Littinéraires viniques » 2016 » janvier

LE JASMIN JAUNE.

Basilique du sacré coeur de Montmartre

Basilique du Sacré Cœur de Montmartre.

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Yasmine tricote. Son regard délaisse ses aiguilles – depuis le temps elles savent cliqueter toutes seules – et se perd par la porte fenêtre, vers un horizon qui n’existe pas pour elle. A deux mètres des vitres, le dos de béton d’un garage. Alors elle se noie dans le jasmin jaune qui fait la boule contre le mur gris.

L’hiver est tombé d’un coup, il a réduit les jours et bouché le ciel, ce n’est plus qu’étoupe grise bourrelée de nuages d’encre, pleins à craquer de froidures diverses. Yasmine n’y voit plus grand chose, la lumière anthracite éclaire si chichement son ouvrage qu’elle le confond avec son tablier sombre. Mais peu lui importe. Elle voit avec les yeux de l’âge bien plus perçants que ceux de chair.

Dans le fond de la pièce obscure, Alfred est à ses réussites. Le pauvre vieux n’y arrive pas, il n’y voit plus goutte. Il lui faut approcher au plus près chaque carte au ras du nez, pour espérer la reconnaitre dans cette pénombre épaisse. Yasmine l’entend pester et même jurer comme le charretier qu’il n’a pas été, lui qui faisait le beau à calligraphier des actes notariés dans son costume gris, cravaté comme un ministre, les manches recouvertes de lustrines protectrices, fièrement assis derrière son bureau de bois de chêne à l’entrée de l’Office. “Alfred, apportez moi le dossier Michaud !”, criait maître Tabellion sans même ouvrir la porte matelassée de son bureau. Et Alfred se levait et courait. Retrouver le dossier dans le fatras n’était pas chose facile, ça montait bien à mi murs de tous côtés, mais le sous clerc connaissait son capharnaüm. Le Tabellion avait juste clôt son clapet que déjà le dossier atterrissait sur son sous main de cuir patiné. Alfred, torse bombé, se dressait devant lui, les guidons de sa moustache cirée frémissante, parfaitement pointés vers le plafond, le sourcil droit en accent circonflexe, le jarret tendu, le visage crispé, le sourire pincé du loufiat aux ordres, raide et rouge comme un Dalloz au sortir de l’imprimerie.

Dès qu’il poussait la porte du pavillon qu’il habitait avec Yasmine, Alfred se métamorphosait. Sa colonne vertébrale s’arrondissait comme celle d’un scoliosé, ses épaules s’affaissaient et se voutaient, ses bras tombaient à raser les genoux, son regard surtout s’éteignait plus encore quand il enfilait ses pantoufles, avant de s’écrouler en soupirant dans un antique fauteuil vert bronze à poils ras. Yasmine s’enquerrait de sa journée, trottinait autour de lui comme une souris fragile. Mais lui hochait à peine la tête. L’oreille distraite et le regard vide, il semblait avoir prit dix ans entre la porte et le fauteuil.

Alors Yasmine retournait à ses aiguilles, le regard braqué sur le petit monde qui vibrionnait autour de l’arbrisseau. Mais la vie prenait son temps. Patiente, elle regardait le jasmin d’hiver, le jasmin constellé d’étoiles jaunes. L’arbre était aussi haut qu’elle, c’est dire qu’il ne tutoyait pas le ciel, ses branches montaient du pied en s’évasant vers le sommet. Là elles redescendaient se perdre dans le buisson épais, cette géométrie végétale lui faisait penser – Yasmine ne manquait pas d’imagination -, à un cœur plus haut que large, dont la pointe longue semblait enfoncée dans l’herbe au pied du mur. Un cœur vert, touffu, piqueté de petites fleurs d’or à six pétales minuscules. Ajouté à cela de longues branches vertes, garnies de quelques rares feuilles miniatures cirées, et l’ensemble suffisait à ravir Yasmine. Au bout d’un bon quart d’heure, un couple de mésanges charbonnières arrivait, le mâle et la femelle sautaient de branche en branche, s’enfonçaient dans le profond du buisson où ils criaillaient et sautillaient sans cesse. Puis un petit campagnol à poil brun pointait le bout de son museau moustachu, ses petits yeux noirs en tête d’épingle brillaient, il se figeait – Yasmine croyait dur comme fer qu’il voulait lui faire comprendre quelque chose d’important et de mystérieux, mais elle avait beau se creuser, et ce depuis des mois, elle ne comprenait pas – puis la bestiole, en un éclair, disparaissait dans les herbes. Parfois, un étourneau ou une pie se posait à grand bruit, et la vie, effrayée, s’en allait. Mais que ce jasmin jaune lui faisait du bien !

En juin 1944, la petite Sarah Stein et ses grands yeux à boire l’amour, pas plus grosse qu’une mésange charbonnière, descendait du train à coups de crosse, pour se retrouver à moitié estourbie sur un lit de bois dur au ras du sol d’un baraquement crasseux. Toutes les nuits qu’elle y passa à se frotter les os sur les planches dures, elle occupa le plus sombre de son mauvais sommeil à éviter les excréments qui suintaient des lits supérieurs. En quelques jours la petite oiselle ne fut plus qu’un squelette fragile aux grands yeux dévorants et à la peau translucide. Dès le petit matin du second jour les kapos à matraques envahirent le baraquement en hurlant. Ils cherchaient dix zombies pour le docteur Sigmund Rascher, qui avait besoin de cobayes pour ses petites expériences. Un colosse à poils roux empoigna la petite Sarah, mais un grand kapo maigre au visage sévère lui parla brièvement à l’oreille. Le rouquin la rejeta brutalement sur son bat-flanc.

Le kapo aux longs bras d’araignée s’appelait Moshe, il sauva régulièrement la petite d’une mort certaine. Entre le froid, la faim, les travaux forcés, et Rascher l’expérimentateur sadique, les prisonniers tombaient comme mouches au Groenland. Tous les matins, les kapos emportaient par charrettes entières les morts de la nuit ramassés dans les baraquements insalubres. Les fosses communes creusées dans le sol débordaient. Tous les matins, Moshe tremblait quand il inspectait la cahute de Sarah. Quand il croisait dans la pénombre le regard fiévreux de la petite recroquevillée sur sa paillasse infecte, il soupirait discrètement, s’arrêtait un instant, son visage ne marquait aucune émotion, mais quelque chose de l’ordre du soulagement lui dénouait le ventre. Il lui arrivait de voir passer dans le regard halluciné de la moinelle déplumée une lueur imperceptible, douce comme un soleil voilé. Alors Moshe savait qu’ils avaient gagné une journée de plus. Et cela lui donnait de la force.

Sans la protection de Moshe le taiseux, Sarah n’aurait pas survécu longtemps. Une année durant elle n’entendit pas le son de sa voix, mais elle comprenait au demi battement de cil ce que les yeux du kapo muet lui disaient. La nuit, la pisse et la merde qui descendaient des étages fétides l’engluaient. Mais elle ne bronchait pas, attendait que ça sèche pour gratter les croûtes épaisses qui la recouvraient. Sous ses yeux clos, le sang battait faiblement et déformait le visage flou de Moshe qui brillait sur l’écran rose de ses paupières. L’espoir de le revoir passer, le temps d’un soupir, le bref arrêt qu’il marquait en face d’elle dès que l’aube grise pénétrait le baraquement, la tenait en vie, sa croyance en Dieu s’effilochait au fil des jours, le kapo était sa seule espérance.

A la mi avril 1945, la rumeur courut que les américains approchaient de Dachau. L’état major allemand ordonna de tuer tous les prisonniers. La nuit d’avant le début du massacre, Moshe enleva Sarah. Tous deux descendirent dans la dernière fosse creusée, se glissèrent sous les cadavres en décomposition. La main du kapo serrait celle de la petite qui suffoquait dans les humeurs malodorantes. Ils tinrent une semaine. Le 29 avril les américains les retrouvèrent, décharnés et respirant à peine.

C’est ensemble qu’ils furent rapatriés. Ils changèrent de nom, Sarah devint Yasmine et Moshe devint Alfred. Ils se marièrent à la mairie. Le reste de leur vie ils ne se dirent pas trois mots. Sans avoir eu besoin d’en parler, ils décidèrent de ne pas avoir d’enfants. Yasmine ne sortit presque jamais du logis, elle passait ses journées dans l’espoir du retour d’Alfred. Elle tricota d’innombrables layettes et autres pulls pour enfants qu’elle entassait dans un grand coffre de bois sombre. Quand il était plein, Alfred déposait un colis soigneusement ficelé devant la porte d’un orphelinat.

Assise devant la porte fenêtre, Sarah regardait le jasmin jaune et les mésanges lui racontaient de belles histoires. Souvent ce spectacle lui tirait une minuscule larme de bonheur qu’elle essuyait furtivement. Un soir, comme tous les soirs depuis des lustres, au fond de la pièce qu’envahissait la nuit, Moshe s’escrimait sur sa réussite. Mais ce soir là, il poussa un petit soupir. Les cartes tombèrent de sa main au moment où la nuit devint noire. Aucune étoile ne s’alluma dans le ciel. Quand plusieurs mois plus tard les pompiers défoncèrent la porte du pavillon, Sarah, momifiée, souriait devant le jasmin jaune.

HAÏKUS 6

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

LES DÉESSES SONT LASSES.

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Les quatre vies de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Agrippine féline, tes doigts de perles fines,

Ton sourire de satin, tes yeux de tourmaline,

La tournure de tes reins, ta cambrure zibeline,

Ta façade, ta vitrine, ta démarche vipérine.

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Aglaé triste fée, à ta main agrippée

La lance déployée sous tes doigts à hurler,

Ton sourire d’airain, ton regard extasié,

Ton dos de poivre chaud, tes rondeurs dévoyées.

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Athénée au palace, à se draper la face,

Sa chevelure rousse, son œil de jais me glace,

Assise sur le pré dans les fleurs en rosace,

Sur sa bouche vorace, le baiser d’un rapace.

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Aphrodite est en eau sous sa couronne d’algues,

Sur la surface bleue le soleil et ses dagues,

Une girelle verte lui a fait une bague,

Et les congres joueurs sur le bord des madragues.

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Les déesses sont lasses, les dieux sont courroucés,

Le sol se dérobe, les volcans sont gelés.

HAÏKUS 5

haiku mix 7

Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

LES JOUES BLEUES DE LA NUIT.

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L’enfant du vent de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les joues bleues de la nuit, le blanc des cœurs en neige,

Le noir givré des embruns fous glace l’élan

De safran. Les joies, les collines en arpèges,

Accroché à sa bouche le guerrier du Soudan.

Vole le perce-neige, plane l’enfant du vent.

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A la cime dépeuplée, tout au bas des abysses,

Au delta du grand fleuve, l’embouchure, la mangrove,

Aux confins du destin s’ébattent les métisses,

Plonge le cormoran où le serpent se love.

Dans les nids, des mots bruts, des plumes et des oves.

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Le froissement glissant des écailles de verre,

Le temps n’existe plus quand survient le naufrage,

Flotte l’étoile, souvenir, rire aux cheveux clairs,

Longues algues vertes le long du gouffre en rage,

Plaisir acidulé, flonflons, fille volage.

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Au son brûlant, tambours battants, soleil couchant.

Les mélopées tristes des regards déployés,

Cils vibrants, arcane majeur, aux chants haletants,

A l’espérance aveugle, à l’arc-en-ciel zébré.

Dans les cieux de soie bleue, la neige miraculée.

 

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HAÏKUS 4

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

SPLENDIDE ET MERVEILLEUSE.

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Robert Sitjka.

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Grands yeux verts et truffe claire, Splendide déguste à petites bouchées délicates le ventre saignant de la souris qu’il vient de choper dans le jardin. Une heure de planque, recroquevillé, immobile comme un marbre, puis un bond, un seul, et deux crocs dans la nuque. Splendide aime ça, le bruit des vertèbres qui craquent quand il croque. La maison est vide, personne n’en saura rien. Le matou est malin, il léchera même le carrelage après avoir caché la dépouille sous un buisson. Non, qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas un guerrier couturé de cicatrices, c’est même le contraire. Splendide est un félin gracieux au pelage roux comme un sous bois d’automne, à la démarché légère, élégante, il rebondit sur ses coussinets silencieusement, la queue bien droite, comme la hampe d’un oriflamme au soleil levant.

De toute façon il y a bien longtemps qu’il a mit la patronne dans sa poche fourrée. Il n’a pas eu à se forcer, il lui a suffit d’être la petite boule de poils, miaulante à faire fondre un légionnaire, qu’il était quand Marguerite l’a trouvé vagissant sous un buisson, au jardin public, sis dans une ville , heuuuu… ? Ce n’est pas qu’il ne veuille pas, le matou est finaud, mais lui le nom de la ville il s’en contrefiche comme de sa première saillie. D’autant que la première qu’il a eue honorée, c’était une vieille pelure à moitié râpée, en mal de minet innocent. Une couguar auraient dit les humains. Mais pas Marguerite, elle non, c’est plutôt le genre messe, vêpres et hosties à gogo.

Splendide avait bonne presse sur les toits du quartier. Taille fine et fourrure rousse rayée de blanc, faut avouer qu’il avait un petit côté bôchat (l’équivalent de bogosse chez les bipèdes), et il ramassait grave de la chatoune, de jour comme de nuit d’ailleurs elles ne lui résistaient pas. Pourtant d’ordinaire la chatte a la griffe facile, et plus d’un audacieux a eu la truffe lacérée, voire un œil crevé, un soir de vadrouille, mais Splendide lui ça ne lui était jamais arrivé, il lui suffisait de ronronnasser trois quatre coups, en donnant un peu dans les rauques et les basses, pour que ces damoiselles succombent. Alors là, c’était la fête. Les soirs de pleine lune, on avait même pu voir des flopées de chattes attendant leur tour. Parfois même, mais pas trop souvent, le gaillard est gaillard, on a eu pu voir Splendide s’éclipser derrière une cheminée, la queue basse et les reins en compote …

Tout ça pour dire que le margay tenait la gente féminine en piètre estime, ça n’était bon, de son point de vue, qu’à agrémenter ses longues promenades nocturnes. Ah oui aussi, motus les lecteurs … parce que Marguerite ne sait pas que son chéri chéri se carapate la nuit, elle ne sait pas, la pauvre, qu’un chat peut se glisser dans un trou de souris !

Merveilleuse la merveilleuse, enfouie dans son long manteau à poils longs, touffus et drus, plus blanche qu’une colombe, avait toujours l’air de faire le museau. Façon de parler, car elle avait le dit museau écrasé, elle donnait l’impression de s’être prise une porte de verre en pleine poire un soir de maraude, elle qui ne sortait pourtant jamais. Mademoiselle trônait, l’air perpétuellement renfrogné sur le divan élimé de Gaston, vieux garçon de métier, qui comptait et vendait boulons, clous, écrous et autres vis chez un quincailler à l’ancienne. Il était grand, sec, le visage émacié, le cheveu rare, des poils plein les oreilles et les narines qui le chatouillaient jour et nuit, de longues jambes toutes en os flottaient dans un pantalon de coutil bleu aux genoux blanchis par le temps. Gaston vouait un véritable culte à sa Merveilleuse, et se saignait aux quatre veines pour la nourrir de poisson frais et autres mets raffinés. Il la gâtait, et lui offrait des petites souris et des oiseaux en peluche que la bougonne dédaignait superbement. Elle acceptait une caresse de temps en temps, deux parfois, mais à la troisième elle zébrait jusqu’aux tendons, avec une vivacité surprenante pour une casanière, la maigre main qui avait cru pouvoir. La vie trépidante de la persane allait du divan à la litière, en passant par la mangeoire. Elle passait sa journée, et cela est propre à l’espèce, à recracher les boules de poils qu’elle ingurgitait, tout en dégustant d’une mine dégoûtée les petits plats de princesse que Gaston mitonnait pour elle.

Un soir de décembre, passé minuit, le ciel menaçait, le tonnerre roulait au dessus de la ville, Splendide, comme à l’accoutumée se glissa hors du logis, s’en allant chasser la gueuse dans le voisinage. Non loin de là, dans la même paroisse, un éclair providentiel tomba du ciel, faisant un bruit d’enfer, et la veilleuse, que Gaston laissait allumée toute la nuit pour le confort de sa chatte, explosa en mille éclats de verre. Merveilleuse fit un bond sur le divan, cracha, la pelisse en porc-épic, et prise de terreur elle sauta lourdement dans la rue par la fenêtre mal fermée. Et se retrouva nez à nez avec un rouquin aux yeux ravageurs. Qui vit atterrir devant ses moustaches une grosse boule de fourrure odorante, dodue, un peu pataude pour lui qui courait d’ordinaire les mistigrettes alertes, hanches fines et jarrets souples. Mais comme c’était la première de la soirée, il déploya ses charmes, miaula comme un ténor, tendit le jarret, lâcha une bordée de phéromones mortelles, brandit la queue bien haut à montrer les étoiles, l’enroula puis la retendit soudainement. Le tonnerre claqua violemment, la foudre toucha le clocher de l’église, on entendit grésiller les ardoises.

Marguerite et Gaston se réveillèrent en sursaut!! Tous deux, parfaitement synchrones, constatèrent la disparition de leurs amours de chats respectifs. Tous deux eurent le cœur au galop, la tension à la hausse, frôlèrent, l’une l’AVC, l’autre l’arrêt cardiaque. Tous deux s’habillèrent à la hâte, sortirent sous la pluie battante dans la nuit électrique. Marguerite, les cheveux hérissés par l’électricité statique, était méconnaissable, à moitié nue sous son peignoir en pilou-pilou, Gaston, à demi noyé sous les eaux, ressemblait lui à une girafe en pyjama à carreaux. Marguerite, petite bonne femme replète à double menton, peinait à presser le pas sur le trottoir glissant, elle avait la cheville fragile et la cuisse ramollie par l’inactivité physique. Elle avait l’air de courir alors qu’elle se traînait, sans doute parce qu’elle agitait les bras dans tous les sens, en criant d’une voix à peine audible dans le vacarme ambiant “Splendiiiiiide, Splendiiiiide mon bébéééé !”. A deux rues de là, Gaston semblait monté sur des échasses, il avalait littéralement le bitume à très longues foulées mécaniques, il n’appelait pas sa bête, il avait la gorge nouée et ses pleurs se mêlaient au déluge. Les éclairs illuminaient plus encore que la lumière du jour, tout était blanc, les immeubles, le bitume, les arbres aussi, et le rideau de lourdes gouttes de pluie emprisonnait la ville derrière ses barreaux liquides.

En pleine apocalypse, les deux félins, à l’abri dans une poubelle étanche devant laquelle Gaston venait de passer à toute vitesse, confortablement installés sur la dernière volée d’ordures fraîches déposée par une ménagère, flirtaient tranquillement. Splendide offrait à sa conquête espérée les plus beaux morceaux en ronronnant doucement. La belle consentait et mâchonnait délicatement les kleenex souillés qu’il lui offrait en la frôlant furtivement du bout de ses moustaches. Merveilleuse, chatouillée, secouait vivement la tête et lui rendait son regard langoureux. Enfin presque. Entre deux bouchées elle lui balançait quelques coups de griffe pour le maintenir à distance convenable. Non mais! Merveilleuse n’était pas chatte à succomber sans combattre!

Là-haut, assis jambes pendantes sur la branche droite de son étoile préférée, le petit Prince riait déjà.

Brandon Dupont, qui aimait l’orage et la violence en général, sortait de son immeuble, il tenait en laisse, au bout d’un collier étrangleur, Killeur son rottweiler noir et fauve qui tirait comme un fou en bavant de longs filets glaireux. Il ne vit pas arriver sur sa gauche Gaston à fond les ballons, ni sur sa droite Marguerite à bout de souffle. L’immeuble, situé à l’angle de deux rues perpendiculaires, ne permettait pas à Brandon de les voir déboucher, au moment ou il se retournait pour fermer la porte d’entrée. Et ce que le petit blond, là-haut avait anticipé se produisit, Marguerite se prit les pieds dans la laisse, Killeur, asphyxié, plia les jarrets, Brandon glissa sur la chaussée détrempée et Gaston reçu la rosière entre ses bras. Une bouffée d’hormones odorantes le prit à la gorge, un mélange d’encens, de chair chaude, de confessionnal poussiéreux et d’amidon le ravirent instantanément. Marguerite gloussa de plaisir.

Au chaud de la poubelle, Splendide et Merveilleuse, étroitement accouplés, chantaient.

Satisfait, le petit prince sourit. Pudique il cacha la lune derrière un épais manteau de nuages dodus, éteignit les étoiles, et fit une croix de plus sur son carnet. Ces deux âmes là commençaient à prendre de l’âge, tout allait pour le mieux, elles y arriveraient …

Haïkus 3

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

HAÏKUS 2.

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Avec les bijoux de La Di.

Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.