Littinéraires viniques » 2006

ACHILLE SERRÉ PAR LA PATROUILLE …

Guillaume Seignac. L'éveil de psychéGuillaume Seignac. L’éveil de psyché.

 

Deux jours après le dernier charivari, Achille lança le signal. Sophie tendit le majeur bien haut vers le ciel, le regardant d’un air féroce. Dès que le mannequin grossier l’eût remplacé au fond du lit il s’élança dans les couloirs sombres comme s’il s’en allait promener, confiant et sûr de lui. L’odeur de jasmin chaud de Sophie l’enivrait déjà …

Insouciant, il courut presque.

A l’instant où il poussait la porte entrouverte de la chambre, le couloir s’illumina, un cerbère jaillit des douches, croisa les bras sur sa blouse bleue et le regarda en souriant. A genoux sur son lit, vêtue de sa peau tendre, Sophie croisa les bras elle aussi sur sa poitrine nue. Une suée froide inonda le dos d’Achille. Ce n’est pas qu’il avait peur mais il sut à cet instant qu’il ne reverrait pas Sophie de sitôt. Dans son cerveau le sang reflua, l’araignée libérée de ses chaînes exulta, ses crocs acérés le mordirent sauvagement, elle reprenait le contrôle, instillant dans les chairs sidérées d’Achille le jus aigre de la peur. Comme un enfant confiant, sûr qu’il était de son impunité, il avait oublié, ou plutôt négligé, de réveiller en passant Olivier et Élisabeth qui lui auraient peut être, en criant comme des veaux égorgés, évité de tomber dans le piège grossier tissé par ces maudites sorcières de nuit. A genoux dans le couloir Achille se tenait la tête à deux mains et la silhouette de Sophie qu’il entrapercevait, prostrée sur son lit sous la lumière diffuse qui venait du couloir, prenait les couleurs grises et verdâtres de la mort. Étrangement le temps s’accéléra, les chairs fermes de Sophie s’affaissèrent, puis elles coulèrent comme un ruisseau visqueux, dévoilant ses os qui s’effritèrent et tombèrent en cendre au moment précis où la veilleuse refermait la porte …

Elles le raccompagnèrent jusqu’à sa chambre sans un mot, jusqu’à son lit au fond duquel il se tapit comme une hérisson blessé. Il s’allongea les yeux clos, sans protester, tout pétrifié qu’il était par le venin glacé de l’araignée qui triomphait une fois encore. Un sommeil lourd et agité l’emporta. Il navigua longuement sur les flots épais des cauchemars, dans une lourde barcasse malmenée par des eaux tempétueuses. Dans une nuit épaisse comme marc de café, sous les déferlantes qui le noyaient, accroché aux rames impuissantes à diriger la patache, il erra comme une âme en souffrance sous la constante menace de l’araignée plus énorme que jamais, ruisselante d’eau grasse, qui le fixait de ses petits yeux de jais. Le monstre agitait ses crocs effilés, fonçait sur lui pour s’arrêter net à quelques centimètres de son visage, bavant de plaisir et crissant de joie comme une lame sur une plaque de verre dépoli. Dans un dernier élan, sentant ses forces le quitter, Achille la frappa à coups de rames entre les yeux, mais les rames éclatèrent sur la chitine épaisse. Il hurla de terreur et se réveilla.

Le jour était levé depuis longtemps et la lumière chaude du soleil inondait la chambre. Le ciel était pur, le ciel était bleu, Achille recroquevillé dans son lit, les mains encore crispées sur les rames fantômes, aveuglé par la lumière, pleurait en silence. Quand il gagna la pièce commune le petit déjeuner était fini depuis longtemps. Le petit monde du pavillon «C» vaquait à ses vagues occupations routinières. Dans le bocal Olivier grillait ses clopes, Élisabeth, assise sur le banc près de la porte, béate, souriait à ses rêves. Alors Achille s’en fut courir sous les futaies du parc. Très haut dans l’azur le soleil raccourcissait les arbres. C’était l’heure des ombres disparues. Achille courait en vain après la sienne. Le souffle court et les muscles douloureux, il dépassa sa souffrance. Les couleurs changèrent, le ciel devint vert et l’herbe rouge. Les arbres aux troncs bleus défilaient à branches rabattues, Achille insensible au vent vert qui lui cinglait le visage fonçait comme une locomotive ivre sur les rails tordus de sa vie. Dans son corps, sous sa peau, le sang battait à toute allure, grondait comme l’Amazone par temps de pluie, inondant et nourrissant ses organes en surchauffe, glissant comme un serpent liquide dans ses artères sous pression, irriguant à gros bouillons son cerveau désorienté. Dans un même élan, en pleine détresse, il remerciait son corps de le porter ainsi, de ne pas le lâcher, d’être aussi généreux. Achille priait comme un profane inspiré et remerciait le sort, le hasard (ce mot si commode), la génétique, de lui avoir donné un corps robuste. Le temps passait, les kilomètres s’accumulaient, le soleil baissait, il continuait à la même allure folle. Achille volait, s’envolait même quand il sautait au-dessus des tas de bûches, rien ne le fatiguait ni ne l’arrêtait, il se sentait immortel, parti pour tourner éternellement ainsi autour du petit monde du parc. Sous les os épais de son crâne, ballottée par la course, anesthésiée par les giclées d’hormones, l’araignée, mâchoire pendante était neutralisée et tant qu’il courrait elle ne ne bougerait pas, ni ne criaillerait sa comptine délétère.

Le soir s’écrasa sur le parc.

Les infirmiers chargés de la sécurité s’activèrent. On quadrilla le parc jusqu’à ce que la silhouette fuyante d’Achille fut repérée, suivie, puis entourée en douceur. Il leur fallut quand même l’arrêter presque de force pour le ramener au pavillon. Croché ce qu’il fallait par les deux bras, tandis que tous marchaient il continuait à pédaler sur place. La nuit tombait, il n’avait ni déjeuné, ni dîné, il avait passé la journée à se dévorer lui même pour éviter que l’araignée ne le dévore.

Le lendemain matin, Achille, le corps meurtri par sa cavalcade de la veille, petit déjeuna comme un mort de faim, pour se nettoyer la bouche autant que pour se nourrir. Fébrile, il attendait Sophie qui ne vint pas. Les effets de la chimie le protégeaient encore des émotions qui pulsaient tout au fond de son ventre, elle tournaient, bataillaient aux anesthésiants et cherchaient à l’envahir. En vain. Il mangea comme un automate, portant le pain à sa bouche mécaniquement, regard vide et gestes saccadés.

Il se retrouva sans s’en être vraiment aperçu assis sur sa chaise de torture face à Marie-Madeleine. La rousse pulpeuse était comme à son habitude magnifique, moulée au millimètre dans une robe de tissu léger, au ras de ses formes aussi fermes qu’épanouies. Ses yeux vert d’eau brillaient et se posaient aimablement sur lui, pauvre hère sous camisole. Avec d’infinies précautions elle lui susurra, dans une langue de bois joliment ouvragée adoucie par son accent charmant, que Sophie avait été transférée dans un autre pavillon. Pour son bien et le sien. Achille se réfugia dans sa bave qu’il laissa couler lentement à la commissure de ses lèvres pendantes. Sans résultat. L’irlandaise aux collines confortables ne se laissait plus prendre à son manège repoussant et continuait, imperturbable, à monologuer. Achille avait compris et ne l’écoutait plus. L’araignée trépignait de plaisir et le tenait tout entier saignant entre ses mandibules. Agité de spasmes qu’il ne contrôlait pas le pauvre amoureux se mit à pleurer en silence de gros sanglots humides. Aucun son ne sortait de sa bouche et le spectacle qu’il offrait était si pitoyable que la psy se tut. Pour la première fois depuis son arrivée il ne dirigeait plus en sous main l’entretien.

Achille, enfin, lâcha prise …

A la différence des «sains d’esprit» aux antennes atrophiées les présumés «fous» balaient tous azimuts, rien ne leur échappe. Sans savoir le pourquoi du comment, ils sont traversés par les flux invisibles des émotions comme des récepteurs sur pattes ultra sensibles. Élisabeth était à demi perchée sur le banc attenant au local des infirmières quand Achille sortit. Elle sauta gauchement de son perchoir, fit un pas maladroit, prit Achille par un bras et posa sa tête sur l’épaule du petit garçon triste qui pleurait dans ses yeux. Elle lui offrit un vieux mégot infumable, d’un geste doux qui le bouleversa. Puis, événement rare, Olivier comme un culbuto animé sortit de son bocal enfumé, s’approcha, plus odorant qu’un hareng mariné et se lança dans un long discours souriant qu’Achille ne comprit pas. Mais les sonorités gutturales de ce langage étrange lui parurent plus douces et réconfortantes que le phrasé émollient de la belle Irlandaise. Pendant une fraction de seconde il eut la vision d’un chœur angélique, d’une assemblée de vortex multicolores psalmodiant pour lui à voix basse une mélopée délicieuse, tendre et mélodieuse qui tarit instantanément sa peine.

Toute la semaine qui suivit,

En ce Janvier blanc,

Achille chercha Sophie.

Mais ne la trouva pas …

En cette nuit d’encre du mois de Mars le vent souffle en rafales, la pluie drue claque sur les volets clos. Achille le stratifié, sous le cône luminescent de sa vieille lampe complice de ses insomnies récurrentes, a rouvert les yeux. Dans le bleu de son iris, autour de sa pupille écarquillée, dansent les ombres mortes des amours disparues.

«Que sont mes amis devenus,

Que j’avais de si près tenus

Et tant aimés.

Ils ont été trop clairsemés,

Je crois le vent les a ôtés,

L’amour est morte.

Le mal ne sait pas seul venir,

Tout ce qui m’était à venir

M’est advenu.»

Ruteboeuf.

Alors il regarde fixement le vin immobile, tapi dans la combe de cristal qui brasille sous la lumière et se perd entre les fines jambes huileuses figées sur les parois. Au centre du verre l’œil du vin qui jamais ne cille, brille comme une escarboucle rubis finement gansée d’orange. Le parfum puissant d’une pivoine charnue monte du lac paisible pour lui charmer le nez, puis une cerise, qui griotte un peu du bout de son noyau, lui succède. Mais ce Barbaresco « Cotta » 2006 du Domaine Sottimano a plus d’un parfum sous sa robe. Le transalpin ouvre un peu plus son sac à fragrances qui offre à l’appendice conquis de l’insomniaque, en rafales séduisantes, son café noir, sa muscade, son cade, ses épices douces, son thym sec et son poivre noir enfin. Achille soupire longuement puis porte à ses lèvres le bord du verre. La matière dense du vin envahit sa bouche, fait sa boule de chair ferme, roule sous sa langue creusée et délivre son flot de fruits mûrs, avant d’éclater sous une poussée fraîche qui redresse la matière encore serrée. Au palais déserté par les fruits qui coulent dans sa gorge, le café, le cacao pur et les épices s’attardent longuement, enrobant les tannins encore jeunes de ce Piémontais racé. Achille, que le plaisir a réveillé, court dans les allées du parc, encore et toujours …

Quelque part

Dans les méandres du monde,

Alors que pointe le printemps,

Sophie peut-être

A souri …

 

ERÊMOVEUTISECONE.

JOSEPH VOILLOT. VOLNAY CHAMPANS 2006.

champans2

M’étonnerait que Jean Pierre Charlot, Sumo débonnaire, voix forte et propos rugueux, arrose ses « Champans » à la sauce aux pesticides. Cet homme aime et respecte trop ses vignes, pour les tartiner à la mort-au-rat !

Ceci dit pour les angéliques qui encensent les bons vignerons respectueux de la nature, et fustigent les méchants traditionalistes inconscients qui arrosent à tout va.

C’est un beau rubis clair et brillant qui repose au creux de mon verre, sous la lumière grise de ce ciel d’Avril pluvieux. Sept ans qu’il attend, dans son sarcophage de verre étouffant, de prendre un peu l’air. Sept ans que moi aussi, patiemment, je me persuade de l’attendre. C’est que les vins de J.Voillot sont travaillés pour donner du plaisir à ceux qui savent reculer le moment de prendre leur plaisir. Des vins dans la plus pure tradition Bourguignonne, qui n’ont jamais cédé aux charmes de la technologie, qui n’ont pas oublié que le temps, pour les vins comme pour l’homme, a besoin de passer pour atteindre à la maturité, qui savent bien que les bois neufs qui les accueillent pour mieux les magnifier, ne se digèrent pas dans le quart d’heure.

Sous mon nez, les fragrances mûres de la pivoine charnue, me disent, qu’enfin le jus de pinot et la douelle se sont mariés. Certes, ce n’est que le début d’un hymen qui ne connaîtra pas le divorce, mais déjà le vin a pris son bois, comme la belle son amant. Le début d’un équilibre qui ira s’accroissant. La rose séchée pointe le bout de ses premiers pétales fanés. Sous le lit de fleurs, la griotte cachée, au contact de l’air, jaillit en volutes tendres, et son noyau aussi. On ne dira jamais assez combien le pinot aime à retrouver l’air frais qui l’a accompagné tout au long de sa vie de raisin.

 Comme un papillon qui sèche ses ailes au sortir du cocon, Champans respire …

Un bouquet complexe à peine cueilli, marqué encore par de fines notes de vanille, auquel les épices douces donnent du relief. Et ce jus clair qui me caresse les papilles, comme souvent en Bourgogne, surprend par la puissance et la finesse élégante de sa matière. Il y a du vin dans ce vin. De la griotte, la fine amertume de son noyau, un soupçon de muscade, quelques notes de cuir aussi, et une poignée d’épices douces qui allongent le vin. Je me plais à le rouler, et le rouler encore au palais, autour de mes papilles ravies, longtemps sans que jamais il ne faiblisse. Après qu’il a chuté, passée l’uvule et réchauffé doucement mon corps, il demeure, frais et prégnant, longtemps présent, jusqu’à ce que ses tannins aériens, crayeux, et encore enrobés, me parlent la langue noble du terroir argilo-calcaire qui l’a marqué.

 Monsieur Charlot, je doute que vous me lisiez, mais au travers de ce vin, merci pour ce moment de grand plaisir, que de loin je partage avec vous …

ACHILLE DANS LE MIEL DES CHEVEUX DE SOPHIE …

F.H VARLEY. Véra.F.H Varley. Véra.

 

Sophie a gardé la chambre une semaine …

Achille l’avait presque oubliée quand elle apparut un matin gris au petit déjeuner. La salle était silencieuse, seul le craquètement du pain beurré qui cédait sous les dents et divers bruits de succion perçaient la ouate qui embrumait les esprits. Achille aimait ces moments. Souvent il relevait la tête pour contempler les échines ployées et les visages grimaçants de la meute au festin. Le ramassis de désaxés avait à la nourriture un rapport boulimique, comme si leur survie en dépendait ou plutôt comme si la bouffe allait combler leurs vides ou juguler leurs terreurs. Tous fixaient le plat rempli de plaquettes de beurre, se servaient par poignées entières qu’ils disposaient soigneusement en piles ou en rangs parfaits bien alignés comme des dominos mous. Mine de rien ils se surveillaient, c’était à qui allait en chiper le plus de peur d’en manquer. C’était à celui qui d’un geste, brusque comme un coup de patte griffue, s’approprierait les derniers carrés de graisse à demi fondue. Presque tous, en cachette, enfouissaient dans leurs poches tartines et beurre pour s’en repaître encore dans leurs bauges à l’abri des regards envieux. Achille les reconnaissait aux poches grasses de leurs robes de chambre difformes qui pendaient sur leurs épaules grêles et peinaient à recouvrir leurs ventres distendus.

Or donc ce matin là le festin battait son plein …

Sophie s’est assise sans un bruit, sans un regard. Un instant la scène s’est figée, sa présence rompait la bancale harmonie de la horde, certains ont léché machinalement leurs lèvres grasses, d’autres ont roulé des yeux hagards, d’autres encore se sont empiffrés de plus belle, accélérant le rythme, coudes écarts pour protéger leurs écuelles. Elle n’a touché à rien, ses yeux bleu-verts ont fait le tour de la table, terriblement absents, passant au travers des visages, fixés sur l’infini. Puis elle a croisé les bras sur sa poitrine ronde qui pointait au travers de son peignoir de tissu fin. Achille la contemplait tranquillement, franchement, avec aux lèvres l’ébauche d’un sourire rassurant. Sophie se savait observée mais restait impassible, son souffle lent soulevait régulièrement ses seins qu’Achille augurait splendides, suspendus, au port hautain, imaginant le lacis de veines bleues fragiles sous la peau délicate, une merveille d’équilibre qui défiait la pesanteur. Il pensa à Newton, à sa pomme stupide et sourit. Elle avait peut-être vingt cinq ans, guère plus. Sa tignasse en broussaille, mi longue et drue, d’un blond vénitien aux reflets dorés, fauves ou paille selon l’éclairage, n’avait rien d’apprêtée et lui donnait un air doux et rude à la fois. Achille savait bien qu’elle sentait son regard posé sur elle, à la détailler, à chercher à la deviner, à passer derrière le miroir mais elle ne bronchait pas ; seul un léger tressaillement, à la commissure de ses lèvres charnues, la trahissait un peu. Les derniers gloutons, repus jusqu’à la glotte, se levaient et quittaient la table. Jusqu’à ce que Sophie et lui se retrouvent seuls, silencieux, à ne pas savoir qui céderait le premier. Elle avait un long cou qui lui donnait de la race, des sourcils fins et arqués de la couleur de sa chevelure, un nez florentin, des pommettes hautes sous lesquelles se creusaient deux petites fossettes et surtout des lèvres étonnamment carmines pour une blonde, pleines, ourlées, humides, satinées qui contrastaient avec son front haut et la pureté fragile de son visage ovale. Brusquement elle tourna la tête et le fixa sans ciller. Achille fut surpris de ce geste qu’il prit comme une offrande ; elle se donnait, plus nue que nue, sans aucun de ces signes de séduction subtile que les femmes affichent le plus souvent mine de rien. Ses yeux bleu-verts immenses lui dirent en silence que leurs eaux rugissantes ne demandaient qu’à se déverser mais qu’elles ne le pouvaient pas. Elle avait la souffrance au bord des paupières, un regard de noyé au ras de la surface qui n’arrivait pas à remonter. Ses joues se creusèrent, ses lèvres s’entrouvrirent mais elle ne put parler, ses longs cils soyeux clignèrent une fois quand les larmes faillirent rouler le long de sa joue de pêche sucrée mais elle les ravala en se raclant la gorge, se leva, et partit en frôlant Achille de sa hanche. Le parfum des fleurs de sa peau claire l’entoura un instant. Ce fut comme un sortilège qui l’enchanta.

Étourdi, Achille ferma les yeux.

Les jours qui suivirent Sophie ne parut pas. Elle déjeunait et dînait à part avec les infirmières et faisait le court trajet qui séparait le pavillon du réfectoire escortée par un bataillon de matrones bavardes, à côté d’Olivier en conversation avec les démons. Achille la croisait ou l’observait de loin. Jamais elle ne tourna la tête mais la façon dont elle secouait sa crinière en se penchant en arrière sentait la provocation moqueuse. Et Achille aimait ça. Au bout de son geste elle ne bougeait plus et laissait pendre ses cheveux. Alors en réponse il lançait en pensée ses mains au travers de la pièce, pour les enfouir avec délice dans le buisson odorant qu’il croyait voir frissonner. Un soir que le tarot battait son plein et que le temps était aux engueulades feintes, Sophie apparut, s’assit sans un mot, posa les mains sur la table et dit d’une voix veloutée «Je joue». Georges, Michel, Olive et Achille se regardèrent en silence puis Olive rétorqua «Bonsoir, t’es qui toi ?». Sophie fronça les narines, ses yeux virèrent au cobalt, sa réponse fut cinglante, «Une dingue comme toi ! Balance les cartes». Alors Georges calma le jeu en répondant «On la met dans quelle équipe ?», ce qui fit rire les autres, Sophie esquissa l’ombre d’un rictus. Quand elle surprit le regard d’Achille sur ses mains elle replia les doigts. La soirée passa en silence, les cartes volaient, Sophie ramassait les points à la pelle. Achille ne jouait pas, jetait ses cartes au hasard, fasciné qu’il était par les fines mains agiles, aux attaches fines, aux longs doigts déliés, aux gestes vifs, gracieux et précis. Si rapides qu’il les voyait à peine. Elle était assise à côté de lui et son corps dont il sentait la tiédeur l’enveloppait dans son jasmin subtil. Était-ce son odeur qui distillait ainsi ou le parfum qu’elle portait ? La question accapara Achille toute la partie sans qu’il puisse trancher. Les gallinacées en uniformes eurent du mal à envoyer tout le monde au lit ce soir là. En se levant, Sophie, du bout des doigts, tapa sur l’épaule d’Achille sans un regard ni un mot. Le lendemain au petit déjeuner elle lui serra furtivement le triceps gauche au passage et s’assit à sa droite. Aussitôt son odeur l’entoura, il lui demanda «Mais c’est quoi ton parfum» ? «Ma crasse mal lavée» répondit-elle sans tourner la tête. Ce qui le fit rire un peu jaune … Le mélange de fleurs fraîches et de couette chaude lui monta aux sinus. Il eut envie de plonger le nez dans son cou. Pour la première fois il mit un peu de beurre sur son pain. Et s’en gava. Ce matin là il courut plus encore, Octave l’accompagna sur la ligne droite puis apparut de loin en loin au détour des sentiers jusqu’au débouché du pavillon. A galoper comme un malade il avait muselé l’araignée, évacué un bon paquet de toxines et autres saloperies. Sous la douche, ce cadeau d’après la course, il se sentait l’esprit plus clair qu’à l’habitude, lucide mais perméable et l’araignée en profita pour tisser à nouveau la toile qu’il dissolvait chaque matin. «Pénélope, mais lâche moi !», pensa t-il en riant tristement.

Accoudé à une table de la salle commune Achille écoutait René pleurnicher son papier quotidien. «Une ramette s’il te plaît !». René n’avait pas d’âge, c’était un de ces êtres dont on se demande s’ils ont un jour été jeunes. Visage bouffi – médocs et gourmandise – corps tout rond comme un culbuto mou. Cheveux de neige et tonsure parfaite, il avait un physique de moine, une tronche écarlate de pub à fromage. Jours et nuits il écrivait de longues missives argumentées à propos de riens qu’il jugeait essentiels, une bonne ramette de papier par semaine en moyenne. Tous les matins il glissait ses lourdes enveloppes non timbrées dans la boite aux lettres à l’entrée du pavillon. Et se mettait à la recherche de papier. Achille le dépannait régulièrement. René lui expliquait ses doléances multiples, lui montrait ses courriers en préparation – adressés à toutes les autorités de la République, du plus illustre au dernier des sous chefs de bureau – , une seule phrase par missive. De petits bijoux, ingénieux, ciselés des jours durant qui couraient de la première à la dernière page sans respirer. René et sa littérature administrative en apnée lui collaient aux basques tous les matins jusqu’à ce qu’il cède. Quand René lui avait arraché une nouvelle ramette il lui faisait promettre de garder le secret. Ce matin là, à voix basse au fond d’un couloir, Achille cracha-jura plus vite qu’à l’habitude quand il vit Sophie apparaître dans la salle commune.

Et s’asseoir l’œil aux aguets.

Achille s’approcha en souriant et s’attabla à côté d’elle. Elle tenait un CD du bout des doigts, qu’elle lui tendit. Le spectacle douloureux de ses jolies mains aux ongles rongés jusqu’au sang le surprit mais ne l’étonna pas. Puis elle se leva et repartit sans un mot. Achille regarda s’éloigner à pas légers ce dos souple et ces fesses rondes que peinait à masquer un pantalon noir informe. Dans sa chambre ce soir il écoutera «Madar» d’Anouar Brahem avec Jan Garbarek et cette musique deviendra «la musique de Sophie» qui ne le quittera plus. Les jours suivants ils se reniflèrent comme des chiots perdus, Sophie lui prêta «Madredeus» contre «La Passion selon Saint Jean». «Mozart l’Égyptien» l’enchanta, il lui fit découvrir «Le clavier bien tempéré» par Gould. Un matin elle lui sourit et s’attarda sans un mot. Son regard d’aigue-marine tremblait et brillait, elle le regardait intensément droit au profond. Ses fossettes se creusèrent tendrement quand elle lui sourit. Le soleil sur ses lèvres mordues croisa la pluie que ses yeux retenaient à peine ; un arc-en-ciel furtif traversa ses cheveux. Achille posa la main sur son bras chaud qu’elle retira. A cet instant il aurait voulu partager la musique avec elle à l’abri de sa chambre, lui caresser le dos loin de l’agitation ambiante mais c’était bien sûr impossible et strictement interdit.

La nuit les gardes bleues veillaient …

Achille le désaccordé, sentant l’émotion le gagner, a décroché d’un coup de ses pensées. «Ça suffit pour cette nuit» se dit-il ; il n’en peut plus de ces visages qui remontent du puits, ces chairs intactes épargnées par le temps, ces reliefs disparus plus nets que son présent, ces vagues lourdes qui enflent dans son ventre et reviennent lui brouiller les yeux. Ces ténèbres ajoutent à ses nuits de charbon leurs angoisses passées et leurs regrets aussi. Le vin va l’apaiser, l’aider à reprendre pied. Alors, de la pointe de son œil éperdu, il s’accroche au verre élégant à demi rempli de bronze vert et d’or liquide qui scintille sous le rai coruscant de sa lampe de bureau. Ce Quarts de Chaume 2006 du Château de l’Écharderie va lui apporter la force qui lui fait défaut, là, maintenant. Le jus a graissé le cristal et dégage une impression de puissance rassurante. Sous son appendice en prière la palette aromatique complexe peine à se dévoiler. Les fragrances sont fondues, le coing, le miel, la pêche, l’abricot, la poire tapée se sont intimement embrassés et mêlés à la cannelle, au poivre blanc, à la menthe et aux épices douces. Le jus surprend Achille par sa fraîcheur, elle se manifeste d’emblée et tempère l’extrême richesse de la matière opulente qui lui envahit la bouche. Exubérance de fruits noyés dans un gras mesuré ; coing, abricot, pêche très mûre, sucre candi. Et toujours cette fraîcheur qui donne au vin toute sa grâce. La persistance rare de cet élixir de schistes bruns et de grès surprend Achille qui s’enroule au vin de peur qu’il ne le quitte. Sous la fraîcheur miellée du vin disparu sa bouche défaille. Presque. Les épices l’assaillent longuement puis au bout du bout les pierres subsistent. Encore.

Dans les cheveux de Sophie

Le miel ruisselle,

Les fruits aussi

Des jardins disparus.

De sa bouche charnue

Coulent les fruits des mots,

Rudes et tendres à la fois.

Et la fraîcheur revient

A nouveau.

EDÉMOLATIBRÉECONE.

COMME LE VENT HURLANT …

Soluto. Regard.

Dehors le vent souffle …

Les aiguilles du sapin, face à ma fenêtre, volent et dessinent sur le sol des formes changeantes, fugaces, qui finissent, désagrégées, au ruisseau. L’arbre se dépouille de son manteau bruissant. Sur l’asphalte noire, la pluie tombe drue qui nettoie les sols, ses épines liquides, serrées, aux pointes fragiles, explosent en gros bouillons, en vagues de bulles éphémères qui n’en finissent pas de réfracter, le temps d’un soupir, la lumière blafarde d’un ciel lourd de chagrin. Billes de mercure ternes, comme des vies qui enflent au ras du sol pour se dissoudre aussitôt dans les rigoles changeantes, imprévisibles, fines stries argentées qui quadrillent le sol comme la toile mouvante d’une araignée fragile. Comme un raccourci des vies qui passent. Si vite.

L’automne, brusquement, a pris ses quartiers …

Treize heures vingt. Le téléphone grogne. Moi aussi. J’hésite, il me dérange, tout occupé que je suis à aligner mes petits mots. Pourtant, ce que je fais rarement, je décroche. Je me fends d’un original « Allooo ? » suivi d’un « ouiii » pressé d’en finir qui veut rompre le silence. Empêtré dans ma phrase qui se refuse, je n’y suis qu’à peine. Brutalement, je comprends, le « ouiii » devient « noooNNNNN ... », hurlant, assourdissant et silencieux qui déflagre en moi, me gagne tout entier, liquéfiant l’intérieur de mon corps en bouillie sanglante, bulles de sang incandescentes, chairs explosées, et os broyés par la mâchoire puissante de la terreur noire qui roule sous ma peau hérissée. L’évidence, implacable, m’aveugle, m’étreint, me serre le coeur et me noue le plexus. MON POTE EST DÉCÉDÉ !!! Avalé par la Carogne ou en route pour un nouveau voyage ? A onze heures, ce 24 septembre couleur de nuit, qui pleure plus fort que moi aux yeux de sable sec.

Sa dépouille me regarde derrière ses yeux fermés. Visage gris, apaisé, étrangement immobile de celui qui ne savait rester en place. Ses lèvres entrouvertes sourient encore de cette moue ironique qui lui appartenait. Étrangement il me console et semble me dire que tout cela n’est qu’apparences, qu’au delà il est là, que je ne peux le voir, mais qu’il me voit. Pour que je le comprenne bien, il a laissé sur ce qui fut son visage ce petit rire figé. Incroyable dialogue muet, sous une foule d’images qui recouvrent de leurs souvenirs multiples le corps pétrifié de mon ami. Sourires silencieux, rires complices, regards intenses et lumineux, conversations joyeuses ou graves résonnent, blagues de corps de garde, batailles de mots pleines de sous entendus en écho, silences fraternels, ses yeux clos brasillent dans ma mémoire. La pièce sinistre chatoie de mille couleurs. Est-ce lui qui m’habite, est-ce moi qui ment emporté par l’imagination ? Non, c’est bien lui qui suggère, mène la dernière danse, même si cela peut paraître fou aux consciences figées dans leurs certitudes rassurantes.

Au-delà des croyances et des refus, des dogmes et des convictions, des affirmations argumentées et de la foi naïve des rosières, il est là qui furète dans la gelée de coing de ma tête embrumée. Farce triste, valse lente et chœurs à l’unisson, doctes raisonneurs et angelots farceurs, la vie continue, tandis qu’une autre s’ouvre ? Autre vie, autre plan ?Va savoir. Il sait et ça le fait sourire. A moins qu’il n’ait sombré dans le néant, aux abonnés absents que la nature recycle. Et qu’abruti de douleur, anesthésié, rompu, je vois des elfes voler ? D’aucuns le penseront.

Emmène moi mon frère,

Où tu voudras,

Le temps qu’il te plaira,

Tu tiens ma main, je suis bien …

Ce soir j’aurai du mal à m’endormir.

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Mille ans plus tard.

Dans le ciel d’azur, plus lumineux que le bleu des yeux de celles qui furent belles à me damner, tourbillonnent en larges cercles des nuées d’aigles royaux. Tous identiques. Deux d’entre eux, par séquences, planent côte à côte, brisant l’harmonie de la parfaite spirale, becs et serres effilés, flancs chocolat, rémiges larges et écartées, queues en éventail à bords noirs, puis s’éloignent un temps vers d’autres spizaètes. De leurs yeux dorés, ils scrutent désespérément les espaces infinis qui ne les effraient plus, glatissent sans un bruit, par réflexe, car personne n’entend leurs trompettes. En ce lieu de hautes vibrations, les aigles majestueux tournent indéfiniment, dans le vide absolu, au mépris des lois ordinaires de la physique des hommes. Ni air, ni terre, ni faim, ni soif, ni vie, ni RIEN. Ils sont cent, mille, des milliards, je les sens, mais je n’en vois que deux. Parfois cet étrange « monde » se brouille, le bleu pâlit, les silhouettes se défont, l’espace se rétrécit jusqu’à ne faire plus qu’un point dans le noir absolu. Puis surprenamment, l’étincelle se dilate à nouveau, le bleu colore l’espace, les aigles surgissent du néant et reprennent leurs vols étranges, infiniment recommencés. Les deux compères de nouveau volent ensemble, rompent l’immuable ordonnancement des vols ; têtes baissées ils scrutent de leurs regards aigus, à se rompre le nerf optique, cherchant d’hypothétiques êtres sur un sol improbable.

Plus haut , au départ de la spirale, l’aigle de tête les observe. « Ils finiront bien par comprendre » se dit-il …

C’est alors que je me réveille d’un coup. Le visage de mon pote au yeux rétrécis par la bonne farce qu’il vient de me jouer, remplit ma chambre. Il glousse le salaud !

Sur son visage hilare, la lumière moqueuse de ses yeux le dispute à l’ironie tendre qui marque sa bouche. L’émail de ses dents brille. Ce soir, à ta santé mon poulet, je boirai un verre de Meursault « Les Charmes » millésime 2008 du Domaine Chavy-Chouet

Et t’en auras pas !!!

Vas-y rigole, j’arrive tantôt.

R.I.P.

ACHILLE SUR LE BLEU DU VAGUE-À-L’ÂME …

Grünewald. Détail de la tentation de Saint Antoine 1512-1515.

 

Fin juin on s’est engouffré dans la voiture.

Papa, maman, ma mini sœur et moi Achille qui rentrait à peine de mon voyage cadeau en Belgique. Ça valait vraiment le coup d’être admis en sixième sans exam ! Je voulais voir Namur et on a vu Namur, Gand aussi par la vallée de la Sambre. Pâturages verts et vallée industrielle du temps où le charbon était roi. Me suis gavé de frites au vinaigre, de fricadelles grasses et de glaces énormes qui ont fini au fossé, cœur retourné et front suant. La voiture a roulé des heures sur les routes bordées de platanes, les yeux en pleurs. Le soleil stroboscopé par les troncs défilants et les copains perdus, si vite, après tant d’efforts pour se faire une petite place sous le préau et dans la cour boueuse de l’école, ajoutés, ont eu raison d’Achille.

Pleure mon garçon, pleure la vie t’attend …

Achille s’est retrouvé, complètement perdu entre quatre murs et la nationale dans un hôtel de La Bourboule, à tourner en rond. Le souvenir de son père déguisé en loufiat portant le plateau dans la grande salle du Casino. Et les entrés gratuites aux soirées chantantes. Eddie Constantine, Marie-José Nat, Sœur Sourire, oubliés dès le lendemain. Des journées blanches d’ennui à traîner sur la route sa solitude. Un temps entre parenthèses vides, le temps de l’acceptation. Drôle d’état que celui d’être seulement, sans rien à conjuguer, étrange sentiment que celui du temps en suspens, comme si le temps bandait son ressort pour mieux propulser l’enfant et redonner de l’intensité à son futur proche. Il a repris la route fin août comme un comateux pour se retrouver à Sète au sommet du Mont Saint Clair dans une baraquette nichée dans un grand jardin couvert de néfliers et d’amandiers sauvages. Et le père de bricoler au noir chez un ferrailleur complaisant. Papa qui ne sourit plus, qui peine à nourrir son monde, qui résiste aux ordres d’en haut qui veulent l’envoyer en Algérie, mais qui cède à la fatigue un beau jour de mouise. Les automnes maudits des départs poursuivent Achille, haine de ces mois de novembre pluvieux qui rendent les armes et mettent les larmes aux yeux des enfants résignés. Pour la vie ce mois sera chaque année, désormais, le pire de tous. La veille, histoire d’adoucir son départ, papa a emmené tout son monde au cinéma. Il y avait longtemps que les distractions n’étaient plus possibles dans la famille. Un grand soir donc, un de ces vrais soirs de la vie où le plaisir et la tristesse se frôlent et se bousculent à chaque seconde. Gabin le grand sur l’écran, dans « Maigret tend un piège », un de ces polars à la française des années où la couleur ne colonisait pas encore complètement le cinéma. Desailly-Girardot, Ventura dans un petit rôle et Daniel Emilfork, l’immense ! C’est dans ces moments là aux heures tendues des émotions fortes, qu’inconsciemment, insidieusement, les croyances se développent et que les goûts se forgent. Oui ces instants d’exaltation, ces crucifixions du cœur marquent au fer rouge les caractères, et décident des inclinations à venir. Qui pourrait penser que cet homme qui entre dans un cinéma s’en vient adoucir, soigner un peu la dernière désillusion qu’il vient de connaître ? Les voies de Dieu sont dites impénétrables, les chemins sinueux des hommes sont indéchiffrables pour ceux-là mêmes qui les suivent. Sur le tard parfois, ils croient avoir compris, mais rien n’est jamais sûr …

Or donc la vie continuait, bancale, mais continuait bel et bien …

De la maison au Lycée Paul Valéry il y avait bien une petite heure de descente pedibus à l’aller, et une à deux heures de grimpette, haltes diverses et jeux variés compris, au retour. Énorme bâtisse au yeux de l’enfant, posée tout en haut de la rue montante à laquelle il accédait aux trois quarts de sa longueur par une petite rue de côté. Au sortir de cette ruelle il tournait à gauche et prenait la masse de l’édifice en plein visage, posé comme une menace de pierre sur un grand escalier. Chaque fois que le coin de la rue approchait Achille ralentissait, reculait le moment où le monstre l’avalerait pour la journée par cette fausse grande porte de bois percée d’une chatière pour enfants à croquer. Oui ce lycée l’impressionnait, comme le faisaient le Parthénon ou la prison de Sing-sing qu’il voyait dans les livres ou les films de gangsters. Un lycée pareil c’était pas fait pour être vrai mais pour faire peur. Il y entra sans joie, poussé, contraint et résigné. Se noya dans la masse, petit être frêle fragilisé par l’absence, solitaire et langoureux, d’une tristesse étrange qu’il ne comprenait pas. Alors comme les enfants le font il regarda ailleurs pour ne rien voir du vide qui l’aspirait, il n’accommoda pas son regard intérieur pour ne pas reconnaître la douleur interne qui le minait. Elle resta floue dans les profondeurs inavouées, indistincte au milieu des blessures mal ensevelies dans l’immense grenier obscur des souvenirs délétères. Monsieur Masson engoncé dans une blouse grise ceinturée très haut, le visage sévère, enseignait le français. Derrière ses sourcils épais, un peu effrayants, son long nez affûté et sa voix de basse profonde, il cachait une sensibilité fine qui affleurait parfois quand sa voix s’adoucissait à la lecture d’un poème. La classe endormie ne réagissait pas attendant patiemment que sonne l’heure des billes. Le maître qu’on appelait ici le professeur, n’en avait cure, ses yeux se fermaient et se rouvraient parfois pour croiser le regard absent d’un Achille qui planait de concert. Alors Monsieur Masson souriait vaguement. Hors lui c’était l’enfer. Agité, inattentif, agaçant, le verbe acide, l’insolence au coin des lèvres, Achille perturbait méchamment les cours, faisait rire la classe et collectionnait très mauvaises notes et punitions variées. Les profs ne savaient comment le prendre tant il s’esquivait adroitement et rétorquait, toujours limite un poil franchie aux remarques acerbes comme aux mains tendues. À blesser il soignait ses blessures inconsciemment mais se blessait plus encore. Insidieusement s’installait en lui l’image d’un enfant désaimé. Alors il s’évertuait à se prouver qu’il était détestable. À la sortie des cours il jetait son cartable et jouait longuement au foot sur le parvis de pierres usées du Lycée, quand il ne glissait pas des heures durant sur la large balustrade bordant les escaliers. La pierre polie par les fonds de culotte, brillait, brillait, brillait, jusqu’à la nuit tombée. Quand il rentrait enfin, tout là-haut à la maison du haut de la colline, sa mère inquiète criait, pleurait, lui faisait jurer de ne plus recommencer. Achille sincèrement contrit baissait la tête mais le lendemain, une fois la porte du logis franchie, il ne pouvait s’empêcher de marauder tout le soir comme une âme en épine.

Souvent le jeudi il fuyait le jardin de la maison et s’en allait traîner vers la mi-pente du mont. Il y avait là une sorte de carrière, un no-man’s land de rochers et de terre creusé de grottes remplies de détritus et de mots orduriers gravés sur les parois. Des gamins y jouaient, désœuvrés. Achille s’asseyait sur le parapet et restait des heures à se fondre à l’horizon. Son regard s’égarait un instant sur les jeux et bagarres dont le mistral soulevait la poussière puis il errait sur les tombes du Cimetière Marin. Il ne savait pas que Valéry y reposait et attendait encore Brassens mais il aimait l’étagement des sépultures et mausolées perdus dans les cyprès et les fausses colonnes. C’était un grand escalier de guingois cascadant vers les plages blondes du bord de mer. Ces moments là ses cils ne battaient pas. Immobile et regard fixe il semblait de pierre. Tout en bas le spectacle de la mer mouvante dissolvait son vague-à-l’âme et mettait en musique le paysage. Parfois il s’évadait sous les ailes des mouettes planantes. En cercles concentriques il amadouait sa douleur. Dans les vapeurs tremblantes de la chaleur qui dissolvait à moitié sa peine il voyait parfois des mirages de joie qui avaient le sourire de son père. Alors pendant quelques secondes qui paraissaient des siècles, il courait sur l’eau.

L’année coula comme un ruisseau de plomb fondu, lourde et sinistre. À la maison c’était pleurs et lamentations, serments et parjures, cris et châtiments. Ses seuls moments de paix et de connivence il les vivait quand Monsieur Masson, de sa voix chaude, lisait ses devoirs à la classe des marmots assoupis qui s’en foutaient bien. Quand il fallut décider de son sort le professeur seul contre ses collègues ligués dut faire preuve de persuasion et de toute l’autorité que lui conféraient l’âge et l’expérience. Malgré son dix-huit de moyenne en Français et son sept cinquante de moyenne générale il fut autorisé, ce qui ne laissa jamais de le surprendre, à passer en cinquième. Il se dit que les anges en escadrilles discrètes étaient certainement intervenus, distillant dans les esprits des membres du conseil de classe quelque élixir de Papaver Somniferum !

Juin se traîna six mois. Dans la cour surchauffée Achille jouait « aux noyaux » et gagnait des fortunes. Des noyaux d’abricots longuement sucés pour bien les nettoyer et les rendre lisses et doux. Chacun avait un sac de coton, plus ou moins rempli de ces doublons d’or brun dont la valeur croissait avec la taille. Un très gros valait deux gros, cinq moyens et dix petits. Plus on jouait gros plus on risquait de voir s’envoler ces trésors rares. Admis en cinquième à la surprise générale, Achille ne craignait plus rien et croyait en son étoile, les anges étaient sa cuirasse. Alors il défiait les cadors du noyau, au très gros ! Le jeu était aussi simple que stupide, il s’agissait de jeter à trois mètres de distance un noyau (un très gros bien sûr) contre une façade de façon à ce qu’il retombe le plus près possible du pied du mur. Puis à chacun leur tour de lancer adroitement des noyaux (petits bien sûr) le plus près possible du gros, sans jamais toucher la paroi. Après les dix coups autorisés le vainqueur empochait le tout. Achille gagna des brouettées de vanité, des tombereaux de chimères et devint l’imbattable, la coqueluche de la cour. C’est ainsi qu’il comprit que le superficiel, le guignol, l’avidité guidaient le monde et que les courtisans, d’époques en âges, traversaient l’histoire, même la petite. Le dernier jour, grand coeur moqueur il distribua les noyaux provoquant une indescriptible cohue de moineaux autour de lui. Il les lançait par poignées, de plus en plus loin, histoire de faire cavaler les mômes.

Le soir,

Dans la chaleur de son lit

Il eut honte

En secret,

Et se promit,

Que plus jamais …

Le dernier jour de juin, dans la chaleur du soir, la mère et les enfants grignotaient du bout des dents leur repas, quand la porte s’ouvrit. Le père au teint hâlé entra. Tout le monde chiala. Et ces torrents d’eau grasse et tiède semblèrent à Achille plus précieux que tous les noyaux galactiques.

Une semaine plus tard

Toute la smala,

Sans armes

Mais avec maigres bagages,

Embarqua à Marseille,

Sur le Massilia !

Les Anges, avec humour

Encore … ?

Achille le sénile rit de bon coeur dans le velours noir de cette nouvelle nuit de solitude habitée. C’est un petit oeuf de malachite depuis longtemps posé avec d’autre babioles sur un coin de son bureau qui l’a emmené si loin, au temps des noyaux d’abricot. Étrangement,,car au premier regard un oeuf vert, par sa forme et sa couleur n’évoque pas le noyau. Mais c’est ainsi par des chemins irraisonnés que la peau de la vie parfois se retourne ou que la porte du grenier empoussiéré s’entrouvre à la lumière du présent. Le Graal fidèle est là rempli au tiers. Il ne s’agit pas de boire la nuit mais de célébrer la lumière. De remercier de le visiter ainsi sans crier gare, régulièrement, d’accepter ce qui vient au bout de ses doigts, que lui donne l’indicible dont il n’est que le scribe maladroit et besogneux. Alors sous le cône de lumière de la lampe, il regarde le vin. De celui-ci la robe est impénétrable comme le plus obscur des boyaux perdu dans le profond des grottes inviolées. À bien pencher le verre, au plus mince, une frange violette tremble sur le bord du disque. C’est « Héméra » 2006, du Domaine des Grécaux né des terres languedociennes de Montpeyroux qu’il respire à plein nez maintenant. Les fruits sont encore là, cassis frais et mûres sous lesquels pointent des arômes de truffe, d’olive, de café, de cacao, d’épices et de cuir. Syrah-Grenache (80/20%) fondus, entremêlés à ne plus pouvoir dire. Boire « Héméra, la substance du jour », en pleine nuit, c’est fêter la mise en lumière des souvenirs enfouis. Sens ou coïncidence ? Cela fait sourire Achille, il porte le calice à sa bouche profane que la matière dense et complexe du vin inonde généreusement. Corps et rondeur, fruits noirs et fraîcheur unis, font au palais une jolie farandole qui franchit prestement la luette. « C’est bon que restent longuement en bouche tannins délicats, polis et mûrs, frais et digestes, épices douces, et salinité délicate. Doit y avoir du calcaire sous les ceps … », se dit Achille qui cherche en vain l’amertume du noyau !

Sur le pont du bateau qui fait route plein sud,

L’enfant qu’il fut,

Respire déjà à pleins poumons,

Les embruns salés et frais,

Des inconnus,

À venir …

EMERMOSATILÉECONE.

KYRIE-ELEISONNONS LAURE DOZON…

Le Chapeau Rose. Kees Van Dongen.

C’est dimanche…

Azur tous azimuts, ors fanés et verts mourants dans les branches qu’aucune brise n’agite. Rues vides et fourchettes en bataille derrière les portes closes des villes au repos. La Charente est blanche des façades calcaires de ses maisons anciennes, que la lumière renforce. Sortir, au hasard des chemins et des routes, sentir sous la semelle craquer les feuilles mortes des souvenirs pas si clairs, voler au temps quelques fragments de beauté, en ce jour de silence ?

S’arracher au clavier qui soumet, aux pixels hypnotisants des mots gris sur l’écran blanc de ce jour muet, raconter à qui ne lira pas quelque histoire étrange, décoller du fauteuil des flemmes confortables ? Clovis s’interroge, suppute, se ment, se dit “à quoi bon”, se sent lourd de tous ses âges en strates compacifiées. Mais rien “ne lui vient”, et ses mains inertes n’alignent pas les mots. Un jour sans lumière intérieure qui pèse les tonnes de ses espoirs déçus, de ses échecs, un jour à faire un de ces bilans à la con qui ne servent à rien, sinon à tuer le chat de la voisine, comme ça, pour échapper à la pression.

Un jour blanc sépulcre.

Bouger, rouler, laisser la vie mener le chemin vers l’heure qui vient. Entre les vignes ocres que les machines à vendanger ont meurtries trop tôt, et les feuilles vert bronze, rouge ou or fondu de celles, délestées de leurs grappes par les mains des hommes, Clovis zigzague, à demi comateux, d’un carrefour à l’autre entre les paysages changeants des terres Charentaises. La traversée d’un village le ralentit, une flèche de carton mal taillée signale une “Foire aux vins et aux produits régionaux”. Sans réfléchir – évitez de trop réfléchir, ça brise les miroirs magiques des hasards apparents – il vire et se gare. La salle des fêtes de Pérignac est minuscule. Une foire de poupée, une poignée d’exposants attend le rare chaland … ça déambule paisible, ça sent la digestion lente des graisses du midi. Quelques vignerons, vraiment peu. Nichés de-ci de-là, entre terrines et macramés améliorés, qui somnolent. “Montlouisl’attire, il s’en va sortir de sa torpeur, l’un des “Moyerdu Domaine éponyme, qu’il entreprend derechef. Causette et dégustation. Un bon générique 2010 pur cuve, agrumes, anis et finale fraîche, que suit “Edmond” passé sous bois, plus ambitieux, mais encore en retrait, dissocié par une mise récente … Clovis est fureteur de nature, plutôt curieux, amis des regards et chasseur de hasards, intuitif, un peu aventureux. Il aime à être là et ailleurs en même temps, souriant et distrait, attentif et rêveur. Tout en devisant et tastant civilement, il se sent une chaleur sur la nuque, qui glisse et s’étend, comme le picotement léger d’un regard, derrière lui.

Depuis le matin, il ne comprend pas pourquoi, le visage d’une femme, un portrait de Van Dongen, l’obsède, le taraude, lui mange le cortex, plus forte que le réel et le temps présent ! Elle est là, belle, épanouie, avec ses yeux immenses, sombres et profonds, les cheveux drus bouclés sous un chapeau rose, qui lui recouvre la conscience d’un sourire encore à naître …  Se pourrait-il ? Qu’elle s’évade du musée, vire et volte dans l’espace et le temps, pour se glisser, subreptice, là, juste là, tout près, à lui planter les yeux dans la nuque ? Clovis la sent, elle est là qui s’est glissée dans un corps feminin, en douceur, tout en respect, en complicité de femmes, à l’insu de son hôte.

Clovis se dit qu’il lui va bien falloir oser se retourner. Il tremble à l’intérieur, comme un cep secoué, à chaque fois, quand il fait étrange rencontre, et touche aux mystères des mondes subtils ignorés. Oui, elle est là qui lui sourit de ses deux grandes olives havane, beau visage, à l’oval arrondi ce qu’il faut, franche de corps, belle nature bien plantée, regard droit et jolies dents saines, sous un casque blond vénitien en cascade d’ondulations douces. C’est Laure, du Domaine Dozon, en pays de Ligré, qui plisse un peu des yeux autour de la lumière noisette et bronze de son regard. Comme un Van Dongen ressuscité, habité d’une vivante grâce nouvelle. Accoudé au comptoir du stand, ils parlent des vins de Chinon, ce pays de chair et de raisin qu’il a bien connu, tendu qu’il était, cuisses lourdes, arpentant les arpents à longueur de rangs, reins cambrés sous la charge, tous ces Octobre vendangeux des années Deux mille

Mots échangés, silences partagés. Dialogue silencieux aussi, hors du monde, qui échappe à la conscience. Déversements muets d’ondes rayonnantes, retrouvailles en sous main. Un temps de rare qualité qui prend le temps de couler, lumineux, souriant, charnu, comme un élixir sur argilo-calcaire… qui s’étire comme la finale d’un vin de soie. Les belles rencontres sont à géométrie variable, qu’illuminent les silences riches de tous les possibles, les accords silencieux, plus nourrissants qu’ortolans dorés et langues de rossignols confites. Derrière l’écran des phrases du vin, se jouent, en parallèle, au secret, les tendresses d’autres espaces. Clovis est double, et son autre, invisible, s’en régale tout autant, que son “soi” présent, des vins de Laure. Regardez bien les yeux des femmes, cette lumière particulière qui fait leur sexe, elles ne savent pas, mais sentent bien que tout se joue en contrepoint des ronds de jambes … Pour celles qui ne sont que surfaces, vitrines sans tains, passez votre chemin.

Clovis s’ébroue, quitte la compagnie de Van Dongen, pour se concentrer sur le réel et les vins de Laure. Si vous aimez la salade de poivrons verts, passez aussi votre chemin ! Et les vins de se mettre à rouler leurs robes moirées, et son regard de se perdre dans leurs plis. Tous choanes exorbités, il plonge et s’enivre des fragrances, arômes et autres touches qui lui ravissent la sensorialité. Il se sent l’épithélium exalté, et les lacrymales chatouillées. Sous l’empire de ses sens en alerte, il descend au profond des fruits rouges, croque la groseille, renifle la fraise, mord à pleines dents la framboise humide, sent la réglisse lui agacer la langue, et les épices douces lui rouler au palais les merveilles du vin … Regard, odorat, goût se confondent, se renforcent, se succèdent, qui lui ouvrent les yeux sur d’autres galaxies encore. Exacerbation.

Le regard muet de Laure l’accompagne …

Plus avant, plus après, au calme de son bureau, il regoûte :

Le Bois Joubert 2009 : Coteaux argilo-calcaires, Cabernet Franc de plus de 40 ans d’âge. Grenat clair et brillant. Notes à la gloire des fruits rouges, groseille, fraise des bois, minérales, épices, réglisse. Bouche, matière genre “mine de rien”, acidulée, vibrante, attaque douce mais très vite relayée par une acidité mûre qui fait éclater le vin en bouche et lui donne du volume, libérant fruits rouges et poignée d’épices. Finale longue, fraîche sur la réglisse, et la craie de petits tannins fins et croquants. Un bon carafage lui donne un beau supplément d’expression.

Laure et le Loup 2007 : Coteaux argilo-siliceux, Cabernet Franc de plus de 70 ans d’âge. Ce vin est issu d’une “parcelle de parcelle” sélectionnéee dans “Le Clos du Saut du Louppour l’âge et la qualité de ses vieux ceps. Habits de rubis grenat lumineux qui exhalent des fragrances de groseille, de framboise et de cassis bien mûrs enrobés dans un manteau fin d’épices douces et de poivre frais. Le jus caresse la bouche de sa matière qui fait sa délicate, pour mieux enfler au palais, libérant, prenant son temps, ses fruits frais que corsent les épices. Avalé, il ne se dérobe pas, et marque la bouche de sa fraîcheur pimentée, comme le fait au coeur, à jamais, la romance d’un amour disparu …

“Il se fait tard” …

Phrase idiote quand le silence se fait, quand la nuit libère le regard, quand les sens se resserrent, quand la moindre aspérité, même tendre – et surtout – hérisse la peau, griffe les sens. La nuit est temps aggravé. Le souvenir récent du visage de Laure remonte à son regard et se mèle au portrait de Van Dongen, sur le jais de la nuit.

Et les vins lui reparlent d’elle…

EBIMOLOTIQUÉECONE.

AU FOND DE LA COMBE, LA VERITE EST DANS LE VIN …

Georges de La Tour.  Le tricheur à l’as de carreau.

En 2005, il a délaissé les rives douillettes de la critique pour apprivoiser le jus de ses lambrusques qui croissent dans les vents et la douleur, quelque part, perdues dans les Combes du Col de la Dona. Au pied de Força Réal, ce petit col, aux terres schisteuses, fait lien entre la vallée de l’Agly et celle de la Têt.

C’est ainsi, ou presque, qu’est né le « Domaine de la Combe Majou », bravant banques et marées. « Majou », que je poserais bien sur la grande courbe fine de ta combe … La Combe sèche n’est pas généreuse, qui donne, bon an mal an, quelques 10 à 15 Ho/Ha ! Allez, 25 peut-être les années très pluvieuses ! Dix hectares en une quinzaine de parcelles éparses, vieilles vignes de coteaux schisteux, sises principalement sur Estagel et Tautavel, et sur l’aire d’appellation Maury (St-Paul-de-Fenouillet), d’autre part. Rien de certifié encore, ni Bio, mais bientôt (?), ni biodyn, le maître du Domaine, qui ne manque pas de bon sens, ce qui lui évite de jouer au philosophe qui sait, regarde et aime sa nature, qu’il s’efforce de respecter au mieux. Simple « bon sens », mais l’expression, démodée paraît-il, convient d’être évitée… Disons pour clore qu’il est, le plus possible, avare de « traitements ». Et vent frais sur les cimes très fréquentées, monsieur Luc Charlier est d’une nature – forte dit-on – à ne pas se dire « Nature », non plus.

Commençons donc le voyage à Corneilla de la Rivière, en Pyrénées Orientales, par la visite de L’église 2008 : Encapsulée comme moine en prière. Assemblage de syrah, carignan, grenache. La robe violette est profonde, lumineuse et pure. Le regard s’y noie comme dans un lac souterrain. La violette, fugace, pointe sa fleur sous le bout de mon nez. Pureté parfaite et salivante des arômes de cassis, de réglisse, et d’épices douces. Un nez précis qui donne soif ! Une petite note fumée enrobe élégamment les fruits. Puis de jolis tannins, finement marqués, relèvent et retendent le vin. Un beau volume remplit onctueusement la bouche, qui acquiesce, tout est rond dans cette purée de fruits rouges bien mûrs. La finale réglissée/fumée, fraîche et saline, s’allonge sensuellement. Après l’avalée elle persiste, gourmande, sur le bonbon à la violette. Un vin joyeux, « nature », au bon sens du terme.

Le lendemain le vin s’est épanoui, comme Maja desnuda au divan. Et la bouche, qui se donne pleinement, est d’une fraîcheur fruitée qui recouvre le palais d’une fine poudre de tannins mûrs …

Ne buvez pas ce vin avec vos ennemis, ils pourraient se mettre à vous aimer !

Quelques jours ont passé, les barbus pointent déjà le bout de leur djellabas Outre-Méditerranée … Frissons. Confisqueront t-ils aussi vite cet élan qui a conduit ce peuple doux que j’aime ? L’aube de la Démocratie basculant à la nuit des obscurantismes, aussi vite ? Dieu … ! Mais que viennent donc faire ces considérations étranges entre les vignes de Coume Majou, me direz vous ? C’est que le vin vivant pousse à regarder la vie alentour, mes bons ! Et que le soufre n’est pas que dans les jus !

Manquerait plus que le vin rende sourd et aveugle…

Dans la famille Coume, je demande « Majou », qui aime tant à reposer au creux de ta hanche… Et oui encore, cette hanche ronde qui roule entre les tourments des vies de peu. Elle est mon fil rouge, ma plage de sable fin au soleil de toutes les tendresses, ma pente des désirs doux, mon havre de soie vivante… Merci Monsieur Charlier, sinon de vos vins, encore, du moins de ce mot magique qui parle de la Combe, calice de schistes et de peau fragile, en Amour Majeur. Cultivons – en ce temps de faillite des hommes dits puissants, face aux officines grises autoproclamées qui mettent à genoux les Nations – le goût des essentiels. Que les jupes légères qui faseillent dans le vent et les robes profondes des vins de caractère, nous consolent des vanités et des avidités triomphantes.

Encapuchonnée elle aussi, comme secret de Cénobite. Nostalgie de la lame fine qui perce le liège ductile … du bruit sonore de la délivrance qui rend l’air au vin. Habitudes qui nous perdent, au pays des certitudes ! « 2006 » a vu naître cette cuvée étendard du Domaine, tandis qu’elle se dévisse en douceur, dans un petit bruit aigu, crissant et métallique. Dans le verre aux formes accueillantes, large sur son pied élancé, le vin exhibe son grenat que la lumière traverse. Au cœur, comme sur les bords de la combe de cristal fin, se mêlent l’orangé naissant et le vieux rose.

Le nez prend le relai de l’œil. Y montent des fragrances de grenache très mûr, la garrigue et ses épices, la cerise confite à l’eau de vie, qu’adoucit une belle prune juteuse (Y’a d’la prune mais pas que ;-)), puis une pure purée purpurine de fruits rouges, puis s’immiscent cacao et réglisse…

Le corps juteux est matière charnue et fondante. Qui fait sa boule de fruits pour éclater ensuite sous la poussée des épices qu’enveloppe une fraîcheur récurrente, qui relance le vin. La réglisse, qu’exhausse le cuir fumé, allonge la finale qui, après l’avalée, illumine mes cellules qui font joyeuse troisième mi-temps…

Fanfare annoncée, de tous côtés, quand le temps vient de pousser la porte du Casot 2006, la grande cuvée du Domaine. Même caparaçon de métal qui couine en se dévissant, le vin dit « oui » en disant « non », comme une fausse ingénue mutine. C’est d’un assemblage de grenache de Maury, vendangé très mur et de très vieux carignan (1922!) d’Estagel, qui roule ses hanches larges sur les flancs accueillants du cristal. La robe, ou plutôt la peau nue de la prude, laisse au verre les filets gras de ses pièges innocemment tendus. Elle est belle sous son grenat brillant, qu’aucune trace d’âge n’affecte encore. Dense sans être obscure, la lumière la pénètre et renforce sa brillance.

Montent ensuite de ce calice que je vais boire jusqu’à la lie, des notes pures et précises de fruits rouges, qui font nez gourmand et appétant. Les épices douces, le poivre frais, le café et la réglisse zan, s’y marient harmonieusement. Un vin de pure cuve qu’habitent pourtant les premières notes des sous bois d’automne. De la cerise noire, du cassis et de la mûre écrasés, enfin. Une idée de chocolat noir me vient, qu’il me plairait de marier à ce jus puissant…

Mais c’est bouche vierge que je le prends ! Dès l’attaque, épices et fraîcheur sonnent. La matière, prépotente et très mûre pourtant, est fringante, et roule en bouche comme un yearling fougueux. Encore jeune, le vin récite ses rouges du jardin printanier et ses épices. Mais la fraîcheur perce les fruits, amenant avec elle, poivre et café, elle étire le jus jusqu’à la finale que l’avalée n’éteint pas. Seul un tapis de tannins croquants et crayeux, me dit qu’un vin est passé… Le sel fin qui a touché mes lèvres me parle de calcaire (?)… Allez, je n’y tiens plus, la dernière gorgée est pour le chocolat noir que je viens de mettre en bouche. Et je ne le regrette pas !

En ce jour de ciel bas qui voit l’heure basculer et nous mettre en hiver, ces vins me disent que passent les palombes, après que les champignons ont percé les feuilles, que désormais je ne ramasserai plus à la pelle…

EPOIMOTIVRÉECONE.

A LA RECHERCHE DE CARLINA PERDUE * …

 

Roland, qui fut à Ronceveaux, est de nos jours à Garros. Les gladiateurs affamés aux tridents aigus sont devenus muscles d’ors longs enserrés de tissus luxueux, qui se renvoient la balle en criant rauque, comme des hardeurs milliardaires. Vu d’en haut, les premiers rangs autour de l’arène sont constellés de panamas blancs, qui se veulent signes d’élégance aisée. A voir les boursouflés et les chirurgiquées qui les portent, comme les signes ostentatoires de leur importance sur l’échelle qui n’est pas de Jacob, je me félicite de n’en point être empanaché… Plus haut sur les gradins du moderne amphithéâtre, les têtes couronnées de paille se font plus rares, et s’agglutinent les casquettes à la gloire des bulles salées. Tout en haut, elles deviennent jaunes et sentent l’anis qui n’est pas étoilé.

Brutal retour…

Ces jours derniers passés intra-muros, à l’abri des hordes de gnous colorés, arpenteurs multiples des artères pulsantes du sang abondant des marchands du temple, qui prospèrent comme pucerons sur tomates au jardin, le long des cheminements lents et sans cesse recommencés des foules grégaires. En Saint Jean des Monts, j’étais encore, il y a peu, dans l’arrière cour duCHAI CARLINA en compagnie sensible des buveurs de tout, amis du REVEVIN qu’orchestre chaque année Philippe Chevalier de la Pipette, hardi Chouan, ami des vins… et des cidres parfois. Barbe broussailleuse d’ex futur Pirate, le Chevalier souriant, placide comme un Saint Nectaire affiné, accueille les impétrants hallucinés. Plus de deux cent vins couleront au long des gosiers pentus, recrachés ou bus, selon les heures sans heurts de l’horloge des passionnés.

Le minutieux que je ne suis pas, déclinerait par le détail les noms et commentaires scrupuleux de toutes les décapsulées du Week-end. Studieux par moment, appliqué mais grognon le plus souvent, j’ai infligé à mon palais fragile, la caresse parfois, et l’agression par moment, de jus délicieux et/ou surprenants. Sessions dédiées aux blancs de Pessac-Léognan, aux Baux blancs et rouges, aux Grenaches de Provence, Rhône et Roussillon, entrecoupées de repas fraternels à la gloire du Bordelais comme de la Provence, ont rythmé jours torrides et longues soirées tièdes.

Dans mon coin, gencives en feu, j’ai attendu en vins, Carlina

Où était-elle, cette bougresse au nom de garrigue douce dont le nom brasillait au fronton du Chai, la nuit tombée, tandis qu’au sortir des tardives soirées arrosées, je rampais vers l’hôtel ? Étrangement, chaque nuit, toutes libations terminées, j’entendais, en sortant titubant, les cris douloureux des grands Chouans disparus, qui sourdaient, gémissants, sous les bitumes. Quelque ancien charnier royal sous les goudrons lourds de la modernité, sans doute ? Je levais la tête vers les étoiles, à chaque fois, implorant le ciel, effrayé que j’étais, et lisais au front du caviste : « Chez Carlina » ! J’avais beau me battre la coulpe à grandes brassées d’orties biodynamiques, m’infliger des abrasions siliceuses comme un hézychaste Grec, me limer les dents et me râper le frontal contre les murs, me traiter de bouse de vache en corne, rien n’y faisait. Toujours et encore, fulgurait : « Chez Carlina » au travers des luminescences à teintes variables, vestiges des jus du jour, entassés comme dans la soléra vivante que j’étais devenu à cette heure sans plus d’aiguilles à ma montre ! J’avais beau, genou à terre, invoquer l’âme glorieuse de François Athanase de CHARRETTE de la CONTRIE qui chourinait sous le goudron, rien n’y fit jamais. Pourtant et sans que je parvienne à résoudre l’énigme, les petits matins après ces nuits glauques, la chapelle des vins de Philronlepatrippe arborait à son fronton : « Chai Carlina »… Va comprendre Alexandre !

Mais foin de divagations !

Revenons à la bonne vieille chronologie, chère au cerveau gauche, et hors laquelle tout le monde se perd en méfiances. A peine descendu du cheval à soupapes qui m’avait confortablement convoyé jusqu’en ce lieu de toutes les chouanneries à venir, confortablement lové au creux d’un pullman spacieux, tout à côté des flancs généreux de la très Odalisque Sœur des Complies, accorte compagne du mien ami le très cacochyme officiant Cardinal de Sériot des Astéries, j’étais l’œil mi-clos, la mine attentive et la conscience en mode inter-mondes, à visionner déjà le très encensé film de Guillaume Bodin , « La Clef des Terroirs ». Que je trouvais donc fameux ! Belles images, belle lumière, belles caves, belles grappes, bon dialogue, bon pédago. Tout bien quoi. D’autant que lumière revenue, les spectateurs enthousiastes ne manquèrent pas de poser moultes très passionnantes et réitérantes questions, dont j’attendais patiemment la fin, tandis que mon estomac convulsé touchait depuis un moment le fond de mes chaussettes suantes. C’est qu’il faisait une chaleur à écœurer Vulcain, tant à Saint Jean qu’au ciné éponyme !

Back au Chai après une petite promenade de retour, sous la guidance du bon Cardinal qui semble avoir un GPS greffé au goupillon. Après avoir tenté de goûter un peu aux superbes cuvées de Thierry Michon, Saint Nicolas des Fiefs, sans trop de succès, tant la foule d’après film était dense et soiffeuse, je renonçai. Me faut avouer que me frayer un chemin entre les sueurs acides, les parfums capiteux et les nombrils agressifs, me fit très vite rebrousser chemin, me vengeant lâchement au passage sur quelques arpions épanouis dans leurs sandalettes aérées. Soupirs. Regrets. Souper tardif avec la meute. Libations contrôlées. Sortie du Chai. Tard, après qu’il soit clôt. Première manifestation occulte de Carlina, l’invisible mutine.

Perplexe, je m’endormis sans elle.

C’est alors, en ce lendemain de cet étrange nuit, que commence la farandole des bouteilles sous chaussettes multicolores. De bon matin vingt blancs de Pessac-Léognan, obscurs et/ou Crus classés, dont quelques pirates. Entendu dire alentour que les vins se goûtaient mal ? Jour racine ? Jour merdique ? Jour gencive sans aucun doute ! Ça frétille sous les caries, c’est la Saint Stéradent. J’outre, certes, mais quand même. De la brassée, émergent Smith Haut Lafite, Carbonnieux, Respide « Callypige » (encensé par le Cardinal, of course…) et Turcaud « Barrique », pirate de l’Entre-deux mers. Ni pâmoison ni holà, néanmoins. En soirée, ce sera diner Bordelais arrosé de bouteilles mystères échangées entre convives. Vannes, blagues, points de vue, controverses feutrées, goûts et couleurs, volent en coups droits et revers pas toujours liftés. « Nature » et « Tradition » n’empêchent, ni luxe, ni volupté gustative. Les « convives cohabitent », verbe et substantif à faire de beaux enfants aux regards profonds et/ou luminescents. Jus aboutis, avortés, entre deux états parfois, passent de bouche en gosier ou crachoir, c’est selon. Pour le classique à géométrie variable que je suis, les jus, souvent objet viniques non identifiables, fluorescents à ravir E.T, étonnent, surprennent, apprivoisent ou repoussent.

Auparavant, après une flânerie errante au long du rivage Montois, en fin d’après midi de ce même lendemain, Antoine Sanzay de Varrains et ses Saumurs, dont certains de Champigny, s’offrent à l’aréopage curieux. A ma gauche, l’aimable Hélène, moitié de Sanzay, me tient proche compagnie et semble partager partie de mes élans. Nous tastons de conserve ces vins qui n’en sont pas, Dieu soit loué ! Le chenin 2009 « Les Salles Martin » mûr, frais, aussi croquant qu’Hélène est craquante, désaltérant et finement salin, ouvre bellement et proprement la ronde. J’en avale une gorgée, subrepticement et ne le regrette pas ! Le Champigny rouge « Domaine » 2009 qui fleure bon framboise et cassis, aux petits tanins fins et crayeux, suit le même chemin pentu. Enfin « Les Poyeux » 2009, Champigny itou, au fruit aussi précis qu’élégant, clôt le bal en beauté. Ce vin, à la matière conséquente, épicée, équilibrée, étire longuement ses tanins soyeux et réglissés sur mes papilles frémissantes. Du tout bon, à mon goût, chez l’Antoine !

Au matin radieux d’encore après, les rais d’or brûlant qui percent les persiennes piquent mes paupières, lourdes des ravissements de la veille. Dans l’ombre tiède de la chambre, je m’extirpe d’un cauchemar glauque. Je laisse les cow-boys à leur génocide, et range mon colt, fumant de tous les meurtres sanglants qui me tapissent le palais de leur goût métallique. A moins que les fluorescéines de la veille, pruneaux et groseilles prégnants engorgeurs de foie, continuent insidieusement à me gonfler la rate…

Ce jour, c’est le Domaine de Trévallon, Étoile des Alpilles unanimement reconnue. Présenté par Eloi Dürrbach himself ! Monsieur Eloi est un homme rare, peu disert de prime abord, mais que la chaleur des êtres, les mets et les rires, ne mettront pas longtemps à détendre. Le hasard des chaises tournantes me place à sa droite tandis qu’Olifette la rieuse, Jurassienne au regard clair comme les huîtres lumineuses lavées par les eaux limpides de la pleine mer, finit de m’encadrer… Douze millésimes, trois blancs sublimes dont un 2000 aux parfums de truffe blanche, de pêche et de tisane, qui prend place derechef au cœur secret de mon Panthéon vinique. En rouge, 2007 est fait pour le long cours; fleurs blanches, amande, fumets de garrigue, fruits rouges, olive noire, and so on, jouent à s’entremêler harmonieusement… Enchantement olfactif, équilibre et précision des arômes. Un bouquet odorant, littéralement. La bouche n’est pas en reste (beau nez et belle bouche font grand vin!); c’est une boule juteuse et joueuse, à la matière conséquente, qui donne à l’avaloir sa chair tendre et musclée à la fois, pour offrir à mes sens consentants, de premières notes fruitées anoblies par de beaux amers. Le vin roule comme un jeune chiot ! Puis la soyeuse trame de tanins finement crayeux traversée d’épices ensoleillées, retend l’animal qui repart de plus belle, rechignant, si frais, à se calmer à la finale. A fermer les yeux en paradis. Sur mes lèvres orphelines, la trace d’une larme salée. Les huits autres millésimes (1995, 2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2008) chantent, chacun sur leur note, le grand air de ce terroir du « nord du sud ». Plongé dans les calices successifs, je surveille de l’œil gauche Eloi (je me permets, il est d’accord) qui refait la tournée de ses enfantelets. Qu’ils soient les siens ou qu’il découvre d’autres vins, l’homme est aussi rapide qu’efficace et ne se perd pas en arabesques. Une inspiration furtive, une gorgée vitement roulée en bouche qui finit discrètement au crachoir. Quatre mots plus tard, l’affaire est faite. Quand le vin lui plait vraiment, il ouvre l’œil grand, brièvement. Cet homme parle peu, mais ses mots pèsent le poids de l’expérience et de la lucidité…

Rares sont les vins qui vous arrêtent. Le voyage qui suit, à la recherche de beaux Baux plus que vins de bobos, l’atteste. Plus en chasse que braques en garrigue, la meute est à la traque, truffes frémissantes, espérant au détour d’une chaussette anonyme, lever un faisan racé aux plumes chatoyantes, à la chair tendre, onctueuse et fondante, aux parfums de fleurs printanières et de fruits mûrs et frais. Mais la battue fut moyenne, seules quelques perdrix d’élevage agacèrent un peu nos sens aiguisés. Nous en tastâmes cinq cents et revîmes au port pauvrement récompensés de quelques cols verts maigrelets. Il est vrai qu’après les diamants purs de Trévallon, les cartouches étaient mouillées…

Fourbus mais opiniâtres, nous finîmes le marathon sur les rotules, attaquant toutes papilles bandées, la côte des Ganaches. De Grands Crus assurément ! Madagascar, Venezuela, Colombie… croquants, floraux, longs et subtils, à faire des bassesses en d’autres circonstances. Six vins de Grenache à marier à ces élixirs de cabosses ! Il me faut humblement avouer qu’en ce début de soirée, mettant genoux à terre et papilles en berne, je fus incapable d’y trouver noces royales. Le sextuor liquide me laissa palais de marbre et naseaux flasques. D’aucuns, plus aguerris, dirent de belles choses. Quelques damoiselles, proches de l’extase, délirèrent un peu…

Une semaine après la bataille, l’esprit un peu plus clair et les nerfs apaisés, je me dis que l’assaut aurait peut-être gagné à être plus court, que les vins des Baux eussent plus empoché à mener l’attaque en premier, que Trévallon, en second, serait resté premier, et que Grenaches et Ganaches méritaient de faire noces à part. Critique facile certes, pour qui ne s’est pas échiné à la tâche. Mea culpa, amis organisateurs!

Au repas du soir de ce samedi, requinqués par quelques bières apéritives (belle « Poiré » locale, fraîche et nourrissante, « Rodenbach », Belge charnue à la cerise aigrelette… ), la Provence est reine. Les convives restés vifs se lèvent à leur tour, filent à la cave et remontent sous chaussette propre, de rigueur en pays Chouan, leurs flacons de communion. Car REVEVIN est fête de partages, partage de fête aussi, d’échanges de vins, de mots, de rires, de discussions à la Française… animées parfois, têtues souvent. Rien à voir avec les empoignades virtuelles de peu d’humanité. Ici les corps se font face, les fluides subtils qui nous échappent (car nos sens, aussi grossiers que cartésiens, n’entendent que les mots, lourds comme des boulets fumants), régulent, nuancent et relativisent nos désaccords futiles. La distance ignorante décuple les peurs, la proximité rassure, l’autre est miroir de nos errances. Ce soir, en cette maison, nous frôlerons la tolérance !

Au sortir des lumières amicales, jentre dans ma dernière nuit maritime. Esprit clair et sens affûtés, je traverse la rue déserte sans me retourner. Immobile, longtemps je reste. Me fondre dans l’espace, me fluidifier, m’incorporer au monde, je veux. Faire un et disparaître aux regards de chair, pour ne pas l’effaroucher, je tente. Me retourner d’un bloc, me retrouver face à Carlina frêle qui danse comme une fée, j’espère… Mais je m’endors déjà.

Quelques vins de rêves pour beaucoup de vins rêvés…

Le dernier matin sera dimanche, et les Bablut de Christophe Daviau feront « Aubance » à ceux que le retour n’appelle pas encore. Las, je n’en serai point. Rentrer il me faut. Sur le réglisse noir de la route, je me glisse, comme une bulle humide sur l’herbe des champs mouillés. L’air chante sur les courbes rondes de mon cheval de fer. Mon esprit vagabonde. Le caoutchouc chuinte sous la pluie drue. Carlina, secrète est restée. Mais elle continue de vivre en moi les rêves de vins qui me portent encore.

Tandis que je mets le point final à mon ouvrage, je l’entends qui rit des perles de nectar frais…

* Hors les domaines cités, tout est fiction et délires imaginaires débridés…

EVIMOBRANTITECONE.

 

DANS LA BRUME VERTE DE SES YEUX NOISETTE …

L’absence.

«Il fait nuit sur la ville et sur elle»,

Se dit-il à longueur de jour, et à langueur de nuit…

La fée électrique a quitté son réseau et parasité le sien… Monophasé, biphasé, triphasé, déphasé. Qui brûle, qui détruit, qui éclaire, qui annule la nuit ou l’y envoie pour le reste des temps ternes qui lui restent. Ça passe ou ça casse. Lumière aveuglante des nuits de l’absence obligée. Blues bleu, écailles mordorées, cuivres brunis des saxos rutilants dans le halo d’un cœur sous insuportable tension. Solitude brute dans la foule en transe. Éclairs brûlants, morsures intenses, chair rôties des suppliciés d’Alcatraz. Sous la lumière diffuse d’une ampoule de peu, l’enfant d’antan s’accroche au sein de l’amour absente. Soleils sidérants des artifices. Flammes glaciales des sourires de façade. Regards jaunes des renards alcooliques aux dents aigües. Éblouissements factices des fêtes tristes. Feulements sibilants des fêlures en do mineur cachées sous les ressouvenances labiles. Arcs orageux, plus secs que tous les os calcinés des crématoires. Odeurs putrides des corps ardents de Calcutta. L’ombre efflanquée de Bashung plane sur les charniers au croisement des déserts surpeuplés. Comme une orange aveuglante, la Terre, ce soir, est blues électrique, ondoyante, flamboyante comme mille étincelles sous l’arc céleste. Sous son crâne, les fils rouges, bleus et blancs s’entremêlent comme des lombrics extasiés, et sans grâce, il disjoncte. Il entend les cliquetis secs de ses synapses qui fondent, le froissement poisseux de son cortex en surchauffe, les crissements soyeux de ses nerfs en pelotes douloureuses, les grésillements indignés de sa raison dépassée.

Dans le fin fond de ses entrailles, son âme en pagaille, tressaille…

«Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;

La rêverie avec le doigt contre la tempe

Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;

L’heure du thé fumant et des livres fermés ;

La douceur de sentir la fin de la soirée ;

La fatigue charmante et l’attente adorée ;

De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,

Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit

Sans relâche, à travers toutes remises vaines,

Impatient mes mois, furieux des semaines !»

Paul Verlaine. «Le foyer, la lueur étroite de la lampe».

Manger le temps à pleines dents pour qu’il ne soit plus. Boire à longues gorgées goulues pour n’avoir plus soif. Dévorer pour ne plus avoir à se ronger les sangs. Tuer tout ce qui passe pour ne plus avoir à vivre. Détester pour oublier d’aimer.

Artaban peine à se convaincre que «le petit chat est mort» et bien mort. Même carrément décomposé. Depuis le temps… Il a beau lui souffler dans la tête à longueur de longueur, le minou ne bouge plus. Il est loin là-bas qui frétille dans une autre lumière. Mais rien n’y fait. Il a tout essayé.

La camomille.camille,

les bonbons.bb,

lescarottesrâpées.fessesroses,

leFengShui.jp,

lesvinsnaturels.bobo,

lesanxiolytiques.came,

les somnifères.dodo,

leswinesdeswineries.bx,

lesvinsd’auteurs.snob,

boitesdenuitsglauques.bit,

lesproduitsillicites.dope,

lesescortgirlshorsdeprix.kiki,

mythique.com,

t’esdanslamerde.fr,

acouillesrabattues.ch,

masoeurmonange.ciel,

bourretoilagueule.be,

connard.org.

Tout, absolument tout ! Rien n’y a fait.

Artaban geint en silence, dans le secret muet de sa conscience qui clignote. Derrière sa gueule en coin qui intimide même les putes, ça tourne en rond. Il n’en sort pas de cette absence qui lui a vidé le cœur et pourrit le sang. Ce sang rouge, qui aimait tant à vivre, à pulser, à faire son palsambleu, son très froid aussi et qui, depuis lors, n’arrête pas de le lâcher, de fuir, de couler, d’inonder ses draps et ses mouchoirs. Putain de vérole de moine borgne ! Crever comme ça, en se vidant, comme une sale chiasse rouge, comme une malédiction incontrôlable ? Artaban ne veut pas. Il a beau renâcler, hurler du fond de ses nuits noires écarquillées, rien n’y fait, rien ne stoppe sa vie qui s’échappe sans prévenir, à grosses giclées chaudes et collantes, la nuit, le jour, entre chiens comme entre loups… Finir comme son Pépé Jean qu’il aimait tant, lui semble la seule voie qui lui reste. Plein de tous les vins qu’il aime. Alcoolo digne. Par nécessité, choisir le bocal. Devenir la poire qui baigne dans son jus, en équilibre dans sa bouteille, figée, confite, sidérée. Attendre que le niveau monte, jusqu’à avoir l’œil jaune qui flotte dans le sauternes épais.

Un jour, un très beau, plein de ciel vert et de chants d’ivrognes beuglants, ce sera le verre de trop, l’ultime goutte – celle que les pochetrons destinent au caleçon – qui lui explosera le foie. La bile en flots verdâtres lui envahira les tripes, dévalera ses boyaux dans un ultime rafting, pour faire tâche jaune sur son calbut. Au même instant – il a toujours aimé la précision – il flatulera son dernier pet chuintant et expirera ses dernieres bouffées fétides d’air vicié, d’entre ses lèvres croûteuses. Nul doute que son corps, macéré avant l’heure, mariné à l’extrême, pourrira subito. Il donnera toute instruction pour être enfoui au plus vite, à même la terre, entre deux rangs de vignes propres, au flanc d’un coteau pentu. La viande rassie, avariée avant l’âge, de sa dépouille, fera la joie du biotope. Insensiblement, il atteindra ce à quoi il aura toujours aspiré, la légèreté de l’être…. Purifiées, allégées, épurées, par ses seuls vrais amis les asticots et les lombrics gras, rouges de son sang nourri aux subtilités des Bonnes Mares et autres jus de croix de Romanées sublimes, sa substance transcendée biodynamisera les vignes de ses amours.

De sa main qui ne tremble pas encore, il vrille le bouchon tendre de cette bouteille qui va l’enchanter. Le pet sec et sonore de la libération salue son bonheur imminent. Le liquide noir aux reflets violets que la lumière ne peut pénétrer, tapisse les flancs lisses du verre de cristal fuselé. Aussitôt la czardas ensorcelante des fragrances subtiles commence. La pureté des arômes le ravit. Défilé des élégances. La violette sourd du verre, à peine perceptible, fugace, furtive. Lui succèdent les parfums sauvages du genièvre, de l’orange confite qu’épicent la menthe et les épices poivrées. Les yeux clos, il savoure. Puis après que le bord du verre a trouvé son chemin, les fruits toniques de la chair de ce vin onctueux lui prennent la bouche et lui rappellent la caresse tendre disparue. Un instant qu’il voudrait éternel, la fraîcheur que la vie lui refuse, lui entrouvre les mondes subtils de la paix définitive. Il se retient d’avaler, de respirer, de penser. Il lâche prise un instant, libéré des douleurs de l’absence. Ses papilles turgescentes captent la candeur tendre et apaisante du flot racé que sa bouche tiédit. Il ne bouge plus, entièrement captivé par le velours qui s’étale en volupté et réconforte son âme dolente… Passé la luette, le vin n’en finit plus de le transporter – Aladdin sur son tapis volant – longuement, comme naguère le faisait le regard lumineux de sa belle parjure à jamais envolée.

Un jour peut-être, celui qui se régalera, comme lui, de cette élégante syrah 2006 du «feu de Vulcain», rendra grâce à Robert Michel, d’avoir trimé, sa vie durant au flanc du Coteau de Cornas.

Dans les millésimes à venir, les racines longues des vieux ceps fureteurs auront pompé ses humeurs délitées mariées à la terre. Dans le fond du verre vide d’un buveur de bon, des particules quasi invisibles danseront la valse triste de sa vie perdue, lui donnant en filigrane le bonheur qu’il n’aura pu connaître….

Dans la brume verte des yeux noisettes de la belle louvoyante,

Se désagrège l’écume des vénérations mourantes.

EEMOPERTIDUECONE.

LE COUP DE PIED DANS LES POUILLES…

Le Caravage. Méduse.

 Ce soir, plus qu’à l’ordinaire, ils sont sortis les membres d’AOC (Association des Oenophiles Cognaçais), de leurs tanières confortables. Ils ont laissé les mamans seules, et se sont poussés jusqu’au siège, prendre un bain de vins Italiens. Treize vins, histoire d’oublier les douceurs de Simone et de conjurer le sort. L’espoir de sortir un peu des sentiers habituels, agréables certes, mais néanmoins trop battus et rebattus, pour qu’on ne finisse par s’y ennuyer grandement… Juste avant l’ouverture de la session, une prière muette à Sainte Curiosité, l’un des plus puissants moteurs de l’action…. Puisse-t-elle visiter ce soir mes acolytes, ordinairement bordeaulisés jusqu’à la douelle !

Un tour d’Italie donc, de ses appellations, de ses cépages, à grands traits bien sûr, à longs traits surtout.

Tous les vins ont connu une heure trente de liberté en carafe.

Une erreur ce systématisme diront justement certains…

 Mea à peine culpa !

Les commentaires des participants, peu loquaces, vaguement synthétisés par moi, seront partiaux, déformés un peu peut-être ( le vin est pure subjectivité, n’en déplaise aux prescripteurs !), et voueront aux gémonies les appréciations discordantes. Telle est l’inébranlable conception de la Démocratie au sein du Club. Je m’en empare donc avec délectation. Suit la litanie dégustative…

SICILE : Sur les pentes de l’Etna auxquelles la vigne s’accroche, tous ceps crispés, roches volcaniques, pierre ponce, vent, altitude, la vie des lambrusques n’est pas rose…

Tenuta Delle Terre Nere 2006 : La robe de cet “Etna Rosso” est d’un beau rubis intense et brillant. Le nez dégage des notes fugaces de pivoine, de fruits rouges dont la cerise est le coeur. Puis viennent la truffe, la terre sèche, les herbes aromatiques. La fraîcheur exhausse le tout. Puis les fruits rouges entrent en bouche. La cerise s’étale, gourmande, la truffe la sublime et l’épice. La finale découvre de petits tanins mûrs qui peuvent encore se fondre. La fraîcheur minérale du jus laisse la bouche propre, et ce vin est d’une telle gourmandise, qu’il faut la volonté d’un repenti pour ne pas vider la bouteille à glotte rabattue. La Sicile aurait-elle été Bourguignonne ?

Cusumano « Benuara » 2006 : Parure de soie noire à reflets violets. Confiture de fruits rouges, épices, réglisse, pierre chaude, garrigue méditéranéenne… pour sûr, plein le nez ! La bouche est moins gratifiante, un peu courte peut-être mais très fruitée, minérale et fraîche.

SARDAIGNE : D’une Île à l’altra, la balade se poursuit.

Argiolas « Turriga » 2002 : La robe, oxymorique, évoque « L’ obscure clarté des étoiles ». En foule se bousculent, cacao, chocolat, toffee, bâton de gingembre, puis myrtille et crême de cassis. Un vin d’équilibre qui rejoue sa gamme en bouche, la matière est imposante, toute en fruits rouges et noirs et chocolat. les tanins sont fins, frais et crayeux. Quelques petites bouches frileuses et fragiles parlent d’astringence… soit ! Ce sont les mêmes qui seront génées par « l’excessive fraîcheur des vins ». Des bouteilles de Coca sont prévues à leur intention pour la prochaine soirée.

BASILICATE : Une région particulièrement désolée, la voute plantaire de la botte, aux ras des Pouilles, c’est dire !

Basilisco « Aglianico del Vulture » 2003 : Une robe quasi colérique, rouge magma comme le jabot d’un dindon courroucé. Sous le nez, le bestiau se met à glouglouter, si fort que son haleine à brûler une allumette, emplit le verre de sa fragrance phosphorique. Une fois l’incendie maitrisé, le vin, jusqu’alors peu expressif, pétarade du fruit rouge en rafale, puis du cèdre dans une poignée de poivre. En aérant le jus tels des derviches qui peineraient à trouver l’extase, les notes de fruits juteux prennent de l’ampleur, le vin se déploie aromatiquement. Un toucher de bouche velouté rachète un peu le nez, quelque peu décrié par l’assemblée. L’attaque franche et poivrée dévoile, après que les papilles ont fait leur job, une chair aussi pulpeuse que celle de l‘Angélica de Visconti.

ABRUZZES : Le bas de la cheville, tournée vers l’Adriatique, plutôt proche des Pouilles…

Marina Cvetic Montepulciano d’Abruzzo 2005 : L’attaque acétique envoie la bouteille au vinaigier, qui ne s’en plaindra pas.

PIEMONT : Le Nord de l’Italie, loin des Pouilles.

Dizzani Ruche di Castagnole Monferrato 2005 : Un rubis d’intensité moyenne pour cette robe. Un nez qui prend son temps malgré le carafage, un effet de son jeune âge qui laisse ensuite parler sa fougue olfactive : Cerise, pelure d’orange – ou plus exactement essence d’orange, avec laquelle, enfants, nous jouions à nous aveugler – , muscade, tabac blond, gousse de vanille, puis « a long time after », la salade fraîche de fraises et groseilles déchaine les salivaires. La bouche est au diapason, une attaque épicée, une matière mûre et fruitée, enfin une finale fraîche et réglissée.

Conterno Fantino Barolo « Barussi » 2001 : La robe est de deuil, à peine bordée d’un soupçon de violet sacerdotal. Au nez, après que ça a giboyé,apparaissent le cuir frais, l’orange sanguine, le sous bois, puis enfin le goudron. Le bois, encore très présent, est Français, du meilleur Tronçais. Les bois de l’Allier seraient-ils prisés au Sud des Alpes ? La bouche rejoue les mêmes notes sur une matière imposante fruitée et réglissée. Une barrique prégnante qui demande à se fondre. Et toujours cette fraîcheur !

Braïda Barbera d’Asti « Montebruna » 2001 : Une robe rouge sang, quelques traces d’évolution. L’écurie, la bouse, la merde, hurle élégamment la confrérie unanime. Rien n’y fait, ni le temps, ni la patience… Une bouteille déviante.

Reverdito Barbera d’Alba « Butti » 2003 : Sombre robe pour ce Barbera. Un nez surprenant, séduisant même. De la cerise, de la gelée de mûre, du cassis et conjointement du citron, du pamplemousse et des épices. La purée de fruits rouges se retrouve en bouche, sur le cassis surtout, le zeste de citron également. Longue et gourmande est la finale, fraîche aussi, mais faut-il encore le répéter ?

TOSCANE : Grande région viticole de réputation Internationale qui, bien que loin des Pouilles, a donné à Bob ses plus beaux orgasmes….

Avignonesi « Nobile di Montepulciano » 2003 : C’est un beau rubis profond qui illumine cette robe. Un nez frais, surprenant qui mèle des notes de betterave, de coulis de tomate, à la terre, au zan, et au poivre gris. Quelques uns ne s’en remettront pas et finiront au composteur… Très vive attaque en bouche qui décline tous les états de la cerise, de la burlat au fruit à l’alcool. Finale longue et finement chocolatée.

Lisini Brunello di Montalcino « Ugolaïa » 1998 : Très viandé, le nez prend le temps de s’apaiser, pour libérer des beaux arômes de chocolat-cacao, d’épices, de poivre, de réglisse tout en contrapunctant de jolies notes de citron vert parfumé. Le fruit, relativement discret au nez, s’installe en bouche, prune et cerise s’en donnent à coeur joie. Matière fine, aux tanins légers. Le type de vin que l’on aurait du éviter de carafer, selon certains détracteurs sans pitié pour les petites mains maladroites qui ont oeuvré.

Ricasoli « Castello di Brolio » 1999 : Un chianti Classico à la robe carmine largement bordée d’orange. Les abonnés à la pizzeria du quartier renâclent et manifestent leur crainte devant ce vin dont la bouteille Bordelaise ne leur inspire aucune confiance : où sont les rondeurs et la paille délicate de leurs habituel flacons ? Un nez enchanteur leur cloue le bec. Crème de chocolat mousseuse et fruits rouges à foison, dont la cerise juteuse et la prune tendre, envahissent les sinus. Soie, velours et taffetas de tanins délicats, une matière élégante qui emplit la bouche de fruits mûrs et de tanins caressants. Longue et fraîche finale. Un vin de châtelain, le vin de la soirée.

Antinori « Tignanello » 2003 : L’un des domaines à l’origine de l’expression « Super Toscan ». Depuis lors, ces nectars sont très appréciés par des grands professionnels de la très sérieuse chose internationale du vin…. La robe de la Diva est d’encre, éclairée d’une très discrète frange rose-orangé sur les bords du disque. Au nez, c’est Oum Khalsoum. Tout l’Orient dans le verre. Pèle-mèle, fleur d’oranger, coriandre, épices de « là-bas », qui donnent, aux notes fruitées qui s’y lovent, une puissance et un charme supplémentaires. L’odeur de la reine claude craquelée, dont on perçoit la chair orange, pulpeuse et sucrée, domine, puis s’unit à la réglisse. La matière est puissante et lisse, comme l’est celle de tous les vins travaillés par les « magiciens du chai ». Le pouvoir de séduction est patent, tout est mûr et « bien en place » (expression favorite des techniciens de tous bords – professionnels de la technicité – , du raisin comme du ballon…), le chocolat ajoute encore au charme de la finale, longue, fraîche et réglissée. Eminemment consensuel!!!

Le bataillon des dégustateurs échevelés, bien qu’égaré en terres nouvelles, semble satisfait. Aucune tentative de putsch, pas de prise d’otage à redouter, ça blablatte certes, ça rouspétouile, mais c’est plus culturel que réel. En fait ils ont aimés ces vins qui les ont parfois déroutés. C’est à table je pense qu’ils trouveraient leur parfait équilibre et leur pleine mesure.

Beau voyage d’hiver en Italie, dont les vins sont aussi frais et élégants, que le Président de la République Italienne est lourd et vulgaire.

 

ECAMOPRITIC’ESTCOFININE !