
en pluie sonore,
les notes retombent, multicolores,
sur les nuques vannées des spectateurs aveugles.
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Les soies frissonnent, les queues de pie s’affaissent.
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Sous le coffre de bois lourd, deux escarpins vernis, luisant comme des yeux aux regards éteints, actionnent sans effort
de lourdes pédales de bronze.
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Sur les dalles de marbre précieux qui recouvrent le péristyle des théâtres prestigieux,
dans les couloirs feutrés, sur la soie tressée des tapis épais longuement brossés,
les pas conquérants des grandes femmes aux longs cols de cygne blessé,
ont perdu leurs voix.
Chacun de leur pas, tellement étudié, maitrisé et élégant, s’accorde au chapelet de notes lointaines qui coulent, langoureux, liquide et gracieux sur la scène, comme la lumière frisante d’un soleil couchant sur la toile d’un Soulages voguant dans le silence de l’espace tendu
entre Vénus et Mars.
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De grands hommes que l’histoire de l’humanité mourante ne retiendra pas,
élégamment vêtus d’étoffes rares aux moires délicates, les suivent ou les précèdent,
selon leur rang supposé dans la hiérarchie muette des conventions surannées.
Le bruit de leurs bottines de cuir fin,
souples, taillées à même leurs pieds aux os fragiles,
étouffé par l’épaisseur des tapis andrinople,
ne résonne pas,
et les croquenots pour pieds de race, pleurent de désespoir.
Le sol, miroir claquant, lisse et luxueux, des marbres du vestibule immense aux fausses colonnes grecques, est, a contrario, fait pour eux qui aiment tant à parader mine de rien, et jouer du talon sur la peau froide du sol des prestiges.
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Sur les touches ivoirines du piano à queue de pie sage courent les doigts saignants des musiciens morts.
Très beaux peomes, un peu obscures.. presque triste. Bon à lire.