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ACHILLE SERRÉ PAR LA PATROUILLE …

Guillaume Seignac. L'éveil de psychéGuillaume Seignac. L’éveil de psyché.

 

Deux jours après le dernier charivari, Achille lança le signal. Sophie tendit le majeur bien haut vers le ciel, le regardant d’un air féroce. Dès que le mannequin grossier l’eût remplacé au fond du lit il s’élança dans les couloirs sombres comme s’il s’en allait promener, confiant et sûr de lui. L’odeur de jasmin chaud de Sophie l’enivrait déjà …

Insouciant, il courut presque.

A l’instant où il poussait la porte entrouverte de la chambre, le couloir s’illumina, un cerbère jaillit des douches, croisa les bras sur sa blouse bleue et le regarda en souriant. A genoux sur son lit, vêtue de sa peau tendre, Sophie croisa les bras elle aussi sur sa poitrine nue. Une suée froide inonda le dos d’Achille. Ce n’est pas qu’il avait peur mais il sut à cet instant qu’il ne reverrait pas Sophie de sitôt. Dans son cerveau le sang reflua, l’araignée libérée de ses chaînes exulta, ses crocs acérés le mordirent sauvagement, elle reprenait le contrôle, instillant dans les chairs sidérées d’Achille le jus aigre de la peur. Comme un enfant confiant, sûr qu’il était de son impunité, il avait oublié, ou plutôt négligé, de réveiller en passant Olivier et Élisabeth qui lui auraient peut être, en criant comme des veaux égorgés, évité de tomber dans le piège grossier tissé par ces maudites sorcières de nuit. A genoux dans le couloir Achille se tenait la tête à deux mains et la silhouette de Sophie qu’il entrapercevait, prostrée sur son lit sous la lumière diffuse qui venait du couloir, prenait les couleurs grises et verdâtres de la mort. Étrangement le temps s’accéléra, les chairs fermes de Sophie s’affaissèrent, puis elles coulèrent comme un ruisseau visqueux, dévoilant ses os qui s’effritèrent et tombèrent en cendre au moment précis où la veilleuse refermait la porte …

Elles le raccompagnèrent jusqu’à sa chambre sans un mot, jusqu’à son lit au fond duquel il se tapit comme une hérisson blessé. Il s’allongea les yeux clos, sans protester, tout pétrifié qu’il était par le venin glacé de l’araignée qui triomphait une fois encore. Un sommeil lourd et agité l’emporta. Il navigua longuement sur les flots épais des cauchemars, dans une lourde barcasse malmenée par des eaux tempétueuses. Dans une nuit épaisse comme marc de café, sous les déferlantes qui le noyaient, accroché aux rames impuissantes à diriger la patache, il erra comme une âme en souffrance sous la constante menace de l’araignée plus énorme que jamais, ruisselante d’eau grasse, qui le fixait de ses petits yeux de jais. Le monstre agitait ses crocs effilés, fonçait sur lui pour s’arrêter net à quelques centimètres de son visage, bavant de plaisir et crissant de joie comme une lame sur une plaque de verre dépoli. Dans un dernier élan, sentant ses forces le quitter, Achille la frappa à coups de rames entre les yeux, mais les rames éclatèrent sur la chitine épaisse. Il hurla de terreur et se réveilla.

Le jour était levé depuis longtemps et la lumière chaude du soleil inondait la chambre. Le ciel était pur, le ciel était bleu, Achille recroquevillé dans son lit, les mains encore crispées sur les rames fantômes, aveuglé par la lumière, pleurait en silence. Quand il gagna la pièce commune le petit déjeuner était fini depuis longtemps. Le petit monde du pavillon «C» vaquait à ses vagues occupations routinières. Dans le bocal Olivier grillait ses clopes, Élisabeth, assise sur le banc près de la porte, béate, souriait à ses rêves. Alors Achille s’en fut courir sous les futaies du parc. Très haut dans l’azur le soleil raccourcissait les arbres. C’était l’heure des ombres disparues. Achille courait en vain après la sienne. Le souffle court et les muscles douloureux, il dépassa sa souffrance. Les couleurs changèrent, le ciel devint vert et l’herbe rouge. Les arbres aux troncs bleus défilaient à branches rabattues, Achille insensible au vent vert qui lui cinglait le visage fonçait comme une locomotive ivre sur les rails tordus de sa vie. Dans son corps, sous sa peau, le sang battait à toute allure, grondait comme l’Amazone par temps de pluie, inondant et nourrissant ses organes en surchauffe, glissant comme un serpent liquide dans ses artères sous pression, irriguant à gros bouillons son cerveau désorienté. Dans un même élan, en pleine détresse, il remerciait son corps de le porter ainsi, de ne pas le lâcher, d’être aussi généreux. Achille priait comme un profane inspiré et remerciait le sort, le hasard (ce mot si commode), la génétique, de lui avoir donné un corps robuste. Le temps passait, les kilomètres s’accumulaient, le soleil baissait, il continuait à la même allure folle. Achille volait, s’envolait même quand il sautait au-dessus des tas de bûches, rien ne le fatiguait ni ne l’arrêtait, il se sentait immortel, parti pour tourner éternellement ainsi autour du petit monde du parc. Sous les os épais de son crâne, ballottée par la course, anesthésiée par les giclées d’hormones, l’araignée, mâchoire pendante était neutralisée et tant qu’il courrait elle ne ne bougerait pas, ni ne criaillerait sa comptine délétère.

Le soir s’écrasa sur le parc.

Les infirmiers chargés de la sécurité s’activèrent. On quadrilla le parc jusqu’à ce que la silhouette fuyante d’Achille fut repérée, suivie, puis entourée en douceur. Il leur fallut quand même l’arrêter presque de force pour le ramener au pavillon. Croché ce qu’il fallait par les deux bras, tandis que tous marchaient il continuait à pédaler sur place. La nuit tombait, il n’avait ni déjeuné, ni dîné, il avait passé la journée à se dévorer lui même pour éviter que l’araignée ne le dévore.

Le lendemain matin, Achille, le corps meurtri par sa cavalcade de la veille, petit déjeuna comme un mort de faim, pour se nettoyer la bouche autant que pour se nourrir. Fébrile, il attendait Sophie qui ne vint pas. Les effets de la chimie le protégeaient encore des émotions qui pulsaient tout au fond de son ventre, elle tournaient, bataillaient aux anesthésiants et cherchaient à l’envahir. En vain. Il mangea comme un automate, portant le pain à sa bouche mécaniquement, regard vide et gestes saccadés.

Il se retrouva sans s’en être vraiment aperçu assis sur sa chaise de torture face à Marie-Madeleine. La rousse pulpeuse était comme à son habitude magnifique, moulée au millimètre dans une robe de tissu léger, au ras de ses formes aussi fermes qu’épanouies. Ses yeux vert d’eau brillaient et se posaient aimablement sur lui, pauvre hère sous camisole. Avec d’infinies précautions elle lui susurra, dans une langue de bois joliment ouvragée adoucie par son accent charmant, que Sophie avait été transférée dans un autre pavillon. Pour son bien et le sien. Achille se réfugia dans sa bave qu’il laissa couler lentement à la commissure de ses lèvres pendantes. Sans résultat. L’irlandaise aux collines confortables ne se laissait plus prendre à son manège repoussant et continuait, imperturbable, à monologuer. Achille avait compris et ne l’écoutait plus. L’araignée trépignait de plaisir et le tenait tout entier saignant entre ses mandibules. Agité de spasmes qu’il ne contrôlait pas le pauvre amoureux se mit à pleurer en silence de gros sanglots humides. Aucun son ne sortait de sa bouche et le spectacle qu’il offrait était si pitoyable que la psy se tut. Pour la première fois depuis son arrivée il ne dirigeait plus en sous main l’entretien.

Achille, enfin, lâcha prise …

A la différence des «sains d’esprit» aux antennes atrophiées les présumés «fous» balaient tous azimuts, rien ne leur échappe. Sans savoir le pourquoi du comment, ils sont traversés par les flux invisibles des émotions comme des récepteurs sur pattes ultra sensibles. Élisabeth était à demi perchée sur le banc attenant au local des infirmières quand Achille sortit. Elle sauta gauchement de son perchoir, fit un pas maladroit, prit Achille par un bras et posa sa tête sur l’épaule du petit garçon triste qui pleurait dans ses yeux. Elle lui offrit un vieux mégot infumable, d’un geste doux qui le bouleversa. Puis, événement rare, Olivier comme un culbuto animé sortit de son bocal enfumé, s’approcha, plus odorant qu’un hareng mariné et se lança dans un long discours souriant qu’Achille ne comprit pas. Mais les sonorités gutturales de ce langage étrange lui parurent plus douces et réconfortantes que le phrasé émollient de la belle Irlandaise. Pendant une fraction de seconde il eut la vision d’un chœur angélique, d’une assemblée de vortex multicolores psalmodiant pour lui à voix basse une mélopée délicieuse, tendre et mélodieuse qui tarit instantanément sa peine.

Toute la semaine qui suivit,

En ce Janvier blanc,

Achille chercha Sophie.

Mais ne la trouva pas …

En cette nuit d’encre du mois de Mars le vent souffle en rafales, la pluie drue claque sur les volets clos. Achille le stratifié, sous le cône luminescent de sa vieille lampe complice de ses insomnies récurrentes, a rouvert les yeux. Dans le bleu de son iris, autour de sa pupille écarquillée, dansent les ombres mortes des amours disparues.

«Que sont mes amis devenus,

Que j’avais de si près tenus

Et tant aimés.

Ils ont été trop clairsemés,

Je crois le vent les a ôtés,

L’amour est morte.

Le mal ne sait pas seul venir,

Tout ce qui m’était à venir

M’est advenu.»

Ruteboeuf.

Alors il regarde fixement le vin immobile, tapi dans la combe de cristal qui brasille sous la lumière et se perd entre les fines jambes huileuses figées sur les parois. Au centre du verre l’œil du vin qui jamais ne cille, brille comme une escarboucle rubis finement gansée d’orange. Le parfum puissant d’une pivoine charnue monte du lac paisible pour lui charmer le nez, puis une cerise, qui griotte un peu du bout de son noyau, lui succède. Mais ce Barbaresco « Cotta » 2006 du Domaine Sottimano a plus d’un parfum sous sa robe. Le transalpin ouvre un peu plus son sac à fragrances qui offre à l’appendice conquis de l’insomniaque, en rafales séduisantes, son café noir, sa muscade, son cade, ses épices douces, son thym sec et son poivre noir enfin. Achille soupire longuement puis porte à ses lèvres le bord du verre. La matière dense du vin envahit sa bouche, fait sa boule de chair ferme, roule sous sa langue creusée et délivre son flot de fruits mûrs, avant d’éclater sous une poussée fraîche qui redresse la matière encore serrée. Au palais déserté par les fruits qui coulent dans sa gorge, le café, le cacao pur et les épices s’attardent longuement, enrobant les tannins encore jeunes de ce Piémontais racé. Achille, que le plaisir a réveillé, court dans les allées du parc, encore et toujours …

Quelque part

Dans les méandres du monde,

Alors que pointe le printemps,

Sophie peut-être

A souri …

 

ERÊMOVEUTISECONE.

AU SOMMET DU SAUT, LA DOUCEUR DU DOLCETTA DE L’AUBE…

 Fra Angelico. L’Annonciation.
 

 

  J’ai planté quelques bulbes de «Vinum bonum laetificat cor hominis», oubliés depuis le crépuscule des Temps, au fin fond des greniers redondants de ma vie moderne. Dans mon Jardin Secret. Là, à l’abri des vapeurs méphitiques qui me nettoient le cervelet – à le rendre transparent, fade et mimétique – luttant contre les forces contraires et submergentes des «FrontsdeBoucs» et autres «Twoisillons» anémiés, qui gazouillent à perdre becs et ongles, le long des allées convenues du «conformisme à la mode» (magnifique pléonasme en fait si l’on y regarde bien), parcimonieusement arrosés par les eaux tièdes des fleuves malingres et déminéralisés de la Précaution et du Bien-Penser associés, ils se réchauffent difficilement au Soleil mourant du tissu social bafoué. Ils croissent petitement, assourdis par les croassements assourdissants des «Winners» conquérants, et les puérils enchantements des «Datings» à la petite minute. L’Univoque Médiocrité des Petits maîtres à gouverner, pèse de tout le poids mièvre de sa puissance affichée, sur leurs jeunes coques sidérées.

Surmonteront-ils ces épreuves harassantes, et remettront-ils au jour, la joie de fouler encore les chemins de traverse, contre miasmes et diarrhées? Leurs enfants que j’espère rebelles, le vivront peut-être un jour, tandis que depuis quelques lustres, siècles ou millénaires, je sucerai la racine des derniers pissenlits à disparaître…

Je leur souhaite néanmoins, de connaître encore longtemps, les petites joies des vents coulis, des ruches prolifiques et des baisers soyeux.

Pendant ce temps – que les Itinérants de la Com hystérique déchirent à coups de quenottes, blanchies sous les brosses à reluire – quelques obscurs s’accrochent à leur amour du vin, comme autant de papillons téméraires face aux vents mauvais de la déréalisation ambiante. Sur les pentes abruptes des collines Piémontaises, le Sieur Sottimano «Ti amo imo pectore », soigne les enfants de sa vigne. Les chants cristallins des rouge-gorges amoureux, ponctuent sa tâche, de leurs ariettes mutines. Les rangs anciens de «Còtta», pointent vers les cieux leurs griffes crochues, que les premières feuilles fragiles, adoucissent. «Cùrra», et «Pajoré», chenus, courbés sous la mémoire de leurs vendanges passées, remontent au bout de leurs bras raccourcis, la sève nouvelle, puisée tout en souffrance (la vigne est de «culture» Judéo-chrétienne…), au tréfonds des sols avares. La nature vit sa vie, lentement, comme il se doit… Je ne connais pas Andréa, si ce n’est, ce que m’en ont dit mes amis, dont un sang mêlé (mi-bouchon-Lyonnais, mi-Corléone) et un amateur à poil doux, absolument fiables. Or donc, comme je les aime, je les ai crus, et j’ai pris leurs dires, pour amour comptant. Or donc bis, un homme fin, généreux – même plus que très – simple, qui vous invite à la table familiale, s’il vous sent sincère. Goûtez ses vins, ils vous en parleront.

La sinusoïde fleurie est mon chemin préféré et ce sera ma seule concession à l’attitude scientifique! École buissonnière et fourrés, fourrés de nids de plumes d’oiseaux et d’oies blanches, chemins de traverse qui vont droit aux essentiels. Contre-allées latérales, qui ne quittent pas le droit chemin, mais le bordent et jamais ne le prennent. Flâneries au ralenti, versus le temps des impatiences fébriles, des priorités et du rendement, sans engagements réducteurs, sans chapelles révérées, sans gourous enamourés. À la recherche effrénée mais lucide, d’une Liberté qui se refuse, d’un idéal, dont la force est d’être à portée, mais jamais tout à fait…

Mais il est temps de me lancer à la conquête du «Sommet du Saut» – traduction, vérifiée es-qualité – du dialecte Piémontais «Bric del Salto», qu’Andréa me donne à boire en Dolcetto d’Alba 2008. Petite douceur de l’aube? Je n’en vois qu’une, la hanche ronde et douce sur laquelle ma main au ralenti, aimerait à se poser tendrement, au réveil.

Les étiquettes d’Andréa sont sobres, pas du genre «je m’la pète comme les œufs». Noir sur crème, et fin liseré doré. Rien de très top-tendance-nom-original-à-la-con! Une sobriété, qui laisse au vin tout son mystère. Et rien de tel que le mystère, pour me fouetter les sens et l’imagination. Le congé doré, qui ajoute au charme discret de ce flacon Buñuelien, me pousse, à ces rêveries indolentes que les siestes estivales inspirent.

Sur le terroir de Neive, les très vieilles vignes de dolcetto, donnent à la robe de la douce, une profondeur pourpre intense, dont hélas manquent bien des regards, plus proches des janthines pélagiques à flotteur muqueux, que des yeux mauves de Madame de Guermantes. Ainsi va le monde, qu’il faille chercher la vie dans les yeux du vin… Discrets, introduisez-vous dans ces soirées «Wine-victims» qui sont au vin ce que le Rap est à Fauré et rassasiez- vous des jacasseries branchouilleuses des caracoles charmantes, somptueusement souquenillées, qui pullulent en ces lieux sans âme, et polluent la Toile de leurs remarques insipides et de leurs commentaires creux. Dans les rangs des vignes, au soleil déclinant, quelques pies à queue noire jacassent elles aussi. Elles se jettent-set-et-match, aussi niaises qu’affamées sur les gouttes d’or, que le soleil joueur, pose sur les tiges folles des herbes mouillées.

Un vin de mûre, sous les deux appendices, puis de cerise et de fruits rouges en foule, avec une myrtille, une seule au bout de l’olfaction et de la bouche – goutte subreptice d’acidité – qui perce la trame d’une matière conséquente, du bout de sa vivacité. Un jus fluide, glissant, qui imprègne le palais du bonheur de boire. À l’avalée, étrangement le vin est en suspens. La finale est remontante, riche de tannins serrés mais mûrs qui gratifient la bouche, après que la réglisse a passé, d’une légère et élégante amertume.

Au sommet du saut, le temps s’arrête, l’athlète suspend son vol et tutoie les Anges.

Comme s’il entrait en éternité…

Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !

Suspendez votre cours :

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours !

 

ESAUTMODETILANCOGENE.

SOTTIMANO, TI AMO IMO PECTORE…

 Lorenzo Costa. Portrait d’un cardinal.

 

 Il pleure tant, que la terre fait des bulles…

Des bulles rouges sur les continents gris aux misères toujours meurtries. Des bulles en crachats incarnats qui éclatent, comme se disloquent les crânes fragiles sous l’impact des balles aveugles. Des bulles bleues dans les palaces alanguis que les grains tropicaux désaltèrent. Les soies blanches des belles enrubannées collent aux chairs bronzées des oies pas si blanches, que les bulles dorées émoustillent. Les bulles noires et figées des volcans éteints dessinent de vagues sculptures acérées au creux des îles désertées par l’espoir. Les bulles argentées des océans immenses battent les flancs lustrés des grands blancs dolents.

Au large du Cap, ils glissent comme des soies sur la peau.

Des larmes en bulles encore au souvenir des barbaries perpétrées par mes frères, aujourd’hui comme hier. Bulles en rafales saignantes, en sanglots étouffés au sortir de «La Rafle», film de Devoir, film de Mémoire… Bulles en cordons, bulles en haillons, bulles en avulsions, bulles en abjurations, en abdications, en abjections, en abominations, en aliénations! Bulles de boue, de salive, de haine et d’eau.

Bulles létales, fatales, sépulcrales, bulles puantes des peurs agglutinées!

Pâques mais pas que…

Au sortir de la salle plus ténébreuse qu’obscure, les chairs sont à vifs, le coeur est serré, les machoires sont soudées. L’air est frais sous le Noroit. Le ciel lourd du matin s’est repeint de vif. Un bleu cinglant auquel les quelques nuages arrachés à la charge pluvieuse de l’aube, donnent le relief ad hoc. Comme un peintre Italien qui aurait inventé relief et perspective. Besoin de vie. De tendresse en ce jour solitaire, orphelin des matins tièdes.

Que Sottimano me vienne en aide. Et sa Barbera d’Alba 2007.

La parure du «Pairolero» est un bouquet de plumes violettes, alabandines et roses mélées, comme les reflets changeants d’un soleil agité par le vent, sur la huppe d’un «Cardinalis cardinalis» du Bélize…

Le premier fond de verre, prélevé de la bouteille à peine ouverte, donne l’idée d’un bonheur possible. Mais la félicité, c’est pour demain dit-on. Alors la belle patiente dans la pénombre de la cave fraîche. Comme un amant gourd aux doigts furtifs, l’air prends son temps pour déplier tendrement les égides du vin.

Après un jour complet, le vin est à l’aise dans sa carafe comme un dandy dans son loft.

Sous le nez attentif comme un oeil aux aguets, c’est une odorante purée de fruits rouges qui donne son meilleur. Fraise, framboise, cassis non filtrés – hachés menu, touillés, écrasés, comme un coulis crémeux de pulpes au jus – enchantent et mettent les salivaires en émoi. Un nez d’une pureté, d’une élégance et d’un équilibre tels que l’on croirait derrière les yeux clos de ma concentration, voir virevolter une ballerine de Degas. Élevé sous bois dont 25% de fûts neufs indécelables. Seul un liard de cette orchidée épiphyte dont la gousse enchante les confiseurs, ajoute, à cette dariole de fruits, une pincée de sa cosse parfumée.

Parler «d’attaque» à propos de ce vin serait exagéré, tant il se coule lascivement en bouche. La matière ronde, fluide mais conséquente et séveuse, vous séduit soudainement sans que vous n’y puissiez mie. Elle s’installe, glisse, se répand, imbibe et diffuse son fruit qu’un soupçon de zan exalte. C’est exquis, pur, élégant! Nez et bouche sont à l’image de cette ambroisie : en parfait équilibre. Étrange idée que celle d’un raisin qui aurait tout donné sans qu’on l’y force… L’envie d’avaler est plus forte que tous les conseils sévères de mon hémisphère gauche. C’est le plaisir qui mène le bal. Dire aussi la caresse aimante des tannins, tandis qu’ils vous frôlent la luette de leurs hanches polies. Passé la bouche l’enchantement gagne le corps. Sur le palais le sorbet de fruits s’apaise en prenant ses aises. Mais le vin ne fuit pas, il se dévêt…L’acidité des fruits persiste, qu’un battement de badiane, une virgule de cannelle épicent et parfument longtemps.

Sur les parois du verre vide, comme un souvenir, le Cardinalis a laissé ses couleurs moirées. Sous mes paupières closes, une violette fragile danse au vent joueur du printemps.

 

 

EACMOTAESTFATIBULACONE.