SOTTIMANO, TI AMO IMO PECTORE…
Lorenzo Costa. Portrait d’un cardinal.
Il pleure tant, que la terre fait des bulles…
Des bulles rouges sur les continents gris aux misères toujours meurtries. Des bulles en crachats incarnats qui éclatent, comme se disloquent les crânes fragiles sous l’impact des balles aveugles. Des bulles bleues dans les palaces alanguis que les grains tropicaux désaltèrent. Les soies blanches des belles enrubannées collent aux chairs bronzées des oies pas si blanches, que les bulles dorées émoustillent. Les bulles noires et figées des volcans éteints dessinent de vagues sculptures acérées au creux des îles désertées par l’espoir. Les bulles argentées des océans immenses battent les flancs lustrés des grands blancs dolents.
Au large du Cap, ils glissent comme des soies sur la peau.
Des larmes en bulles encore au souvenir des barbaries perpétrées par mes frères, aujourd’hui comme hier. Bulles en rafales saignantes, en sanglots étouffés au sortir de «La Rafle», film de Devoir, film de Mémoire… Bulles en cordons, bulles en haillons, bulles en avulsions, bulles en abjurations, en abdications, en abjections, en abominations, en aliénations! Bulles de boue, de salive, de haine et d’eau.
Bulles létales, fatales, sépulcrales, bulles puantes des peurs agglutinées!
Pâques mais pas que…
Au sortir de la salle plus ténébreuse qu’obscure, les chairs sont à vifs, le coeur est serré, les machoires sont soudées. L’air est frais sous le Noroit. Le ciel lourd du matin s’est repeint de vif. Un bleu cinglant auquel les quelques nuages arrachés à la charge pluvieuse de l’aube, donnent le relief ad hoc. Comme un peintre Italien qui aurait inventé relief et perspective. Besoin de vie. De tendresse en ce jour solitaire, orphelin des matins tièdes.
Que Sottimano me vienne en aide. Et sa Barbera d’Alba 2007.
La parure du «Pairolero» est un bouquet de plumes violettes, alabandines et roses mélées, comme les reflets changeants d’un soleil agité par le vent, sur la huppe d’un «Cardinalis cardinalis» du Bélize…
Le premier fond de verre, prélevé de la bouteille à peine ouverte, donne l’idée d’un bonheur possible. Mais la félicité, c’est pour demain dit-on. Alors la belle patiente dans la pénombre de la cave fraîche. Comme un amant gourd aux doigts furtifs, l’air prends son temps pour déplier tendrement les égides du vin.
Après un jour complet, le vin est à l’aise dans sa carafe comme un dandy dans son loft.
Sous le nez attentif comme un oeil aux aguets, c’est une odorante purée de fruits rouges qui donne son meilleur. Fraise, framboise, cassis non filtrés – hachés menu, touillés, écrasés, comme un coulis crémeux de pulpes au jus – enchantent et mettent les salivaires en émoi. Un nez d’une pureté, d’une élégance et d’un équilibre tels que l’on croirait derrière les yeux clos de ma concentration, voir virevolter une ballerine de Degas. Élevé sous bois dont 25% de fûts neufs indécelables. Seul un liard de cette orchidée épiphyte dont la gousse enchante les confiseurs, ajoute, à cette dariole de fruits, une pincée de sa cosse parfumée.
Parler «d’attaque» à propos de ce vin serait exagéré, tant il se coule lascivement en bouche. La matière ronde, fluide mais conséquente et séveuse, vous séduit soudainement sans que vous n’y puissiez mie. Elle s’installe, glisse, se répand, imbibe et diffuse son fruit qu’un soupçon de zan exalte. C’est exquis, pur, élégant! Nez et bouche sont à l’image de cette ambroisie : en parfait équilibre. Étrange idée que celle d’un raisin qui aurait tout donné sans qu’on l’y force… L’envie d’avaler est plus forte que tous les conseils sévères de mon hémisphère gauche. C’est le plaisir qui mène le bal. Dire aussi la caresse aimante des tannins, tandis qu’ils vous frôlent la luette de leurs hanches polies. Passé la bouche l’enchantement gagne le corps. Sur le palais le sorbet de fruits s’apaise en prenant ses aises. Mais le vin ne fuit pas, il se dévêt…L’acidité des fruits persiste, qu’un battement de badiane, une virgule de cannelle épicent et parfument longtemps.
Sur les parois du verre vide, comme un souvenir, le Cardinalis a laissé ses couleurs moirées. Sous mes paupières closes, une violette fragile danse au vent joueur du printemps.