TOMAS PICO CHABLIS BEAUREGARD 2014.

Thomas Pico par Tim Atkin

Thomas Pico par Tim Atkin.

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Sacrifié le flacon. A peine a-t-il posé son cul lourd devant ma porte. Honte à toi qui ne peux attendre, petit homme impatient. Sacrilège! Tu te comportes comme le dernier des brutaux dans ce monde du vin, tout de douceur et de fraternité vraie. Pense donc à tous ces modestes vignerons, qui œuvrent dans l’ombre de leur chais nickelés, pour t’offrir le meilleur de leur art désintéressé.

Bon, oui, tu as raison Jiminy Criket. Tout à fait. Parfaitement raison. Mais quand même, tes grands écraseurs de raisins entre leurs gros doigts, ne se privent pourtant pas d’y aller à grandes louches ! Tous les ans les prix flambent. Allegro, crescendo, vivacissimo, fortississimo, con fuoco ! Allez coco, si t’en veux – c’est qu’y en a eu peu, ou alors l’a pas fait beau, ou encore c’est un vin d’artiste, un très grand, un incontournable et tutti quanti, pipeau, marketing et orchestres à cordes – ben faut casquer, sourire et remercier les “magiciens”, comme disent certains journalistes prescripteurs, ou tous ceux qui aimeraient l’être, la poignée de censeurs, qui se targuent de faire la pluie et le mildiou dans les rangs trop souvent ulcérés des vignes et des châteaux. Ceci dit Pico ne pique pas trop.

Penché au dessus du verre, je contemple. Je regarde Beauregard dans les yeux. Un lac calme d’or blanc fondu, immobile. Je regarde plus encore, et voici que sur l’écran pâle de ce vin tout juste accouché, des images apparaissent. Etranges scènes, quelque peu surprenantes, inhabituelles même. Se superposent à l’or, les eaux rouges d’un lac. Des eaux, non pas roses comme celles du lac éponyme, non, des eaux rouges, sombres par endroits, incarnates à d’autres, que bordent des reflets violets. Au centre du lac, entouré d’animaux de moindre importance, des admirateurs ébahis et autres courtisans énamourés qui baillent de concert, siège, trône, le roi du lac, le gros Hippo.

Hippo le gros est en colère. Hé oui, voici que parmi ses amis à plumes – qui d’ordinaire, posés sur son large cul, lui caressent la couenne, sa peau fragile, infestée de parasites – un oiseau fou, un insolent, un téméraire, un Buphagus de rien, simple plumitif, se met à le piquer et le repiquer, toujours et encore, jusqu’à lui mettre la carne au sang ! Faut dire que le gros Hippo, faut pas le contrarier le démocrate, ni même le taquiner, encore moins le contester.

Alors il a grand ouvert sa gueule. D’un seul coup de sa puissante mâchoire, il a broyé un croco de passage, histoire de bien faire comprendre à tous ces plumeux bavards, qu’ils pouvaient à loisir l’encenser ou le piqueter gentiment, mais rien de plus. Grand silence sur tous les lacs du petit grand monde des eaux cardinalis. Puis tout le monde de s’esbaudir, d’applaudir le gros Flying Hippo hurleur, qui donne la leçon, et menace de ses foudres le(s) volatile(s) au(x) bec(s) acide(s). Et le petit grand peuple d’approuver Hippo le grand, de louer son courage et l’incandescence, un brin vulgaire peut-être, de son discours flamboyant. S’attaquer aux œuvres du grand Maître de la pluie et du beau temps sur l’estuaire, quelle indécence !

Mais le mirage se dilue enfin. Dans mon verre la robe d’or, pâle comme un sourire naissant, retrouve son étoffe et rutile à nouveau. Les futilités parasites du grand petit monde des fatuités sans importance se dissolvent sous la montée des arômes. Beauregard 2014 est encore un nourrisson dans les langes. Il babille plus qu’il ne parle. L’enfantelet sent le miel doux, les fleurs blanches parsèment ses draps, les citrons, jaunes et mûrs, verts et odorants, les épices légères, et l’odeur de la craie sur le bord du tableau quand la classe est déserte, parfument son babil. Un nourrisson aux effluves prometteuses.

Et le jus si clair de Beauregard coule dans ma bouche, attaque suavement, puis se déploie comme un bébé tout rond. Ce vin est de chair mûre, de pulpe de pamplemousse et de citron, que resserrent leurs zestes. Une chair dodue, qui enfle au palais, s’ouvre et libère son cœur de fruits ensoleillés. Une chair ferme, finement miellée, déroule délicatement ses agrumes. Surgit enfin, relançant le jus crayeux, une lame tranchante ce qu’il faut, une acidité plus fraîche qu’agressive. Chablis sans conteste. Dans le fond du verre vide, quelques notes, aussi furtives qu’exotiques. Dans ma bouche désertée, le vin longuement se donne. Sur mes lèvres orphelines, il a laissé un peu de son citron salé. Un très beau bébé. Prometteur. Nul doute qu’il deviendra grand ce poupon de beaux raisins mûrs.

PS : Pour tout ce qui concerne le domaine, les pratiques culturales et le travail au chai, lire les très nombreux spécialistes de tout, et parfois de rien.

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