Littinéraires viniques » MOMENTS …

QUAND LA MORT MORD MA PLUME …

Дима Ребус.

Elle s’est montrée à visage masqué, comme toujours.

Et m’a dit que je me trompais. « Je suis la VIE, ignorant que tu es, qui te laisses berner par tous les truismes, les approximations qui circulent sur mon compte dans tous les esprits bornés, sur cette terre peuplée d’ignorants ! Je t’ai prêté la vie pour un temps, elle ne t’appartient pas, petit propriétaire orgueilleux ! Dans le ventre de ta mère, je t’ai animé, un beau jour que tu n’étais qu’embryon inerte. Dans l’obscurité diaphane de ton enveloppe imparfaite, j’ai glissé ce souffle que tu crois tien. J’étais là, lumineuse et aimante, te préparant à mieux me revenir, plein du goût délicieux des tes amours, de tes joies, de tes douleurs, du voyage de vie qui t’est offert, piège mortel, en te laissant croire aux fadaises du hasard, au réconfort fallacieux des croyances. Mais il n’y a que moi qui t’engraisse du début à ta fin qui est mienne !».

Non la mort ne parle pas, sa voix n’est pas d’outre-tombe, elle est souffle qui murmure dans la tête et porte à la conscience sa présence toute puissante. Quand elle le veut. Elle est la mère de toutes les tristesses douces, le voile qui alourdit ma plume et me met au cœur ces eaux froides qui ne veulent pas couler …

J’ai perçu son indicible sourire dans le regard de mon ami, j’ai vu la soie grise de sa présence ténue filtrer doucement la lumière, auparavant si vive, de ses yeux ; je l’ai vue, la patiente, défaisant, prenant son temps, les fils qu’elle avait tissés bien des années avant qu’elle ne se laissât contempler à visage presque découvert. C’est quand elle grise la peau, décharne les chairs à sa guise, c’est là qu’elle se montre, non pas à celui qu’elle possède imperceptiblement, mais à « l’autre », c’est au bougre éberlué qui la découvre œuvrant, qu’elle choisit de se dévoiler en partie. A moi impuissant et plein de rage qui la fixe sans ciller, droit dans le profond de ses escarbilles mortelles. Elle commence toujours par envahir les yeux des autres. La mort est un piano qui égrène, comme des gouttes de verre, liquides et tremblantes, « Les Nocturnes » de Chopin, a qui elle s’est longuement donnée. Car la mort, le plus souvent prend son temps à défaire ce qu’elle avait construit. Y prend t-elle plaisir ? Elle ne me l’a pas dit. Non, elle se contente de se montrer un peu, à moi, et de voler l’encre de ma plume … Ou alors peut-être veut-elle me rabattre le caquet en me prévenant de sa visite prochaine ?

C’est pourquoi je te le dis, belle épouvantable, maîtresse ultime, je ne crains pas tes caresses ! Je te volerai ta victoire, échapperai à tes charmes et déciderai de mon sort, je mourrai à mon heure en te faisant des grimaces, en t’embrassant à pleine bouche, te baisant mieux que tu ne l’as jamais été, en te privant de ta puissance, pourvu que tu t’envoles, vaques à d’autres taches et laisse à mon ami très cher quelque temps encore. Pense au plaisir intense que tu éprouveras à tenter de me prendre contre mon gré, à l’orgasme rare qui te portera jusqu’au ciel si tu parviens à empêcher mon geste, à me contraindre à subir tes caprices, à me priver de ma dernière liberté. Tu peux bien m’accorder cette grâce, toi qui, complice cruelle, me souris, te dénudes et coules de ma plume. Envole toi, quitte la peau de mon frère en amitié, ce n’est pas encore un bel amant pour toi, il ne te mérite pas. Patiente, toi, épouvantable salope, qui a l’embarras du choix !

Va donc te glisser sous la peau de Poutine

Au goût délicieux,

Aux parfums d’infamies,

De meurtres,

Et de génocide.

Je sais qu’il t’attend,

Et prend le lentement,

Qu’il te sente bien,

Longtemps l’empaler.

EENMORATIGÉECONE.

 

ARNO LE DOUX SAIGNEUR D’OSTENDE …

James Ensor. Autoportrait.


Avec Arno, t’as les oreilles qui saignent …

Sur le port d’Ostende, les marmites débordent de buccins qui mijotent et dégagent de lourds parfums iodés. La mer est verte, trouble et changeante, vivante, et roule de grosses vagues épaisses saturées d’algues gluantes et de sable crissant. Les bulots brûlants croquent sous la dent des promeneurs emmitouflés. Qui se protègent sous d’épaisses laines vierges du vent de noroît qui leur rougit la peau. Ensor y est né, Caussimon l’a chantée, Arno en est pétri.

« C’est pas une femme, c’est une pipe … »

Quand il entre en scène, maladroit, bouffi et rougeaud, c’est toute la force salée de ce port du bout du nord qui te prend, te tord et te malaxe, t’arrache le masque et te renvoie aux tripes dégoulinantes, à la graisse de cheval des frites ruisselantes, à la bière fraîche qui embaume le houblon. Arno porte tout ça en lui, tu frémis dans tes baskets, les mouettes te chient sur la tête.

Les amplis dégueulent leurs notes saturées, la batterie mastoc te défonce le ventre et te masse les boyaux, t’assourdit et te met des étoiles au plafond. Arno le rat fait son carnaval d’Ostende. Entre les riffs rageurs des guitares râpeuses, dans la fumée qui roule sur la scène, le chant de limonade acide d’un limonaire sent la kermesse flamande. C’est le cœur masqué d’Arno qui pleure en rocaillant l’amour de sa mère : « Dans les yeux de ma mère, il y a toujours une lumière », « c’est elle qui sait comment j’suis nu », « elle a les yeux qui tuent », « j’aime l’odeur au d’ssous d’ses bras », « l’amour, je trouve ça toujours dans les yeux de ma mère », « c’est elle qui sait que mes pieds puent », « et quand je suis malade, elle est la reine du suppositoire », Arno chante l’ambiguïté avec une pudeur qui ne masque pas le désir défendu. C’est qu’Arno chante avec ses bonbons, et te fait bander le cerveau.

Arno c’est une voix tripale, aux accents éraillés, une voix de verre pilé qui lui sort du cœur et de la puanteur, il ne triche pas, ses ombres soulignent sa lumière et te collent au miroir médiocre de tes mensonges, tellement humains. Et pourtant, y’a d’la joie, du soleil et d’la vie dans ce torrent de lave brasillante, qui te consume, te met parfois les larmes, et te fais saigner les yeux. Des larmes grasses, épaisses, toxiques, acides, plus fortes, plus suffocantes que tes petites émotions ordinaires, « Oh la la, c’est magnifiqueuuuu » ! Et « dis pas ça à ma femme, elle parle de trop … ».

En déferlantes, les textes d’Arno roulent dans la salle, déshabillent les spectateurs subjugués qui finissent par danser, nus sous leurs défroques inutiles. Et le hurleur vacillant, titube ses mots, crache sa hargne et sue sa tendresse « les fesses dans le beurre », qui nous renvoient à nos mensonges, nous mettent la viande sanguinolente à marée basse.

Ce soir Arno a sorti le Diable de ma boite,

A retardé ma mise en bière,

Rhabillé l’amour de chair putride,

Et Brel les belles dents,

A souri …

La salle debout, au bord de la bacchanale, l’a longuement rappelé, il est revenu, suant, a remis le couvert, toute musique braillante, et nous a dit l’amour des hommes, enfin l’espoir de …

« Putain, putain,

C’est vach’ment bien,

Nous sommes quand même,

Tous des Européens. »

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« Vive ma liberté,

Pour toi,

Et pour tout le monde ! »

Suis sorti dans la nuit froide, fracassé, moulu, bouillant, rasséréné, de la lave dans le sang, et de l’amour aussi. J’m’y attendais pas, et c’est ça qui est bon.

Merci Arno pour ta Ducasse au sucre blond,

La moiteur de tes estaminets enfumés,

Et le regard torride des moules

Aux paupières lourdes …

« On chante pas tous les jours une chanson d’amour » !

COMME LE VENT HURLANT …

Soluto. Regard.

Dehors le vent souffle …

Les aiguilles du sapin, face à ma fenêtre, volent et dessinent sur le sol des formes changeantes, fugaces, qui finissent, désagrégées, au ruisseau. L’arbre se dépouille de son manteau bruissant. Sur l’asphalte noire, la pluie tombe drue qui nettoie les sols, ses épines liquides, serrées, aux pointes fragiles, explosent en gros bouillons, en vagues de bulles éphémères qui n’en finissent pas de réfracter, le temps d’un soupir, la lumière blafarde d’un ciel lourd de chagrin. Billes de mercure ternes, comme des vies qui enflent au ras du sol pour se dissoudre aussitôt dans les rigoles changeantes, imprévisibles, fines stries argentées qui quadrillent le sol comme la toile mouvante d’une araignée fragile. Comme un raccourci des vies qui passent. Si vite.

L’automne, brusquement, a pris ses quartiers …

Treize heures vingt. Le téléphone grogne. Moi aussi. J’hésite, il me dérange, tout occupé que je suis à aligner mes petits mots. Pourtant, ce que je fais rarement, je décroche. Je me fends d’un original « Allooo ? » suivi d’un « ouiii » pressé d’en finir qui veut rompre le silence. Empêtré dans ma phrase qui se refuse, je n’y suis qu’à peine. Brutalement, je comprends, le « ouiii » devient « noooNNNNN ... », hurlant, assourdissant et silencieux qui déflagre en moi, me gagne tout entier, liquéfiant l’intérieur de mon corps en bouillie sanglante, bulles de sang incandescentes, chairs explosées, et os broyés par la mâchoire puissante de la terreur noire qui roule sous ma peau hérissée. L’évidence, implacable, m’aveugle, m’étreint, me serre le coeur et me noue le plexus. MON POTE EST DÉCÉDÉ !!! Avalé par la Carogne ou en route pour un nouveau voyage ? A onze heures, ce 24 septembre couleur de nuit, qui pleure plus fort que moi aux yeux de sable sec.

Sa dépouille me regarde derrière ses yeux fermés. Visage gris, apaisé, étrangement immobile de celui qui ne savait rester en place. Ses lèvres entrouvertes sourient encore de cette moue ironique qui lui appartenait. Étrangement il me console et semble me dire que tout cela n’est qu’apparences, qu’au delà il est là, que je ne peux le voir, mais qu’il me voit. Pour que je le comprenne bien, il a laissé sur ce qui fut son visage ce petit rire figé. Incroyable dialogue muet, sous une foule d’images qui recouvrent de leurs souvenirs multiples le corps pétrifié de mon ami. Sourires silencieux, rires complices, regards intenses et lumineux, conversations joyeuses ou graves résonnent, blagues de corps de garde, batailles de mots pleines de sous entendus en écho, silences fraternels, ses yeux clos brasillent dans ma mémoire. La pièce sinistre chatoie de mille couleurs. Est-ce lui qui m’habite, est-ce moi qui ment emporté par l’imagination ? Non, c’est bien lui qui suggère, mène la dernière danse, même si cela peut paraître fou aux consciences figées dans leurs certitudes rassurantes.

Au-delà des croyances et des refus, des dogmes et des convictions, des affirmations argumentées et de la foi naïve des rosières, il est là qui furète dans la gelée de coing de ma tête embrumée. Farce triste, valse lente et chœurs à l’unisson, doctes raisonneurs et angelots farceurs, la vie continue, tandis qu’une autre s’ouvre ? Autre vie, autre plan ?Va savoir. Il sait et ça le fait sourire. A moins qu’il n’ait sombré dans le néant, aux abonnés absents que la nature recycle. Et qu’abruti de douleur, anesthésié, rompu, je vois des elfes voler ? D’aucuns le penseront.

Emmène moi mon frère,

Où tu voudras,

Le temps qu’il te plaira,

Tu tiens ma main, je suis bien …

Ce soir j’aurai du mal à m’endormir.

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Mille ans plus tard.

Dans le ciel d’azur, plus lumineux que le bleu des yeux de celles qui furent belles à me damner, tourbillonnent en larges cercles des nuées d’aigles royaux. Tous identiques. Deux d’entre eux, par séquences, planent côte à côte, brisant l’harmonie de la parfaite spirale, becs et serres effilés, flancs chocolat, rémiges larges et écartées, queues en éventail à bords noirs, puis s’éloignent un temps vers d’autres spizaètes. De leurs yeux dorés, ils scrutent désespérément les espaces infinis qui ne les effraient plus, glatissent sans un bruit, par réflexe, car personne n’entend leurs trompettes. En ce lieu de hautes vibrations, les aigles majestueux tournent indéfiniment, dans le vide absolu, au mépris des lois ordinaires de la physique des hommes. Ni air, ni terre, ni faim, ni soif, ni vie, ni RIEN. Ils sont cent, mille, des milliards, je les sens, mais je n’en vois que deux. Parfois cet étrange « monde » se brouille, le bleu pâlit, les silhouettes se défont, l’espace se rétrécit jusqu’à ne faire plus qu’un point dans le noir absolu. Puis surprenamment, l’étincelle se dilate à nouveau, le bleu colore l’espace, les aigles surgissent du néant et reprennent leurs vols étranges, infiniment recommencés. Les deux compères de nouveau volent ensemble, rompent l’immuable ordonnancement des vols ; têtes baissées ils scrutent de leurs regards aigus, à se rompre le nerf optique, cherchant d’hypothétiques êtres sur un sol improbable.

Plus haut , au départ de la spirale, l’aigle de tête les observe. « Ils finiront bien par comprendre » se dit-il …

C’est alors que je me réveille d’un coup. Le visage de mon pote au yeux rétrécis par la bonne farce qu’il vient de me jouer, remplit ma chambre. Il glousse le salaud !

Sur son visage hilare, la lumière moqueuse de ses yeux le dispute à l’ironie tendre qui marque sa bouche. L’émail de ses dents brille. Ce soir, à ta santé mon poulet, je boirai un verre de Meursault « Les Charmes » millésime 2008 du Domaine Chavy-Chouet

Et t’en auras pas !!!

Vas-y rigole, j’arrive tantôt.

R.I.P.

CES JOURS SI BEAUX À BEAUSÉJOUR …

Les rêves du Grand Sachem…

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Septembre, l’arrivée des Indiens et de l’été éponyme …

Hé oui, pour la plupart, frères et sœurs, beaux et belles du même métal, sont à pied d’œuvre, déjà. Ami(e)s aussi qui, ont posé leurs wigwams à roulettes et auvents dans la cour et alentours … Derrière les sourires affichés du Grand Sachem et de sa Pocahontas, « Sean White Beard » et « Squirrel the Little », sourd l’inquiétude qui précède la saison de la grande cueillette des baies juteuses.

Toute une année à chérir la lambrusque, à la tailler, la protéger, l’écouter, la chérir, pour qu’elle donne à l’automne, enfin, le meilleur de ses grains rouges, gonflés des eaux d’hiver et du soleil en sucre de l’été finissant, à lui caresser les feuilles, à parler à l’oreille des bourgeons, à sentir sa fleur odorante et subtile exhaler ses parfums aux beaux jours de juin, dans les entre-rangs, sans cesse arpentés à petits pas précautionneux, mains douces et sécateur judicieux. Toutes ces soirées aux ciels roses, au vents coulis, à murmurer des mots d’amour et de crainte mêlés, aux grappes vertes et dures que gagnent les rougeurs hésitantes, timides d’abord, puis qui tendent à craquer les peaux, pour enfin s’installer et gagner les vieux ceps patients. La houle verte de la mer feuillue, sous les rayons du couchant, clignote de tous les yeux noirs des grappes ventripotentes. En vagues lentes, les folioles qui dansent la valse joyeuse des maturités atteintes, brassent l’air doux à l’unisson. Seul au sommet de sa montagne, le Sachem aux mains rudes, communie. Dans l’air et sous ses pieds, la nature, paisible et symphonique, lui parle le langage secret des amours partagés. La nuit tombe, le ciel vire au cobalt, le temps de la gésine est proche …

Ce soir, il dormira serein.

Allongé sous la couette, je regarde au plafond. Chaque soir, je promènerai, les yeux lourds des fatigues du jour échu, mon regard, au fil des paysages abstraits que dessine le plâtre craquelé du plafond. Cette chambre en chantier, au confort spartiate, qui se meurt, me plaît. Murs en suspens, lattes apparentes, vivent les derniers instants de leur ancienne vie de château. Dès après les vendanges, la pièce fera murs neufs. Enduits humides, appareillages modernes, plomberie, goulottes, bois neufs et peintures fraîches, recouvriront la pièce, figeant à jamais les vibrations mystérieuses des vies qui l’ont habitée, naguère, et même jadis. Pour l’heure, je m’en délecte, je perçois les effluves mourantes des parfums anciens, l’air que pulse à peine, les volants des robes lourdes, les soies vivantes des atours légers des femmes, qui churent au pied du lit, les soirs de fêtes et de noces arrosés, les cris des pudeurs dépassées, de celles que prirent les désirs enflammés des amours ancestrales. Les vies qui passent laissent traces infimes que d’aucuns peuvent capter, s’ils laissent volonté s’envoler et cœur s’ouvrir …

Très vite, la conscience me lâche et je m’enfonce, comme plomb en plumes, dans ma première nuit de vendangeur, fourbu à l’idée même d’avoir à me pencher …

Le ciel est bleu, très pâle, comme un regard pur et délavé. Le soleil naissant peine encore à dissoudre les blancheurs de l’aube. La pomme croquante crisse sous mes dents. « Squirrel the Little » est sur les crocs, inquiète, et tient, en mains crispées sur le ventre, la liste des coupeurs attendus. Son regard vif, va et vient, de la route montante à la feuille déjà froissée. Elle s’apaise, un peu, les premières voitures arrivent, par paquets. Les portières claquent, les habitués s’interpellent, enfilent leurs godasses, se glissent sous les tissus passés qui connaissent les vignes. Ça tire à bouffées convulsives sur les clopes surchauffées, ça vanne déjà tous azimuts, les cheftaines de meute prennent leurs marques et encadrent leurs clans. Sourires enfantins, museaux crispés, voix aiguës, Les silencieux parlent avec leurs yeux. Plus bas, dans la cour, les inox rutilent sous le soleil montant, l’équipe du chai s’apprête à recevoir les cagettes, pleines à ras bords, de raisins bleus. Les vignes encore endormies se préparent à pleurer leurs enfants. Les hommes se rient des petits meurtres à venir …

Sept jours durant, les cisailles rouges, aux gueules de crocodiles nains, mordront à pleines mâchoires, sous les feuilles larges qui les protègent sans espoir, les petits doigts ligneux des grappes accrochées à leurs mères. Jarrets douloureux et fesses diverses, fines, mafflues, accortes, écroulées, tendues à craquer, sous une quinzaine de dos humains, prendront peu à peu les couleurs de l’automne en suspens.

Un temps beau, puis radieux encore, et toujours chaud, à perdre la notion des saisons. Les vignes énamourées se pâment sous les ardeurs de Phoebus, à ne pas vouloir roussir, à oublier les mains agiles qui leur volent leurs enfants. Il se dit que Dieu a mit sept jours à créer le monde ? Mimétisme involontaire, il faudra la semaine à la troupe multicolore des coupeurs industrieux, pour alléger les lambrusques de leurs diamants noirs. Chaque matin différent est le même, seules quelques raideurs, accumulées au fil des jours, me disent que le temps passe. L’escadrille des étourneaux sans ailes vole d’une vigne à l’autre, parfois d’une parcelle d’une vigne, à la parcelle d’une autre, en fonction des maturités et des nécessités, sous la baguette du maître de chai. Sept jours de ballets, de voltes, grands écarts et entrechats entre « Paradis » et « Caillou », « Moulins » puis « Clos 1901 », ou « Clos de l’Église ». Il me souvient de la lumière pure d’un matin, sur le haut du haut de Montagne, aux pieds des Moulins. Le soleil était doux, l’air cristallin, on voyait sans peine au loin Saint Emilion, et Pomerol plus à droite, noyés dans le velours ondulant des jonchées de vignes. Toutes les nuances du vert, de céladon à pistache en passant par malachite, émeraude et chartreuse, se mêlaient aux ors fanés, aux rouges noircissants et au rousseurs ternes et basanées des lianes foudroyées par les machines à vendanger. Par delà la concentration qui me menait de grappe en grappe, malgré la sueur salée qui roulait jusqu’aux coins de mes lèvres, dans un coin de mon vieil i-pod à neurones, la Symphonie N°7 de Beethoven, m’apaisait, dissolvait les douleurs qui m’assaillaient les reins, roulait dans mes muscles gourds, pour m’élever hors de l’espace-temps. Au dessus de la vigne, je plane, me regarde oeuvrer, couper et vider mes seaux dans les caissettes des hotteurs. Alentours, les tâches multicolores de mes compagnons, courbés au hasard de leurs avancées, piquètent la scène, à la manière des nymphéas sous le pont Japonais de Monet.

Au soleil en zénith, autour de la tablée familiale, Madi me sourit, ailleurs et présente à la fois. C’est qu’elle est belle la dame. Ses cheveux immaculés bouclent encore autour de son visage d’ivoire patiné, qu’illuminent deux yeux clairs. J’aime à l’embrasser et à poser mon nez sur ses joues douces, nervurées en creux par un fin réseau de rides élégantes. A côté d’elle, Octave, règne en patriarche souriant, jamais à court d’anecdotes, puisées au souvenir des temps anciens, par là-bas, outre-méditerranée, dans les vignes, les champs et les cours des écoles. Les autres, qui ne sont à ses yeux que grands enfants plus ou moins sages, se pressent sur leur assiettes, car le temps est compté. J’aime ces moments brefs mais intenses, le sourire des femmes, leurs mains agiles, le rayon de lumière qui passe la porte, pour donner à la scène quelque chose de la Cène, du partage du pain.

L’après midi n’en finit pas, les corps souffrent, les vignes sont de plus en plus basses, les gestes mécaniques. C’est l’heure où les crocos à queues rouges saignent les bouts des doigts de ceux que les rêves emportent, que la fumette anesthésie, ou que la distraction gagne. L’eau coule à flots frais dans les gorges en carton, sur les nuques raidies, entre les doigts collants. Tout à la fin, il est temps que cesse le temps. La troupe revient en vrac au Château, ça traine, ça tire la patte, la fumette redouble. Dans les vignes, au soleil bas qui les vieillit à l’or, et les culotte au bronze, ça embaume les herbes qui ne sont pas de Provence … Sous la douche, l’eau froide assomme, puis le corps durci se détend, les muscles, à la glace, pompent le sang qui les nettoie. Le sucre, la sueur, la crasse, coulent en rigoles brunes, c’est Jouvence. Au sortir, la chaleur extérieure rassérène. Assis sur un banc, je savoure une bière froide. Elle m’étourdit un peu. Plus bas, le chai a rentré toutes les baies. Égrappées, les boules violettes ont vibré sur le tapis de tri. Propres, intactes, saines, elles ont gagné les cuves, à l’abri de l’air corrupteur.

C’est maintenant l’heure des lavures, des eaux lustrales qui jaillissent des tuyaux, du grand nettoyage du soir. Le karscher décape les inox rougis, les caisses entartrées, les serpents jaunes et bleus des jets – qui évacuent rafles brisées, insectes égarés et quelques rares grappes marquées par la pourriture grise – dessinent au sol d’étranges arabesques changeantes. Au contact de l’eau, les hommes sourient, les visages des femmes, aux grands yeux de koalas fatigués, se détendent, quelques giclées s’égarent parfois, les rires fusent… C’est Versailles, les Grandes Eaux au Château, l’été … Penchée, la tête sous le plateau, « Small Squirrel » récure la table de tri, l’eau gicle, éclabousse, rebondit sur le métal brillant. « Singing in the rain » chante dans ma tête. Dos au soleil, le mercure aveuglant des eaux irisées, comme une auréole d’argent, souligne les courbes tendues de son corps mince. Catherine a des temps, d’arrêt, les grands puits de ses yeux de cobalt mangent son visage marqué par la fatigue. Jacques, Claude et René, mitraillent les cagettes souillées par la terre et les jus. La puissance des jets qui résonnent, mats et sourds, sur les plastiques durs et les tôles rigides, battent le rythme liquide des tambours de Beauséjour. Par instant, les serpents albinos aux écailles liquides, s’égarent et les hommes sourient… L’enfant n’est jamais loin, à tout âge ! A l’écart, les larges pieds nus bagués de sparadraps roses du grand Yves au sourire immuable, pataugent dans les flaques rougies qu’il repousse méticuleusement. Pendant sept jours la haute silhouette silencieuse de cet homme doux, et dur au mal, m’a servi de repère, qui dépassait le haut des vignes, caisses lourdes au dos, discret, amical et constant. Au flanc d’une benne rouge et or, le visage fin du « Fennec from Man’ttan » scrute le fond, débusque les moindres scories, qu’elle chasse à grandes rafales précises. Cette New Yorkaise bon teint, importatrice sérieuse, passera six semaines de son temps aux travaux du chai, souriante, accompagnant, pas à pas, infatigable et précieuse, l’élaboration de son « Penimento » special one, et des autres cuvées du Château.

Le soir tombe, le soleil est à l’agonie. Grosse boule dorée en chute lente, il bronze, peu à peu, vire à l’orange, au rouge sanglant, puis au bleu violacé dès que son bord tangente l’horizon. A l’arrière du Château, je vaque à mes occupations domestiques, lave, rince et étend mes frusques, aère tout ce qui peut l’être. D’un œil, j’admire « Juppé ». La lumière vermeille du jour mourant entoure sa silhouette noire et musclée d’un halo flavescent. Les derniers rayons liquides du jour roulent sur la toison courte du petit cheval noir, dont elle souligne les ondes qui frémissent sous sa peau. Il broute sans se lasser les herbes du parc. Sa longue queue touffue chasse les mouches d’un mouvement élégant et régulier. Par moments, il relève la tête et me fixe en mastiquant de longues herbes. Ses grands yeux, ourlés de longs cils noirs, lui font regard profond de femme émouvante. Je lui dis que je l’aime. La pomme que je lui jette craque sous ses dents, puis il secoue tête et crinière, silencieux …

C’est l’heure de la tablée du soir. « Sean white beard » le châtelain sourit, le ciel est avec lui, les grappes sont belles et les jus odorants. What else ! Autour de la grande table, les fumets du repas retroussent les babines. Les sourires se font rictus. Le temps du ballet des mandibules claquantes est arrivé. Le silence se fait sur la troupe. Colette et Michèle ont veillé aux fourneaux. Soupe chaude, poisson, viandes, fromages, gâteaux et fruits, disparaissent dans l’ombre inquiétante des gosiers affamés. Les soupirs d’aise, les petits cris de plaisir des estomacs comblés, parlent à l’oreille de qui sait entendre. Sous la table, les doigts de pieds des convives repus, délestés des lourdes chaussures du jour, font éventails. Je regarde mon verre qui luit du pourpre chaud d’un « Charme » 2009, ce soir. Au hasard des repas, il verra passer, de mémoire, « Kirwan » 1986, «Coteau de Noiré » 2003, « 1901 » 2008 et 2009, « SaintRomain » 2008, et d’autres encore … Comme un faon au sein de la harde, Chloé, petit bout de presque femme, tient la dragée finaude aux adultes conquis. Papa et tonton sont à ses pieds. Ses billes bleues maya pétillent au dessus d’un sourire à la malice experte. Fraîche comme la finale d’un vin sur argilo-calcaire ! Elle tient bien son rang au milieux des barbons, sous l’aile de maman … Les rires fusent encore un moment – flûtes à becs des femmes et contrebasses masculines en harmonie – quand David tient l’auditoire hilare, au récit des travers et misères de l’Assemblée Nationale

Par la fenêtre aux vitres fendues de ma cellule monacale, je regarde la nuit de jais. Dans le ciel, les lueurs aiguës des étoiles dessinent les mondes lointains, la lune blanchit les vignes, la fatigue me prend les reins, mes yeux sont boules de plomb fondu. Dans mes veines coulent des ruisselets paisibles. Les petits bonheurs engrangés de ces jours, passés aux combes et aux coteaux, m’ont caressé l’âme et la peau. Au centre de la toile, à l’angle de la fenêtre, l’araignée au ventre jaune, compagne fidèle de mes jours de vraie vie, s’est endormie …

Le sommeil me prend comme femme amoureuse,

Je plane aux cieux profonds,

Où croisent la lune gibbeuse,

Le Grand Sachem et son chariot, en assomption …

EMOEXTIHAUSCOTEDNE.

L’ÉTÉ D’UN RAOUT CHEZ RAOUX …

Floris de Vriendt. Le Banquet des Dieux.

Barbezieux, cité Charentissime, est « célèbre » pour son mini-coiffeur-apprenti-chanteur-fragile, pour les pattes noires de ses poulets, le charme de ses filles à poils ras – mais qui ne valent pas celles de Gensac la … – la douceur de son climat, ses vignes généreuses qui pissent allègrement, et la virilité hébétée de ses mâles conquérants.

La Charente quoi!

Et que dire de Salles-de-Barbezieux, banlieue méconnue qui fait pourtant la nique à sa Suzeraine. Eh oui, c’est qu’au fond de la Salles, la limousine est reine. Non, non, pas la grosse caisse m’a-tu-vu, qui traîne ses pneus de camion au cœur de la cité, mais la bonne grosse cularde, charpentée comme un Q7, qui rumine dans les champs. Placide, un peu conne, mais gentille. Patiemment, elle attend que les braises incarnates la grillent les soirs de pique-niques champêtres et ardents.

L’assemblée, du bout de la lame effilée de Christophe Gammmmmbieeeerrr, lui a taillé quelques kilos de barbaque d’un rouge … sombre comme un Cardinal sans son enfant de chœur. Que l’on veuille bien mettre cierge épais et gras aux pieds de l’éleveur de la sus bien roulée, pour la finesse de sa chair, la qualité de sa texture et le croquant de sa croûte, saisie à point par les braises brasillantes du solide barbecue, érigé en ses terres de LAUTRAIT la gaillarde, par Maître RAOUX, et ses acolytes à l’estive.

Le temps était plus à la soupe de châtaignes qu’au sorbet de caille anorexique…

Mais nous nous accommodâmes – le félin Charentais est souple d’échine – des caprices du temps. La chaleur des ceps en feu, la violette réglissée et la vinosité affirmée des magnums de champagne qui roulaient leurs bulles fines, éphémères comme l’âge des hommes, sur les fines tranches goûteuses des magrets délicatement fumés et les rillettes des mêmes canards de Dordogne, nous aidèrent grandement à faire front commun. Aux dessus de nos têtes, diversement chenues, les nuages bas couraient comme autant de cavales glacées.

La chaleur de l’été était plus dans les cœurs que dans les cieux.

Le soleil, invisible, nu derrière les épaisses nuées, se couchait. Nous rentrâmes de concert dans la tiédeur du Logis. La table, vaste comme un court de tennis, nous tendait les bras. Le président du soir, que l’on aurait dû éviter de chauffer outre mesure, d’emblée, de sa voix chaude et puissante, donna le «La», pour s’installer carrément dans le «Do» – j’en ai encore mal aux fesses – de la plus belle de ses voix de basse.

Manifestement aux anges.

Du coffre, il eut, longtemps…

Maître Raoux, dans les frimas extérieurs, assisté de sa brigade, s’affairait. Dans l’attente des viandes grillées, nous entamâmes la rondes des blancs. Altenberg de Bergheim 2003 de Deiss le puissant, Pfister le délicat, Santorin le Méditerranéen, le «Sauvignon» 2007 de Meursault (!), encadrèrent à merveille, les salades parfumées. La Carole basse du Rhin, enchantait ses voisins. Le Manu, moins distillé qu’à l’habitude, souriait patiemment. Trois P, l’impénitent caviste, couvrait, de regards prometteurs, Loulou la « tendre-sous-ses-airs-qu’en-ont-vu-d’autres », qui le délaissait, trop occupée qu’elle était, à calmer le vieillard triste et quasi cacochyme qui tremblait sur son flanc droit. Le charme n’a pas d’âge… L’ancêtre ne risquait guère de tomber, car à sa droite siégeait une Bénédicte tout droit sortie du Quattrocento Italien, accorte et ravie, le nez dans le verre, qui picorait d’une patte légère de chatte gourmande. Édouard son farouche ex conjoint ne plaisantait guère, s’extasiait des vins, et mangeait comme un athlète, la fourchette appliquée, la mâchoire puissante. Longuement, comme un marathonien des mandibules. Par moment, l’assistance interloquée, faisait silence et l’admirait. Il faut dire au lecteur, qu’Édouard à table, c’est un spectacle de haute tenue. C’est du Wagner à mettre Baalbeck en ruine, les Walkyries en furie, comme le lion sur l’antilope. A l’autre bout de la table, Raphaëlle, hôtesse d’un soir, virginale, du moins dans dans l’immaculé de ses atours, le regard espiègle, surveillait sa tablée. Elle riait souvent et découvrait à l’envie ses dents d’ivoire, tandis que sa gorge tremblait sous la dentelle. Un demi sourire aux lèvres, l’Assurbanipal de Royan, presque méticuleux, se régalait lentement. Sous sa crinière sombre et abondante, l’homme est peu disert. Il est de ceux qui réfléchissent longtemps, et qui parlent pour dire. Dénicheur de raretés, grand connaisseur des mystères du Cognac, empereur du rapport qualité-prix, il sort régulièrement de sublimes produits de sa besace sans fond, qu’il aime à partager. C’est un silencieux généreux. Un seul défaut il a, rédhibitoire… les Bordeaux toastés par le bois surchauffé, qu’il aime plus que de raison. Mais on s’en fout, pendant qu’il s’y plonge, par ici la Bourgogne !!!

Il est des instants, comme ça, fugaces, où l’on se demande pourquoi les hommes se font la guerre.

C’est alors que revinrent à table les bagnards du barbeuque, les bras tendus à tendons apparents, chargés de limousines juteuses, croquantes, exhaussées par le gros sel des îles de par ici. Quelques saucisses aussi. Un temps pour les rouges en tous genres, même les plus incertains. En rangs serrés, comme mes gencives parfois. Bordeaux exacerbés dont par bonté je tairai les noms, Grec fruité et gourmand, La Janasse 2001 alcooleux, Pradeaux 1995 aux tanins encore inaboutis, Montepulciano Nobile 2005 un peu jeune mais avec fougue et fraîcheur, et d’autres encore, qui ne me marquèrent point. L’Echézeaux 2002 de Christian Clerget, qui aurait aimé rester encore cinq ans dans sa bouteille, releva le niveau. Il fallut repousser les attaques incessantes de la tablée pour en détourner quelques centilitres. Viandes, saucisses, gratins et autres accompagnements, en vagues successives, garnissaient les assiettes. Le cliquetis des fourchettes, et les grognements sourds des combats buccaux, réchauffaient la salle. L’agape était à son plus haut. Même le Président reposait son organe. Carole faisait une pause, le regard tourné vers d’autres mondes. Sur ses lèvres, arrêtée en pleine course, la fleur fragile d’un demi sourire. Trois P qui jamais n’abdiquait, avait réussi à capter un instant le regard de sa Loulou. Entre deux gorgées d’Echézeaux qu’il gardait longuement en bouche, les faisant rouler comme autant de ces précieux plaisirs qui traversent l’instant, il atteignait au bonheur délicat. Entre l’amour et le contentement, il était à l’équilibre. La grâce est instable. Quand elle se manifeste, ne cherchez pas à la garder, elle s’enfuirait aussitôt. Au contraire, relâchez vous, et vous connaîtrez quelques secondes d’éternité. Le thalamus procure de doux orgasmes, subtils et tendres, que peu connaissent. Le vieux, désoeuvré, s’en était allé, là-bas, loin, en d’anciennes contrées intimes. Ses rêves étaient morts brutalement. Ne lui restaient que les images diaphanes des scènes tremblantes de ses espoirs morts-nés. Il lui semblait avoir mille ans. Dans sa tête sans rides, l’oiseau de proie, paronyme cruel, planait, et lui dépeçait le coeur à coups de bec mortels.

Le sucre des desserts ranima les organismes. Clafoutis, abricots en tartes et autres déclinaisons, diabétophiles à terme, redonnèrent à la réalité du moment les forces factices de l’insouciance.

J’ai oublié la suite…

Le temps coula jusqu’à plus d’heure.

Pendant ce temp-là, les enfants de Madoff…

Préparaient les désastres à venir.

ECONMOFITITECONE.

DE RETOUR DES ENFERS…

Paul Gauguin. L’esprit des morts veille.

Saison 2.

Au coeur des nécessités j’ai navigué, toutes ces semaines rouges.

Les laves brûlantes ont rougi mes veines, craquelé ma peau, rongé mon cortex en deshérence. Mais il me fallait bien regarder jusqu’aux entrailles fumantes de la bête qui me narguait, crocs luisants, haleine fétide, oeil plus glauque que chassieux, rieuse et dévoreuse comme la pire des hyènes jaunes qui serait née des amours putrides du Diable et de la goule noire. Sous les croûtes râpeuses des volcans faussement éteints, les magmas soufrés ravivent les souffrances frelatées des espoirs incertains. Oser cracher à la face de Méphisto, arracher les racines gluantes de ses baisers acides qui laissent aux dents le goût métallique des vanités déçues.

Sache Amigo qu’il fait mauvais se frotter aux comptables avides,

Aux papillons fragiles des lampadaires factices,

Aux serments de cendres que volent les vents

Mauvais, qu’ils disent, les poètes extasiés,

Des livres racornis, que délaissent,

Les démons souriants,

De mes nuits glaçantes

Et Ramadanesques…

Le séjour au royaume des niais niés m’a brûlé jusqu’au coeur de l’os. Le feu, fût-il d’ardentes nuées malignes, est le grand dévastateur des douleurs blanches, celui qui ne donne pas dans la dentelle, qui éradique, qui crame tout, qui voue les nuances et les atermoiements aux gémonies et aux géhennes funestes, qui lave, par la puissance de son degré,  jusqu’aux tréfonds enténébrés des plus secrets coffres des inconsciences accumulées.

Le mythe du phénix n’est pas un mythe,

Mais il laisse la peau fragile,

Le coeur exsangue et l’oeil baptisé.

Les souvenirs des fumets odorants crépitent et gémissent comme Cathares en autodafé, dans le silence bruissant des grillons symphoniques. Nul ne sait jamais comment vont tourner les vents noirs des bûchers finissants. Les cyprès dolents jouent avec le vent. La main, dans la pénombre des nuits sous lune, gratte le drap à s’en polir les ongles, dans la ruelle déserte les chiens coursent les chats, la vie continue de rouler ses plaies et ses bosses…

Dans le matin pur, un enfant hurle à la vie naissante.

MOITECONE…

PAPA NOEL, DEUX LIBELLULES ET SEPT NAINS…

Vladimir Kush. “Departure of the Winged Ship”.

C’était le début de l’été, peu avant que Décembre attaque…

Les forces marchandes annonceraient un Noël 3D, rouge, vert et relief. Papa Barbe Blanche et cadeaux incontournables commenceraient à me manger la tête et les yeux. Dans les bassins encore tièdes, belons et portugaises trembleraient sous l’eau des claires, dans le miroir desquelles se mirerait encore un soleil anémié. Les feuilles quitteraient le gîte bruissant des arbres en pleurs. Bientôt ils seront nus, décharnés et branches tordues, sous la morsure acide des vents glacés…

Les jus des vins de l’année mangeraient leur alcool et se prépareraient à la « malo » qui les ferait embryonner au printemps. Tout semblerait aller pour le mieux dans le meilleur des petits mondes possibles. Au dessus de leurs claviers, aux quatre coins Français du Web Hexagonal, les amoureux du vin des treilles – pour nombre d’entre elles encore peu connues – concocteraient leurs petits papiers sans importance. Discussions, découvertes, chamailleries puériles, échanges, iront leur train de sécateur. En vrac, tout de trac, sans arrières pensées, comme des enfants dans la cour de récréation… A l’échelle du Web Gaulois, le monde du vin est microcosmique, à hauteur planétaire le Web Gaulois est œuf de colibri et le placard vinesque est micro-atomique. C’est pour cela qu’il émet, plus souvent que supportable, de petits pets foireux dont certains sont carrément puants… Grâce soit rendue au Dieu Matrix, chiffonneries et pestilences sont jasmins en fleurs, au regard des vides intersidéraux alentours.

Or donc, au cœur de notre belle capitale, un jeune nain, geekounet invétéré, écrivaillonneur à l’occasion, se mit à rêver de mers immenses et de pirates audacieux. Fureteur comme tout bon I-Phoneur à géométrie Twittée, et petite Face de Bouc à ses heures, il se résolut, hardi, décidé et énergique, à monter un équipage, qui au secret de ses plus folles chimères, envahirait le monde concret du papier à bord d’un vaisseau de haut bord, utilement titré « Guide des vins Pirates ». Lequel prendrait d’abordage l’escadre souveraine des Corsaires du Roi du parchemin, et révolutionnerait à boulets rabattus les mœurs très hiérarchisées du Lilliput livresque vinique ! Bien sûr, ce très tout petit Nain Parisien ne se berçait d’aucune illusion et voulait simplement ficher un insolent mini coup de pipette dans l’ordre très établi des strates empilées de nababs cauteleux. Histoire de commettre un petit attentat, aussi pacifique que l’océan éponyme, une sorte de tsunamini de papier, une pincée de poil à gratter, qui mettraient à l’honneur quelques vignerons, peu connus ou nouveaux, mais pas thermos-régulés, amoureux des petites fleurs dans les vignes, des défricheurs de terres nouvelles, et de mœurs œnologiques au plus près possible du « naturel » mais pas pour autant disciples de la queue de renard trempée dans le pinard. Tout un tas de vrais faiseurs de bons ou futurs presque grands vins, autrement amicalement surnommés « Les Co-Bions » et autres énergétiques dynamisés.

Les Nains de Blanche Neige étaient sept. Candide le Geekounet sus-présenté en convainquit six autres sans trop d’efforts. Les blogueurs non rétribués sont gens fous, très souvent aventuriers intègres. Au long cours de sa campagne électorale, il prit aussi à sa pipette gouailleuse deux libellules aux ailes plus ou moins kilométrées qui voletaient alentours les vignes propres. Certes les nains avaient quelque(s) surnom(s) chacun mais je n’en connais très bien qu’un seul, le mien : Grincheux le Chieur qui vous conte ce Conte naïf, où les Princesses meurent éventrées et les Princes empalés par un Père Noël transformiste…

Or donc bis, Candide, alias Enrageek le Poulbot se mit en quête d’un investisseur en pâte à papier encrée qu’il convaincrait derechef et mettrait extasié à ses pieds, hypnotisé que serait le marchand de feuillets, par l’originale qualité du projet ainsi que par la faconde enthousiaste et communicative du petit sieur. En moins de temps qu’il n’en faudrait pour vider sept verres, un facteur d’in-quarto, de belle envergure, fut séduit par le projet et la gouaille du poulbot. Papa Noël, de son nom de chantre du papyrus, nous réunit, nains et libellules – YESSSS ! – en la Capitale elle même. Échappés de leurs jardins de provinces et autres lieux reculés, homoncules et demoiselles blogueu(se)rs, déjeunèrent, burent puis signèrent nombre exemplaires de contrats abscons (mais pas pour Papa!) à l’heure du café. Ébahis et repus, confiants et décidés, tous s’en retournèrent à leurs travaux gustatifs prêts à tirer les bords inédits qui les mèneraient à l’in-octavo.

Dare-dare, illico presto autant que d’arrache-pied, l’équipage de baltringues extatiques se mit à l’ouvrage. Dans les bruissements multiples de la Toile, on entendait cliqueter furieusement leurs claviers. Aux confins des Marches de l’Est, Timide Le Bon autrement surnommé Le Précis, voire Le Méticuleux, tricotait assidument ses textes autour de vignerons étincelants dans l’ombre des Grands Crus aux noms imprononçables… Joyeux l’Enveloppé, autrement affublé de surnoms fantaisistes tels que Le Grand Nain Jaune, L’Arpenteur sévèrement Trompé, Le Savant Gnain… courait par monts et vaux, si verts par chez lui, portraiturant à sa manière impressionniste d’obscurs ouilleurs, lumineux sous leurs voiles fragiles. Au delà des Alpes Françaises, dans les verts pâturages peuplés de vaches violettes et de coucous bruyants, Dormeur Le Lent, ainsi injustement supputé, tant les lieux communs attachés au pays des Cantons sont stupides et tenaces, se démenait comme un beau diable entre Petite Arvine, Cornalin et autre Chautagne exotiques, tantôt escaladant, tantôt dévalant… Clochette l’Evanaissante, ainsi rebaptisée tant sa jeunesse mutine et rieuse, dynamisait la troupe, remontait la Loire, de Paris à Nantes à grands coups de pagaies quand elle n’empruntait pas les chenins de traverse qui l’emmenaient à l’école buissonnière des talents naissants et des anciens nouveaux génies à demi ignorés… Atchoum Le Chouan chevauchait les longues cavales grises qui roulent incessamment au long des ciel venteux des Côtes Atlantiques, galopant à travers Fiefs et Melons de Bourgogne, barbe frisée, huîtres grasses, lippe gourmande et beurre salé à la main… Prof le Sage, que le moindre Verdot envoie au Cabernet pas toujours Franc devait son hétéronyme à de récents travaux Girondins, unanimement encensés, toutes chapelles confondues ou presque. Éclectique, il puisait à bâbord comme à tribord des perles de vins de grands fonds, qu’il polissait et repolissait longuement jusqu’à ce qu’elles étincèlent, plus encore que couronnes royales. Enfin O’Catharinette La Brune, également appelée gourmandement La Ronde Du Vin, s’échappait régulièrement de son arrondissement bridé, n’hésitant pas à descendre le couloir du Rhône pour explorer la Provence, la Corse et autres terres ensoleillées. Curieuse, elle dénichait de jolis œufs tous frais, au creux de nids tièdes encore inconnus des coucous…

Le Grincheux qui vous narre, n’en finissait pas de râler, de vitupérer à longueur de mails, agaçant ses congénères, réclamant, menaçant, recadrant, défendant sa soif de liberté étroite, voulant à tout prix jouer sa petite musique acide. Ses frères Nains et sœurs de petite importance, patients, l’écoutaient, le rassuraient, le supportaient. Il n’en pondait pas moins moult textes introductifs aux belle Régions de France et autres vignobles Européens, à sa façon, autant de contes destinés à ravir les lecteurs espérés curieux. Le temps passait, tous s’échinaient à donner leur meilleur.

Plus de cent et quelques textes après la ligne de départ, un beau jour qui voyait le frêle esquif fendre les flots et prendre les vents portants vers l’imprimerie, proche désormais, l’armateur éditeur précautionneux rompit le gouvernail qui envoya la coque de noix fraîche se fracasser contre les récifs aigus des prétextes économiques. Le bateau n’était plus viable « at all », comme ça, d’un coup, en un beau jour de Printemps. Il paraissait alors que les marchands, comptables du Temple Éditorial, avaient usé leurs crayons à d’obscurs calculs complexes qui démontraient la chose. Mieux valait abandonner le rafiot à deux encablures du port et jeter l’encre par dessus bord. La joyeuse troupe de nains naïfs fut sacrifiée sur l’autel de la rentabilité prétendument inatteignable et la nef rejoignit la flottille des Hollandais Volants qui naviguent, à tout jamais perdus, dans l’entre-deux monde des avortements livresques honteux.

La messe était dite, les Nains besogneux ne verraient jamais leurs amours sur papier, et tout resterait en l’état frileux et immuable dans le meilleur des mondes conventionnels possible. Déception, désillusion, petites colères passées, le Grincheux que je suis continue de vaticiner à l’ombre des contre-allées. Les autres membres de cet équipage de minuscules poursuivent leurs chemins de passion, de partage et d’écriture, tout comme avant, continuant de plonger leurs plumes bien taillées dans les encres multicolores de leurs rencontres…

Alors amis de passage, méfiez vous des Pères Noël suceurs d’oreilles tendres qui prétendent déposer à vos petits petons, de rutilants cadeaux !!!

Apprenez à nager avant de prendre la mer…

Même plus soif….

ESOMODOTIMICOSEENE.

HONNI SOIT QUI MONA MAL Y PENSE…

  Racine avec son amie boit l’eau.

(Image empruntée à « Journal d’un épicurien et sa Mona »).

 

Le Web balance comme mer agitée. Le curieux s’y perd aux fils gluants entrelacés. Et passe d’enfer en paradis, le temps d’un « clic ». Des cliques les plus vulgaires aux petits bonbons doux finement acidulés. Google le tout puissant, guide pas très innocent, vous épie, vous jauge, et vous emmène, à l’insu du plein savoir de votre naïveté, droit aux Marchands du Temple, affamés. Tout y est manigancé pour vous promener le long des larges fils dorés des profits en tous genres espérés. Gogo confiant, il vous faut le temps d’apprendre à esquiver les pièges épais de la consommation à outrance. Celui qui sera détaché des désirs vulgaires, peut y croiser de petits bonheurs d’esprit et d’écriture. Certes, il vous faut surfer, hanches souples et quadriceps bandés, à l’équilibre sur la planche fine de la curiosité affûtée. Alors baladins avertis, vous échouerez sur les plages vierges et les îlots fragiles, qui parsèment, entre les écueils acérés des récifs proposés, les chemins tortueux des hasards préservés.

Je voulais voir Vinci et j’ai trouvé Mona !

Il m’a fallu patienter jusqu’à la page onze du googlesque pisteur pour la découvrir, pimpante, en compagnie de son Lépicurien d’amant ! Patience est mère de petits bijoux et de bonheurs subtilement élégants. Parti pour me rincer les yeux des grisailles alentours, aux chatoyances inspirées de Léonard, je m’y suis plongé jusqu’à la délivrance. Ragaillardi, catharsisé, purifié, par les feux translucides de sa palette si douce, au détour d’une page, Mona m’est apparue…

J’ai toujours bien aimé les Lémuriens aux grands yeux qui montrent le ciel de la queue. Ce nouvel animal qui sait lire et écrire, je l’ai aimé aussi au premier mot. Oui Lépicurien, dandy né d’un croisement hasardeux entre humour cultivé improbable et dalle en pente, est devenu mona mi. Inutile qu’il le sache. Qu’il s’occupe mano a mano de sa Mona et boive bon à toutes les sources de l’insolence, et de l’impertinence aussi. De l’élégance surtout.

Je lève mon verre qui étincèle au soleil couchant, moitié plein, à demi ras-bord, d’un breuvage rouge sang de fée, beau Vacqueyras millésime 1452 du Domaine de la Monardière

A la tienne lépicure !

A Mona, un doux baiser,

Volé.

Un an déjà que Lisa s’est ré-envolée…

EMEMOLANTICOLICOQUENE.

A LA RECHERCHE DE CARLINA PERDUE * …

 

Roland, qui fut à Ronceveaux, est de nos jours à Garros. Les gladiateurs affamés aux tridents aigus sont devenus muscles d’ors longs enserrés de tissus luxueux, qui se renvoient la balle en criant rauque, comme des hardeurs milliardaires. Vu d’en haut, les premiers rangs autour de l’arène sont constellés de panamas blancs, qui se veulent signes d’élégance aisée. A voir les boursouflés et les chirurgiquées qui les portent, comme les signes ostentatoires de leur importance sur l’échelle qui n’est pas de Jacob, je me félicite de n’en point être empanaché… Plus haut sur les gradins du moderne amphithéâtre, les têtes couronnées de paille se font plus rares, et s’agglutinent les casquettes à la gloire des bulles salées. Tout en haut, elles deviennent jaunes et sentent l’anis qui n’est pas étoilé.

Brutal retour…

Ces jours derniers passés intra-muros, à l’abri des hordes de gnous colorés, arpenteurs multiples des artères pulsantes du sang abondant des marchands du temple, qui prospèrent comme pucerons sur tomates au jardin, le long des cheminements lents et sans cesse recommencés des foules grégaires. En Saint Jean des Monts, j’étais encore, il y a peu, dans l’arrière cour duCHAI CARLINA en compagnie sensible des buveurs de tout, amis du REVEVIN qu’orchestre chaque année Philippe Chevalier de la Pipette, hardi Chouan, ami des vins… et des cidres parfois. Barbe broussailleuse d’ex futur Pirate, le Chevalier souriant, placide comme un Saint Nectaire affiné, accueille les impétrants hallucinés. Plus de deux cent vins couleront au long des gosiers pentus, recrachés ou bus, selon les heures sans heurts de l’horloge des passionnés.

Le minutieux que je ne suis pas, déclinerait par le détail les noms et commentaires scrupuleux de toutes les décapsulées du Week-end. Studieux par moment, appliqué mais grognon le plus souvent, j’ai infligé à mon palais fragile, la caresse parfois, et l’agression par moment, de jus délicieux et/ou surprenants. Sessions dédiées aux blancs de Pessac-Léognan, aux Baux blancs et rouges, aux Grenaches de Provence, Rhône et Roussillon, entrecoupées de repas fraternels à la gloire du Bordelais comme de la Provence, ont rythmé jours torrides et longues soirées tièdes.

Dans mon coin, gencives en feu, j’ai attendu en vins, Carlina

Où était-elle, cette bougresse au nom de garrigue douce dont le nom brasillait au fronton du Chai, la nuit tombée, tandis qu’au sortir des tardives soirées arrosées, je rampais vers l’hôtel ? Étrangement, chaque nuit, toutes libations terminées, j’entendais, en sortant titubant, les cris douloureux des grands Chouans disparus, qui sourdaient, gémissants, sous les bitumes. Quelque ancien charnier royal sous les goudrons lourds de la modernité, sans doute ? Je levais la tête vers les étoiles, à chaque fois, implorant le ciel, effrayé que j’étais, et lisais au front du caviste : « Chez Carlina » ! J’avais beau me battre la coulpe à grandes brassées d’orties biodynamiques, m’infliger des abrasions siliceuses comme un hézychaste Grec, me limer les dents et me râper le frontal contre les murs, me traiter de bouse de vache en corne, rien n’y faisait. Toujours et encore, fulgurait : « Chez Carlina » au travers des luminescences à teintes variables, vestiges des jus du jour, entassés comme dans la soléra vivante que j’étais devenu à cette heure sans plus d’aiguilles à ma montre ! J’avais beau, genou à terre, invoquer l’âme glorieuse de François Athanase de CHARRETTE de la CONTRIE qui chourinait sous le goudron, rien n’y fit jamais. Pourtant et sans que je parvienne à résoudre l’énigme, les petits matins après ces nuits glauques, la chapelle des vins de Philronlepatrippe arborait à son fronton : « Chai Carlina »… Va comprendre Alexandre !

Mais foin de divagations !

Revenons à la bonne vieille chronologie, chère au cerveau gauche, et hors laquelle tout le monde se perd en méfiances. A peine descendu du cheval à soupapes qui m’avait confortablement convoyé jusqu’en ce lieu de toutes les chouanneries à venir, confortablement lové au creux d’un pullman spacieux, tout à côté des flancs généreux de la très Odalisque Sœur des Complies, accorte compagne du mien ami le très cacochyme officiant Cardinal de Sériot des Astéries, j’étais l’œil mi-clos, la mine attentive et la conscience en mode inter-mondes, à visionner déjà le très encensé film de Guillaume Bodin , « La Clef des Terroirs ». Que je trouvais donc fameux ! Belles images, belle lumière, belles caves, belles grappes, bon dialogue, bon pédago. Tout bien quoi. D’autant que lumière revenue, les spectateurs enthousiastes ne manquèrent pas de poser moultes très passionnantes et réitérantes questions, dont j’attendais patiemment la fin, tandis que mon estomac convulsé touchait depuis un moment le fond de mes chaussettes suantes. C’est qu’il faisait une chaleur à écœurer Vulcain, tant à Saint Jean qu’au ciné éponyme !

Back au Chai après une petite promenade de retour, sous la guidance du bon Cardinal qui semble avoir un GPS greffé au goupillon. Après avoir tenté de goûter un peu aux superbes cuvées de Thierry Michon, Saint Nicolas des Fiefs, sans trop de succès, tant la foule d’après film était dense et soiffeuse, je renonçai. Me faut avouer que me frayer un chemin entre les sueurs acides, les parfums capiteux et les nombrils agressifs, me fit très vite rebrousser chemin, me vengeant lâchement au passage sur quelques arpions épanouis dans leurs sandalettes aérées. Soupirs. Regrets. Souper tardif avec la meute. Libations contrôlées. Sortie du Chai. Tard, après qu’il soit clôt. Première manifestation occulte de Carlina, l’invisible mutine.

Perplexe, je m’endormis sans elle.

C’est alors, en ce lendemain de cet étrange nuit, que commence la farandole des bouteilles sous chaussettes multicolores. De bon matin vingt blancs de Pessac-Léognan, obscurs et/ou Crus classés, dont quelques pirates. Entendu dire alentour que les vins se goûtaient mal ? Jour racine ? Jour merdique ? Jour gencive sans aucun doute ! Ça frétille sous les caries, c’est la Saint Stéradent. J’outre, certes, mais quand même. De la brassée, émergent Smith Haut Lafite, Carbonnieux, Respide « Callypige » (encensé par le Cardinal, of course…) et Turcaud « Barrique », pirate de l’Entre-deux mers. Ni pâmoison ni holà, néanmoins. En soirée, ce sera diner Bordelais arrosé de bouteilles mystères échangées entre convives. Vannes, blagues, points de vue, controverses feutrées, goûts et couleurs, volent en coups droits et revers pas toujours liftés. « Nature » et « Tradition » n’empêchent, ni luxe, ni volupté gustative. Les « convives cohabitent », verbe et substantif à faire de beaux enfants aux regards profonds et/ou luminescents. Jus aboutis, avortés, entre deux états parfois, passent de bouche en gosier ou crachoir, c’est selon. Pour le classique à géométrie variable que je suis, les jus, souvent objet viniques non identifiables, fluorescents à ravir E.T, étonnent, surprennent, apprivoisent ou repoussent.

Auparavant, après une flânerie errante au long du rivage Montois, en fin d’après midi de ce même lendemain, Antoine Sanzay de Varrains et ses Saumurs, dont certains de Champigny, s’offrent à l’aréopage curieux. A ma gauche, l’aimable Hélène, moitié de Sanzay, me tient proche compagnie et semble partager partie de mes élans. Nous tastons de conserve ces vins qui n’en sont pas, Dieu soit loué ! Le chenin 2009 « Les Salles Martin » mûr, frais, aussi croquant qu’Hélène est craquante, désaltérant et finement salin, ouvre bellement et proprement la ronde. J’en avale une gorgée, subrepticement et ne le regrette pas ! Le Champigny rouge « Domaine » 2009 qui fleure bon framboise et cassis, aux petits tanins fins et crayeux, suit le même chemin pentu. Enfin « Les Poyeux » 2009, Champigny itou, au fruit aussi précis qu’élégant, clôt le bal en beauté. Ce vin, à la matière conséquente, épicée, équilibrée, étire longuement ses tanins soyeux et réglissés sur mes papilles frémissantes. Du tout bon, à mon goût, chez l’Antoine !

Au matin radieux d’encore après, les rais d’or brûlant qui percent les persiennes piquent mes paupières, lourdes des ravissements de la veille. Dans l’ombre tiède de la chambre, je m’extirpe d’un cauchemar glauque. Je laisse les cow-boys à leur génocide, et range mon colt, fumant de tous les meurtres sanglants qui me tapissent le palais de leur goût métallique. A moins que les fluorescéines de la veille, pruneaux et groseilles prégnants engorgeurs de foie, continuent insidieusement à me gonfler la rate…

Ce jour, c’est le Domaine de Trévallon, Étoile des Alpilles unanimement reconnue. Présenté par Eloi Dürrbach himself ! Monsieur Eloi est un homme rare, peu disert de prime abord, mais que la chaleur des êtres, les mets et les rires, ne mettront pas longtemps à détendre. Le hasard des chaises tournantes me place à sa droite tandis qu’Olifette la rieuse, Jurassienne au regard clair comme les huîtres lumineuses lavées par les eaux limpides de la pleine mer, finit de m’encadrer… Douze millésimes, trois blancs sublimes dont un 2000 aux parfums de truffe blanche, de pêche et de tisane, qui prend place derechef au cœur secret de mon Panthéon vinique. En rouge, 2007 est fait pour le long cours; fleurs blanches, amande, fumets de garrigue, fruits rouges, olive noire, and so on, jouent à s’entremêler harmonieusement… Enchantement olfactif, équilibre et précision des arômes. Un bouquet odorant, littéralement. La bouche n’est pas en reste (beau nez et belle bouche font grand vin!); c’est une boule juteuse et joueuse, à la matière conséquente, qui donne à l’avaloir sa chair tendre et musclée à la fois, pour offrir à mes sens consentants, de premières notes fruitées anoblies par de beaux amers. Le vin roule comme un jeune chiot ! Puis la soyeuse trame de tanins finement crayeux traversée d’épices ensoleillées, retend l’animal qui repart de plus belle, rechignant, si frais, à se calmer à la finale. A fermer les yeux en paradis. Sur mes lèvres orphelines, la trace d’une larme salée. Les huits autres millésimes (1995, 2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2008) chantent, chacun sur leur note, le grand air de ce terroir du « nord du sud ». Plongé dans les calices successifs, je surveille de l’œil gauche Eloi (je me permets, il est d’accord) qui refait la tournée de ses enfantelets. Qu’ils soient les siens ou qu’il découvre d’autres vins, l’homme est aussi rapide qu’efficace et ne se perd pas en arabesques. Une inspiration furtive, une gorgée vitement roulée en bouche qui finit discrètement au crachoir. Quatre mots plus tard, l’affaire est faite. Quand le vin lui plait vraiment, il ouvre l’œil grand, brièvement. Cet homme parle peu, mais ses mots pèsent le poids de l’expérience et de la lucidité…

Rares sont les vins qui vous arrêtent. Le voyage qui suit, à la recherche de beaux Baux plus que vins de bobos, l’atteste. Plus en chasse que braques en garrigue, la meute est à la traque, truffes frémissantes, espérant au détour d’une chaussette anonyme, lever un faisan racé aux plumes chatoyantes, à la chair tendre, onctueuse et fondante, aux parfums de fleurs printanières et de fruits mûrs et frais. Mais la battue fut moyenne, seules quelques perdrix d’élevage agacèrent un peu nos sens aiguisés. Nous en tastâmes cinq cents et revîmes au port pauvrement récompensés de quelques cols verts maigrelets. Il est vrai qu’après les diamants purs de Trévallon, les cartouches étaient mouillées…

Fourbus mais opiniâtres, nous finîmes le marathon sur les rotules, attaquant toutes papilles bandées, la côte des Ganaches. De Grands Crus assurément ! Madagascar, Venezuela, Colombie… croquants, floraux, longs et subtils, à faire des bassesses en d’autres circonstances. Six vins de Grenache à marier à ces élixirs de cabosses ! Il me faut humblement avouer qu’en ce début de soirée, mettant genoux à terre et papilles en berne, je fus incapable d’y trouver noces royales. Le sextuor liquide me laissa palais de marbre et naseaux flasques. D’aucuns, plus aguerris, dirent de belles choses. Quelques damoiselles, proches de l’extase, délirèrent un peu…

Une semaine après la bataille, l’esprit un peu plus clair et les nerfs apaisés, je me dis que l’assaut aurait peut-être gagné à être plus court, que les vins des Baux eussent plus empoché à mener l’attaque en premier, que Trévallon, en second, serait resté premier, et que Grenaches et Ganaches méritaient de faire noces à part. Critique facile certes, pour qui ne s’est pas échiné à la tâche. Mea culpa, amis organisateurs!

Au repas du soir de ce samedi, requinqués par quelques bières apéritives (belle « Poiré » locale, fraîche et nourrissante, « Rodenbach », Belge charnue à la cerise aigrelette… ), la Provence est reine. Les convives restés vifs se lèvent à leur tour, filent à la cave et remontent sous chaussette propre, de rigueur en pays Chouan, leurs flacons de communion. Car REVEVIN est fête de partages, partage de fête aussi, d’échanges de vins, de mots, de rires, de discussions à la Française… animées parfois, têtues souvent. Rien à voir avec les empoignades virtuelles de peu d’humanité. Ici les corps se font face, les fluides subtils qui nous échappent (car nos sens, aussi grossiers que cartésiens, n’entendent que les mots, lourds comme des boulets fumants), régulent, nuancent et relativisent nos désaccords futiles. La distance ignorante décuple les peurs, la proximité rassure, l’autre est miroir de nos errances. Ce soir, en cette maison, nous frôlerons la tolérance !

Au sortir des lumières amicales, jentre dans ma dernière nuit maritime. Esprit clair et sens affûtés, je traverse la rue déserte sans me retourner. Immobile, longtemps je reste. Me fondre dans l’espace, me fluidifier, m’incorporer au monde, je veux. Faire un et disparaître aux regards de chair, pour ne pas l’effaroucher, je tente. Me retourner d’un bloc, me retrouver face à Carlina frêle qui danse comme une fée, j’espère… Mais je m’endors déjà.

Quelques vins de rêves pour beaucoup de vins rêvés…

Le dernier matin sera dimanche, et les Bablut de Christophe Daviau feront « Aubance » à ceux que le retour n’appelle pas encore. Las, je n’en serai point. Rentrer il me faut. Sur le réglisse noir de la route, je me glisse, comme une bulle humide sur l’herbe des champs mouillés. L’air chante sur les courbes rondes de mon cheval de fer. Mon esprit vagabonde. Le caoutchouc chuinte sous la pluie drue. Carlina, secrète est restée. Mais elle continue de vivre en moi les rêves de vins qui me portent encore.

Tandis que je mets le point final à mon ouvrage, je l’entends qui rit des perles de nectar frais…

* Hors les domaines cités, tout est fiction et délires imaginaires débridés…

EVIMOBRANTITECONE.

 

AU SUPPLICE À SAINT SULPICE…

Rembrandt. La leçon d’anatomie.

  

Avril, qui assoiffe les terres, est beau…

Le soleil tendre de ce printemps décuple les forces telluriques, la vigne exulte, avant que la souffrance ne la gagne et ne lui arrache le plus beau du coeur de son jus. Sur la route qui serpente entre les vignes, je roule vers le plateau calcaire de Saint Emilion. Et accompagne, d’une voix de fausset, le timbre beurre fondu d’une cantatrice, qui fait de l’habitacle de ma quatre roues de gomme, le plus confortable des boudoirs masculins. Là bas, tout au bout de ma route incertaine, les forces insoupçonnées qui masquent les destins me guident, mieux que le plus sophistiqué des GPS, vers Saint Sulpice de Faleyrens. M’y attendent de faux inconnus. Oui, les Voies de la Toile, elles aussi, sont impénétrables. Dieu, qui est humour, ne néglige pas ces couloirs virtuels reliant entre eux ces âmes solitaires à deux pattes frêles, qui se prennent pour les maîtres de la création mais qui ne savent pas, orgueilleux comme des paons aux plumages ternes, qu’ils ne gouvernent pas même le bout de leurs humeurs…

Au milieu de l’impasse perdue, impair et gagne, la porte au marteau léonin cache encore à mon regard inquiet, La Fleur et son Cardinal. On ne dira jamais assez combien les vibrations subtiles qui nous entourent, corps invisibles, sont plus puissantes que l’apparence de nos chairs. Aussi temporairement belles soient elles, nos viandes parées, quoiqu’exquises parfois, nous aveuglent, pièges charmants mais grossiers. Au fil des prisons temporelles qui nous abritent, incarnations après vies, nous nous croisons et recroisons. Nos âmes, que nous ignorons, se reconnaissent… elles. Le pas de la porte à peine franchi, la lumière qui éclaire les regards qui m’attendent, me parle sans qu’aucun mot soit dit. Ces deux vies qui s’aiment au-delà des épreuves, je les reconnais d’instinct. Pourquoi, comment, quand, où, je ne saurais dire, mais la certitude qu’ils sont d’anciens compagnons de misères et de joies, fulgure en moi comme un rai coruscant, pur, tranchant comme Chardonnay sur calcaire. Les consciences sourdes, que nous sommes tous trois, balbutient quelques pauvres mots émus. Mais les regards absents de nos vieilles âmes tribulantes, présentes comme nos egos ne le seront jamais, s’étreignent et chantent la joie muette des retrouvailles… Cent, mille mots ne pourraient l’exprimer.

Je suis chez eux, qui me disent en silence que je suis chez moi.

Le Cardinal Daniel doux sera mon guide, comme sans doute j’ai pu l’être, en d’anciens temps. La Fleur, immobile danseuse, belle de toutes ses rondeurs, a le regard noir des plus chatoyantes olives, le cil long et le sourire timide des bayadères caressantes.

Deux jours qui seront Éons…

Isabelle est un essaim d’abeilles*. Toujours en mouvement, elle paraît immobile. Elle écoute, participe, enrichit les échanges, tandis que ses mains, indépendantes, ne cessent de s’activer. Nourricières, elles volètent, concoctent, sans que rien n’y paraisse, plats légers, inventifs et multiples, qui enchantent les palais et charment les esprits. Elle a cette voix douce du corps et du coeur, que l’on écoute sans qu’elle ait à la forcer. Non, ne croyez pas que je flatte, c’est ainsi, simplement. Le Cardinal des Astéries a le regard des conquis, quand au soir d’un long jour le soleil s’attarde. Il a les mots taiseux des pudiques énamourés. Je les regarde vivre et me repais – comme un affamé devant la vitrine embuée d’une pâtisserie un petit matin d’hiver – de ces moments goûteux et charmants…

Toiser, Sériot, malgré son nom, ne sait. Il ne vous parle jamais tant que lorsqu’il se tait. Il a le regard tendre de ceux qui aiment vraiment le vin. Comme un Italien, le pain et les femmes, il aime aussi ! Etrangement me vient le souvenir flou d’un monastère ancien. Lui et moi y cheminons en prière au fil du déambulatoire, et croisons parfois une novice sous voile qui passe furtivement, à petits pas rapides. Nous ne levons pas les yeux, mais le bruissement de son habit et l’air parfumé qu’elle déplace à peine, nous touchent à coeur. Le temps d’un soupir, parfois, affleurent, venues du fond de l’oubli, de mystérieuses réminiscences…

À Larcis Ducasse, à Mangot, à Cassini, à Beauséjour, des Côtes à la Montagne, Daniel m’a emmené. En sortant de Ducasse j’étais loquace, à Mangot ce fut tango, de Cassini je fus épris, à Beauséjour c’était velours… Tranches de bonheurs viniques, différents, uniques, délirants. Attachants. Dents violettes et sourire noir. Nez chargé de fruits, lèvres salées de calcaire et coeur à la chamade. Sérieux comme un pape quand il déguste à la géologue, Le Cardinal des Astéries plonge une seule fois le nez dans le verre, roule quelques secondes trois gouttes de vin en bouche, recrache illico, lève un instant les yeux au ciel quand ils ne restent pas fixés sur le bout de sa chaussure. Puis d’une d’une voix forte et singulière qui n’appartient qu’à ces moment pénétrants, en quatre mots, il décortique, dissèque, analyse et prédit l’avenir du jus qu’il vient de palper du bout des papilles. « La leçon d’Anatomie » de Rembrandt appliquée à l’art de la dégustation ! Le bougre est impressionnant.

Le temps a passé comme une étoile filante dans le ciel ater d’une nuit d’été.

La table des gourmandises est apprêtée. Les verres luisent dans la mi-pénombre. Patricia, oeil de chat, sourire timide et Pierre Bernault, colosse paisible à la voix douce, ouvrent le bal. L’homme est un sourire, sur pattes hautes et large torse. Une gueule, belle, aussi. Chaleureux et taquin, tendre souvent. Yasmine, quatre ans d’ange, belle, ronde, entourée de Papa Sériot Fils et Maman Corne de Gazelle, fait une entrée triomphale, confiante comme une petite vie en herbe. Puis Marie-longue-Lyn se coule dans la pièce, bouquet court de roses multicolores à la main qui met la touche finale à la table. Les verres brillent maintenant comme arc-en-ciel pastel. C’est lumière douce. Elle est grande et souple La Lyn, comme un bambou au vent. Gracieuse, balancée, l’oeil qui rit la malice, elle tient par le « zoom » l’oeil numérique qui ne la quitte pas. Sur son corps –  la courtoisie me retient de me laisser aller… – les tissus, en couches légères, sont vivants. Et glissent sur ses épaules, qu’elle a fines, comme des soies vibrantes. Elle les remonte régulièrement d’un geste inconscient. Tous les mâles en bon état qui m’entourent, pensent en silence comme moi ! Très fort. En souriant bêtement… Sauf le Cardinal qui n’a d’yeux que pour sa Nonne ! Le bougre bafouille quand elle  farfouille déjà en cuisine. Cette presque femme (elle n’est pas encore mariée…) est une énigme. Elle « biloque » comme personne. Une vraie brigade en une seule femme… C’est un harem que le Cardinal épouse tantôt ! Entre la cuisine, le service, les conversations, jamais là et toujours présente, elle trouve encore le moyen de manger, de boire (et bien!) et de filmer scène et hôtes, à la manière d’un Lelouch en dentelles, valsant comme un Derviche. Bruno Delmas, long comme un jour sans (se)(v)in, de noir vêtu comme un sacristain, coupe de cheveux à la parachutiste, regard sérieux, se joint alors à l’équipage. En attendant que le dernier s’en vienne enfin boucler le dixtuor, le nonuor s’installe, prêt à jouer le concerto des mandibules en élixirs majeurs. Mais le voici-le-voilà, l’Arnaud Daudier, accompagné de son double De Cassini. Un regard bleu, délavé par les flux et reflux incessants de la vie, au centre duquel brille une pierre de malice, surmonte un grand sourire, doux et triste à la fois.

A peine est-il assis, que l’odyssée amoureuse de la fine cuisine, de la lymphe et du sang des vignes, commence…

Mais je suis à l’histoire ce que Jeanne Moreau est à la chanson, j’ai la mémoire qui flanche.  Les plats qui nous furent servis, délicats et subtils, se bousculent dans ma tête. Les tétons d’Aphrodite, en langoustine et supion sauce à l’orange télescopent les Saint Jacques à la citronnelle. Les fromages affinés se mêlent aux boules de melon à la crème de fleur d’oranger, tout aussi bien qu’au jambon en daube à vins multiples et fruits de mer décoquillés, aux fèves à l’ail et au caviar d’aubergines  aux anchois. Délices successifs, orgasmes gustatifs réitérés, secousses douces, corps en extase… ont peuplé ma brève nuit de rêves marins et de sirènes souples.

Comme une pluie qui brille à contrejour sur un ciel d’orage, les vins ont coulé dans les gorges offertes. Le bal des luettes fut somptueux. Francis Boulard n’était pas là, mais son « Petraea » a parlé pour lui. Un miracle d’équilibre entre le vineux du Pinot noir et la lame brute-minérale-affutée, adoucie en son milieu par une touche d’oxydation élégante, aussi justement fruitée que maîtrisée. Le foie gras en trio en a fondu de bonheur. Saint Jacques et citronnelle se sont roulés de plaisir sous la caresse élégante, l’équilibre d’école et la fraîcheur sans fin du Meursault Charmes2002 de la Maison Bouchard. Bien loin des jus du derrick, le ” Schlossberg 2009  d’Albert Mann nous l’a jouée, le jeunot, tout en retenue, sur la finesse, la mirabelle mûre et la belle acidité finale. Sous les tétons d’Aphrodite, langoustine et supion ont frétillé dans leur délicate sauce orangée. Sur le jambon mariné braisé, le caviar d’aubergines aux anchois et les fèves à l’ail, il fallait bien Larcis et son cousin Pavie Macquin, en 2004, pour tenir, haute, la note. Qui me dira que 2004 n’est pas des meilleurs n’est qu’un généraliste inculte et n’a pas dégusté les cousins sus-cités ! Larcis, épanoui comme l’odalisque de Manet, montre que vin bien fait vaut mieux que matronne opulente. Pavie, Hermès Trismégiste, au corps musclé dégraissé par les ans, n’est pas loin, ce n’est qu’affaire de goût. Brillat-Savarin et Saint Nectaire à point ont joliment jouté avec Branaire-Ducru 1995, Saint Julien plein, rond, aux tannins polis comme Jésuite charnu en chaire ! Puis vint la fin, l’ultime, le contre-ut des agapes. Imaginez dans la nuit qui s’étire, au sommet d’un long pied, la coupe fragile d’un verre, au creux duquel poudroient, sous la chantilly aérienne que parfume avec grâce l’amande et la fleur d’oranger, quelques billes de melon frappé. A dessert gracioso comme libellule au vent, il fallait une dentelle. Dans le millésime 1990, le SauternesTour Blanche” aux atours d’ambre et de calcite roulée eut la parfaite  élégance attendue. Il dansa au palais la farandole finale des fruits, de la crème et de la bigarade…

A ce moment de la soirée, les rires fusaient à feu continu, les femmes avaient aux joues les couleurs des roses de la table. Le Bernault qui n’est ni Bernin ni benêt, bernait La Lyn à coups de I-Phone malins. La sus-nommée, une main serrée sur le zoom et de l’autre relevant nerveusement un gilet rebelle qui cherchait régulièrement à s’enfuir, mitraillait à tout vat de la troisième – je voyais alors un peu triple – ses pauvres voisins de table, les verres vides, les pleins, les fleurs, les reliefs de repas, les miettes de pain, les couverts. Enfin parfois tout, et souvent rien, comme quoi tout est dans rien… et réciproquement ! Patricia riait, et ses yeux d’écureuil, agiles, couraient de visage en visage. Bruno, à l’arrêt, semblait en prière, visage figé et regard fixe. Arnaud le Double se fendait carrément la poire, son visage n’était que plis de joie, et on voyait comme un soleil couchant dans le lavis bleu de ses yeux. Face à face, Isabelle et Daniel, La Fleur et le Cardinal, regardaient, satisfaits et souriants, leurs convives électriques. Heureux ils étaient, de nous voir transportés. Certes, le Cardinal avait bien la joue rose et le sourire un tant soit peu béat, mais le regard tendre dont sa Nonnette l’enveloppait l’aidait à combattre la torpeur qui le gagnait. Elle, l’Isabelle, contemplait l’aréopage qu’elle avait réuni, d’un regard attendri.

Aux lèvres, l’ébauche de sourire d’une Lisa de Vinci

Bacchus était en nous, hilare, et secouait ses grappes comme un fou ses grelots.

Ah oui, j’oubliais ! Si j’avais été une femme guerrière, j’aurais aimé monter Cassini**

*anagramme.

** celle là, certes mauvaise, m’a gratouillé toute la soirée.

EMOÉTICOMUNEE.